Séance du
jeudi 21 septembre 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
9e
session -
39e
séance
I 1875
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. La réponse que je vous lis est celle du Conseil d'Etat à l'interpellation de M. Rebeaud.
Le Conseil d'Etat saisit l'occasion offerte par cette interpellation pour communiquer au Grand Conseil ses intentions concernant la zone agricole. En l'état, toutefois, la réponse qu'il peut fournir aujourd'hui est encore partielle et provisoire. La question fait, en effet, l'objet de nombreux débats, fédéraux et cantonaux, et devra être réexaminée en profondeur dans le cadre de la modification de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire pour laquelle une procédure de consultation est ouverte à la suite des travaux de la commission d'experts.
1) La protection des surfaces d'assolement.
Le principe de la protection SDA répond à une exigence de la Confédération. Il est admis par le Conseil d'Etat, puisque ce dernier s'est engagé à respecter le quota de 8 400 ha, attribué au canton par la Confédération et il reste un objectif de notre Conseil. Cette protection ne saurait s'ériger en dogme absolu. Elle mérite cependant d'être l'objet d'une pesée des intérêts face aux besoins de l'urbanisation.
L'inventaire des SDA recensées sur le canton a démontré que, pour l'instant, Genève dispose d'une réserve d'environ 80 ha par rapport au quota exigé. Si l'on prend en compte les SDA recensées dans la zone des bois et forêts, cette réserve se monte à 140 ha.
Le plan sectoriel des SDA de la Confédération prévoit que ce plan sera réexaminé à intervalles réguliers et au besoin remanié. Les cantons peuvent proposer un tel réexamen. Il est encore mentionné que ce réexamen peut intervenir, suite à un nouveau plan alimentaire, à de nouvelles prescriptions agricoles résultant de connaissances et de techniques nouvelles. C'est exactement ce que j'ai tenté d'expliquer quant à l'évolution de l'agriculture qui va beaucoup plus vite que l'évolution de la loi sur l'aménagement du territoire.
Ce rappel démontre que les surfaces d'assolement, même si l'on souscrit à leur finalité, ne peuvent pas rester en dehors de la réflexion globale sur l'aménagement futur de notre canton et doivent rester une zone multifonctionnelle aussi stable que possible. Le Conseil d'Etat adhère à l'analyse de M. Rebeaud, reconnaissant la multifonctionnalité de la zone agricole qui n'appartient plus seulement aux agriculteurs mais aussi à l'ensemble des citoyens d'un canton.
2) Multifonctionnalité de la zone agricole.
Cette multifonctionnalité est précisément une des difficultés à laquelle nous nous heurtons, car notre législation actuelle, à tous les niveaux, est peu à même de prendre cette caractéristique en compte. Il faut à cet égard rappeler que la zone agricole de notre canton a été définie dans ses limite actuelles en 1952. Par cette décision, on a voulu opérer une distinction entre la zone à bâtir et la zone non constructible, de sorte qu'une zone agricole relativement homogène avait été délimitée, mais qui comprenait déjà de nombreuses affectations sans lien avec l'agriculture - artisanat, équipements publics, commerces, habitations, hameaux.
Une étude réalisée en 1982, dans le cadre de l'élaboration du plan directeur cantonal révélait que, sur un total d'environ 13 300 ha, 2 300 ha de la zone agricole, dont 400 ha de routes, n'étaient pas affectés à l'agriculture. Ces données seront prochainement réactualisées et les chiffres futurs ne seront vraisemblablement pas différents de ceux de 1982, à la nuance près qu'entre-temps quelques déclassements importants de la zone agricole ont été votés, en général pour tenir compte de l'état de fait.
Ce qui précède indique donc que la zone agricole, telle que nous la connaissons, reste l'outil de travail des agriculteurs. Cela a pour conséquences qu'en application du droit fédéral il est nécessaire de maintenir les prix à la valeur de rendement et de veiller à empêcher la spéculation foncière.
La zone agricole ayant aussi une fonction multiple incontestable, d'autres activités sans lien direct avec l'exploitation des terres arables doivent pouvoir y être implantées. Monsieur le directeur de l'Office fédéral de l'agriculture me disait : «Comment voulez-vous encourager l'élevage des chevaux, animaux utiles parce qu'ils broutent de l'herbe et ne produisent pas de lait, avec les bases légales qui sont les nôtres maintenant !».
Il faut signaler enfin que la multifonctionnalité de l'agriculture est consacrée par les évolutions les plus récentes du droit fédéral, notamment les conditions d'attribution des paiements directs. La zone agricole est donc nécessaire à l'équilibre général du canton et notre Conseil affirme sans restriction qu'elle doit être aussi stable que possible.
3) L'assouplissement de la gestion de la zone agricole.
Le monde agricole est en mutation. Les nouvelles techniques de production font naître de nouveaux besoins en locaux, serres, hangars. Les accords de l'Uruguay Round du GATT que la Suisse s'apprête à ratifier vont certainement amener les agriculteurs à développer des activités complémentaires, sans rapport direct avec l'agriculture, mais qui tirent parti du potentiel de l'espace rural - développement de certains types de loisirs notamment - pour mentionner les propositions de la commission Dürer, en réponse à la motion Zimmerli, demandant un assouplissement de la législation fédérale.
Ces propositions font l'objet d'une proposition de révision partielle de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, actuellement au stade de la procédure de consultation pour :
a) admettre comme conforme à la zone agricole une production agricole ou horticole non tributaire du sol sous certaines conditions;
b) admettre la préparation, le stockage et la vente de produits agricoles ou horticoles pour autant qu'ils proviennent pour l'essentiel de l'entreprise sur place;
c) élargir les possibilités de venir s'établir dans la zone agricole au personnel de l'exploitation et aux parents retraités de l'exploitation.
4) Etat de la réflexion générale en cours - Prise en compte du caractère multifonctionnel par des mesures d'aménagement.
Il est légitime de se demander si les surfaces non affectées à l'agriculture pourraient ou devraient faire l'objet de déclassement en zone à bâtir ou en zone de verdure. Le Conseil d'Etat est à ce sujet d'avis qu'une poursuite de la mise en conformité du zoning en vigueur est souhaitable, afin de déclasser en zones à bâtir ou en zones de verdure des parcelles importantes dont l'affectation non agricole est irréversible. Certaines terres incultes pourraient faire l'objet de déclassements ponctuels - cf. la gravière de Meyrin - si aucun autre intérêt ne s'y oppose. Nous sommes également favorables au déclassement des hameaux situés dans la zone agricole.
En revanche, la systématisation de tels déclassements pose un certain nombre de problèmes. Elle conduirait à un zoning très détaillé en peau de léopard, entraînant un grignotage plus important de l'aire rurale qu'il convient d'éviter pour de multiples raisons. Il est à noter qu'une délimitation homogène de la zone agricole reste d'ailleurs un des principes importants de la LAT, non remis en question.
Ce problème pourrait être, en partie, réglé par les nouvelles dispositions figurant dans le projet de révision de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, qui étendent le régime dérogatoire en zone agricole. Il convient de noter, en outre, que les réflexions de l'aménagement du territoire s'orientent de plus en plus vers l'idée d'un schéma d'aménagement de l'aire rurale qui permettrait une gestion de la zone agricole mieux adaptée aux caractéristiques locales sans tomber dans le "coup par coup".
La présidente. Monsieur le conseiller d'Etat, je suis navrée de vous rappeler que la durée des interventions ne peut pas dépasser dix minutes. Vous en êtes pratiquement à un quart d'heure !
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Je remettrai par écrit le texte...
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat.
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Je terminerai en disant que tout ce que nous proposons se fera moyennant une consultation avec tous les milieux concernés.
5. Extension des zones à urbaniser au détriment des terres agricoles
Le Conseil d'Etat réaffirme que la protection des terres cultivées (et le maintien d'une aire rurale multifonctionnelle) est un de ses objectifs. Il n'en reste pas moins que la zone agricole ne doit pas être considérée comme intouchable, sans vérification préalable des multiples besoins de la population et des façons d'y répondre. Il importe d'aborder cette question de façon globale, dans le cadre du réexamen du plan directeur cantonal, dont l'objectif est de faire face aux besoins futurs et d'éviter un bradage, au coup par coup, de la zone agricole. Il se peut donc, au terme de ce réexamen, qu'on procède à certains déclassements de terres agricoles, notamment pour la réalisation de grandes infrastructures ou d'autres projets (réalisation du métro, extension du réseau ferroviaire, accueil des organisations internationales), autant de cas qui devraient rester exceptionnels.
Il est en outre possible que la réévaluation des disponibilités existantes dans les zones à bâtir actuelles conduise à envisager l'extension des surfaces urbanisées sur la zone agricole, en particulier pour la création de logements collectifs. Si tel devait être le cas, la localisation de ces nouveaux sites, qui ne devront en aucun cas se traduire par des déclassements massifs, ne pourra pas toujours se faire sur des terrains peu favorables à l'agriculture, car elle doit correspondre également à d'autres critères, en particulier permettre un développement cohérent de l'agglomération, facilitant une desserte par les transports publics.
Au cours de ce réexamen qui ne peut se faire qu'en concertation avec les communes, il est souhaitable que des propositions de déclassement de la zone agricole soient liées à des "retours" en zone agricole de parcelles aujourd'hui classées en zone à bâtir, mais qui sont peu propices à l'habitat ou situées dans des sites sensibles.
6. Concertation
Notre Conseil tient, avant de conclure, à vous informer qu'il engagera une concertation avec tous les milieux concernés avant de prendre toute décision importante touchant la zone agricole. Celle-ci pourra, en particulier, avoir lieu dans le cadre du réexamen du plan directeur cantonal qui est engagé et qui fera l'objet d'un large débat. L'un des volets importants de ce réexamen portera précisément sur la zone agricole.
Cette interpellation est close.