Séance du vendredi 13 octobre 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 10e session - 45e séance

M 1017
7. Proposition de motion de Mmes et MM. Max Schneider, Anne Briol, Roger Beer, Jean-Luc Ducret, Jean-François Courvoisier et Erica Deuber-Pauli concernant la dégradation actuelle du Salève par l'exploitation des carrières et les importations genevoises. ( )M1017

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que la dégradation actuelle du Salève par l'exploitation des carrières a atteint des limites inacceptables;

- que des voix s'élèvent pour dénoncer la responsabilité des «Genevois» étant donné leur demande importante en matériaux;

- qu'une grande partie de l'exploitation est livrée sur Genève avec des nuisances considérables;

- que, de part et d'autre de la frontière, la population est profondément marquée par la dégradation de ce paysage magnifique,

invite le Conseil d'Etat

- à entamer, avant la fin de l'année 1995, des négociations avec les partenaires concernés (instances transfrontalières, préfecture d'Annecy, communes, associations locales, exploitants et autres) pour mettre en place l'arrêt des exploitations et la réhabilitation du site;

- à ne plus importer des matériaux du Salève pour toutes les constructions ou couvertures de chemins administrés par les pouvoirs publics, à partir du 1er janvier 1996;

- à intervenir, dès maintenant, auprès des constructeurs privés et notamment auprès des Services industriels de Genève et de l'ensemble des collectivités du bassin genevois pour qu'ils remplacent les matériaux du Salève par des matériaux recyclés ou de substitution.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Quel désolant spectacle nous offre le Salève depuis quelques années ! Le décor est encore plus triste pour les touristes qui utilisent le téléphérique pour accéder à l'un des «plus beaux panoramas du monde», comme le souligne une publicité.

Il est aujourd'hui grand temps de mettre fin à cette destruction qui a englouti notamment les témoignages magdaléniens.

Il ne s'agit pas de faire de l'ingérence chez nos voisins avec cette proposition de motion, mais de voir la réalité en face et d'assumer notre part de responsabilité.

Une grande partie de cette destruction est l'exploitation à outrance de ces carrières par la demande de notre canton.

Il existe certainement des matériaux de substitution, pour nos chemins forestiers, nos travaux routiers, nos voies de tram, pour le recouvrement des conduites de différents fluides, électricité, gaz, eau.

Le matériel dénommé, dans le jargon de professionnels, «Ecograve ou ecocalc», d'origine genevoise, provenant de «recyclage» du béton et autres matériaux concassés pourrait être utilisé pour bon nombre d'usages.

Cette technique est actuellement au point et disponible auprès de certaines entreprises de notre canton. Il existe cependant un paradoxe, les matières premières sont meilleur marché que les matériaux recyclés.

Il s'agit donc de bien réutiliser ce que nous avons dans notre canton, en favorisant la création d'emplois dans le domaine du recyclage de matériaux.

Ces invites ne sont pas des souhaits de repli sur soi, mais une volonté de ne pas continuer aveuglément le pillage des ressources naturelles sans en fixer certaines limites. En effet, le site du Léman est pour longtemps défiguré; si nous n'y prenons par garde, ce sera définitif, au moins à l'échelle humaine.

Ces invites vont dans le sens de la pétition lancée par l'Association pour la défense du Salève, qui a obtenu 11 000 signatures et de la plaquette «Plaidoyer pour le Salève» qui a été publiée par la Jeune Chambre économique et le Syndicat d'initiative d'Annemasse. Les conclusions soulignent:

- il faudrait informer le public et les associations des demandes d'ouvertures de carrières, assurer un contrôle efficace des exploitations;

- il faudrait que les communes concernées établissent toutes un document d'urbanisme si possible dans un contexte intercommunal;

- il faudrait qu'une réserve naturelle soit créée, fondée sur une collaboration scientifique étroite entre la Haute-Savoie et Genève.

Il y a donc une cohérence entre les demandes des citoyens de part et d'autre de la frontière.

Ces carrières font l'objet d'un droit d'exploitation pour plusieurs années encore, donné par le préfet d'Annecy.

Nous avons une part de responsabilité du fait de notre forte demande en matériaux. Nous ne pouvons donc pas nous retirer uniquement en arrêtant cette demande. Nous devons engager des négociations avec les différents partenaires, notamment l'administration française compétente, les communes concernées, les associations, les exploitants et les représentants des salariés.

Les emplois actuels pourraient être reconvertis dans la réhabilitation du site notamment, voire dans l'entretien d'un éventuel parc.

Nous vous proposons, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un accueil favorable à cette proposition de motion.

Débat

M. Max Schneider (Ve). M. Vianney écrivait dans «le Messager» du 4 septembre 1981 : «Comme une bête blessée, le Salève présente son flanc éventré. Ce n'est plus le Salève de Conrad Witz, ce n'est même plus le Salève de l'après-guerre, les carrières ont fait leur oeuvre de destruction».

«En dix ans, l'histoire du Salève s'est accélérée, à la mesure du développement de tout le pays genevois. Il faut en retracer les étapes les plus significatives, une suite d'échecs et de passions, et imaginer un possible avenir sans idéalisme naïf, ni fatalisme désenchanté. Les carrières en effet taillées dans le versant ouest du Salève, et en expansion rapide dans les années 1970, avaient de quoi émouvoir tous les familiers du site, l'impact sur le paysage étant le plus provocateur, sinon le plus palpable. D'autres projets pouvaient toucher plus profondément la substance de la montagne, dès lors que l'on s'engageait dans une logique d'infrastructures et d'urbanisation». Ce texte est de M. Jean-Pierre Courtin, qui souligne, en outre, le succès d'une pétition pour le Salève, avec plus de onze mille signatures du côté français collectées par la Chambre économique et le Syndicat d'initiative d'Annemasse.

C'est du côté français que sont venues les premières protestations, notamment à cause des importations massives de gravier à Genève. Cet enlaidissement progressif est, heureusement, limité dans le temps, nous dit-on. Evidemment qu'il l'est, puisque nous en avons encore pour dix ans au moins ! Il suffit de constater les dégâts occasionnés en quelques mois pour imaginer le résultat dans une décennie !

Je n'en dirai pas plus long sur cette réalité, mais il est des faits, dans l'histoire de notre Grand Conseil, qu'il vaut la peine de souligner.

En 1979, on nous disait : «Aucune autorisation nouvelle n'a été accordée pour l'exploitation de carrières. La commune d'Etrembières s'est dotée d'un plan d'occupation du sol, limitant l'exploitation - actuellement, la commune d'Etrembières a cessé son exploitation - toute extension étant impossible à l'avenir. La commune de Bossey a également son plan d'occupation du sol, les seuls travaux récents de dérochage ayant porté sur quelque huit hectares nécessaires à la création d'un golf où sont présents d'importants intérêts suisses».

En se remémorant cela, on pouvait être tenté de croire que le problème du Salève était réglé et que la montagne allait s' "arranger", grâce, notamment, à des pommades végétales. Cela a été fait, en 1973, par M. John Chavaz, l'un des dirigeants des carrières. Il a utilisé un crépi biologique qui n'a pas eu d'effet. Ensuite, d'autres essais ont eu lieu, notamment des tirs d'obus constitués d'une masse nutritive ensemencée, dans l'espoir que chaque impact grefferait de la végétation qui ne tarderait pas à s'étendre.

En consultant la presse transfrontalière, on se rend bien compte que les promesses faites n'ont pas été tenues, d'où cette motion, quelque peu comminatoire à l'égard de la Ville, du canton et des communes genevoises, afin qu'elles prennent des mesures énergiques pour stopper cette dégradation du site.

N'oublions pas que M. le président Haegi a participé, en 1991, à une journée du Salève, avec une visite de carrière et la démonstration d'une remise en état revenant entre 3 et 15 FF le m2. Il s'agissait d'une dispersion de coloris "naturel" sur les rochers.

Il va sans dire que nous refusons cette solution artificielle. Maintenant, il faut entrer dans un débat de négociation. Il est certainement possible de trouver des arrangements pour l'exploitation de ces trois carrières, appartenant à des familles suisses et françaises, car l'intérêt public doit absolument primer l'intérêt privé de messieurs les carriers.

Voilà pourquoi nous avons préparé cette motion. Auparavant, un groupe de députés, dont je faisais partie, a visité des installations pour s'interroger sur la problématique du gravier à Genève. Des informations obtenues, il est ressorti que les gravières n'étaient pas attaquées à la dynamite et que l'on n'attentait pas à la roche du Salève. Voilà ce que nous a dit, à Genève, un dirigeant de ces carrières.

Malheureusement, quelques mois plus tard, nous nous sommes aperçus que, sur la carrière de gauche, on faisait sauter la roche à la dynamite. Ainsi, on ne raclait pas seulement la surface, mais on entamait la couche du Salève.

Nous nous sommes fâchés et nous avons pensé que cela suffisait et qu'il fallait mettre le holà. Les interventions de M. Haegi n'ont pas suffi. Par conséquent, nous devons intervenir avec l'ensemble des partis de ce Grand Conseil pour stopper cette importation de gravier et entamer, ensuite, des négociations avec nos collègues français.

L'arrêt de l'exploitation des gravières ne serait pas catastrophique pour notre canton. A Genève, on nous a dit que le recyclage du béton et du bitume revenait plus cher que le matériau du Salève. Le prix de celui-ci est de 22 à 23 F le m3. Le concassage des matériaux de construction revient à 2 F de plus. Il faut cependant relever que la deuxième option permet le développement des entreprises concernées et crée des emplois. Toutefois, notre visite au Salève nous a permis de nous rendre compte que ces informations, diffusées à Genève, étaient absolument fausses. Voilà ce que nous ont dit les carriers, du côté français : le matériau du Salève coûte 20 F le m3, voire moins; le concassage des matériaux de démolition, du goudron et de l'asphalte des routes, amenés de France ou de Genève, est pratiqué, lui, au pied du Salève, si bien que ce matériau recyclé ne revient qu'à 15 F le m3. De plus, on trouve du gravier encore moins cher, à 10 F le m3, notamment dans les plaines de l'Ain.

Par conséquent, cette motion permettra, je l'espère, l'audition de tous les carriers en commission. Nous pourrons aussi nous rendre sur place pour évaluer l'ampleur des dégâts et démontrer aux carriers l'intérêt qu'ils ont à remettre le site en état.

Cette motion se veut constructive. C'est pourquoi nous avons invité le Conseil d'Etat à entamer, avant la fin de l'année 1995, des négociations avec les partenaires concernés - les instances transfrontalières, la préfecture d'Annecy, les communes et associations locales, les exploitants et autres - pour mettre en place l'arrêt des exploitations et la réhabilitation du site. Comme je sais qu'une réunion du Conseil d'Etat et du Conseil du Léman a été agendée au 8 décembre, sauf erreur, j'espère que l'on y débattra de la planification d'une entrée en négociation avec les exploitants. Ceux-ci doivent être entendus. Avec nos amis de Haute-Savoie et les responsables genevois, nous parviendrons certainement à un résultat positif.

En attendant, l'on peut déjà répondre à la troisième invite en prenant des mesures pour stopper l'abus qui consiste à importer du gravier de France pour combler les tranchées des services industriels ou procéder à la réfection de la ligne 12, au niveau de Grange-Canal. En effet, pour ce faire, l'on peut acheter chez nous du matériau de substitution, concassé par des entreprises suisses !

La quatrième invite, elle aussi, est applicable immédiatement. Il faut demander aux services industriels et à l'ensemble des constructeurs d'arrêter d'importer des matériaux du Salève, et ce jusqu'à ce que nous ayons abouti à des négociations. Il ne s'agit pas d'agir en France au nom de la République genevoise, car nous respectons nos amis français.

Actuellement, nous traitons avec des associations françaises pour la protection de la nature et des responsables politiques français qui approuvent la teneur de cette motion, que je vous prie d'accepter et de renvoyer à la commission de l'environnement.

Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). M. Max Schneider a excellemment développé les arguments techniques qui nous ont incités à déposer cette motion. J'aimerais en appeler à la responsabilité de ce parlement vis-à-vis du paysage, qui semble nous tenir tous à coeur, en rappelant rapidement la philosophie qui lui est rattachée.

Le paysage est le mot qui désignait, autrefois, une partie importante de notre environnement. Il constituait une préoccupation majeure à l'époque romantique et entrait dans la définition même du visage aimé de la patrie au XIXe siècle. Aujourd'hui, pour d'autres raisons, il est cause de nos inquiétudes. On sait l'importance donnée par l'Ecole d'architecture de Genève à l'enseignement sur le traitement du paysage.

Le paysage est une construction culturelle. Il fixe la qualité du regard qui se porte sur lui et révèle, en retour, les comportements de l'individu et de la collectivité à son endroit.

Le Salève a été déterminant dans le rapport des Genevois à la montagne, en général, et au paysage de leur canton en particulier. Max Schneider a rappelé que, dès le XVe siècle, très exactement en 1444, l'un des premiers paysages de la peinture européenne montre le Salève. Il s'agit du panneau que vous connaissez tous, celui du retable commandé par l'évêque de Genève à Conrad Witz, pour le maître-autel de la cathédrale Saint-Pierre. Cette oeuvre montre le lac, à partir des rivages de Pregny-Chambésy, l'extrémité de la ville devant Rive, le rivage des Eaux-Vives et de Cologny, le Salève, les Voirons, le Môle et, au loin, le massif du Mont-Blanc. Elle montre aussi saint Pierre, tentant de marcher sur les eaux, au sortir de sa barque, pour rejoindre le Christ. A l'avant-plan, elle montre aussi - tout à fait curieusement par rapport à la présente motion - les carrières sous-lacustres de molasse du lac et, en plan éloigné, les carrières de blocs de roche du Salève, déjà exploitées pour la construction à Genève.

A certaines époques, on a modifié profondément le paysage pour l'exploiter, l'embellir, l'aménager, le conformer à de nouveaux canons esthétiques ou à de nouveaux besoins. (M. Claude Blanc interpelle l'oratrice.) Je voudrais bien pouvoir parler... Blanc, tu te tais !

Autant, il a pu paraître légitime de creuser le Salève pour en exploiter la roche à certaines époques, quand les villes et les lieux bâtis entretenaient avec le site des rapports heureux de complémentarité, des rapports d'échelle extrêmement favorables à l'aspect naturel, en résumé quand le bâti était entouré de paysages, de jardins, de champs, de forêts, autant aujourd'hui il devient préoccupant de s'attaquer aux roches du Salève.

Même quand l'architecte Maurice Braillard construisit le téléphérique, il ne chercha pas à le dérober à la vue, à l'intégrer, comme on dirait aujourd'hui, mais, au contraire, il le mit en exergue, comme une conquête de l'homme sur la nature, en le monumentalisant dans un geste architectural relativement triomphal.

Or, aujourd'hui, le bâti a envahi le paysage. La technique, le trafic, les routes, les aéroports ont altéré progressivement tous les anciens rapports. Actuellement, une autoroute coupe les bas contreforts du Salève, ampute le beau village de Bossey de son rapport au territoire.

L'accroissement et l'accélération des procédures d'exploitation des carrières de matériaux du Salève sont sans précédent dans l'histoire. La saignée dans le paysage est dramatiquement démesurée.

L'harmonie et les idées de progrès, qui pouvaient être symbolisées par l'image d'une exploitation classique dans le paysage, sont désormais impossibles. Et il est inadmissible de poursuivre ces ravages dans un site qui constitue l'arrière-fond du paysage de Genève, du village de Veyrier, du village de Bossey.

Ces raisons, essentiellement paysagères, nous poussent, aujourd'hui, à nous rallier à tous les arguments techniques avancés par Max Schneider. Par conséquent, nous vous invitons à soutenir cette motion et ses invites et à bien vouloir les examiner en commission.

M. Roger Beer (R). Après tout ce que j'ai entendu, j'avoue ma perplexité. Je constate que l'on peut signer une motion pour des raisons totalement différentes...

M. Claude Blanc. Sans la lire !

M. Roger Beer. Non, Monsieur Blanc, après l'avoir lue attentivement ! Je peux comprendre et m'associer à l'explication paysagère et historique de Mme Deuber-Pauli, mais, en revanche, je me distancie quelque peu des propos légèrement extravagants de notre collègue Schneider.

Sur la forme, cette motion est un peu excessive, mais si finalement un PDC, le vice-président du Grand Conseil Jean-Luc Ducret, et moi, un radical, l'avons signée, c'est que, sur le fond, elle pose le problème réel du Salève et de son aspect. En effet, le Salève est si cher aux Genevois qu'ils le considèrent comme "leur" montagne, bien qu'il soit français à 100% !

On peut émettre de nombreux avis, connaître beaucoup d'états d'âme, mais il faudrait tout de même prendre conscience que ce n'est pas nous qui allons dicter aux Français ce qu'ils doivent faire. Et là, mon cher Max, vous faites erreur, et dans votre approche et dans vos propos !

Cependant, le souci que se font les Genevois à propos du Salève n'est pas à négliger. Ils aiment cette montagne et elle leur pose un problème, par rapport à leur désir de la préserver et les nécessités économiques de développement. Et c'est pourquoi certaines personnes tentent de nous faire croire qu'on essaie de dénaturer le Salève en l'exploitant.

Quant à moi, j'estime que cette motion pose, a priori, le problème de l'information. Il est bon que ce Grand Conseil soit mis au courant de ce que pense le Conseil d'Etat de cette problématique, et que nous-mêmes soyons renseignés sur ce qui se passe réellement au Salève. Quelles sont les entreprises qui exploitent les gravières ? Depuis quand, pourquoi, et que font-elles pour que cela ne soit pas aussi grave que le dit M. Schneider ?

Avant nous, il y a eu le Salève, et avant lui, les glaciations. Avant nous, au XIXe, des gens ont exploité le Salève pour construire, et une partie de Genève et une partie de la France... (Interruption de M. Blanc.) ... Pour une fois que M. Blanc ne se réfère pas à la Bible et ne dit pas des sottises ! Je suppose qu'il demandera la parole. Il ne s'agit pas, ici, de polémiquer mais d'expliquer qu'avec les carrières du Salève nous abordons les problèmes de notre développement, de notre civilisation et de nos relations transfrontalières chères à M. Haegi.

Il serait donc judicieux d'aller en commission de l'environnement ou de l'agriculture. Il serait également utile de se rendre sur place, pour que les exploitants et les entreprises concernées nous expliquent ce qu'ils font et ce qui se passe au Salève.

Bien que ne reprenant pas tous les propos de M. Schneider, je suis d'accord avec lui pour que l'on renvoie cette proposition de motion à la commission de l'environnement, afin de parvenir à une issue réaliste.

M. Jean-François Courvoisier (S). Bien que situé d'un côté d'une frontière qui n'existe que pour des raisons administratives, le Salève fait incontestablement partie du patrimoine genevois, et il est de notre devoir de protéger ce site exceptionnel.

Nous avons le privilège d'habiter une ville dont les environs sont particulièrement beaux et en constituent le principal attrait touristique. Le Salève participe à cet attrait touristique, tout comme la rade, nos parcs, nos beaux quartiers, nos belles demeures. Si cet attrait disparaissait, il ne pourrait être remplacé par nos ruineuses fêtes de Genève ou autres manifestations tapageuses !

Il est de l'intérêt économique de notre canton de tout mettre en oeuvre pour protéger notre environnement. Mais les décisions ne doivent pas être prises à la légère et trop rapidement. En effet, l'entreprise Chavaz démontre bien, dans sa lettre à notre présidente, quelles conséquences elle subirait, elle et ses employés, suite à une décision irréfléchie.

Il serait donc sage de renvoyer cette motion à la commission de l'environnement. Celle-ci devrait alors auditionner toutes les personnes concernées par la suppression de l'exploitation des gravières et trouver, pour sauvegarder la beauté de la montagne des Genevois, une solution convenant à l'ensemble des intéressés.

M. Armand Lombard (L). Je ne philosopherai pas, mais suivrai M. Beer dans sa remarquable évocation géologique. Si le Salève existe depuis toujours, pour ainsi dire, il risque d'être remplacé par un gros trou si l'on continuer à le creuser comme on le fait.

Il y a quinze ans, il a été dit que les surfaces exploitées seraient limitées en hauteur et en largeur. Et pourtant, tous les deux ans, voire chaque année, tout un chacun constate qu'elles augmentent. Des engagements pris à la même époque, il ressort que tout serait remis en l'état et que le site serait réaménagé. Or, nous voyons, comme l'a parfaitement décrit M. Schneider, des tonnes de caillasse, une sorte de désert, au pied du Salève, à côté duquel l'Arizona n'est rien ! Il est scandaleusement détérioré ! En plus, promesse avait été faite que la roche ne serait pas attaquée. Cet engagement a été répercuté par les médias. Néanmoins, depuis deux ans, on attente à la face de la limite supérieure, et, si l'on continue, on risque le cratère que nous craignons.

La réponse a toujours été immuable : «Nous, Genevois, avons besoin de ces cailloux !» Pourtant, M. Schneider a prouvé que d'autres solutions existaient.

Nous avons besoin de manger, mais nous avons des règles pour le faire. Nous avons besoin de marcher, mais nous avons des règles pour le faire. Nous avons besoin de gagner notre vie, mais nous avons des règles pour le faire. Alors, pour garder "notre" Salève, nous devons avoir des règles comme nous en avons pour construire une cité.

Par conséquent, mon groupe et moi-même serions intéressés à discuter de tous ces problèmes en commission. La proposition de M. Schneider va peut-être trop loin, mais elle est nécessaire pour que le sujet soit enfin traité et, si possible, réglé.

M. Bernard Annen (L). Madame Deuber-Pauli, depuis une décennie que nous nous faisons face dans cette enceinte, je prends note des leçons que vous nous donnez sur l'histoire de l'art. En effet, vous en êtes une spécialiste, mais, souvent, je me demande si vous n'êtes pas aussi spécialiste dans "l'art de faire des histoires" !

Cela étant, Madame, vous nous avez dit bien souvent qu'il fallait maintenir et conserver tout notre patrimoine de 1920. Le mois d'après, c'était le patrimoine de 1930 ou de 1940. Aujourd'hui, faites-moi le plaisir de conserver une image de 1945 ! Pourquoi 1945 ? Parce que c'est l'année de ma naissance et que j'ai toujours vu le Salève comme je le vois aujourd'hui !

Imaginez-vous que je n'ai pas envie de le voir comme vous voulez le voir, vous ! Le patrimoine genevois, Madame, est que le Salève est comme il est. Pensez-vous, ne serait-ce qu'une seconde, que le mont Ventoux pourrait être reboisé ? Toute la culture des Provençaux fait qu'ils l'ont toujours vu ainsi et qu'ils le désirent tel qu'il est !

M. Max Schneider (Ve). Je suis étonné des arguments avancés par le cosignataire Beer. En effet, nous n'allons pas dicter aux Français ce qu'ils ont à faire; je les respecte trop pour cela ! En revanche, je crois que l'on peut discuter et entrer en négociation avec eux. L'on peut aussi lever les accusations qui pèsent sur eux concernant la détérioration du Salève, puisque les responsables sont les Genevois qui importent la plus grosse partie du gravier produit. Les mesures drastiques à prendre nous sont donc destinées.

Monsieur Beer, c'est le Conseil d'Etat lui-même qui m'a conseillé, après que je le lui eus demandé, de renvoyer la motion en commission, d'où mon invite à le faire, dès ma première prise de parole.

M. John Dupraz (R). Je suis heureux que certains de mes collègues se soient aperçus que des carrières étaient exploitées au Salève ! Cela fait plus de trente ans que cela dure, et je constate, tout comme M. Annen, que le Salève n'a guère changé.

Je voudrais qu'en commission le débat porte aussi sur l'approvisionnement de Genève en matériaux pour la construction, sur les problèmes de transport qui en découlent et sur les problèmes d'atteinte au site. Mes chers collègues et mon cher vice-président, M. Ducret - qui se plaignent des dommages causés au Salève - feraient bien d'aller voir aussi ce qui se passe dans notre région, afin de traiter le problème globalement.

Je vous rappelle que le Salève est français. Nous y sommes tolérés, bien que nous soyons considérés, dans la région, comme des pique-meurons, des voleurs de champignons et des "faiseurs de vidange" dans les chemins de bois ! Alors, un peu de pudeur... Que la commission de l'environnement et de l'agriculture examine le problème dans son ensemble, en le considérant également sous l'angle de l'approvisionnement genevois en matériau de construction !

M. Olivier Lorenzini (PDC). Contrairement à M. Dupraz, je ne vais pas forcément "vidanger" en France... (Rires.) Je suis suffisamment à l'aise pour le faire dans ma République ! (Hilarité.) Un peu de sérieux, voyons ! (Rires.)

La présidente. Attendez, Monsieur Lorenzini, que M. Daniel Ducommun reprenne son souffle... (M. Lorenzini change de place.)

M. Olivier Lorenzini. J'aurais plaisir à vous citer une phrase de Victor Hugo qui a été écrite...

Une voix. ...par Erica Deuber-Pauli !

M. Olivier Lorenzini. Victor Hugo, lui, "vidangeait" ses pensées.

Dans son ouvrage «Genève, hier et aujourd'hui», Claude Mayor reproduit ce que Victor Hugo écrivait en 1890 :

«La rue des Dômes a été démolie. La vieille rangée de maisons vermoulues, qui faisait à la ville une façade si pittoresque sur le lac, a disparu. Elle est remplacée par un quai blanc, orné d'une ribambelle de grandes casernes blanches que ces bons Genevois prennent pour des palais. Genève, depuis quinze ans, a été raclée, ratissée, nivelée, tordue et sarclée de telle sorte qu'à l'exception de la butte Saint-Pierre et des ponts sur le Rhône il n'y reste plus une vieille maison. - Maintenant Genève est une platitude entourée de bosses.

»Mais ils auront beau faire, ils auront beau embellir leur ville, comme ils ne pourront jamais gratter le Salève, recrépir le Mont-Blanc et badigeonner le Léman, je suis tranquille».

Fort de cette dernière phrase que je trouve très belle, je vous invite à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'environnement et de l'agriculture.

8. Ordre du jour.

Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Bon nombre d'entre vous connaissent et le Festival Amadeus et le projet de la Maison de la musique à la Touvière, au Carré d'Aval. Le succès des cinq festivals Amadeus, de la musique ancienne à la musique contemporaine... (Chahut. L'oratrice ne peut plus parler.)

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons suspendre la séance. Monsieur Claude Haegi, je ne peux plus continuer à travailler, tâchez de calmer les députés. M. Claude Haegi me fait remarquer qu'il lui reste cinq questions urgentes et qu'il ne sera pas là, la semaine prochaine.

Une voix. On s'en fout !

La La présidente. Je suis navrée, mais j'entends des propos très désobligeants ! La séance est suspendue ! Je regrette, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous reprendrons nos travaux jeudi prochain, à 17 h.

M. Pierre-François Unger (PDC). Je ne vois pas d'objection à ce que nous interrompions nos travaux ce soir, mais, comme l'ont fait remarquer certains collègues des bancs d'en face, à la fin de la dernière séance, nous sommes un parlement de milice.

Je propose formellement que tous les points encore à l'ordre du jour soient "balancés" sur le mois de novembre, afin d'éviter que nous nous réunissions jeudi prochain. (Applaudissements.)

La présidente. Je vais faire voter cette proposition. Cependant, j'observe qu'il est d'usage de terminer notre ordre du jour. Si vous laissez autant de points non traités, vous aurez deux séances de plus au mois de novembre !

Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Nous appartenons tous à un gouvernement de milice, que je sache, et ce n'est pas de ma faute si certains ne prennent pas leurs responsabilités en venant aux séances.

Le sujet que nous devions aborder ce soir est relativement urgent. Je n'accepte donc pas facilement qu'il soit traité au mois de novembre.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer à une prochaine séance les points 30 à 45 bis de l'ordre du jour est adoptée.

La présidente. Il en sera fait ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, mais ce n'est pas une manière de travailler !

La séance est levée à 22 h 55.