Séance du jeudi 14 septembre 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 9e session - 35e séance

M 1013
7. Proposition de motion de Mme et MM. Fabienne Bugnon, Luc Gilly et Dominique Hausser visant à annuler l'autorisation d'un défilé militaire à Genève. ( )M1013

M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat. Réglez d'abord vos problèmes !

La présidente. S'il vous plaît ! Cette demande de parole est confirmée par notre seconde vice-présidente, et j'espère que vous ne mettez pas sa parole en doute !

M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais, au nom du Conseil d'Etat, et très brièvement - vous pourrez donc en débattre très largement après - faire la déclaration suivante :

Tout d'abord, dans son rapport sur la politique de sécurité, le Conseil fédéral, en 1990, a clairement formulé la mission de l'armée dans notre pays et cette mission est triple : prévenir la guerre en maintenant l'aptitude à la défense, participer à la promotion de la paix et à l'aide en cas de catastrophe, et, troisièmement, contribuer à préserver les conditions générales de survie. C'est dans cet esprit que la réforme de l'armée 1995 a été réalisée, et vous savez qu'elle est mise en oeuvre aujourd'hui.

Dans ce cadre, le régiment d'infanterie genevois 3 a une mission bien particulière : assurer la protection de notre aéroport et celle des organisations internationales de manière à pouvoir garantir, en tout temps, la possibilité pour ces dernières d'assurer leur bon fonctionnement et, notamment, celui du siège européen des Nations Unies.

C'est d'ailleurs pourquoi, dans les années récentes, l'armée a largement contribué à la mise en place d'éléments de sécurité : en 1983, pour la conférence sur la question de la Palestine, en 1985 - on s'en souvient tous - pour la rencontre Reagan/Gorbatchev, en 1988, lorsque l'Assemblée générale des Nations Unies s'est réunie à Genève et, enfin, l'an dernier, pour la rencontre Clinton/Assad. C'est donc bien la présence des organisations internationales à Genève qui nécessite de prendre des mesures bien particulières. Le régiment genevois 3 est composé exclusivement de citoyens soldats genevois, faisant leur service exclusivement sur le territoire de notre canton, sous réserve de cours techniques qu'ils ne peuvent suivre que dans d'autres places d'armes à l'occasion de cours de répétition.

Par conséquent, lorsque le Conseil d'Etat a été sollicité pour prendre une décision d'autorisation d'un défilé du régiment 3, à la fin de son cours de répétition, dans le courant du mois de novembre prochain, il a considéré qu'il n'y avait aucune raison pour que cette composante de nos institutions que constitue l'armée et plus particulièrement, en l'occurrence, ce régiment genevois, composé de citoyens soldats genevois faisant leur cours de répétition et affectés à une mission exclusivement genevoise, ne puisse pas défiler.

J'aimerais attirer votre attention, à cet effet, sur le fait que ce défilé, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit, aura lieu dans le cadre du cours de répétition. Il ne s'agit nullement d'une provocation, mais nous ne voyons pas pourquoi le citoyen soldat devrait être considéré comme une personne qu'il faudrait cacher. Nous avons une armée de milice - Jean Jaurès disait que c'était la meilleure armée et la seule possible - composée de citoyens soldats réalisant et exécutant leurs obligations militaires, conformément à la Constitution fédérale.

Mesdames et Messieurs, enfin, le Conseil d'Etat considère que la tolérance n'est pas à géométrie variable. Aujourd'hui, ce canton autorise à peu près toutes les semaines des manifestations de groupements de toutes natures et un certain nombre de droits sont défendus devant les Nations Unies, dans les rues de Genève, sur toute une série de problèmes, sur la base d'une jurisprudence constante. Cela permet à ces groupements de manifester dans des conditions bien définies. Je ne vois donc pas pourquoi le régiment genevois 3 n'aurait pas, lui aussi, le droit de défiler sur le territoire de Genève, dans des conditions qui respectent parfaitement les problèmes liés à la sécurité. Il ne s'agit donc - je le répète - d'aucune provocation de notre part !

C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat vous demande de rejeter cette motion. (Applaudissements.)

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je vois, Madame la présidente, que nous inaugurons une nouvelle procédure. Le Conseil d'Etat démolit les arguments des motionnaires avant même qu'ils n'aient eu le temps de les présenter. Je trouve cela assez curieux ! (Vacarme.) Mais vous pouvez aller à la buvette ! Je ne vous oblige pas à rester !

Une voix. Ils sont déjà démolis !

La présidente. Monsieur Ducret ! Mme la députée Bugnon a raison sur le plan de la procédure. J'ai pris sur moi d'accorder la parole au président du Conseil d'Etat, parce que celui-ci a été capable d'apporter des précisions et d'apaiser le débat dans le cadre de débats très délicats. A certains moments, vous m'avez même reproché de ne pas lui avoir donné la parole. Je demande alors un peu de cohérence de votre part.

Cela étant, Madame la députée, vous avez la parole. Pour le bon déroulement de nos débats, je vous prie d'arrêter d'applaudir à la suite des interventions. (Contestation et brouhaha.)

Mme Fabienne Bugnon. Je ne me suis pas opposée, Madame la présidente, à ce que le conseiller d'Etat prenne la parole, mais j'ai trouvé surprenant qu'il la prenne avant les députés. Je sais que M. Vodoz a effectivement concilié plusieurs fois des débats un peu houleux, mais ce n'était pas encore le cas : le débat n'était pas houleux, puisqu'il n'avait pas commencé ! En ce qui me concerne, j'essaye de respecter la règle stipulant que les députés ne doivent pas intervenir après le Conseil d'Etat, c'est pourquoi je me suis permis de faire cette réflexion !

Vous m'autorisez quand même à présenter la motion ?

La présidente. Tout à fait, Madame !

Mme Fabienne Bugnon. (Chahut.) Quel enthousiasme !

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je crois que cette motion a suffisamment fait parler d'elle, notamment à travers la presse, pour qu'il ne se justifie pas que je vous ennuie avec un long développement. (Exclamations.)

J'aimerais néanmoins insister sur quelques points précis :

1) Sur l'assimilation que font volontiers M. Ramseyer et M. Vodoz entre une manifestation et un défilé. Je sais que vous accordez, effectivement, durant l'année un grand nombre d'autorisations de manifester - puisque je participe à bon nombre de ces manifestations - restant ainsi dans la ligne de votre prédécesseur, mais je sais également que vous en interdisez quelques-unes, puisque je me suis retrouvée l'année dernière sur le banc des témoins-accusés, ayant cautionné une manifestation que vous n'aviez pas autorisée. Bref, ce n'est pas l'objet de ce soir, mais la comparaison me semble tout de même sans fondement, car jamais personne n'est obligé de participer à une manifestation, alors que les citoyens soldats, même si la date tombe sur leurs cours de répétition, seront contraints de participer à ce défilé, sous peine, certainement, de représailles.

2) Le moment choisi me semble alimenter une provocation inutile. Vous dites, Monsieur Vodoz, que ce n'est pas le cas; moi, je trouve que si ! Comme vous le savez, pour d'obscures raisons procédurières, le Parlement fédéral a invalidé, au mois de juin 1995, l'initiative du parti socialiste "Pour moins de dépenses militaires et plus de politique de paix". Cette initiative avait pour but de diminuer le budget alloué à l'armée, mais elle avait également le mérite et l'intérêt de faire connaître à la population quel montant la Confédération - notre fameuse Confédération qui ne sait plus où donner de la tête pour sortir des chiffres rouges ! - consacrait aux dépenses militaires.

Cette initiative ayant été invalidée, elle ne passera donc pas devant le peuple et elle ne permettra pas à la population d'obtenir cette information ni d'exprimer son avis au sujet de ces dépenses. Elle aurait peut-être préféré que ces montants soient utilisés pour d'autres priorités. Et vous choisissez ce moment-là pour exhiber la concrétisation de ces dépenses ! Si cela ne vous semble pas être de la provocation, que vous faut-il ? Pour nous, non seulement cela semble particulièrement déplacé mais indéniablement fort coûteux !

3) Le lieu choisi. Vous avez parlé de Genève en tant que ville des Nations Unies. Moi, je parlerai aussi d'une autre vision de Genève. C'est une ville où se déroulent de très nombreuses manifestations en faveur des droits de l'homme. Elle abrite les organisations internationales et les conflits qui mettent le monde à feu et à sang y sont discutés et parfois même résolus. C'est également une ville - il ne faut pas l'oublier - où l'opposition à l'armée a été le plus souvent manifestée lors des votations fédérales.

Enfin, et j'en terminerai par là...

Une voix. Ouf !

Mme Fabienne Bugnon. Oh, ce n'était tout de même pas très long !

Je suis certainement, comme un grand nombre d'entre vous, voire tous dans ce parlement, révoltée par ces images permanentes de guerre dont les médias nous abreuvent. Des conflits armés sévissent dans toutes les régions du monde et le but de cette motion - je vous le rappelle, puisque cela n'a pas l'air d'être tout à fait clair - n'est pas de remettre en cause le système de défense de la Suisse, mais il faut admettre - et vous devez l'admettre, puisque vous devez aussi admettre les minorités - que certains soient choqués et se sentent agressés en voyant un défilé militaire.

Nous demandons donc au Conseil d'Etat qu'il réfléchisse - même si ce n'est plus la peine apparemment... - à l'utilité d'une telle provocation à l'égard des pacifistes, ainsi qu'à l'égard des étrangers qui ont fui les conflits armés pour tenter de trouver un peu de sérénité dans notre pays. Nous vous demandons donc d'annuler ce défilé et d'attribuer les dépenses financières qui lui étaient liées à d'autres priorités, car notre canton en a sérieusement besoin !

M. Dominique Hausser (S). Mesdames et Messieurs les députés, l'armée est avant tout une école de violence, contrairement à ce que disait M. Vodoz tout à l'heure ! (Commentaires.)

«Je ferai aimer l'armée à la population genevoise !», affirme péremptoirement le colonel Duchosal. Je me demande ce qui le pousse à tenir de tels propos. Reflètent-ils véritablement ses pensées ? Est-il piloté ? A-t-il d'autres idées ? Il paraît évident que cette manoeuvre vise à venger l'armée de l'atteinte subie le 26 novembre 1989. (Rires.) On veut ainsi faire une démonstration de force contre des citoyens qui n'adhèrent pas à la logique poussiéreuse de l'armée !

Pour le colonel Duchosal, et ses patrons, occuper la ville de Genève pendant une semaine aurait pu ramener les habitants à la raison, croyaient-ils ! C'était sans compter sur les réactions vigoureuses de bon nombre de citoyens de cette cité. Aujourd'hui, il paraît que le même colonel - et ses patrons - se contenterait d'un défilé ! Quelle belle victoire ! A ma connaissance, la dernière présence militaire de cette envergure dans les rues de Genève date du 4 décembre 1977.

Une voix. T'étais pas encore né, à cette époque !

M. Dominique Hausser. J'étais tellement né que je m'en rappelle très bien ! Je vous raconterai des petites histoires à ce sujet, mais je poursuis :

Non seulement le colonel Duchosal devait obtenir l'autorisation de ses supérieurs au DMF pour occuper la ville mais celle des autorités cantonales. Et là - très heureux hasard - le colonel Ramseyer a été, avant d'être conseiller d'Etat, le subordonné du colonel Duchosal. (Rires.) Attendez, je n'ai pas fini ! Il est aujourd'hui le chef...

La présidente. Monsieur Hausser, je suis navrée de vous interrompre ! Attendons que le calme revienne ! Monsieur Dupraz, je vous en prie ! Vous êtes un mal élevé, Monsieur Dupraz ! (Rires, applaudissements et quolibets.)

M. John Dupraz. Excusez-moi, Madame la présidente, je suis prêt !

Une voix. Tu "bouffes" de l'institutionnel !

M. Dominique Hausser. Non, non, non; je "bouffe" du Conseil d'Etat ! Euh, pardon ! Je disais donc qu'aujourd'hui le conseiller d'Etat est le chef du policier Duchosal... (Exclamations.) Nous voyons donc bien qu'un lien réel existe entre justice, police et militaire; pourtant ces domaines devraient être séparés.

D'autre part, le discours de M. Vodoz indique bien que le Conseil d'Etat est intéressé par cette démonstration de force pour montrer aux citoyens opposés à leur politique néoconservatrice... (Rires.) ...que l'armée est là pour la défendre. (Rires.) Madame la présidente ! (Chahut.) Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, cette attitude du Conseil d'Etat est également un soutien aux fabricants et aux exportateurs d'armes et de matériel à usage militaire. (Manifestation.)

En effet, une armée intérieure forte serait une caution de qualité - ce sont les militaires qui le disent - et encouragerait ainsi les armées étrangères à se fournir en Suisse. En poursuivant cette logique, on peut donc affirmer que cela soutient et encourage les multiples conflits planétaires : Bosnie, Yougoslavie, Rwanda, Burundi, etc. Cette attitude est en contradiction avec l'esprit de paix de Genève. Ces conflits provoquent, bien entendu, des déplacements de population et on entend, de surcroît, des morceaux d'anthologie du style : «La barque est pleine», «Il y a trop d'étrangers» et patati et patata... Pourtant, nous savons fort bien, grâce à ma démonstration, que l'armée participe à ces mouvements.

L'inégalisation croissante des richesses est également provoquée par les commandes délirantes de nos états-majors, dépenses excessives pour essayer de montrer que l'armée est efficace. Cela génère des troubles sociaux programmés. On sait ainsi que lorsque tout va mal à l'intérieur du pays, l'armée prétend intervenir pour rétablir l'ordre, alors qu'elle a provoqué le désordre.

En résumé, le soutien à l'armée est un soutien aux conflits extérieurs à notre pays. Cela génère des troubles intérieurs, ce qui amène l'armée à intervenir et, par conséquent, à semer encore davantage le trouble.

Deux solutions se présentent : soit on fait une bonne guerre contre un ennemi extérieur, et ce sont les autres qui risquent de nous créer des problèmes, soit, beaucoup plus efficacement, on supprime l'armée et, dans l'immédiat, on l'empêche d'envahir la ville en votant cette motion.

Permettez-moi, en conclusion, de citer un admirable proverbe ukrainien que je garde dans ma besace depuis de nombreuses années : «Quand le drapeau est levé, l'intelligence est dans la trompette !». (Rires.)

M. Luc Gilly (AdG). (Exclamations.) Comme d'habitude, les affaires militaires vous passionnent !

Je voudrais poser deux questions à M. Vodoz.

1) Pourquoi, tout d'un coup, il semble si nécessaire d'organiser ce défilé militaire ? Si j'ai bonne mémoire, M. Duchosal - dont je salue d'ailleurs la patience et la présence - a attendu plus de six mois pour avoir une réponse et, ce soir, on décide, sans autres, d'autoriser ce défilé.

2) Monsieur Vodoz, nous avons mentionné intentionnellement dans notre motion qu'il ne nous appartenait pas de juger, dans le cadre de cette motion, de l'efficacité ou de l'utilité de l'armée suisse; c'est l'objet d'un autre débat. Nous parlons ici du défilé militaire. De toute façon, vous savez très bien qu'un groupe terroriste bien organisé peut tout faire "péter", avec ou sans armée ! Il n'y a qu'à regarder chez nos voisins français pour s'en convaincre, ou lire «Le Matin» de dimanche dernier. M. Troyon y raconte que les pistolets 9 mm portent tous le même numéro : «Avis aux amateurs, j'ai toujours mon côté terroriste !». Certains sont emmenés à Bel-Air pour moins que ça !

Ce soir, sans m'énerver, je voudrais rappeler que nous traiterons peut-être encore aujourd'hui, voire demain, une résolution demandant au gouvernement genevois de s'engager sur la conférence de Vienne, par l'entremise de Berne, au sujet de l'interdiction d'exportation et de construction des mines. Nous devrons nous prononcer, ce soir ou demain, dans ce même parlement, sur la possibilité de construire un Institut de recherche sur la paix à Genève - vieux serpent de mer... Nous devrons également parler d'un projet de loi du Conseil d'Etat demandant un demi-million pour aider la Croix-Rouge dans ses oeuvres humanitaires en ex-Yougoslavie. Enfin, nous devrons discuter d'une sculpture de paix à placer devant le Palais des Nations.

Ce sont donc quatre ou cinq sujets qui engagent notre parlement sur le chemin de la paix. Or, le défilé militaire que vous proposez d'autoriser, Monsieur Vodoz et Madame et Messieurs du Conseil d'Etat, est tout à fait contradictoire !

J'ai déjà débattu dans mon interpellation du mois de juin de ce sujet. Ce soir j'aimerais juste rappeler que la population genevoise s'est prononcée à plusieurs reprises, lors de votes populaires, contre l'armée et pour le pacifisme. Je crois qu'il faut approfondir le débat dans ce sens. Le vote contre l'armée n'est pas forcément négatif pour vous, Mesdames et Messieurs assis sur les bancs d'en face. Le vote contre l'armée de la population genevoise exprime aussi la simple volonté de faire triompher le pacifisme et plus de justice sociale. Or, la présentation de militaires, qu'ils proviennent du bataillon genevois ou du bataillon suisse - point n'est là la question, Monsieur Vodoz - n'est pas ce que Genève a de mieux à offrir à ses citoyens !

Je me réserve d'intervenir plus tard.

M. Armand Lombard (L). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, on a souvent constaté que ce Grand Conseil était un raccourci de la vie politique genevoise, le lieu où les idées sont finalisées dans le but d'empaqueter et d'envoyer un concept pour réflexion, à la presse ou à la population.

Nous jouons ici une superbe "commedia dell'arte", où chacun a un rôle. Monsieur Gilly, vous auriez - il est vrai - déçu vos électeurs et, je dois le reconnaître, vos détracteurs dont je suis - si vous n'aviez pas poussé de la forêt militaire ce brame mâle qui est votre marque de fabrique ! (Rires.) Vous voilà flanqué, pour cette scénette cocasse, de notre égérie fédérale et d'un Sancho Pança à l'urticaire inflammable... (Rires.) ...sollicitant ce Grand Conseil d'interdire un défilé des soldats de Genève !

Dites donc, Monsieur Gilly, pour la réflexion et les mobiles, vous ne donnez pas dans la dentelle, ce soir ! Vous voulez vos "manifs" à vous, mais pas les nôtres, hein ! Je vous sais l'ami des porteurs de pancartes, des peintres de banderoles et des scripts de slogans ! Je vous sais l'ami des défilés du samedi, des saucisses grillées à la veillée sur les places publiques, le compagnon de route des processions rituelles sur le pont du Mont-Blanc, en vous gaussant de faire "bouchonner" la circulation, ou, encore mieux, à la Corraterie en vous gaussant d'"ennuyer" la grande finance - quand je dis d'ennuyer... (Rires.) Mon cher neveu me fait des récits enthousiasmés et fournis de ces rencontres.

Chacun doit pouvoir s'exprimer, et après tout je trouve que c'est bien que cela se traduise par un défilé.

Une voix. Je ne vois pas le rapport !

M. Armand Lombard. Messieurs les motionnaires, si vous ne voyez pas le rapport, je vais vous l'expliquer !

Alors, laissez l'armée s'exprimer aussi ! Laissez une institution qu'aucun vote fédéral, malgré vos interprétations, n'a mise en question, montrer ce qu'elle fait et montrer son intention par sa présence ! Il en va de cette transparence si chère à chacun d'entre nous; il en va du bon fonctionnement de nos institutions de pouvoir s'exprimer et, si on y arrive, d'écouter ! C'est une des exigences de notre système que d'écouter et de tolérer la différence même s'il s'agit de défilés ! C'est l'immense privilège de notre pays que de pouvoir disposer d'un droit à l'expression, même s'il s'agit d'un défilé militaire !

Vous dites encore, Mesdames et Messieurs les motionnaires, dans votre piètre argumentaire, que ce défilé doit être interdit...

La présidente. On vous entend mal, Monsieur Lombard !

M. Armand Lombard. Si on m'entend mal, je vais pouvoir y aller un peu plus fort, Madame la présidente !

La présidente. Mais je vous en prie !

M. Armand Lombard. Vous dites qu'une bonne partie du monde est en proie à des conflits armés. Eh bien, daignez considérer, Mesdames et Messieurs les motionnaires, que le peuple suisse dans sa majorité - il est vrai sans notre égérie fédérale et sans notre Sancho Pança local - veut se protéger des conflits armés par une défense solide, par une armée organisée et fière de l'être, par un système de défense réfléchi à l'avance et évalué avec constance. Laissez cette majorité préférer prévenir une explosion, malheureusement possible, de l'imbroglio bosniaque et laissez l'armée montrer l'état de sa préparation militaire, périodiquement, à sa population !

Les Genevois ont un régiment qui défend principalement ces organisations internationales dont vous souhaitez qu'elles fonctionnent dans des temps de conflits pour maintenir la paix. Cessez donc vos lamentations et faites front, Monsieur Gilly, comme un citoyen soldat, même si vous vous êtes dispensé de ce service vous-même !

Votre brame est altéré - comme dit le psalmiste - et votre motion est irréfléchie ! C'est pourquoi nous nous opposerons avec force à votre demande. Personne, d'ailleurs, ne vous demande d'aller voir votre régiment défiler !

M. Pierre Vanek (AdG). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je pourrais entrer dans la polémique et utiliser également des métaphores animalières, comme nous les sert M. Lombard, en évoquant ses propres barrissements, mais cela ne me semble pas très intéressant, pas plus, d'ailleurs, que ses ricanements ! Ce sujet est sérieux et mérite une discussion sérieuse aussi.

Contrairement à quelques-uns de mes préopinants, je suis assez content que M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat, se soit exprimé en début de discussion. Cela permet de nous exprimer sur les choses qu'il a dites.

Première remarque. Il a essayé de nous "vendre" ce défilé, notamment le régiment d'infanterie 3...

Une voix. C'est gratuit !

M. Pierre Vanek. Mais non, au contraire, c'est payant ! C'est même assez cher ! Mais je reviendrai sur cet aspect des choses, tout à l'heure ! Ne bousculez pas l'ordonnance de mon discours, s'il vous plaît ! (Rires et exclamations.)

M. Vodoz nous a "servi sur un plat" que les militaires en question étaient des Genevois résidant à Genève, dont le rôle est de protéger les organisations internationales, l'aéroport, etc., en nous réitérant l'importance que cela avait pour Genève. Il a tenté de nous "vendre" ce régiment comme ne faisant en fait, à la limite, pas vraiment partie de l'armée suisse, comme quelque chose de tout à fait à part, en évoquant des opérations qui sont essentiellement des activités de police. Je ne crois pas qu'il soit sain que l'armée effectue un travail qui relève de la compétence de la police. Les militaires n'ont pas la formation adéquate, car le travail n'est pas le même. Bref, c'est un problème.

Deuxième remarque. M. Vodoz a mis l'accent sur le fait que ce régiment est constitué de citoyens-soldats. C'est vrai qu'une armée constituée de citoyens-soldats est parallèlement la meilleure que l'on puisse avoir.

M. Vodoz a cité Jaurès à ce propos. Il est évident que c'est mieux que d'avoir une armée constituée de mercenaires, mais c'est bien surtout parce que, le cas échéant, c'est le terme "citoyen" qui peut primer sur celui de "soldat". Pour en revenir à Jaurès, cité par M. Vodoz, il a chanté un certain nombre de fois "l'Internationale", dont les paroles incitent à «mettre crosse en l'air», à «rompre les rangs» et, s'il le faut, à «fusiller ses propres généraux» ! C'est précisément pour cela qu'il est préférable d'avoir des citoyens-soldats, parce que, le cas échéant, ils peuvent ne pas obéir à la discipline militaire.

Dans cette affaire, je voudrais que le terme «citoyen» prime sur celui de «soldat» et que les citoyens-soldats qui seraient appelés à défiler puissent s'exprimer en toute liberté et, en conséquence, ne défiler que s'ils en ont envie. Car, tout de même, nous devons être libres, comme vous l'avez dit, de participer ou non à une manifestation !

M. Ramseyer, en répondant à une interpellation de mon collègue Gilly, lors d'une séance avant les vacances, disait qu'il s'agissait d'une manifestation et que dans une vraie démocratie «...les droits doivent être les mêmes pour tout le monde». Fort bien, mais alors que l'on déclare que les militaires ne recevront pas l'ordre de défiler et qu'ils sont libres de le faire ou non ! A cette condition, je me déclarerai favorable à l'autorisation de ce défilé.

Or, il n'en est rien ! A l'évidence, il s'agit d'un défilé commandé et d'une opération politique dont l'esprit est bien éloigné de celui qu'a essayé de nous "vendre" M. Olivier Vodoz, en évoquant les organisations internationales et leurs buts élevés !

Mon collègue Luc Gilly a parlé des déclarations extrêmement inquiétantes du major Troyon parues dans «Le Matin». Je ne vais pas citer tout l'article, mais il mérite une lecture attentive. En résumé :

D'abord, il présente cette opération comme étant effectuée avec sa bénédiction, le colonel Duchosal étant présenté comme son fils spirituel ! C'est dans cette filiation que se situe cette volonté de défiler.

Par ailleurs, M. Troyon s'annonce, dans le premier paragraphe, comme étant un peu terroriste. Dans le même paragraphe, il indique qu'il vient d'acheter des armes de poing. Messieurs de la droite vous apprécierez, il reproche ensuite aux Genevoises et au Genevois leur gauchisme, cela y compris à l'adresse de ceux qui vous ont élus ! Il se prononce tout à fait clairement contre la démocratie telle que nous la connaissons et propose une dictature de sept ans des milieux patronaux qui nommeraient directement les députés et il enrobe tout ça par une conclusion laissant entendre que si le défilé est interdit il faudra qu'il trouve quelque chose qui explose ! Cet état d'esprit, ces déclarations, sont parfaitement séditieux et condamnables !

Pour ce qui est du fond, je suis presque triste de devoir dire qu'il faut interdire ce défilé militaire, en effet, de toute façon, une opération de ce type est vouée à l'échec, du point de vue des relations publiques de l'armée. L'argent des contribuables est bien mal employé, et, si la population s'en rendait compte elle aurait une plus grande conscience antimilitariste et sociale dans cette république. Je le répète, je suis contre ce défilé... (Exclamations.)

L'armée nous coûte - cela figurait dans le Téléjournal en début de semaine - globalement 13 milliards par an ! (Contestation.) Ce sont des chiffres qui proviennent d'un livre publié par le «Journal de Genève» et dont la lecture est fort intéressante. 13 milliards par an au moment même où l'âge de la retraite des femmes est élevé ! A combien pourrait-on l'abaisser, pour toutes et tous, si ces 13 milliards étaient utilisés dans ce domaine ? A un moment, également, où on s'en prend aux chômeurs, avec la nouvelle loi sur le chômage. Combien de postes de travail pourrait-on créer, combien de chômeurs pourrait-on indemniser dans des conditions plus décentes avec ces 13 milliards par an ?

C'est vrai, comme disait un député sur les bancs d'en face, qu'il faudrait supprimer l'armée, c'est vrai aussi, comme l'a dit mon collègue Luc Gilly, que cela n'est pas le propos de ce soir.

Je termine enfin au sujet de la manifestation. MM. Lombard, Ramseyer et Vodoz ont fait une analogie fallacieuse. Soyons clairs : si vous voulez que cette manifestation ait lieu, il faut qu'elle soit à bien plaire, sinon cela n'en est pas une ! Vous n'avez pas le droit, en toute logique, d'assimiler des manifestations populaires à un tel défilé ! C'est de l'escroquerie intellectuelle ! C'est comme cela que cela s'appelle ! C'est particulièrement injurieux, pour ceux qui organisent - et j'en suis - des manifestations où il y a parfois beaucoup de participants, comme il y a deux semaines environ. (L'orateur est interpellé par M. Ducommun.)

Monsieur Ducommun, si vous voulez prendre la parole, faites-le ! Vous répondrez tout à l'heure ! C'est comme cela que l'on procède au parlement ! (L'orateur est interpellé par M. Dupraz.) Je me proposerai, précisément, de vous donner une leçon de démocratie, Monsieur Dupraz ! Je vois que l'élève du premier rang à gauche a compris quelques éléments de la leçon !

Lorsque nous manifestons, au sujet de Malville par exemple, il n'y a pas d'ordre de marche. Les gens sont libres de venir ou non ! (Chahut.) Si je pouvais décréter des ordres de marche, nous ne nous retrouverions pas 5 000 participants genevois, mais bien 50 000 ! C'est bien la preuve que nous sommes libres d'y participer, et c'est, d'ailleurs, ce qui fait la valeur de ces manifestations comme étant l'expression d'un droit démocratique. Dans les pays où l'on est obligé de voter pour un parti unique à 98%, le vote n'a aucune valeur. De même, une manifestation n'aurait aucune valeur dans un pays où celle-ci serait obligatoire. C'est tout à l'honneur du Conseil d'Etat et de M. Ramseyer d'en autoriser bon nombre. Mais dans le cas présent il s'agit d'autre chose, puisque les militaires sont obligés de défiler.

Vous devriez donc interdire ce défilé, une manifestation en faveur de l'armée, organisée par le colonel Duchosal, c'est évidemment autre chose...

M. Bénédict Fontanet. Nous avons pris bonne note du fait que M. Vanek aimerait bien pouvoir émettre des ordres de marche pour les manifestations contre Creys-Malville !

M. Pierre Vanek. Je n'ai pas dit ça !

M. Bénédict Fontanet. Vous avez dit que cela ne vous déplairait pas !

La présidente. Monsieur Fontanet, attendez également que le calme revienne ! Je n'ai pas encore mis en route mon chronomètre.

M. Bénédict Fontanet. Bien, Madame la présidente !

A quelques mois d'une élection, les démarches effectuées par les personnes qui se trouvent sur les bancs d'en face sont bien sûr exemptes de toute préoccupation électorale !

Nous sommes un certain nombre à penser que l'idée de ce défilé militaire n'était tout de même peut-être pas très habile et que d'autres formes de promotion de l'armée sont certainement plus judicieuses. Nous avons vu que, par exemple, les démonstrations d'aviation militaire avec celles de la patrouille de Suisse recueillaient beaucoup de succès quand elles avaient lieu à Cointrin. Les journées "portes ouvertes" ont également été bien accueillies. Mais certaines personnes aiment les défilés, la fanfare, et c'est très bien comme cela. Je ne vois pas au nom de quoi elles n'y auraient pas droit !

Ce qui me dérange dans votre motion, c'est qu'elle procède d'un mélange des genres et d'une certaine forme d'intolérance. Puisque vous avez parlé d'"escroquerie intellectuelle", je dirai que vous faites preuve de "terrorisme intellectuel" ! En effet, vous voulez faire dériver le débat sur ce sujet précis du défilé vers un débat pour ou contre l'armée.

Or, ce débat a été tranché par le peuple suisse, voici maintenant quelques années, dont acte. L'armée existe, et, ne vous en déplaise, ce n'est pas en votant une motion au Grand Conseil que nous allons la supprimer, bien heureusement pour elle et pour le peuple suisse ! Je parlais d'un mélange des genres parce que vous comparez ce défilé à une manifestation. Pour ma part, je trouve qu'il y a une différence entre une manifestation à laquelle on va librement et un défilé, mais si des groupements politiques, associatifs, des mouvements divers ont la possibilité de manifester, on ne voit pas pourquoi l'armée ne pourrait pas, elle aussi, défiler. L'armée est tout de même un corps constitué de ce pays, qui a été voulu par la Constitution fédérale, qui est légitimé par elle. Si n'importe quel groupuscule politique peut organiser un "sitting" devant les Nations Unies à Genève, on ne voit pas pour quelle raison l'armée, elle, si elle le veut et avec l'accord des autorités compétentes, ne pourrait pas défiler dans les rue de Genève ! Je ne vois donc pas sur la base de quel motif le Conseil d'Etat pourrait refuser une telle autorisation.

Mesdames et Messieurs les députés, si les autorités de la Ville de Genève, qui semblent être très fâchées avec l'idée d'une traversée de la rade pourtant votée par le peuple, voici maintenant quelques années - pour utiliser un euphémisme - décidaient de manifester violemment leur opposition en défilant dans les rues et que le Conseil d'Etat interdisait une telle manifestation au motif que le peuple de la Ville de Genève était d'accord avec la traversée de la rade et qu'il n'y a pas de raison que la Ville manifeste, vous ne seriez pas satisfaits. Vous crieriez très fort et vous auriez certainement raison !

Votre motion montre une certaine forme d'intolérance, ou "terrorisme intellectuel" - pour répondre à notre prétendue "escroquerie intellectuelle". En effet, sur certains sujets comme l'énergie, l'armée, le logement et autres, d'aucuns font parfois preuve d'un aveuglement primaire, refusent la discussion et n'imaginent pas que l'on puisse penser différemment d'eux. Voltaire, au siècle des lumières - peut-être n'y sommes-nous plus - disait à l'un de ses interlocuteurs : «Je ne suis pas d'accord avec ce que vous me dites, mais je me battrai, fût-ce jusqu'à la mort, pour que vous puissiez le dire.» ! Vous, Mesdames et Messieurs, vous vous battez non pas contre l'armée mais pour qu'un corps constitué légitime dans ce pays ne puisse pas manifester !

Vous voulez lutter contre le militarisme, les excès et les violences par les armes dans le monde, ce qui est une bonne chose. Mais, notre armée a une mission exclusivement défensive, aussi je trouve que votre attitude démontre un certain aveuglement. Vous refusez que d'autres puissent penser différemment de vous et nous ne voyons pas en quoi un défilé, en tant que tel, est absolument inadmissible !

Il est vrai que le moment est bienvenu d'effectuer une telle démarche, d'autant qu'elle est bien relayée sur le plan médiatique et que nous approchons des échéances électorales ! D'aucuns, sur certains rangs, tentent peut-être de pousser leur candidature... (Brouhaha.) Ce n'est pas moi qui ai déposé la motion et je n'y adhère pas, par voie de conséquence je ne peux pas être suspecté d'électoralisme.

Cette motion fait donc preuve de sectarisme; elle n'est pas admissible par rapport à une institution comme l'armée suisse et, par rapport à sa mission, plus particulièrement celle du régiment genevois, même si on peut discuter et disputer de la date de cette manifestation. Face à ce texte, la seule attitude que nous puissions avoir consiste à le refuser !

M. Roger Beer (R). Je rappelle que nous passons dans ce parlement des heures et des heures, des jours et des semaines à nous battre pour que des idées et des gens puissent s'exprimer !

M. Fontanet a très bien expliqué certaines des motivations qui se cachent vraisemblablement derrière cette motion et je suis sûr, comme lui, que l'antimilitarisme primaire n'en est pas la seule motivation. Nous nous battons pour le respect des minorités, pour l'expression des idées qui ne sont pas obligatoirement les nôtres ! Eh bien, pour moi, un défilé militaire effectué par des Genevois pour des Genevois relève de la même logique. En plus, il s'agit d'un corps constitué, même si les Genevois ont voté plutôt contre l'armée. Du reste, je suis persuadé que certains militaires ont voté contre, mais je ne vous dirai évidemment pas ce que j'ai voté. J'ai déjà défilé deux fois, en tant que militaire, à Genève et cela ne s'est jamais mal passé, même si cela n'a pas plu à tout le monde.

C'est pour ces différentes raisons que je comprends très mal un tel acharnement à refuser ce défilé, sous le motif que certains ne sont pas d'accord avec la majorité d'un vote, et que ce mode d'expression ne vous convient pas.

En résumé le parti radical ne pourra pas suivre votre motion, même si nous sommes d'accord avec vos considérants, car nous sommes tous pour la paix. Vous reconnaîtrez vous-mêmes que, même dans les pays où l'on cherche à instaurer la paix, l'armée est nécessaire.

Nous allons certainement encore écouter tout ce qui va se dire de bien, de mal, de bien dit ou autre contre le défilé, mais, quoi qu'il en soit, le groupe radical s'opposera à votre motion.

M. Laurent Moutinot (S). Mesdames et Messieurs les députés, le problème qui nous occupe ne porte pas sur le principe d'une manifestation, mais sur la conception du rôle du citoyen et de celui du soldat. Nous devons savoir où se trouve la limite, pour une même personne, entre le soldat et le citoyen.

Je suis remonté jusqu'à Rome pour vous rappeler que les troupes romaines n'entraient pas en ville et qu'elles déposaient leurs armes au-delà du Tibre. Les Romains étaient comme nous citoyens et soldats, mais s'ils n'ont pas voulu mélanger les genres, ils avaient des raisons pour cela, raisons qui aujourd'hui sont toujours valables.

Le défilé d'une troupe en armes dans une ville, quand bien même il s'agit des troupes de cette propre ville, demeure une provocation. Si Rome interdisait, je ne vois pas pourquoi Genève permettrait ! Si le régiment 3 veut défiler, si le régiment 3 doit être montré à la population, qu'il le fasse là où c'est sa place : dans les casernes, sur les places d'armes pendant les exercices, mais non dans les rue de la cité.

Toujours dans l'histoire romaine, César a été rendu célèbre par une violation grave d'une loi de la cité qui a consisté à franchir les limites de sa province avec son armée, alors qu'elle aurait dû rester de l'autre côté du Rubicon. Je vous demande, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, de prendre exemple sur les vertus de la Rome républicaine et de ne pas jouer les Césars. (Applaudissements.)

M. Jean-François Courvoisier (S). Il est évident que je m'associe à mes collègues qui demandent de retirer l'autorisation accordée au défilé du régiment 3 du colonel Duchosal, mais je tiens encore à insister auprès de M. Ramseyer pour lui demander de revenir sur sa décision.

Albert Camus a dit qu'il était du parti de ceux qui réclament le droit à l'erreur ! Comme je suis aussi de ce parti, j'accorde bien volontiers ce droit à M. Ramseyer ! Mais, Monsieur le président, en autorisant ce défilé vous n'avez pas commis une erreur, mais une faute ! Aujourd'hui, nous vous donnons la chance de la réparer.

Nous admettons tous qu'un défilé militaire, avec de beaux uniformes, des drapeaux et des clairons, a un très grand pouvoir attractif sur les foules, particulièrement sur les jeunes et sur les enfants. Ceux de ma génération se souviennent du succès des parades militaires de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste. Lorsque j'étais étudiant à Paris, peu après la guerre, des amis français m'ont dit combien ils avaient eu de peine, en période d'occupation, à empêcher leurs enfants d'aller applaudir les manifestations militaires allemandes, si bien organisées qu'il était impossible d'y rester insensibles. C'est là-dessus que compte le colonel Duchosal et ses amis pour faire aimer l'armée à Genève !

Ces manifestations, si spectaculaires soient-elles, ont un effet pervers sur la jeunesse en développant chez elle le goût des armes, de la violence et un nationalisme chauvin. Cette perversité est d'autant plus dangereuse qu'elle est camouflée derrière un patriotisme fanfaron !

Genève qui a été le siège de la Réforme, de la Croix-Rouge, de la SDN, qui se prépare à créer un Institut de la paix doit renoncer à cette démonstration de force pour conserver son prestige spirituel. Le GSsA que je soutiens depuis sa création entreprendra tout ce qui est légal pour que ce défilé n'ait pas lieu et sauver, de cette manière, l'esprit de Genève.

Si, toutefois, ce défilé devait avoir lieu, je ne sais pas ce qu'entreprendra le GSsA, mais je sais que j'irai personnellement distribuer des tracts aux officiers, sous-officiers et soldats du colonel Duchosal pour leur demander de désobéir et de refuser de défiler. (Exclamations.)

Sans douter de la sincérité des officiers soldats, ou du moins de certains d'entre eux, il est nécessaire de leur faire comprendre qu'ils ne défendent pas notre patrie qui n'est nullement menacée, mais qu'ils défendent les intérêts de fabricants d'armes sans scrupules, qui n'hésitent pas à créer des conflits partout dans le monde pour agrandir leur empire financier. Je demanderai à ces soldats de méditer la pensée de l'écrivain Georges Bernanos, Français profondément catholique et patriote, qui disait : «La paix du monde n'est pas menacée par les révoltés, mais par les soumis.» ! J'espère que quelques-uns d'entre eux refuseront de se soumettre et auront le courage de désobéir.

Au printemps dernier, le journaliste Daniel Cornu a écrit dans la «Tribune de Genève» un article intitulé "le courage de renoncer". Cet article concernant la traversée de la rade s'adressait à M. Philippe Joye, qui ne semble pas avoir compris le message. Je sais qu'il faut beaucoup de courage pour renoncer à un projet ou à une décision, mais j'ose espérer que M. Ramseyer aura ce courage. S'il renonce, de lui-même, à laisser défiler ses troupes je serai fier d'être genevois, et, malgré nos divergences irréductibles, je serai même fier de notre gouvernement.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de soutenir la motion 1013. (Applaudissements.)

M. Pierre Froidevaux (R). La motion 1013 est illustratrice de l'accumulation de contresens politiques aboutissant à un non-sens final. Madame et Messieurs les motionnaires, vous faites de la politique comme certains bacheliers leurs versions latines. Vous imposez un sens dans une phrase sans exprimer la réalité de son créateur. Aussi, vous me contraignez à quelque chose de détestable, rappeler des vérités parfois trop simples.

Des considérants 1 et 2, on peut tirer que le régiment d'infanterie 3 est égal au colonel Duchosal. Il est vrai que le colonel Duchosal est un homme d'exception, que sa carrière militaire force le respect de tous ses soldats et le fait craindre de la hiérarchie militaire. A l'époque où il était encore jeune recrue, il n'a pas été jugé digne de devenir officier, car simple fils d'agriculteur dans le civil. Mais sa troupe, ses camarades, l'ont promu démocratiquement sergent, puis, fait exceptionnel, lui ont donné les qualifications nécessaires pour une école d'officier.

La reconnaissance de ses hommes à tous niveaux fit que le groupe initial s'appelait «Ducho», puis il y eut la section «Ducho», «la compagnie à Ducho», «le bataillon à Duchosal» et, enfin, «le régiment du colonel Duchosal». Malgré cet hommage tout troupier, il s'agit avant tout du défilé du nouveau régiment d'infanterie 3. Il est composé de Genevois, pour des missions très essentiellement exclusives à Genève. Il est le fruit de l'expérience du bataillon Aéroport 1 et il est bien normal qu'à l'occasion de son tout premier cours de répétition, sous la forme «Armée 95», ce nouveau corps de troupe soit présenté à la population.

Ceci est d'autant plus vrai qu'il s'agit d'une formation d'alarme pour le territoire genevois. Cette troupe DOIT aussi faire ses cours de répétition sur le canton et vivre en harmonie avec sa population.

Des considérants 4 et 5, on peut tirer que la présence d'une troupe genevoise à Genève est incompatible avec la Genève internationale. Quel affreux contresens ! Une des missions essentielles de ce régiment est la surveillance des conférences internationales. Souvenez-vous ! Lorsque M. Arafat en 1988 s'est vu interdire le sol américain pour plaider la cause palestinienne au siège new-yorkais de l'ONU, il a fallu déplacer très rapidement cette conférence au siège européen de l'ONU à Genève. Cette conférence, qui sentait alors le souffre du terrorisme international, s'est déroulée dans la paix. Sa sécurité a été notamment assurée par nos citoyens qui s'étaient armés pour défendre le processus de paix du Proche-Orient, qui est maintenant celui que vous connaissez tous.

Faut-il que Genève ne puisse plus répondre présente à ces pourparlers de paix, surtout lorsqu'ils sont rendus plus difficiles en raison de la mondialisation des enjeux qui rendent les endroits neutres de plus en plus rares ?

Du considérant 3, on peut tirer que les Genevois sont contre l'armée. Encore un nouveau contresens ! Madame et Messieurs les motionnaires, vous prenez argument du résultat de plusieurs votations, notamment de celle qui prônait «une Suisse sans armée et une politique globale de paix». Combien de citoyens genevois ont-ils voté en faveur de cette initiative, d'abord afin de réclamer une réforme de l'armée ? Cette réforme est maintenant en cours. Continueront-ils à voter contre l'armée ? Personnellement, je ne le crois pas.

Je le crois d'autant moins que vous avez omis dans votre litanie la dernière votation, celle concernant les casques bleus, largement approuvée par une majorité de votants genevois. Sans armée, pas de casques bleus !

Du considérant 6, on peut tirer que l'armée serait à l'origine des conflits armés. La violence est d'abord un phénomène individuel dont la gravité est proportionnelle à sa force associative. Si la démocratie capte à son profit l'expression de la violence totale qu'est l'engagement des moyens d'un conflit armé, soit l'armée elle-même, elle se donne les moyens de stabiliser cette fureur destructrice. Assurer la paix de nos citoyens fait partie de nos devoirs d'élus.

L'ensemble de ces contresens politiques aboutit au non-sens final des invites. Mais pour apaiser les motionnaires qui ont souhaité nous présenter, ce soir, cet intéressant problème, je propose une pacification générale par un soutien global à cette motion, en corrigeant le non-sens final par la suppression de la première invite qui serait remplacée par :

« - à autoriser le défilé du régiment d'infanterie 3;»

mais tout en maintenant la deuxième invite :

« - à réaffirmer, de cette manière, le rôle de médiateur pacifique de la Genève internationale.»

Le deuxième considérant tomberait, comme le mot «annuler» dans le titre.

Nous laisserons alors la paternité de l'exposé des motifs aux signataires de cette motion, car, si le texte laisse à désirer, nous sommes tous d'accord ici pour affirmer notre qualité d'antimilitariste convaincu. Pour rappel, je vous livre la définition du mot «militarisme» selon le Petit Larousse illustré : «système politique fondé sur la prépondérance de l'armée».

Soyez rassurés, Madame et Messieurs les motionnaires, nous sommes tous, à gauche comme à droite, des partisans acharnés de notre démocratie. Je crois que vous avez confondu dans cette motion le mot «militarisme» avec le mot «militantisme», simple erreur d'une ligne dans le dictionnaire, que ce parlement s'empressera de corriger en soutenant les amendements que je propose. (Applaudissements.)

La présidente. Monsieur le député, ayez l'obligeance de bien vouloir déposer vos amendements sur le bureau de ce Grand Conseil.

M. Max Schneider (Ve). Je ne répondrai pas au pamphlet déplacé de M. Fontanet. Les gens qui se sont engagés contre ce défilé n'ont pas attendu une période électorale pour prendre la parole. Il y a bien longtemps qu'ils luttent contre ce mode de démonstration dans notre ville.

La décision du gouvernement genevois d'autoriser ce défilé peut être comparée, toute proportion gardée, à la décision de M. Chirac. (Protestations.) D'un côté, on trouve les intérêts de l'extrême droite, d'un autre, ceux de l'extrême gauche. Que l'on soit pour ou contre, le débat a le mérite d'exister au sein de notre Grand Conseil, de manière relativement sereine.

Il faut aussi se rappeler que l'armée, en Suisse et dans notre canton, est soumise au pouvoir civil. Ce n'est donc pas un dirigeant militaire qui peut imposer quelque chose dans notre canton, car c'est le pouvoir civil qui est la plus haute autorité.

Dans le cadre d'une action non violente contre cette proposition de défilé, le rôle de l'opposition est d'abord de connaître les raisons et les causes qui peuvent motiver nos adversaires, ceux qui veulent défiler. M. le conseiller d'Etat en a fait une liste que j'ai écoutée et comprise.

Je crois personnellement qu'une grande partie de la population, ainsi que de ce Grand Conseil, ne l'entend pas de la même façon, c'est la raison pour laquelle nous allons faire connaître notre position. Un débat public concernant la première résolution y a contribué, de même que notre débat de ce soir, et tous les autres débats publics, dès demain, dans la rue, ce qui est très sain. Nous avons la chance de vivre dans une démocratie pacifique et il faut en profiter.

Cependant, il arrivera un moment où il faudra passer à une autre action. Dans le cadre de la non-violence, lorsque les paroles ne suffisent pas, quand les beaux discours n'arrivent pas à leur fin, une autre étape s'impose : l'appel à la désobéissance civile. Dès lors, je m'associe entièrement à l'appel de M. Courvoisier qui a demandé la désobéissance des soldats. J'espère que la désobéissance civile gagnera également nos écoles et une grande partie de la population contre cette démonstration de force.

Pour terminer, je tiens à souligner que même l'armée la mieux équipée ou la mieux entraînée du monde, mais qui ne jouit pas du soutien total de sa propre population, est un peu une maison construite sans fondations. Je m'adresse alors aux responsables de notre gouvernement pour leur dire : quel déplorable spectacle va offrir une débandade de citoyens sans armes face à cette troupe armée qui voudra marcher au-devant d'une décision antipopulaire !

M. René Koechlin (L). Les pacifistes ou pseudo-pacifistes qui se sont exprimés jusqu'à maintenant, notamment sur les bancs d'en face, me laissent profondément perplexe. Ils me font un peu penser à cet élève d'élémentaire du Conservatoire qui expliquait à Paderewski comment jouer du piano.

D'avance je vous demande pardon de prendre la liberté de vous faire un discours qui pourra vous apparaître, à certain moment, comme une confession. Je ne remonterai pas dans l'histoire jusqu'à Rome, comme le faisait tout à l'heure M. Moutinot, mais tout simplement jusqu'à la dernière conflagration mondiale. A l'époque, j'étais enfant. J'ai vécu à Paris jusqu'en 1944. Ma famille a dû quitter cette ville précipitamment pour des motifs que je n'expliquerai pas ici. En tant qu'enfant, j'ai vécu la violence de très près et elle a profondément marqué mon psychisme. C'est pourquoi je suis intimement troublé d'entendre des personnes parler de la violence avec autant de légèreté; car je peux vous assurer que, s'il existe un pacifiste dans cette salle, c'est bien moi !

Or je puis dénombrer deux sortes de pacifisme qui ont chacune leur valeur : le pacifisme non violent et l'attitude forte. Au seuil de la deuxième guerre mondiale, on a vu ces deux formes de pacifisme incarnées par deux hommes de tempérament et de caractère bien différents mais qui tous deux s'exprimaient au nom de la paix.

Le premier se nommait Chamberlain, prêt à faire toutes les concessions pour sauver la paix, car c'était son objectif déclaré. Face à la violence aveugle, cette attitude s'est avérée totalement inopérante. C'est à ce pacifisme de mouton bêlant que se réfèrent, ce soir, certains députés. Le second était Churchill, partisan d'une option défensive de la paix elle aussi, mais ferme, vigoureuse et armée. Il avait compris que le seul moyen de sauver la paix consistait précisément à s'armer pour la défendre. C'est ce à quoi s'est attachée l'armée suisse pendant la conflagration et, avec elle, tout le peuple suisse.

A l'époque, j'étais envoyé en Suisse, chaque été, une étiquette sur ma veste, pour les vacances scolaires, avec les convois de la Croix-Rouge. Nous vivions dans ce havre de paix deux mois idylliques, dont je garde un souvenir lumineux, inoubliable, celui d'un pays dont l'armée était là pour défendre la paix que, moi, enfant, je savourais.

Après ces deux mois, il fallait retourner à Paris et assister à tout ce à quoi j'ai assisté. Oui, Madame, j'ai vu les défilés militaires de la Wehrmacht ! Une compagnie de «SS» habitait à côté de ma maison, une batterie de DCA occupait le champ d'en face. Je ne vous décrirai pas ce que j'ai vu...

Aujourd'hui comme auparavant, l'armée suisse n'est attachée à rien d'autre qu'à la défense de la paix. Et si elle défile, c'est pour nous le rappeler ! (Applaudissements.)

Mme Claire Chalut (AdG). On a réduit ici l'armée à quelque chose comme une fanfare, à une traversée de la rade, bref, à une minorité. C'est paradoxal quand même, lorsqu'on touche à l'un des budgets les plus importants de la Confédération.

Je voudrais cependant vous poser une question. Puisqu'on en a parlé tout à l'heure, j'aimerais dire pourquoi on a tué Jaurès. On l'a tué parce qu'il s'opposait à la logique militaire et à la logique de guerre. Je pense qu'il avait raison de mener ce combat qui l'a conduit à la mort, puisqu'on a connu ensuite les charniers et les millions de morts inutiles, bien sûr. On l'a éliminé, car il devenait gênant.

Par la suite, le règlement des conflits contemporains, sans remonter très loin dans le temps, s'est soldé par un échec lorsqu'ils ont été réglés par les militaires. Pourquoi ? Parce que le coût social en est exorbitant, payé par les populations civiles.

La «guerre du Golfe» est terminée, mais, en fait, elle continue parce qu'elle affame des hommes, des femmes et des enfants. Tous les jours, ils meurent par centaines. C'est cette logique militaire qui empêche aujourd'hui ce pays d'avoir accès aux biens qu'il possède à l'étranger et de pouvoir payer ses importations, ce qui paralyse tout le fonctionnement économique du pays. Cette guerre continue donc.

Il est clair, Messieurs, que, défilé ou pas, je ne peux pas accepter cette logique. Je me suis toujours battue contre cela. Tout à l'heure, nous parlions ici de démocratie. Je tiens à m'adresser particulièrement au Dr Froidevaux, parce que, en tant que médecin, il a tenu des propos effrayants. Savez-vous, Monsieur le docteur Froidevaux, que cette démocratie s'arrête à la porte des casernes ? Vous le savez très bien !

On emprisonne ceux qui objectent, on punit ceux qui ne paient pas leur taxe militaire et l'office des poursuites intervient s'ils persistent dans leur refus de la payer. D'ailleurs, ces deux pratiques concernent n'importe qui, y compris des personnes invalides ou paraplégiques depuis leur plus tendre enfance.

M. Andreas Saurer (Ve). Permettez-moi d'intervenir et de répondre à un certain nombre d'interventions.

Tout d'abord, Monsieur Vodoz, je prends note que vous estimez que votre décision ne constitue pas une provocation. J'irai même plus loin. Je suis pratiquement convaincu que cela n'était pas votre intention. En revanche, je ne crois pas que ce soit à vous de savoir si les personnes concernées se sentent provoquées ou pas, mais à celles qui le sont. C'est à elles de savoir comment elles ressentent votre décision. Je ne vous donne donc pas le droit de juger comment la population, moi et d'autres personnes, doivent ou ont le droit de réagir par rapport aux décisions que vous prenez.

Monsieur Froidevaux, en chacun de nous on trouve de la violence et parfois même beaucoup de violence. Chacun l'extériorise et vit avec, tant bien que mal. Maintenant, se pose le problème des moyens. Extérioriser et vivre sa violence à travers les moyens militaires créent des effets totalement différents que si on n'a pas d'armes à disposition. Donc, la violence est en chacun de nous, mais les effets de la violence dépendent avant tout des moyens utilisés.

Enfin, il existe un certain amalgame entre une manifestation en général et la décision du Conseil d'Etat de donner le droit au régiment Duchosal de défiler. Le Conseil d'Etat a le droit de le faire et la majorité du Grand Conseil a le droit de prendre cette décision. Mais il faut savoir que, fondamentalement, c'est une manifestation politique décidée par le Conseil d'Etat pour soutenir l'armée. C'est cela le fond du problème ! Si une association privée tentait de manifester pour apporter son soutien à l'armée, je n'y verrais aucun problème.

Je vous accorde également le droit, Monsieur Vodoz, de décider que, dans la situation actuelle, il est nécessaire, important et fondamental que le Conseil d'Etat manifeste clairement son soutien à l'armée. C'est votre droit ! Mais ne nous dites pas que ce défilé est de même nature qu'une manifestation de solidarité internationale ou de CONTRATOM. Il est une manifestation du gouvernement, du Conseil d'Etat. De surcroît, vous obligez des citoyens à y participer. C'est une manifestation obligée, ce qui est fondamentalement différent. Je ne peux pas accepter qu'on fasse cet amalgame au nom de la soi-disant liberté d'expression, entre des manifestations organisées par le Conseil d'Etat, où les personnes sont des participants obligatoires, et les manifestations que nous organisons.

M. Pierre Vanek (AdG). Je regrette que M. Koechlin ne soit plus là, parce que je voulais relever deux ou trois choses à propos de ses déclarations. Je reviendrai sur d'autres interventions plus tard.

M. Koechlin a parlé avec beaucoup d'émotion, en évoquant son expérience et en nous traitant pratiquement de «Munichois», lorsqu'il parlait de Chamberlain et de la position des uns et des autres à la veille de la seconde guerre mondiale.

Une voix. T'as rien compris !

M. Pierre Vanek. Il a indiqué une analogie entre notre position... (L'orateur est interrompu.) Je peux parler...

La présidente. Vous pourrez répondre à M. Vanek, Mesdames et Messieurs les députés, mais laissez-le d'abord s'exprimer. Vous rectifierez ensuite.

M. Pierre Vanek. M. Koechlin a évoqué son expérience personnelle de la deuxième guerre mondiale, ainsi que les problèmes ayant précédé ce conflit et la politique erronée ayant mené aux accords de Munich qui ont conduit à une occupation du continent par les armées d'Hitler.

Je souhaiterais évoquer également cette période, non pas à travers mon expérience directe parce que, évidemment, je suis trop jeune pour l'avoir vécue. Je suis particulièrement sensible à ses imputations, car mon père étant originaire de Tchécoslovaquie a grandi à Prague, a passé toute son adolescence sous l'occupation nazie de la ville de Prague et a participé à l'insurrection des habitants avant la fin du conflit. Il est venu ensuite en Suisse après la guerre. C'est pour cette raison que je suis né ici. J'ai grandi dans un quartier peu éloigné du parc Mon Repos où vous savez que, annuellement, le 11 novembre, passe un défilé militaire. Etant enfant, je l'appréciais. L'armée pratiquait encore le pas de l'oie. Mon père, qui avait vécu cette occupation nazie, y voyait des analogies et cela l'insupportait profondément, et je crois que j'ai pris quelque chose de ce sentiment.

C'est un peu facile de nous servir Chamberlain et de lui préférer une politique de résistance. C'est un débat que nous ne pouvons pas avoir ce soir. Il y en a d'autres qui ont fait dans leur carrière beaucoup de défilés militaires, comme le maréchal Pétain, pour ne prendre qu'un exemple, qui disposait d'un appareil militaire soi-disant parfaitement rôdé, ce qui ne l'a pas empêché de se coucher devant l'occupant allemand. En conséquence, ce qui est déterminant, ce n'est pas seulement le fait de savoir marcher au pas, mais c'est surtout les orientations politiques et l'esprit qui animent les soldats et les citoyens.

En l'occurrence, l'esprit qui anime cette démonstration militaire n'est pas un esprit de paix. Je l'ai indiqué en renvoyant à la caricature qu'en a faite Troyon. C'est un esprit belliciste, peu démocratique, et nous ne sommes pas dans une situation comparable en Europe, aujourd'hui, à celle de la veille de la deuxième guerre mondiale.

J'aimerais revenir très brièvement aussi sur ce qu'ont dit MM. Beer et Fontanet. M. Beer est assez étonné qu'on veuille "empêcher des gens de s'exprimer". Comme je l'ai dit dans mon intervention, les gens peuvent s'exprimer, simplement ce défilé n'est pas une expression de l'opinion des soldats.

M. Fontanet nous a dit que l'armée était un corps constitué, que la majorité des citoyens suisses avait voté pour et qu'elle possédait donc une légitimité. En l'occurrence, l'organisation de ce défilé à Genève n'est pas une décision du DMF, il s'en garderait bien. C'est bien la décision d'un homme, le colonel Duchosal. A mon avis, il est parfaitement légitime de la contester. C'est la manifestation d'opinion d'un seul homme. S'il veut le faire, il existe des canaux d'organisation de manifestation. Je suis prêt à lui fournir des conseils si besoin est. (Rires.) J'ai l'habitude !

M. Froidevaux, qui a essayé de nous exposer une sorte de pseudo-démonstration mathématique avec les chiffres 1, 2 et 3 de la motion, mais aussi par un tour de passe-passe et de prestidigitation, nous a présenté d'abord... (Brouhaha.)

Il a voulu nous présenter d'abord le colonel Duchosal - on en avait presque la larme à l'oeil - comme un chef démocratiquement élu par la troupe. Si c'était le cas, ce serait différent, mais cela n'est pas le cas. En Suisse, les officiers de l'armée ne sont pas élus. M. Duchosal ne l'a pas été. Ce n'est pas une expression démocratique. C'est de nouveau vouloir montrer cette affaire comme étant l'expression de l'opinion de la troupe, mais cela ne se passe pas comme cela dans notre armée. Désolé de vous décevoir, Monsieur Froidevaux !

Autre tour de passe-passe : celui où il présente une majorité de votants en faveur de l'initiative du GSsA pour la suppression de l'armée, comme des partisans de l'armée actuelle, telle qu'elle a été toilettée depuis. C'est une jolie récupération ! Mais les gens ont voté une initiative majoritairement pour la suppression de l'armée et, jusqu'à nouvel avis, on tient compte du libellé des initiatives, des lois et des motions qu'on vote, pour savoir ce que les électeurs ont voulu dire. C'est aussi comme cela que fonctionne le système démocratique.

Je reviens aux allégations de M. Fontanet concernant l'électoralisme qui présiderait à nos interventions sur cet objet. Vous savez que le GSsA est intervenu systématiquement sur les questions militaires sans se préoccuper aucunement du calendrier électoral. M. Fontanet réclame en quelque sorte, à la veille des élections, une trêve de Dieu pour qu'on ne parle pas de problèmes politiques brûlants comme celui de l'armée, afin qu'il puisse gentiment se faire élire en glissant cette question sous le tapis. Il est parfaitement normal que les débats politiques soient particulièrement vifs en période électorale et je n'y vois rien que de très sain par rapport à notre système démocratique et à nos institutions.

Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Le Département militaire fédéral a trouvé dans le colonel Duchosal un excellent communicateur. C'est bien là que le bât blesse ! Rien n'a été dit au cours de ce débat sur la réception du message du Département militaire fédéral et de son dynamique colonel dans la population genevoise.

Il ne s'agit pas ici pour moi de débattre de l'existence de l'armée mais de l'opportunité de faire défiler, en ce moment même, à Genève, un régiment de notre armée. Pas un jour ne passe sans que l'existence d'une guerre immonde à nos portes nous révulse et nous expose à la reconnaissance d'un sentiment qui est particulièrement humiliant et terriblement décourageant : un sentiment d'impuissance qui diffère complètement de celui qui a porté ma génération, Monsieur Koechlin, née pendant la guerre, justement dans l'effervescence démocratique qui a suivi la victoire contre le nazisme; le sentiment que nous nous acheminions vers la démocratie, vers l'indépendance des peuples, vers plus de justice sociale et vers un développement plus durable.

Voilà qu'un colonel genevois vient rappeler la population de notre canton à ses devoirs de guerre. Car le sentiment d'impuissance que nous éprouvons nous expose à son tour à choisir l'abri de la force. Il déclenche la peur et la recherche de la sécurité des armes et c'est bien là ce qui me gêne le plus. Le message que risque de délivrer ce défilé et les réflexes qu'il tend à encourager, c'est le choix de la force musclée plutôt que le dialogue critique et la concertation; celui de la réponse violente, plutôt que la solidarité compatissante; celui du repli, du réduit défensif, plutôt que des sentiments d'ouverture.

Malheureusement, dans ce monde militarisé, j'arrive à comprendre que les gens puissent choisir, par réflexe, ce repli. Si bien que je crains fort que ce défilé ne délivre ce message : nous sommes là, cette force est la vôtre, choisissez la force plutôt que la compréhension critique et intelligente de ce qui se passe et la voie pour dépasser les contradictions que nous vivons actuellement.

Ce message à la veille de Noël, au moment où nos rues se pareront de lumière... (Protestations.) ...est particulièrement déplaisant, alors même que nous allons... (Brouhaha.) ...dans les prochains mois, nous efforcer à des gestes de solidarité, notamment envers les habitants de l'ex-Yougoslavie.

La présidente. Nous allons passer au vote des amendements déposés par M. Froidevaux.

Le premier amendement vise à supprimer «annuler» dans le titre, ce qui transforme le titre de la motion en ces termes :

«Proposition de motion visant à l'autorisation d'un défilé militaire à Genève»

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je crois qu'il y a quelques sujets dans ce parlement qu'on ne peut pas aborder et qui ne permettront jamais de débats sereins. L'armée en est un. Nous en avons eu une preuve, ce soir. Je regrette que ce soit M. Olivier Vodoz qui ait ouvert les feux.

Nous avons entendu toutes sortes d'interventions, dont celle de M. Koechlin avec beaucoup d'émotion. Pour avoir lu son livre, je crois connaître une partie de sa vie. Bien que je comprenne son émotion, je pense qu'elle n'a pas lieu d'être dans le cadre de cette motion.

On a entendu des interventions au ras des pâquerettes ou d'une violence incroyable comme celle de M. Froidevaux, ainsi que quelques incohérences du groupe radical avec M. Beer qui applaudit aux considérants, alors que son collègue Froidevaux les démolit un à un. Vous avez voulu poser le débat, Mesdames et Messieurs, sur l'utilité ou non de l'armée. C'est votre choix et cela reste de votre responsabilité.

En ce qui me concerne et malgré les invectives habituelles, désagréables et malhonnêtes de M. Lombard, l'idée de cette motion n'est pas une remise en cause de l'armée, mais un refus de ce défilé pour toutes les raisons que nous avons tenté de vous expliquer. Mais je crois qu'il n'y a pas de meilleur sourd que celui qui ne veut pas entendre. Vous n'avez pas voulu entendre nos arguments parce qu'il était beaucoup plus facile de déplacer ce débat sur la question, pour ou contre l'armée.

Avant de conclure, j'aimerais proposer à M. Fontanet un projet de loi pour empêcher les députés qui se présentent à une quelconque élection de prendre la parole, parce que nous allons vous entendre dire pendant deux mois, chaque fois que nous oserons lever la main : «Oh, là, là ! C'est de l'électoralisme !». Monsieur le député, venant de votre part, c'est particulièrement déplacé.

Je terminerai en déclarant, Madame la présidente, qu'au nom des motionnaires je retire cette motion, puisque M. Froidevaux a voulu lui donner un caractère ridicule et je vous laisse donner la parole à vos collègues du parti radical qui vont vite la reprendre à leurs noms.

M. Pierre Froidevaux (R). Nous prenons acte de la volonté des motionnaires de retirer leur motion. Telle qu'amendée, elle aurait pu être acceptable, mais je ne tiens pas à reprendre l'exposé des motifs. Je note donc le retrait de cette motion.

La présidente. La motion étant retirée, il n'y a donc pas lieu de se prononcer.

 

Cette proposition de motion est retirée.

La séance est levée à 23 h 5.