Séance du
jeudi 12 octobre 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
10e
session -
43e
séance
I 1941
M. Bernard Clerc (AdG). Les 18 et 30 août dernier, le personnel des magasins "Jouets Weber" s'est mis en grève avec l'appui du SIT et de la CRT, pour obtenir l'annulation de mesures constituant une dégradation de leurs conditions de travail.
En effet, dès le 1er janvier de cette année, la direction a imposé de manière unilatérale une augmentation du temps de travail de quarante-deux heures trente à quarante-quatre heures sans augmentation de salaire correspondante. De plus, elle ne paie plus le quart d'heure de pause quotidien et les dix premières heures supplémentaires des assistants-gérants ne sont plus rémunérées. Une compensation partielle limitée aux trois prochaines années a été proposée sous la forme d'une semaine de vacances supplémentaire. Cinq employés des magasins de Genève qui ont refusé ce diktat se sont vus licenciés et, parmi eux, une femme enceinte.
La solidarité et la volonté de lutte des salariés, que nous saluons ici, ont conduit à deux mouvements de grève, dont le second s'est étendu à d'autres villes de Suisse romande.
Nous avons appris que M. Schwery, propriétaire des magasins "Jouets Weber", possède également le magasin principal de Genève, 12, rue de la Croix-d'Or. Selon nos informations, alors qu'il abaissait les salaires horaires de son personnel par l'augmentation du temps de travail, M. Schwery s'octroyait une augmentation du loyer de son immeuble de 25% à dater du 1er janvier dernier, portant celui-ci à 1,2 million par an.
Voici une année, la majorité de ce Grand Conseil acceptait une modification de la loi sur les heures de fermeture des magasins, dans le but de permettre une ouverture nocturne une fois par semaine. A cette occasion, notre groupe s'est opposé à ce premier pas vers la déréglementation des heures d'ouverture, en mettant en évidence que cette première nocturne - nous l'avons vu encore tout à l'heure - conduirait inéluctablement à une dégradation des conditions de travail pour le personnel. Le conflit des magasins Weber appartenant à la chaîne Denner nous donne, hélas, raison ! L'entrée en vigueur de l'allongement des horaires dans cette entreprise coïncide, comme par hasard, avec l'introduction des nocturnes.
Lors du débat relatif à l'ouverture nocturne, la majorité de ce parlement a prétendu que nous peignions le diable sur la muraille, en parlant de la dégradation des conditions de travail. Bien au contraire, il était proposé un quart d'heure de pause supplémentaire ! Résultat des courses pour les employés des "Jouets Weber" : le quart d'heure de pause n'est plus payé et l'horaire hebdomadaire est allongé.
Les syndicats s'inquiétaient surtout pour les petits commerces non conventionnés. Eh bien, les grands montrent l'exemple, car on ne peut quand même pas considérer l'entreprise Denner comme un petit commerce. Pourtant la loi sur les heures de fermeture des magasins prévoit à son article 14, alinéa 3, que l'octroi de l'autorisation d'ouvrir jusqu'à 20 h ne doit pas entraîner de détérioration de la situation du personnel.
Ce conflit nous conduit à poser au Conseil d'Etat les questions suivantes :
1) Les mesures unilatérales prises par la direction des "Jouets Weber" ne représentent-elles pas une dégradation des conditions de travail pour le personnel ?
2) La simultanéité de l'entrée en vigueur des nouveaux horaires avec l'introduction des nocturnes ne constitue-t-elle pas une violation de la loi sur les heures de fermeture des magasins ?
3) Dès lors, pourquoi le département de l'économie publique n'a-t-il pas retiré l'autorisation d'ouverture jusqu'à 20 h au magasin "Jouets Weber" ?
4) Le département des finances peut-il vérifier, lors de l'exercice fiscal 1995 de l'entreprise Weber, que l'augmentation du loyer du magasin de la rue de la Croix-d'Or, manifestement infondée, n'est pas une manoeuvre visant à réduire artificiellement le bénéfice imposable de cette société ?
Les vendeurs et vendeuses des magasins Weber, qui refusent d'être considérés comme des jouets par leur employeur, souhaitent connaître les réponses à ces questions.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Au travers de la motion faisant l'objet du point précédent de votre ordre du jour, nous avons eu l'occasion de présenter quelques exemples montrant que le département ne tolérait aucune infraction à la loi. Il en va de même dans le cas du commerce évoqué par M. Bernard Clerc, commerce ou groupe soit dit en passant - je le dis très librement - pour lequel je n'éprouve aucune sympathie, notamment quant à son utilisation commerciale des initiatives populaires, qui semble être une de ses habitudes.
Cela étant, il faut prendre les problèmes tels qu'ils sont. Dans le courant de l'automne 1994, la direction générale de Denner a souhaité uniformiser la durée de travail dans ses différentes entreprises, à compter du 1er janvier 1995. Comme l'a dit M. le député Clerc, l'horaire de travail est passé de quarante-deux heures trente à quarante-quatre heures. Je vous laisse le soin, au demeurant, de mettre cela en rapport avec les horaires décrits par les conventions collectives auxquelles M. Brunschwig faisait allusion tout à l'heure.
Le département de l'économie publique, soit pour lui l'inspection du commerce et contrôle des prix, a été saisi d'une plainte de l'Association des commis de Genève, selon laquelle cette augmentation de la durée hebdomadaire du travail constituait une détérioration des conditions de travail et était, par conséquent, incompatible avec la possibilité pour les magasins Denner et ceux du groupe de bénéficier de la dérogation de fermeture à 20 h, une fois par semaine.
L'office cantonal de l'inspection et des relations du travail a été chargé immédiatement d'instruire cette plainte. En résumé, il est parvenu aux constatations irréfutables suivantes :
1) La direction du groupe Denner a décidé de modifier les conditions de travail, en l'occurrence l'horaire, avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les heures de fermeture des magasins permettant de fermer à 20 h. Cela ne suffirait pas à éliminer tous les doutes, parce qu'on pourrait parfaitement imaginer qu'un commerce se soit permis d'anticiper la loi de manière à ne pas tomber sous le coup des nouvelles dispositions.
2) Le doute cependant est levé dans la mesure où - nous l'avons vérifié - la direction du groupe Denner a pris cette décision pour la totalité de ses magasins en Suisse. A partir de là, il est donc établi qu'il n'y a pas de lien de cause à effet entre la modeste adaptation genevoise et la décision du groupe Denner.
Pour le surplus, les difficultés traversées par ce groupe, et plus particulièrement la filiale des "Jouets Weber", ont été portées à la connaissance de l'office cantonal de conciliation. Il y a eu effectivement des licenciements. Lors des travaux qui ont eu lieu devant cet office, un certain nombre de propositions ont été faites, notamment par la représentation syndicale : premièrement, la suspension par l'employeur des décisions prises à la suite des grèves, notamment les congés; deuxièmement, l'acceptation par l'employeur de déférer à l'office cantonal de conciliation un certain nombre de difficultés en suspens, dans le but de mettre en place un nouveau règlement du personnel; et, troisièmement, la suspension des licenciements notifiés à des employés de la succursale de Lausanne.
L'office cantonal de conciliation a obtenu l'accord de Denner sur les deux premiers points, c'est-à-dire sur le retrait des licenciements notifiés aux employés genevois et la saisine de l'office pour mettre en place un règlement du personnel réglant l'ensemble des questions en suspens.
En revanche, il n'a pas obtenu l'accord du groupe Denner pour la suspension des congés se rapportant à la succursale lausannoise, pour des raisons qui m'échappent. Je ne connais pas le contexte spécifique de Lausanne et je n'ai pas vu les documents du juge qui m'auraient permis de me faire une idée à cet égard.
Toujours est-il que l'un des points de la revendication syndicale n'ayant pas pu être admis, le juge n'a pu que constater cet état de fait. L'office cantonal de conciliation s'est déclaré, par conséquent, incompétent, puisque l'un des points concernant la succursale de Lausanne n'avait pas pu être résolu par un accord amiable. C'est la raison pour laquelle le conflit a été renvoyé auprès de l'Office fédéral de conciliation.
Actuellement, nous suivons cette procédure avec beaucoup d'attention, parce que nous espérons revenir, au sein des succursales genevoises du groupe Denner, qu'il s'agisse des "Jouets Weber" ou d'autres magasins, à une situation de rapports de travail plus harmonieuse que celle que nous avons effectivement connue au cours de ces dernières semaines.
La réplique de M. Clerc figurera à l'ordre du jour d'une prochaine séance.