Séance du
jeudi 21 septembre 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
9e
session -
39e
séance
R 301
proposition de rÉsolution
concernant les mines antipersonnel
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- la Conférence internationale de Vienne sur l'interdiction et la limitation des mines antipersonnel, prévue à la fin du mois de septembre 1995;
- les conséquences dramatiques pour les populations civiles, en particulier pour les enfants, de l'usage de cette arme particulièrement meurtrière;
- la campagne mondiale visant à demander un arrêt total de la production de telles mines;
- la nécessité de faire cesser immédiatement cette guerre des lâches,
déclare
- qu'il attend des Etats participant à la Conférence de Vienne qu'ils s'accordent pour interdire totalement la production et l'exportation de mines antipersonnel,
engage
- les autorités suisses:
a) à défendre fermement un tel accord lors de cette conférence;
b) à détruire tous les stocks de mines antipersonnel existant en Suisse;
c) à apporter un soutien important aux organisations qui assurent le déminage progressif des régions infestées.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Au mois de juillet 1995 a eu lieu à Genève une réunion internationale sur les mines antipersonnel, précédant et préparant la Conférence d'examen de la Convention des Nations Unies de 1980 sur les armées classiques de Vienne.
Diverses personnalités et représentants d'Etats, d'organisations internationales ou d'ONG ont pris la parole lors de cette réunion.
A titre d'exposé des motifs, il nous a semblé intéressant de reprendre de larges extraits de l'intervention de M. Cornelio Sommaruga, président du CICR.
«Au cours des dix dernières années, les équipes médicales du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont soigné plus de 140 000 blessés de guerre. Or, un de ces blessés sur cinq avait été victime des mines. Chaque année, plus de 20 000 personnes - hommes, femmes et enfants - sont blessées ou tuées par des mines antipersonnel.
L'emploi de ces armes pernicieuses est à l'origine d'une terrible tragédie humaine. Non seulement les mines antipersonnel font d'innombrables victimes, mais elles causent les blessures les plus horribles de toutes celles que les chirurgiens de guerre sont appelés à traiter. En outre, les mines frappent indistinctement tous les êtres humains et continuent à semer la terreur des dizaines d'années après la fin des hostilités.
...
Les équipes médicales du CICR entendent les cris de douleur de ceux à qui ces instruments de terreur aveugle ont arraché un membre ou on fait perdre un être cher. En 1992, un quart des blessés - pour la plupart des non-combattants - soignés par le CICR avaient été victimes des mines. Ces patients doivent rester plus longtemps hospitalisés et exigent davantage de sang et de soins médicaux et chirurgicaux que les autres blessés de guerre.
...
Nous connaissons aussi le lourd tribut que, des dizaines d'années après la fin des hostilités, les mines continuent à prélever sur les territoires ravagés par la guerre: routes impraticables, puits inutilisables, champs en friche. Les résultats en sont la pauvreté, la faim et la mort.
Ce carnage est une insulte aux valeurs humanitaires. Dans de nombreuses régions, les mines menacent le développement économique et social, la stabilité et la paix. Il faut que cela cesse.
Il n'existe qu'un seul moyen efficace à long terme pour lutter contre le fléau que constituent les mines terrestres antipersonnel: interdire totalement leur production, leur stockage, leur transfert et leur emploi. Les quelques avantages militaires que procurent ces engins sont sans commune mesure avec leurs terribles conséquences. Le CICR se félicite de la récente création du Fonds d'affectation spéciale volontaire pour l'assistance au déminage et encourage les Etats à s'assurer que ce fonds, de même que d'autres programmes de déminage, reçoivent des ressources à la hauteur des besoins qu'entraîne cette catastrophe planétaire. Nous rendons ici hommage à la détermination, au courage et à la persévérance du personnel des Nations Unies et d'autres organismes dont les travaux de déminage permettent, jour après jour, de sauver des vies humaines.
Mais il faut bien plus encore. Il est essentiel que la prochaine Conférence d'examen de la Convention des Nations Unies de 1980 sur les armées classiques, qui va se tenir à Vienne, atteigne le but fixé par la 49e Assemblée générale des Nations Unies: l'élimination des mines antipersonnel.
...
Cette réunion est un signe encourageant. Elle indique que la communauté internationale commence à se préoccuper de la responsabilité morale, politique et financière liée aux dommages que les mines terrestres ont déjà causés. Ce n'est qu'à Vienne que l'on saura jusqu'où les Etats sont prêts à aller et que l'on connaîtra la véritable valeur des engagements qu'ils ont pris ici. Il faut agir avec détermination.
Si la pose des mines se poursuit au rythme actuel, chaque année qui passe viendra ajouter au moins deux décennies aux 1100 ans déjà requis pour l'enlèvement des mines actuellement en place. Si rien n'est fait, les résultats de cette importante réunion se trouveront fortement dépréciés. Nous n'aurions alors rien fait d'autre que de monter en courant un escalier roulant qui descend rapidement.
La vie de plusieurs milliers de victimes potentielles dépend de la volonté des gouvernements d'empoigner véritablement le problème des mines. Le moyen le plus efficace et le moins onéreux consiste à interdire définitivement les mines antipersonnel.
Nous ne devons pas laisser à nos enfants le triste héritage d'une planète infestée de mines.»
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je me bornerai à vous donner quatre chiffres; ils suffisent à exprimer l'horreur.
1) Ce ne sont pas moins de cent millions de mines qui sont éparpillées sur notre planète, prêtes à exploser, à mutiler des êtres vivants, en particulier les enfants.
2) Dans certains pays, on compte une mine pour douze enfants.
3) Chaque année, deux à quatre millions de mines supplémentaires sont posées.
4) Durant cette seule année, seules cent mille mines auront été désamorcées.
Le cerveau humain a conçu de belles inventions, mais il a su aussi mettre au point des technologies abjectes, dont celle appelée «la guerre des lâches», à savoir les mines antipersonnel. Dans le genre, on a poussé très loin le raffinement dans l'horreur : on a muni les mines de détonateurs en plastique pour les rendre indétectables; on les a décorées avec des images de Mickey pour attirer les enfants.
Les mines terrestres sont à l'origine d'une véritable tragédie humaine. Outre les dommages physiques et, en particulier, la mort d'enfants, elles ont des conséquences catastrophiques. Dans de nombreuses zones, elles empêchent le retour des réfugiés et des personnes déplacées, elles rendent les terres inutilisables, bloquent les routes, empêchent l'entretien des canaux d'irrigation et des centrales électriques.
Même quand les conflits ont pris fin, les mines continuent à faire couler le sang, à semer la terreur et le chaos dans des pays qui ont déjà bien du mal à se reconstruire.
Les mines antipersonnel, c'est la barbarie. Et la barbarie ne se réglemente pas par des conventions internationales. La barbarie doit être combattue par l'interdiction totale de la production, du stockage, de l'exportation et de l'emploi de tels engins.
C'est cela que demande notre résolution et celle-ci est d'autant plus importante que le représentant des autorités suisses, le secrétaire d'Etat M. Jakob Kellenberger, a développé des arguments qui ont surpris plusieurs Etats lors de la réunion internationale qui s'est tenue cet été sur le déminage. Alors que la plupart des Etats parlaient d'interdiction, la Suisse, elle, n'évoquait qu'un simple ralliement aux normes de droit international, une réglementation stricte de la production et de l'emploi des mines. Mais le terme «interdiction» n'est pas apparu dans le discours suisse. C'est regrettable, voire inacceptable.
Le 25 septembre, s'ouvrira à Vienne une conférence internationale qui traitera de ce sujet. Nous attendons de nos autorités suisses qu'elles prennent désormais une position humaine et courageuse, et qu'elles soutiennent fermement tout accord visant à interdire définitivement les mines antipersonnel.
Ce soir, j'ai l'espoir de pouvoir apporter, le jour de l'ouverture de la conférence, et de déposer, lors de la remise des pétitions lancées dans le cadre de la campagne mondiale, une prise de position unanime du Grand Conseil du canton de Genève.
Mme Michèle Mascherpa (L). A Genève, il y a seize mille chômeurs, c'est vrai. A Genève, l'économie est en crise, c'est vrai. A Genève, il y a une traversée de la rade qui n'en finit pas de ne pas commencer, c'est vrai. A Genève, il y a peu de risque que les enfants sautent sur des mines antipersonnel, c'est vrai.
Alors pour quelle raison devrais-je me sentir concernée par la résolution 301 ? Je vais vous en donner au moins une : à Genève, il y a aussi le CICR auquel vous avez voté une crédit de 500 000 F, la semaine dernière, pour son action en ex-Yougoslavie. Ce CICR, que les auteurs de la résolution 301 ont abondamment cité dans l'exposé des motifs, s'est engagé à fond dans une campagne anti-mines.
A l'origine de cet engagement, il y a, bien sûr, une préoccupation humanitaire. L'humanité est le premier des sept principes fondamentaux de la Croix-Rouge. Elle guide l'action du CICR en particulier et du Mouvement en général. En son nom, les souffrances des hommes doivent être prévenues et allégées, et la personne humaine respectée en toutes circonstances.
Mais l'engagement du CICR, dans ce que nous pouvons appeler sa campagne anti-mines, s'inscrit aussi dans le cadre du mandat spécifique et unique que lui a conféré la communauté internationale, à savoir oeuvrer en faveur de l'application et du développement du droit international humanitaire.
A bien regarder la Convention des Nations Unies de 1980, qui va faire l'objet de la Conférence internationale du 25 septembre 1995, à Vienne, on s'aperçoit qu'elle comporte de nombreuses lacunes. Mis à part le fait que cette convention, qui date de 1980, n'a été signée à mi-1995 que par cinquante Etats seulement, il faut savoir qu'elle s'applique uniquement aux conflits armés internationaux et non aux conflits armés internes, de type guérilla ou autre.
Or, c'est précisément dans ce type de conflit armé interne que les mines antipersonnel ont été massivement utilisées récemment, avec les conséquences dramatiques que l'on connaît pour la population civile, et pour les enfants tout spécialement.
C'est pourquoi au nombre des préoccupations du CICR - lequel sera présent à la conférence de Vienne - il en est une, essentielle, qui devrait figurer au premier rang des priorités humanitaires de la communauté internationale, à savoir renforcer la Convention de 1980, étendre son champ d'action aux conflits armés internes.
Aussi, Mesdames et Messieurs les députés, si vous voulez qu'au-delà des simples mots qu'elle contient la résolution 301 ait une portée plus grande, je vous propose de l'amender pour marquer le soutien de notre parlement à l'engagement du CICR, dans la campagne qu'il mène en vue d'éradiquer les mines antipersonnel. L'amendement que je vous propose consiste à ajouter la quatrième invite suivante :
«d) à appuyer les démarches du CICR afin que, notamment, le champ d'application de la convention des Nations Unies de 1980 sur les armes classiques soit étendu à tous les conflits armés internes.»
Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Roger Beer (R). Il y a des résolutions dont le sujet n'est pas du tout politique et c'est très bien.
Cette troisième séance du Grand Conseil nous donne l'occasion de traiter d'une résolution se rapportant à la dignité humaine, ce qui relativise nos joutes habituelles.
Mme Reusse-Decrey a parfaitement expliqué les raisons fondamentales de cette résolution et Mme Mascherpa, avec sa déclaration et son amendement, en a élargi la portée.
D'ores et déjà, nous vous annonçons que nous acceptons cet amendement.
Le Grand Conseil doit aussi soutenir cette résolution parce qu'elle constitue l'hommage dû à une personne qui a fait de la destruction des mines antipersonnel un combat personnel. Je veux nommer M. Cornelio Sommaruga, dont l'intervention constitue l'essentiel de notre exposé des motifs. M. Sommaruga, en tant que président du CICR, a l'aura d'un chef d'Etat et, comme Genevois d'adoption, sait mieux que quiconque défendre le fameux esprit de Genève.
Je vous invite à soutenir sans réserve cette résolution.
M. Luc Gilly (AdG). Nous soutiendrons évidemment l'amendement de Mme Mascherpa et je la remercie de l'avoir proposé.
Je voudrais dire deux choses. La première est de recommander à M. Beer de relire ce que M. Cornelio Sommaruga, président du CICR, a déclaré à l'occasion de cette conférence de préparation à Genève. La deuxième est de vous signaler, en tant que "pacifiste bêlant", qu'une pétition lancée en Suisse, pendant cette campagne anti-mines, a réuni plus de cent mille signatures. Nous les remettrons, lundi, au Palais fédéral pour qu'elles soient transmises à Vienne. Cent quarante-huit mille, me signale-t-on : c'est extraordinaire d'en avoir récolté autant en quelques mois !
En outre, je vous dirais aussi que la Belgique a détruit quasiment tout son stock de mines, ne gardant que 80 000 pièces pour les affecter à des exercices de déminage.
L'Alliance de gauche soutient évidemment cette résolution.
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Il est des signes qu'il faut savoir faire au bon moment et le Conseil d'Etat s'associe aux résolutionnaires et différents intervenants de ce soir pour vous suggérer d'accepter ce projet de résolution.
En effet, le CICR, qui est à la base de cette Conférence de Vienne, la vit dans des conditions qui ne sont pas évidentes. Ses illusions sont relativement limitées, malgré la campagne engagée avec détermination, notamment par M. le président Sommaruga. Le but de cette conférence est d'interdire l'utilisation des mines antipersonnel, ainsi que l'emploi d'armes au laser qui provoquent la cécité.
Il y a trois propositions minimales émanant du groupe d'experts. Les voici :
1) Toutes les mines antipersonnel doivent être détectables.
2) Les mines mises en place à distance doivent être munies d'un mécanisme d'autodestruction.
3) Toutes les mines antipersonnel, mises en place manuellement ou à l'aide d'un véhicule et utilisées en dehors de champs de mines signalés, gardés ou clôturés, doivent être munies d'un mécanisme d'autodestruction.
Le CICR voudrait interdire toute utilisation des mines terrestres et des armes aveuglantes, mais il ne se fait pas trop d'illusions. Madame Reusse-Decrey, vous n'avez pas entièrement raison quand vous citez les pays étrangers qui iraient dans la direction que vous souhaitez. Malheureusement, pour l'instant, seuls quinze pays, tout petits, à l'exception de la Suède, se sont déclarés favorables à l'interdiction des mines antipersonnel. La plupart des autres Etats sont très réservés quant à une éventuelle interdiction, car les mines antipersonnel sont fort utilisées. Elles ont "l'avantage" de s'autodétruire, après un certain laps de temps. Cela a été vérifié lors de la guerre du Golfe. Néanmoins, ce processus d'autodestruction ne fonctionne pas toujours, et les champs "porteurs" constituent un réel danger pour les équipes de déminage.
En outre, de plus en plus de pays utilisent des mines antipersonnel télécommandées. Ainsi, des hommes, à l'abri des tirs, peuvent observer l'avance des troupes ennemies sur les champs minés, et déclencher les explosions. En cas de non-utilisation, ces mines peuvent être détruites par télécommande.
La position de la Suisse, en effet, n'est pas celle que l'on peut souhaiter. C'est pourquoi cette résolution arrive à son heure. Amendée comme Mme Mascherpa vous l'a suggéré avec clairvoyance, elle aura d'autant plus de poids dans le cadre de cette Conférence de Vienne.
C'est dans cet esprit que nous vous suggérons d'accepter cette proposition de résolution.
La présidente. Nous allons voter l'amendement de Mme Mascherpa, qui vise à compléter la proposition de résolution 301 d'un alinéa d), et dont la teneur vient de vous être communiquée.
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
Mise aux voix, cette résolution ainsi amendée est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
rÉsolution
concernant les mines antipersonnel
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- la Conférence internationale de Vienne sur l'interdiction et la limitation des mines antipersonnel, prévue à la fin du mois de septembre 1995;
- les conséquences dramatiques pour les populations civiles, en particulier pour les enfants, de l'usage de cette arme particulièrement meurtrière;
- la campagne mondiale visant à demander un arrêt total de la production de telles mines;
- la nécessité de faire cesser immédiatement cette guerre des lâches,
déclare
- qu'il attend des Etats participant à la Conférence de Vienne qu'ils s'accordent pour interdire totalement la production et l'exportation de mines antipersonnel,
engage
- les autorités suisses:
a) à défendre fermement un tel accord lors de cette conférence;
b) à détruire tous les stocks de mines antipersonnel existant en Suisse;
c) à apporter un soutien important aux organisations qui assurent le déminage progressif des régions infestées;
d) à appuyer les démarches du CICR afin que, notamment, le champ d'application de la convention des Nations Unies de 1980 sur les armes classiques soit étendu à tous les conflits armés internes.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je remercie le Grand Conseil de son vote et le Conseil d'Etat de son soutien. Je me demande si, dans le cadre de cette campagne mondiale, le Conseil d'Etat ne pourrait pas présenter lors d'une prochaine séance un projet de loi ouvrant un crédit, comme celui que nous avons voté dans le cadre de l'aide à l'ex-Yougoslavie, afin de contribuer au Fonds volontaire des Nations Unies pour l'assistance au déminage ?
La présidente. Nous prenons acte de votre suggestion et espérons que le Conseil d'Etat y répondra favorablement.