Séance du jeudi 14 septembre 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 9e session - 35e séance

No 35

Jeudi 14 septembre 1995,

nuit

Présidence :

Mme Françoise Saudan,présidente

La séance est ouverte à 20 h 30.

Assistent à la séance : MM. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat, Jean-Philippe Maitre, Claude Haegi, Gérard Ramseyer et Mme Martine Brunschwig Graf, conseillers d'Etat.

1. Exhortation.

La présidente donne lecture de l'exhortation.

2. Personnes excusées.

La présidente. Ont fait excuser leur absence à cette séance : MM. Guy-Olivier Segond et Philippe Joye, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Luc Barthassat, Micheline Calmy-Rey, Hervé Dessimoz, René Ecuyer, Henri Gougler, Yvonne Humbert, Claude Lacour, Alain-Dominique Mauris, Pierre Meyll et Christine Sayegh, députés.

E 776-1
3. Prestation de serment de M. Dominique Martin-Achard, élu juge suppléant à la Cour de justice. ( ) E776-1
 Mémorial 1995 : Election, 3997.

M. Dominique Martin-Achard est assermenté. (Applaudissements.)

4. Annonces et dépôts:

a) de projets de lois;

Néant.

b) de propositions de motions;

Néant.

c) de propositions de résolutions;

Néant.

d) de demandes d'interpellations;

Néant.

e) de questions écrites.

Néant.

PL 7288
5. Projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi sur l'imposition des personnes morales (D 3 1,3). ( )PL7288

LE GRAND CONSEIL,

vu l'article 29 de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes, du 14 décembre 1990 et l'article 75 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct, du 14 décembre 1990, dans leurs nouvelles teneurs adoptées par l'Assemblée fédérale le 7 octobre 1994,

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi sur l'imposition des personnes morales, du 23 septembre 1994, est modifiée comme suit :

Art. 30 (nouvelle teneur)

Capital propre

dissimulé

Le capital propre imposable des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives est augmenté de la part de leurs fonds étrangers qui est économiquement assimilable au capital propre.

Art. 45 (nouvelle teneur)

Clauses de réciprocité

1 L'article 7 n'est applicable que dans le cas où le canton de destination ou de provenance applique des normes analogues.

2 Jusqu'au 31 décembre 2000, le transfert de siège dans un autre canton (art. 15), de même que les transformations, concentrations et scissions (art. 16) et le remploi (art. 17) impliquant la réalisation et le transfert de réserves latentes dans un autre canton restent soumis aux impôts genevois, à moins que le canton de destination ne prévoie une exo-nération réciproque.

EXPOSÉ DES MOTIFS

I. Introduction

Le but du présent projet de loi n'est pas de modifier en profondeur une loi votée en 1994 et entrée en vigueur au 1er janvier 1995, mais d'adapter ce texte à une modification de la loi fédérale d'harmonisation des cantons et des communes (ci-après LHID), intervenue le 7 octobre 1994, et de compléter les dispositions transitoires par une clause technique de réciprocité, afin d'éviter une double imposition lors de transfert de siège d'une personne morale hors du canton ou, inversement, une lacune d'imposition lors d'une arrivée en provenance d'un autre canton.

Il s'agit dès lors d'une adaptation technique de la loi sur l'imposition des personnes morales (ci-après LIPM) du 23 septembre 1994 sur deux points, exposés en détail dans le commentaire par articles.

II. Commentaires par articles

Article 30 LIPM

Cette disposition, qui figure dans le chapitre consacré à l'impôt sur le capital des personnes morales (articles 27 à 36 LIPM), traite du mode de détermination du capital propre dissimulé, appelé aussi sous-capitalisation.

Il est rappelé que les règles destinées à lutter contre la sous-capitalisation servent à éviter que des ayants droit économiques d'une société de capitaux ou d'une coopérative ne perçoivent du bénéfice de cette entité sous forme d'intérêts. Etant donné que ces derniers sont considérés comme une charge déductible du résultat de la société débitrice, ce moyen permettrait, en l'absence de correction fiscale, d'éluder la règle selon laquelle le bénéfice à disposition des actionnaires doit provenir du bénéfice net soumis à l'impôt sur le bénéfice au sein de la personne morale. Le critère permettant de définir si l'on est en présence d'un financement étranger authentique est celui de savoir si un tiers indépendant aurait exposé des fonds aux mêmes risques que le créancier-actionnaire.

Sur cette base, le législateur fédéral a introduit, aussi bien dans la LHID (art. 29, al. 3) que dans la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct (ci-après LIFD, art. 75, toutes deux adoptées le 14 décembre 1990), une clause générale permettant de considérer comme des fonds propres imposables la part de fonds étrangers (prêts, endettement) qui est économiquement assimilable à des fonds propres.

Cette disposition est le pendant de la clause qui dénie le caractère de charge justifiée commercialement - donc déductible du bénéfice - les intérêts sur la part de fonds étrangers assimilée à du capital propre dissimulé (art. 24, al. 1, lettre c LHID et art. 65 LIFD). Une telle mesure a également été reprise dans la LIPM (art. 12, lettre f).

A côté du principe général, décrit ci-dessus, le législateur fédéral avait prévu une réglementation spécifique à l'égard des sociétés immobilières en ce sens que le capital propre imposable de ces dernières sociétés était imposable à une quote-part donnée de la valeur des actifs déterminante pour l'impôt sur le bénéfice. Cette quote-part, fixée d'abord à un tiers de la valeur des actifs, a ensuite été ramenée à un quart par le Conseil fédéral en réponse à la motion des parlementaires fédéraux Rolf Engler (CN/PDC/AI) et Ernst Ruesch (CE/PRD/SG), qui demandaient, eux, que le capital étranger ne soit pas considéré fiscalement comme du capital propre, ni les intérêts correspondant comme du bénéfice.

La rédaction de l'article 30 LIPM a été faite sur la base de la contre-proposition du Conseil fédéral. Celle-ci s'approchait d'ailleurs de la pratique genevoise puisque, jusqu'à l'entrée en vigueur de la LIPM, les fonds propres minimaux des sociétés immobilières devaient correspondre à 20% de la valeur comptable fiscalement déterminante des actifs. Les mêmes règles étaient appliquées dans le cadre de l'arrêté instituant un impôt fédéral direct (ci-après AIFD), qui était en vigueur jusqu'au 31 décembre 1994.

Le Parlement fédéral s'est écarté de la proposition du Conseil fédéral dans la mesure où il a estimé qu'il ne fallait pas créer deux types d'imposition du capital propre. Il a donc choisi de ne pas maintenir une clause particulière pour les sociétés immobilières et a également refusé de prendre en compte le traitement particulier réservé aux sociétés coopératives immobilières soutenues par la Confédération en vertu de la loi encourageant l'accession à la propriété. Il en résulte que la nouvelle teneur des dispositions relatives au capital propre dissimulé dans la LIFD (art. 75, nouvelle teneur) et dans la LHID (art. 29a, nouveau, en remplacement de l'art. 29, al. 3) est la suivante :

Le capital propre imposable des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives est augmenté de la part des fonds étrangers qui est écono-miquement assimilable au capital propre.

En vertu du caractère contraignant de la LHID, qui est une loi-cadre qui oblige les cantons à adapter leur règles fiscales d'ici au 31 décembre 2000, en vertu du principe dit d'harmonisation horizontale et du principe dit d'harmonisation verticale qui préconise une uniformisation des principes de détermination des éléments imposables (bénéfice/capital) entre la Confédération et les cantons, il est important d'adapter sans attendre la LIPM. Il est souhaitable en effet de limiter au maximum les distorsions entre les règles fiscales cantonales et fédérales, étant donné que l'assiette de l'impôt est déterminée par la même autorité sur la base d'un document unique rempli par le contribuable.

Au demeurant, la nouvelle formulation de la LIFD et de la LIPM (par adaptation de la LHID) aura pour conséquence pratique le maintien de la méthode traditionnelle de détermination des fonds propres dissimulés, en particulier auprès des sociétés immobilières, telle qu'elle a été développée au cours des années par la pratique des autorités fédérales et cantonales.

Il s'agit, en résumé, d'adapter notre droit fiscal cantonal à une modification de la loi-cadre fédérale, par la suppression d'une distinction qui n'y a plus sa place. C'est parce que cette modification n'est intervenue que le 7 octobre 1994, soit peu de jours après l'adoption de la LIPM par le Grand Conseil le 23 septembre 1994, que la présente modification n'a pas pu être incluse dans le projet cantonal et qu'il y lieu de procéder par le biais d'une modification législative.

Article 45 LIPM

Cette disposition, contenue dans le chapitre consacré aux dispositions transitoires et finales (art. 41 à 46) de la LIPM traite des clauses de réciprocité. En d'autres termes, cet article réserve les droits du canton, qui peut voir lui échapper, en application de la LHID, certains éléments imposables, lorsque le canton de destination de ces éléments n'appliquerait pas lui-même un traitement analogue dans le cas inverse (départ d'éléments imposables à destination du canton de Genève). Une telle clause ne peut être que limitée dans le temps, étant donné que les cas appréhendés (transfert de siège, restructurations et remploi) devront intervenir en franchise d'impôt dès le 1er janvier 2001, à teneur de la LHID (art. 23, al. 2 à 4, repris aux art. 15 à 17 LIPM).

Il est apparu, depuis le début de cette année, qu'une autre disposition de la LIPM nécessitait une clause de réciprocité, non pas pour sauvegarder les intérêts financiers de Genève par rapport à d'autres cantons, mais pour éviter que certaines personnes morales quittant le canton ou y arrivant ne bénéficient d'une lacune d'imposition ou ne soient, au contraire, imposées doublement.

L'article 22 LHID, repris dans la LIPM à l'article 7, dispose que lorsqu'une personne morale transfère son siège dans un autre canton, l'assujettissement à l'impôt sur le bénéfice et sur le capital se poursuit sans changement pour l'année fiscale en cours dans le canton de départ. Inversement, lorsqu'une personne morale arrive à Genève en provenance d'un autre canton, la compétence d'imposer du canton d'arrivée ne débute qu'au début de la période fiscale annuelle suivante. Cette disposition déroge au principe général énoncé à l'article 6 LIPM en vertu duquel l'assujettissement débute le jour de l'installation du siège dans le canton et prend fin le jour du déplacement du siège hors du canton.

Lorsque le canton d'arrivée s'en tient au principe général et n'a pas repris la clause de l'article 22 LHID, on peut se trouver en cas de transfert de siège en cours de période fiscale dans une situation soit

a) de double imposition en cas de transfert de siège dans un canton tiers, le canton de Genève prétendant imposer la personne morale pour le restant de la période fiscale, alors que le canton d'arrivée invoquera son droit d'imposer depuis le jour de l'arrivée;

b) de lacune d'imposition en cas d'arrivée à Genève en provenance d'un canton tiers, ce dernier mettant un terme à ses prétentions au jour du transfert de siège alors que le droit fiscal genevois n'autorisera de prélever l'impôt qu'à partir de la période fiscale suivante.

De telles situations, peu souhaitables, peuvent être évitées par l'insertion d'une règle de conflit unilatérale dans la loi genevoise qui réserve l'application de l'article 7 LIPM, qui est une lex specialis par rapport à la norme générale de l'article 6 LIPM, au cas où le canton de destination ou de provenance applique des règles analogues. Pour des raisons de systématique, cette clause doit figurer en alinéa premier de l'article 45 LIPM, le texte actuel de cette disposition devant en former le deuxième alinéa.

Vu le risque que peut faire courir la lacune d'imposition potentielle sur les rentrées fiscales du canton, la modification législative proposée devrait être adoptée sans tarder.

Etant donné que le principe même énoncé à l'article 22 LHID semble contesté par divers cantons qui proposeront peut-être sa modification au profit du retour à la méthode traditionnelle (imposition jusqu'au jour effectif du départ, respectivement dès le jour de l'arrivée), il se justifie de ne pas limiter cette clause dans le temps.

Au bénéfice de ces explications, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir réserver un bon accueil à ce projet.

Personne ne demande la parole en préconsultation.

Ce projet est renvoyé à la commission fiscale.

PL 7177-A
6. Rapport de la commission fiscale chargée d'étudier le projet de loi de MM. Christian Ferrazino, Christian Grobet et Jean Spielmann sur la taxe «transports et environnement». (H 1 12) ( -) PL7177
 Mémorial 1994 : Projet, 5261. Renvoi en commission, 5274.
Rapport de majorité de M. Nicolas Brunschwig (L), commission fiscale
Rapport de minorité de M. Jean Spielmann (AG), commission fiscale

RAPPORT DE LA MAJORITÉ

La commission fiscale a étudié lors des séances du 13 décembre 1994 et du 10 janvier 1995 le projet de loi 7177 déposé par MM. Christian Ferrazino, Christian Grobet et Jean Spielmann portant sur la taxe «transports et environnement». Notre commission a travaillé sous la présidence de M. Daniel Ducommun et fut assistée par M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat, président du département des finances (DF), M. Daniel Brauen, administrateur général de l'administration fiscale (DFC), M. Pietro Sansonetti, directeur des affaires fiscales de l'administration fiscale (DFC), et M. Florin Könz du service juridique de l'administration fiscale (DFC).

1. Présentation du projet de loi par les auteurs

Les auteurs du projet de loi expliquent la politique des transports qu'ils souhaitent et rappellent que le Grand Conseil a voté une motion déposée par M. Bosson prévoyant le prélèvement d'une taxe transports sur l'ensemble de la masse salariale. Cependant, au vu de la situation économique actuelle, les auteurs estiment qu'il ne serait pas judicieux d'envisager une nouvelle taxe de ce genre. Par contre, ils ne trouvent pas normal que des personnes puissent profiter des infrastructures genevoises sans pour autant participer à leur coût. C'est pourquoi les auteurs proposent de taxer toute personne physique ayant un emploi ou déployant une activité lucrative indépendante dans le canton et n'étant pas imposée fiscalement à Genève. Ce projet de loi a pour objectif de favoriser le développement des transports publics, le développement économique au centre-ville ainsi que la qualité de la vie en général. Enfin, selon les auteurs, ce projet de loi semble compatible avec le droit supérieur dans la mesure où il s'agit d'une taxe et non pas d'un impôt.

2. Analyse juridique du département des finances

En procédant à l'examen du projet de loi sous l'angle de la technique fiscale, le département des finances s'est tout d'abord interrogé sur la nature juridique de la contribution appelée taxe «transports et environnement» que le projet de loi 7177 vise à instaurer. Cette qualification comme impôt ou comme taxe proprement dite revêt une importance capitale pour juger de la compatibilité de la loi proposée avec l'ordre juridique suisse, notamment les articles 3 (primauté du droit fédéral - et donc des traités internationaux conclus par la Suisse - sur le droit cantonal) et 46, alinéa 2 (interdiction de la double imposition intercantonale) de la constitution fédérale.

2.1 Impôt ou taxe ?

La distinction communément admise en droit suisse, tant par la doctrine (Grisel, Traité de droit administratif, Knapp, Précis de droit administratif, Fleiner, Grundzüge des allgemeinen und schweizerischen Verwaltungsrechts, Höhn, Steuerrecht, E. Blumenstein, System des Steuerrechts, Schweizeriches Steuerrecht, Rivier, Droit fiscal suisse, Ryser, Dix leçons introductivesau droit fiscal) que par la jurisprudence du Tribunal fédéral (notammentATF 90 I 77, 92 I 361, 95 I 504 et 99 Ia 594) peut se résumer ainsi:

L'impôt est la contribution versée par un particulier à une collectivité publique pour participer aux dépenses résultant des tâches générales dévolues à cette dernière en vue de la réalisation du bien commun. Il est perçu sans conditions, non pas comme contrepartie d'une prestation de l'Etat ou d'un avantage particulier, mais en fonction d'une certaine situation économique réalisée en la personne de l'assujetti.

En revanche, l'émolument ou la taxe se présente comme le prix de droit public imposé unilatéralement au citoyen pour un certain recours à l'administration publique ou à un service public. La quotité d'une taxe doit être directement en rapport avec l'avantage retiré par le redevable. Si et dans la mesure où son montant excède le coût de la prestation étatique, la taxe devient un impôt (souligné réd. ATF 99 Ia 598).

Appelé à se prononcer sur la nature d'une taxe instaurée par le canton des Grisons destinée à financer la construction et l'entretien du réseau routier et perçue notamment des propriétaires de maison de vacances non domiciliés dans le canton, le Tribunal fédéral s'est exprimé, en 1964 déjà, comme suit:

La taxe d'Etat présente toutes les caractéristiques de l'impôt; elle est perçue sans conditions, c'est-à-dire non pas comme contrepartie d'une prestation fournie par l'Etat ou d'un avantage particulier, mais uniquement en fonction d'une situation économique réalisée en la personne de l'assujetti; et elle représente une contribution aux tâches générales incombant à l'Etat dans l'intérêt de la collectivité (...). L'établissement et l'entretien d'un réseau de routes cantonales adapté aux exigences du trafic ressortissent aux tâches incombant à l'Etat dans l'intérêt de l'ensemble de la population et de l'économie d'un canton (...). Le fait que la taxe d'Etat doit servir exclusivement au financement et à l'amortissement du compte routier ne confère pas à cette taxe le caractère d'une charge de préférence; même les contributions dont l'emploi est ainsi fixé impérativement entrent en effet dans la catégorie des impôts (impôts dits de dotation) lorsqu'elles présentent les autres caractéristiques (souligné réd. - ATF 90 I 77).

Enfin notre Haute Cour a considéré, en 1966, qu'il n'est pas douteux que la taxe de 2% prélevée sur le traitement du fonctionnaire qui réside hors du canton est perçue principalement sinon exclusivement en compensation des impôts qui échappent à la ville. Qui plus est, il a été précisé que l'argument selon lequel la contribution serait l'équivalent des avantages matériels et idéaux du domicile à l'extérieur n'est pas concluant. Et le Tribunal fédéral de conclure: Supposé qu'elle ne soit pas un impôt sur le revenu professionnel, elle est en tout cas une contribution remplaçant cet impôt principal et qu'il est justifié de soumettre à l'interdiction de la double imposition (souligné réd. - ATF 92 I 361).

Au vu de ce qui précède, l'on ne saurait suivre les auteurs du projet de loi lorsqu'ils affirment que la contribution qu'ils préconisent est une taxe au motif qu'une taxe peut être progressive puisque la taxe de séjour l'est. On rappellera que cette dernière - qui fait partie des taxes d'encouragement au tourisme - prévoit non pas une progressivité dans les taux mais des taux différenciés en fonction du standing de l'établissement concerné, ce qui est tout différent. Un tel raisonnement n'est dès lors qu'un syllogisme impropre puisque le lien logique entre les prémisses fait défaut.

La taxe «transports et environnement» est bel et bien un impôt au sens où on l'entend en droit fiscal suisse.

2.2 Compatibilité avec l'ordre juridique suisse

Il est rappelé au préalable que la taxe «transports et environnement» frapperait les revenus bruts de tous les salariés et ceux des indépendants travaillant dans le canton mais qui n'y acquittent pas d'impôts sur ces revenus.

Seraient dès lors assujettis:

a) les salariés domiciliés hors du canton (à l'exception des frontaliers et des autres personnes domiciliées hors de Suisse assujettis à l'impôt à la source);

b) les diplomates et les fonctionnaires internationaux domiciliés dans le canton exonérés d'impôts en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires ou d'accords de siège conclus par la Confédération.

Seraient en revanche exemptés:

c) les personnes domiciliés dans le canton et qui ne sont pas au bénéfice d'une exonération fiscale en tant que diplomates ou fonctionnaires internationaux;

d) les frontaliers et les autres personnes domiciliées hors de Suisse travaillant dans le canton, qui y sont assujettis à l'impôt à la source;

e) les indépendants ou les associés d'une société de personnes domiciliés dans un autre canton mais qui déploient leur activité à travers un établissement stable situé à Genève (où ils sont imposables en vertu des règles de répartition intercantonale des éléments imposables);

f) les autres personnes domiciliées hors de Suisse.

Il en découle clairement que le projet de loi 7177, s'il devait être adopté, serait inopérant à l'égard des deux catégories de personnes qu'il vise en raison, pour les salariés domiciliés dans un autre canton, du fait que les règles de répartition intercantonale dégagées par le Tribunal fédéral en application de l'article 46, alinéa 2 Cst. féd. attribuent la compétence d'imposer le revenu de l'activité lucrative dépendante au canton du domicile du salarié.

Quant aux diplomates et fonctionnaires internationaux, tant la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires, qui lie la Suisse, que les accords de siège conclus par la Confédération avec les organisations internationales présentes en Suisse exonèrent les diplomates et les fonctionnaires de ces organisations qui n'ont pas la nationalité suisse de tout impôt.

En conclusion, il n'est guère possible de considérer que le projet de loi 7177 ait une viabilité quelconque en l'état actuel de la législation fédérale et de la jurisprudence qui en découle du Tribunal fédéral. Elle représenterait dès lors un corps étranger dans la systématique du droit genevois, qu'il est du devoir du législateur cantonal de maintenir dans les limites du droit fédéral.

3. Discussion générale

Le débat de préconsultation du Grand Conseil avait montré que l'ensemble des groupes parlementaires n'était pas insensible à certains points figurant d'une manière ou d'une autre dans ce projet de loi. Nous pensons en particulier à la problématique des personnes travaillant à Genève mais vivant dans le canton de Vaud et payant leurs impôts exclusivement au profit de celui-ci.

M. Vodoz explique à la commission que depuis de nombreuses années le gouvernement genevois a tenté de nouer des contacts avec le canton de Vaud afin de rechercher des solutions à ce problème. Mais, le canton de Vaud, se basant sur la législation fédérale existante, n'avait jamais accepté de rentrer en matière sur ce sujet. Les problèmes actuels que rencontrent les collectivités publiques incitent cependant les cantons de Genève et de Vaud à rechercher des collaborations plus étroites. Actuellement, chaque canton a formé une délégation et ce groupe, avec l'aide de l'université, étudie les flux d'échange entre la région lémanique et Genève. Cette méthode devrait permettre de dépasser la pure problématique fiscale et d'instaurer une vraie collaboration plus globale qui permettrait de valoriser les atouts communs.

De plus, concernant la problématique des transports, M. Vodoz nous indique que le canton de Vaud a confirmé sa volonté d'étudier un financement commun des infrastructures. Cela permettrait une amélioration de l'aéroport, de la ligne ferroviaire entre Genève et Lausanne et de la surcharge de l'autoroute.

En ce qui concerne les fonctionnaires internationaux, M. Vodoz rappelle à quel point le débat est difficile avec la Confédération pour que celle-ci reconnaisse le coût pour notre canton qui provient des services fournis à ces fonctionnaires sans contrepartie fiscale. La Confédération admet le rôle important que joue Genève au niveau international, mais estime qu'il y a de nombreux apports pour le canton, de la présence de ces fonctionnaires, compensant ce déficit.

Enfin, la difficulté et la fébrilité qui entourent la conclusion des accords de siège avec l'OMC montrent, une fois de plus, que les Etats tiennent aux différentes immunités et, en particulier, aux exonérations fiscales.

Sur la base des différentes explications données, il apparaît clairement à la majorité de la commission qu'il serait totalement inopportun de rentrer en matière pour l'étude de ce projet de loi. En effet, l'analyse juridique montre à l'évidence que ce projet n'est pas compatible avec le droit fédéral. De plus, même si nous faisions abstraction des problèmes juridiques majeurs mentionnés, il existerait des raisons plus fondamentales telles que les pourparlers en cours avec le canton de Vaud et le désir de favoriser l'implantation d'organisations internationales dans notre canton qui nous empêcheraient de prendre en considération un tel projet.

La minorité de la commission estime, quant à elle, que même si la solution proposée par les auteurs est sans doute perfectible, il s'agit tout au moins de rentrer en matière afin d'étudier ce projet de loi et, le cas échéant, de l'amender.

4. Vote et conclusion

Suite aux différentes explications, analyses et déclarations, il est procédé au vote d'entrée en matière sur ce projet de loi 7177.

La majorité de la commission par 11 voix (5 LIB - 2 RAD - 2 DC - 2 SOC) contre 3 voix (ADG) et 1 abstention (E) vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi qui n'apporte pas de bonnes solutions à la fois pour des raisons fondamentales et juridiques.

RAPPORT DE MINORITÉ DE L'ALLIANCE DE GAUCHE

Le projet de loi proposant une taxe «transports et environnement» répond aux besoins financiers nécessaires à la réalisation des objectifs fixés dans la loi sur les transports et notamment pour ce qui concerne la couverture des charges financières des gros projets d'investissements réalisés et à construire. Un tel financement est nécessaire pour permettre leur développement dans les délais prévus par la loi, loi approuvée par plus de 80% des électeurs genevois qui se sont prononcés pour l'extension du réseau de transports et les nouvelles lignes de tram.

Les propositions comprises dans notre projet de loi concrétisent l'idée du prélèvement d'une taxe transports formulée par le Conseil d'Etat dans l'exposé des motifs de son projet de loi sur le développement des transports de 1992. Le Conseil d'Etat proposait alors la perception d'une somme modique prélevée sur la masse salariale, une perception qui aurait eu l'avantage de faire participer aux frais d'infrastructure de transports, non seulement les habitants de Genève, mais aussi les frontaliers tant vaudois que français, qui auraient bénéficié en contrepartie d'une très nette amélioration de l'offre de transports et des conditions de vie.

Une politique dynamique de développement des transports publics répond à un réel besoin et fait partie des exigences indispensables à l'amélioration des conditions de vie en milieu urbain. Au moment où une part croissante de notre population est aux prises avec des difficultés économiques de plus en plus graves et où le chômage atteint des proportions dramatiques, il devient de plus en plus urgent d'entreprendre les réalisations prévues. En plus de l'impact positif qu'aurait une politique de transports dynamique sur l'emploi et la relance économique, de tels équipements permettraient aussi de doter Genève de conditions cadre favorables à son développement économique et social.

Les dispositions de notre projet de loi prévoient la perception d'une modeste taxe transports et environnement sur les personnes qui bénéficient des prestations de transport sans en assumer l'ensemble des charges financières, qui reposent pour une part importante sur les contribuables du canton. Une telle taxe peut donc légitimement être prélevée sur les personnes qui travaillent à Genève sans que leurs revenus soient soumis à l'impôt. Le taux d'imposition de cette taxe est progressif et varie en fonction de l'importance des revenus pour tenir compte de la capacité contributivede chacun. Le produit de cette taxe pourrait atteindre plusieurs dizaines de millions de francs par année et contribuer de manière non négligeable à la recherche de solutions permettant de répondre aux besoins financiers de la politique des transports et réduire d'autant les difficultés financières de notre collectivité

Les études de réalisation du plan directeur des transports ont démontré qu'il faudra trouver des ressources financières nouvelles pour assurer le financement des infrastructures de transports. En 1993, la commission des transports consciente de cette réalité avait voté une motion concernant l'introduction d'une «taxe transports». Ce projet de motion présenté par le groupe radical avait été accepté par une très forte majorité et contresigné par les représentants des élus des partis radical, PDC, socialiste et PDT, puis approuvé par le Grand Conseil qui a ensuite renvoyé cette motion au Conseil d'Etat, le chargeant de présenter un projet de loi dans ce sens au parlement. Seuls les libéraux et le PEG étaient opposés sur le principe du prélèvement d'une taxe transports.

Le projet de loi que nous avons déposé reprend cette idée en limitant le prélèvement de la taxe transports aux personnes qui exercent une activité lucrative dans le canton et qui n'y paient pas d'impôts, soit parce qu'ils sont domiciliés hors du canton, en France ou dans un autre canton, soit parce qu'ils sont au bénéfice de privilèges fiscaux en raison de leur statut de fonctionnaires internationaux.

Alors que le Grand Conseil avait admis d'examiner ce projet de loi en commission, la commission fiscale a décidé de refuser d'entrer en matière sur ce projet de loi par 11 voix (5 lib., 2 rad., 2 DC, 2 soc.) contre 3 (ADG) et une abstention (E). C'est ainsi, sans avoir répondu de manière argumentée aux questions posées par ce projet de loi, sur sa base légale et son opportunité, que ce projet a été rejeté en une seule séance et pratiquement sans débat.

Mesdames et Messieurs les députés, le projet de loi proposant d'instaurer une taxe transports et environnement n'a pas été examiné avec le soin que le sujet mérite. Les nombreuses questions soulevées par cette proposition méritent un examen attentif et des réponses sérieuses, tant en ce qui concerne la base légale d'une telle taxe que son mode de prélèvement. Ces questions ne doivent pas rester sans réponse et c'est dans ce but que les élus de l'Alliance de gauche vous proposent, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer ce projet à la commission des transports pour débattre de l'opportunité de l'introduction d'une taxe transports, puis à la commission fiscale pour qu'elle débatte réellement des modalités de perception d'une telle taxe.

ANNEXE

Secrétariat du Grand Conseil

Proposition de MM. Christian Ferrazino, Christian Grobet et Jean Spielmann

Dépôt: 1er novembre 1994

PL 7177

PROJET DE LOI

sur la taxe «transports et environnement»

(H 1 12)

Article 1

Principe

Dans le but de financer des mesures contribuant, grâce plus particulièrement au développement des transports publics, à une diminution des nuisances subies par la population du fait du trafic automobile, de manière à respecter les normes fédérales en matière de protection de l'air et de la protection contre le bruit, il est perçu une taxe dite «transports et environnement» dont le produit est intégralement affecté au financement de l'infrastructure des transports publics genevois et de la construction de parkings d'échange, par la Fondation des parkings, à l'entrée de l'agglomération urbaine.

Art. 2

Assujettissement

Est assujettie à la taxe «transports et environnement» toute personne physique ayant un emploi ou déployant une activité lucrative indépendante dans le canton.

Art. 3

Exonération

Les personnes imposées fiscalement à Genève sont exonérées du paiement de la taxe «transports et environnement».

Art. 4

Revenus soumis à la taxe

Le montant de la taxe est calculé en fonction du revenu brut provenant de l'activité de la personne assujettie.

Art. 5

Taux d'imposition

Le taux d'imposition de la taxe est de:

a) 1% pour les revenus bruts situés entre 30 000 F et 60 000 F par année;

b) 1,5% pour les revenus bruts entre 60 001 F et 90 000 F par année;

c) 2% pour les revenus bruts entre 90 001 F et 120 000 F par année;

d) 2,5% pour les revenus bruts entre 120 001 F et 150 000 F par année;

e) 3% pour les revenus bruts entre 150 001 F et 175 000 F par année;

f) 3,5% pour les revenus bruts entre 175 001 F et 200 000 F par année;

g) 4% pour les revenus annuels bruts supérieurs à 200 000 F.

Art. 6

Mode de perception

1La taxe due par un salarié est perçue à la source par retenue directe du débiteur du revenu de l'activité lucrative dépendante.

2La taxe due par une personne déployant une activité lucrative indépendante est perçue mensuellement sur la base du revenu brut réalisé pendant l'année qui précède celle au cours de laquelle la taxe est exigible ou, à défaut, sur le revenu de l'année en cours.

Art. 7

Déductions

1La moitié du prix d'achat de la carte libre parcours annuelle des Transports publics genevois est déductible de la taxe, sur présentation de cette carte, pour les personnes résidant hors du canton et se rendant à Genève grâce aux transports collectifs.

La moitié du prix d'achat de la carte libre parcours annuelle des Transports publics genevois combinée avec une carte annuelle d'un parking d'échange est déductible de la taxe, pour les personnes résidant hors du canton, qui se rendent à Genève avec une voiture utilisant un parking d'échange.

2La taxe est diminuée au pro rata de toute rétrocession fiscale à l'Etat applicable au débiteur de la taxe résidant hors du canton, qui serait accordée par son canton ou sa commune de domicile.

Premier débat

M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur de majorité. Je voudrais, tout d'abord, réfuter la remarque qui figure dans le rapport de minorité de M. Jean Spielmann et qui laisse entendre que la commission n'a pas étudié soigneusement ce projet, notamment l'opportunité de l'introduction d'une telle taxe. Permettez-moi de dire, non pas à M. Spielmann, absent ce soir, mais à son remplaçant et à vous tous, que la commission a étudié attentivement la légalité et la compatibilité de cette loi avec l'ordre juridique supérieur, soit le droit fédéral. A cet égard, il n'y a aucun doute, si ce n'est dans l'esprit de M. Spielmann : cette taxe n'en est pas une, c'est un impôt !

D'ailleurs, le rapport de minorité est assez révélateur à cet égard, vu qu'il dit, en haut de la page 8 : «Le taux d'imposition de cette taxe est progressif et varie en fonction de l'importance des revenus pour tenir compte de la capacité contributive de chacun». C'est la définition exacte de l'impôt et la contre-définition de la taxe, comme vous l'aurez lu dans le rapport de majorité. Ce n'est, bien sûr, pas moi qui l'exprime. Les références en sont données par des jurisprudences et des traités émanant de personnes hautement compétentes.

Il ne faut pas se tromper : cette taxe, de par son aspect juridique, n'est pas compatible avec le droit fédéral. Comme vous le savez, la taxation sur le revenu est limitée... (M. Jean Spielmann pénètre dans la salle.) ...au canton de domicile du contribuable. Dès lors, nous nous trouvons dans un débat de politique fiction, un exercice sans doute intéressant intellectuellement parlant, mais finalement assez stérile.

Outre le débat de fond que nous aborderons si certains le désirent, ce sont là les raisons principales qui, sur le plan juridique, démentent la teneur du rapport de minorité : il est impossible d'envisager une telle taxe dans notre législation.

M. Jean Spielmann (AdG), rapporteur de minorité. Plutôt que de disserter de politique fiction, il conviendrait de ramener le débat à la taxe transports qui a déjà fait l'objet de plusieurs discussions dans ce Grand Conseil et d'une motion déposée, à l'époque, par le parti radical, plus particulièrement par M. Bosson. Celui-ci, lors des débats en commission sur le développement de la politique des transports, parlait de la nouvelle loi sur les transports, de l'extension du réseau et de la volonté, majoritaire dans ce parlement et dans la population, de doter la République de moyens de déplacement qui permettraient, par incitation, le transfert modal du véhicule privé vers le transport collectif. Aujourd'hui, chacun convient que c'est une solution raisonnable et intelligente pour régler les problèmes de circulation au centre-ville.

Une motion avait donc été déposée, il y a quelques années, en vue de l'introduction d'une telle taxe transports, et ce à partir de l'analyse suivante : la nécessité, pour Genève, d'investir dans le domaine des transports publics étant réelle, il était judicieux, pour en assurer le financement, d'examiner d'abord ce qui se passait dans l'environnement immédiat, c'est-à-dire dans la région frontalière et d'autres lieux de la communauté européenne où de telles taxes sont appliquées.

C'est ainsi que cette motion a été votée à une grande majorité de la commission des transports. Elle a été signée pratiquement par tous les groupes, à l'exception du parti libéral qui y était farouchement opposé, puis votée par le Grand Conseil. Il est vrai que les représentants des "Verts", eux aussi, n'avaient pas voté cette motion, considérant qu'elle ne remplissait pas tous les critères qu'ils avançaient pour financer la politique des transports.

Des arguments développés à l'époque, il ressortait qu'une telle taxe avait pour mérite principal de financer, en partie, la politique des transports, mais aussi celui de faire participer financièrement ceux qui utilisent les infrastructures de ce canton sans être soumis à la fiscalité. On connaît bien le débat sur les travailleurs frontaliers, les rétrocessions fiscales entre le canton de Vaud et le canton de Genève. Cette taxe, qui n'est pas un impôt - je conteste formellement la définition qu'en donne M. Brunschwig dans son rapport : le projet n'a pas été sérieusement analysé et la commission n'a pas répondu aux questions qui lui ont été posées - est parfaitement constitutionnelle et répond à la loi. Elle constitue la contrepartie d'une prestation et peut parfaitement être prélevée. Il existe d'autres exemples dans la législature fédérale qui permettent de l'affirmer.

Cette taxe doit et peut, aujourd'hui, s'inscrire dans la politique des transports. Elle permettra aux usagers des infrastructures de participer à leur financement.

Par ailleurs, l'évolution de la conjoncture et de la situation économique, depuis le dépôt et le vote de la motion par la majorité du Grand Conseil, méritent que nous examinions l'impact que pourrait avoir cette taxe. Il est clair que son application, avec les modalités qui prévoyaient, à l'époque, un pourcentage à prélever sur l'ensemble de la masse salariale, poserait, aujourd'hui, une série de problèmes. Maintenant, il s'agit plutôt d'assurer la relance que d'opérer de nouveaux prélèvements fiscaux sur la masse salariale.

Nous avions déjà développé cet argument au moment du dépôt de la motion. Des modifications avaient été apportées dans ce sens à ses invites, notamment par le biais des propositions de M. Ziegler.

Le problème que nous soulevons est important par rapport au financement de la politique des transports et au prélèvement de la taxe. Or, la commission n'a donné aucune réponse ! Ses arguments sont ceux que le parti libéral avait avancés pour s'opposer, la première fois, au prélèvement d'une taxe. Aujourd'hui, on est quasiment confronté à un refus d'entrer en matière sur un problème qui mériterait la plus grande des attentions.

Ce sont les motifs pour lesquels je vous demande de renvoyer ce projet de loi à la commission des transports et à la commission fiscale, car il soulève des questions qui, au-delà des polémiques partisanes, méritent d'être sérieusement examinées.

En effet, nous devrons revenir sur le financement de la politique des transports, et cela beaucoup plus rapidement que d'aucuns le pensent, du fait que des milliers de citoyens viennent dans ce canton sans acquitter leur participation aux infrastructures qu'ils utilisent, infrastructures payées par les contribuables. C'est vraiment un problème que nous devons résoudre.

Si vous refusez d'entrer en matière et de discuter de ce projet, je vous donne peu de temps pour y revenir. Il serait donc plus intelligent de l'examiner dès maintenant. Je réitère donc ma demande de renvoi aux commissions précitées.

La présidente. Monsieur le rapporteur, nous discuterons du renvoi en commission. M. Nissim s'étant inscrit, nous lui donnons la parole, ainsi qu'à M. Ferrazino.

M. Chaïm Nissim (Ve). Je voudrais lire le discours que ma collègue Sylvia a préparé :

«Si les Verts se sont abstenus sur ce projet de loi, c'est parce qu'effectivement la solution proposée pour augmenter les recettes des TPG n'était pas satisfaisante. L'instauration de cette taxe ne touchait que les internationaux et les Vaudois, et présentait des incompatibilités juridiques importantes, comme l'explique bien le rapport de majorité, ce qui, d'ailleurs, n'a pas été nié par la minorité. Mais, si le pouvoir politique ne déposait des projets qu'en fonction des lois existantes, il pourrait tout de suite arrêter son travail. Les lois sont vivantes et se modifient au gré des débats de société. Si la forme de ce projet de loi était effectivement maladroite, le sujet de fond n'était pas inintéressant, ce qui d'ailleurs avait été admis par les députés de l'Entente. Par conséquent, ce projet méritait une plus ample réflexion, afin que soit trouvée une meilleure solution à la participation financière des TPG par une partie de la population qui en profite, mais qui ne contribue pas, ou très peu, à son financement.

Le refus des partis de l'Entente d'entrer en matière a bloqué le débat. D'où l'abstention des Verts qui, négatifs sur la forme, partageaient l'idée sur le fond et auraient souhaité poursuivre la réflexion. Il est certain que l'une des voies les plus adéquates pour inciter les gens à emprunter les transports publics et à renoncer à leur véhicule serait de diminuer l'impôt auto ou de restituer un certain montant aux gens qui présenteraient un abonnement aux TPG. C'est ce qui s'appelle de l'incitation positive».

M. Christian Ferrazino (AdG). Je voudrais également revenir sur ce que dit Mme Leuenberger, par l'intermédiaire de M. Nissim.

Me référant au Mémorial que j'ai en main, je constate que lors de la préconsultation, tous les partis confondus s'accordaient à reconnaître la réalité du problème, même si certains pensaient que les solutions proposées n'étaient pas les meilleures.

Ainsi, M. Balestra : «Nous accepterons le renvoi en commission de ce projet. Pourquoi ? Parce qu'il pose un vrai problème». Après lui, M. Michel Ducret de déclarer : «Il est donc difficile de ne pas accueillir ce projet de loi pour un examen approfondi en commission». Il fallait donc «relever ses manches, travailler et trouver des solutions peut-être plus adéquates» ! A son tour, M. Fontanet ajoutait : «Notre groupe ne s'opposera pas au renvoi de votre projet en commission, car il faut que nous trouvions un certain nombre de solutions à ce sujet. Cela sera inévitable, compte tenu des difficultés de l'heure».

Tout le monde reconnaît donc ces difficultés de l'heure, ces difficultés budgétaires. Tout le monde reconnaît la nécessité de résoudre le problème fiscal posé. Et s'il y avait une rétrocession fiscale du canton de Vaud, nous n'aurions, bien sûr, jamais déposé ce projet de loi.

Que vous puissiez dire que la solution proposée n'est pas forcément la bonne, peut-être ! Nous étions prêts à en discuter, et je suis venu en commission précisément pour présenter ce projet de loi. Et malgré les bonnes intentions que je viens de rappeler ici et qui ont fait que ce projet de loi a été renvoyé en commission, aucune discussion n'a pu avoir lieu, puisque la majorité a refusé d'entrer en matière. Ce qui fait que les doutes émis par M. Brunschwig et repris dans son rapport quant à la définition de l'objet - impôt ou taxe - sont toujours restés à l'état d'interrogation. M. Spielmann était absent quand vous vous étonniez, à la lecture de son rapport, de constater qu'il parlait d'un taux d'imposition progressif, et que par là même, il s'agissait d'un impôt et non d'une taxe.

Or, si vous aviez lu le projet de loi, vous auriez également constaté que ce sont ces termes mêmes qui y figurent ! A l'article 5, «le taux d'imposition de la taxe est de :» est suivi d'un taux progressif !

Nous étions prêts à discuter de la progressivité et du montant de ce taux. Nous étions ouverts à toute solution de dialogue, mais je dois dire que l'ensemble des députés de cette commission ne voulait tout simplement pas entrer en matière.

Vous dites dans votre rapport, Monsieur Brunschwig, que même si par impossible on retenait la notion de taxe et non celle d'impôt, le projet ne serait pas très heureux, compte tenu des pourparlers en cours avec le canton de Vaud.

Il ne faut pas se moquer du monde ! Si nous sommes prêts à trouver des solutions à ce problème réel et nié par personne, ne vous réfugiez pas derrière ces pourparlers qui durent depuis des années et des années, pour ne rien faire.

Aussi, je vous pose une question, Monsieur Vodoz : avez-vous, aujourd'hui, une solution concrète avec le gouvernement vaudois pour résoudre, une fois pour toutes, après des années de négociations, ce problème de la rétrocession fiscale ?

Je dirais encore un dernier mot sur les fonctionnaires internationaux, parce que l'on a aussi balayé ce problème d'un revers de manche, en prétextant des accords de siège qui, au regard de notre droit suisse, empêchaient l'encaissement d'une taxe de ce genre. Je rappellerais simplement que, dans le canton de Vaud, certaines communes ont instauré une taxe déchets demandée à tout habitant, y compris les internationaux...

La présidente. Monsieur Ferrazino, je suis désolée de vous interrompre. On ne s'entend plus. Quand les conversations auront cessé, nous reprendrons le débat.

M. Christian Ferrazino. Madame la présidente, je vous remercie d'avoir ramené un peu de calme. Pour terminer sur cette question, je disais que les raisons invoquées, sous couvert d'arguments juridiques, ne sont pas convaincantes, puisque d'autres cantons et notamment des communes vaudoises perçoivent des taxes pour les déchets, y compris auprès des fonctionnaires internationaux. Tout le monde y est donc astreint.

Dans le cas qui nous occupe, il est donc également possible d'astreindre les fonctionnaires internationaux à l'acquittement d'une taxe quand ils participent aux nuisances dans notre canton, comme tout un chacun.

Je dois dire que la population, en général, comprend mal que les fonctionnaires internationaux soient précisément exemptés de taxes que tout un chacun paie. M. Spielmann l'a rappelé dans son rapport de minorité : les contribuables les acquittent très largement par le biais du subventionnement accordé en matière de transports publics.

C'est se moquer du parlement d'avoir accepté de renvoyer ce projet de loi en commission sous couvert que le problème posé était réel et qu'il fallait le résoudre, et que, dès que nous l'avons abordé en commission, l'ensemble de ses membres ait décidé de ne pas entrer en matière. Raison pour laquelle nous demandons le renvoi du projet en commission.

La présidente. Le renvoi en commission a été demandé par le rapporteur de minorité. Il figure, par ailleurs, dans les conclusions du rapport de minorité, le débat devrait porter sur le renvoi en commission.

M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur de majorité. Il s'agit, pour moi, de rappeler quelques propos tenus lors du débat de préconsultation. Effectivement, si les différents partis avaient trouvé le projet suffisamment intéressant pour le renvoyer en commission, c'était, en particulier, pour faire le point sur la problématique canton de Genève/canton de Vaud et sur les problèmes inhérents au grand nombre de frontaliers vaudois qui travaillent à Genève et paient leurs impôts, en fonction de la législation suisse, dans leur canton de domicile. Cette législation ne changera pas de sitôt !

Quoi qu'en dise la minorité, nous avons eu des explications du Conseil d'Etat en faisant un rappel historique de ce problème et des différents groupes mis actuellement en action pour essayer de trouver des solutions plus globales que le simple problème fiscal en tant que tel.

Vous savez très bien qu'au niveau du problème fiscal nous n'avons aucune solution, quoi que vous en disiez. Il n'y a pas de solution, parce que nous ne parviendrons pas, parlement du canton de Genève, à faire changer le système fédéral existant au niveau de la fiscalité en tant que telle.

Le problème des internationaux est également important. Je pense que vous êtes tous conscients des difficultés éprouvées par les négociateurs suisses et genevois dans le cadre des discussions pour l'implantation de l'OMC à Genève. Dès lors, il est impensable pour Genève, qui a pour objectif de favoriser l'implantation d'organisations internationales, de taxer ses hôtes qui comptent, non seulement sur le plan économique, mais sur les plans social et culturel. Dès lors, vous savez pertinemment qu'il est impossible d'envisager cette solution. Je doute fortement des taxes poubelle et des explications de M. Ferrazino. En revanche, je suis sûr que le Conseil d'Etat pourra nous fournir des compléments d'information.

Il apparaît donc que le groupe de l'Alliance de gauche - parce qu'il avait une idée loin d'être inintéressante - a proposé un projet de loi. Toutefois, cette option n'était vraiment pas indiquée, son objet étant mal réglé aux niveaux technique et juridique. Il aurait donc fallu déposer une motion pour que nous puissions encore réfléchir sur un tel sujet, mais ne pas nous proposer un projet de loi aussi mauvais que celui-ci.

M. Bénédict Fontanet. J'aime me faire citer par M. Ferrazino, et je lui suggère de se pénétrer plus souvent, à l'avenir, des excellentes déclarations émanant de nos bancs. Mais je sais bien qu'il s'agit que d'un voeu pieux !

Je n'ai pas participé aux travaux de la commission, mais j'ai lu avec intérêt le rapport de majorité de M. Brunschwig. Monsieur Ferrazino, je vous sais trop fin juriste pour que vous nous recommandiez de faire fi des principes qui sont malheureusement ce qu'ils sont, en matière de droit fiscal suisse, à savoir l'imposition au lieu de domicile, s'agissant des travailleurs dits dépendants ou salariés, et la distinction entre taxe et impôt.

On ne saurait comparer ce cas avec la taxe poubelle. La taxe que vous proposez est beaucoup plus importante, elle se calcule en pourcentage du revenu et pose toute une série de problèmes techniques non résolus par votre projet de loi déposé par votre groupe.

Je persiste à penser, puisque vous avez eu la bonté de me citer, que le problème posé mérite d'être résolu, mais je persiste aussi à croire que vos solutions sont mauvaises et ne peuvent être retenues, eu égard aux principes juridiques régissant cette matière.

Comme l'a dit M. Brunschwig, il y a d'autres pistes, par exemple celle de la motion. En effet, j'imagine mal que les membres de la commission fiscale, à laquelle je n'ai pas l'honneur d'appartenir, puissent rédiger un projet de loi à quinze, ensemble et à l'unisson. Ce n'est pas une manière sérieuse de travailler. Revenez soit avec un projet plus raisonnable eu égard aux principes exposés et conformes à notre ordre juridique, notamment à la législation fédérale, soit avec une motion sur ce problème de financement de prestations de la part des usagers qui en profitent sans être domiciliés dans notre canton.

C'est un problème réel, mais votre projet de loi ne le résoudra pas. D'autre part, compte tenu des rapports déposés, c'est faire un mauvais procès à la commission de prétendre qu'elle n'a pas travaillé et que ses membres ont manqué de réflexion.

M. Jean Spielmann (AdG), rapporteur de minorité. Monsieur Fontanet, nous ne pouvons intenter un mauvais procès à la commission en disant qu'elle n'a pas réfléchi ou étudié, puisqu'elle n'est même pas entrée en matière ! On ne peut donc nous reprocher ici de ne pas vouloir discuter d'un problème qui n'a pas été abordé.

Refuser d'entrer en matière lors d'une seule séance en commission, ce n'est pas faire preuve d'ouverture sur un problème dont chacun reconnaît l'importance.

On prétend que le problème est résolu juridiquement. Cependant, personne, ici, n'a argumenté sérieusement sur la solution d'une taxe d'usage comme celle prélevée dans d'autres cantons pour une prestation offerte. Il ne s'agit pas, en l'occurrence, d'un impôt. On peut donc parfaitement, sur le plan juridique, trouver la voie permettant la solution de ce problème.

Paradoxalement, le groupe écologiste n'a voté ni la motion, ni la proposition actuelle, prétextant que le financement des transports publics n'était pas seul concerné, mais que le transfert modal en milieu urbain et les difficultés de circulation des nombreux frontaliers vaudois et français l'étaient également. Je dis que ces problèmes pourraient être résolus par un transfert de charges. Si une taxe transports était acquittée, elle pourrait être compensée par un abonnement et l'offre d'une prestation en échange. Elle permettrait de favoriser le transfert modal de la voiture individuelle vers le transport collectif, ce qui améliorerait la qualité de l'environnement auquel je croyais les écologistes attachés. Voilà des problèmes qui nous semblaient dignes d'être résolus !

Aujourd'hui, on préconise la voie de la motion que l'on dit plus raisonnable et idoine pour régler le cas. Je rappelle à ce parlement qu'une motion a déjà été déposée, qu'elle a été examinée en commission des transports et qu'elle a fait l'objet d'un rapport de majorité. Ce Grand Conseil l'a votée, quasiment dans son ensemble, voilà bientôt deux ans, pour l'adresser au Conseil d'Etat. N'ayant pas reçu de réponse, nous avons opté pour un projet de loi, afin d'ouvrir une nouvelle piste.

C'est la raison pour laquelle je réitère ma demande d'examen en commission, car il serait intéressant de recevoir des rapports mieux étayés, et sur le plan juridique, et sur le plan des opportunités, que celui de M. Brunschwig et les quelques informations fournies en commission.

Nous n'avons pas reçu de réponse au sujet des taxes prélevées par d'autres cantons, que ce soit en contrepartie de l'élimination des déchets, ou de l'usage du domaine public, sans que les lieux d'origine et de domicile des personnes concernées entrent en ligne de compte.

D'autre part, je rappelle à M. Brunschwig que son propre groupe a proposé des modifications de la législation fiscale, au niveau fédéral, pour la suppression de l'impôt fédéral direct sans, bien sûr, mentionner la contrepartie à trouver pour couvrir les dépenses des collectivités publiques. C'est une question de fond, et si le peuple devait suivre les propositions du parti libéral, il faudrait bien trouver d'autres formes de prélèvement.

Mais présentement, je constate que l'on ne tient pas à argumenter et qu'il existe véritablement une volonté de ne pas entrer en matière et de trouver tous les prétextes dilatoires pour ne pas examiner des questions dont nous devrons nécessairement débattre. Je vous donne donc rendez-vous d'ici un an !

Une fois de plus, nous aurons été des précurseurs. Vous y viendrez et vous verrez que ce projet de loi entrera en vigueur dans ce canton. Il n'y a pas d'autre solution que celle de faire payer les prestations à ceux qui en profitent. A défaut, il sera impossible de les financer.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Lors du débat en préconsultation sur ce projet de loi, nous avions émis quelques doutes quant à son aspect juridique. Il nous semblait qu'il engendrait, dans les faits, une double imposition. Aujourd'hui, il apparaît que les experts confirment cette inquiétude. Il faut donc en prendre acte et, théoriquement, le débat devrait s'arrêter là. Toutefois, comme les problèmes soulevés sont bien réels, il semble judicieux de ne pas tourner simplement la page.

Concernant la question de la rétrocession fiscale du canton de Vaud. Ce chapitre est loin d'être clos et nous espérons entendre une fois notre Conseil d'Etat nous annoncer avoir trouvé une solution avec nos voisins vaudois, car nous ne pensons pas que le projet de loi résoudra le problème.

Ensuite, concernant le financement des transports publics et de la construction de parkings d'échange. Nous l'avons dit et redit dans cette enceinte : ces deux types d'aménagement sont prioritaires en tant qu'unique alternative valable pour inciter la population à un transfert modal. Il en va de la qualité de la vie à Genève et du respect des normes OPair. Il faudra impérativement dégager des moyens pour y parvenir.

Votée par ce Grand Conseil, il y a environ trois ans, la motion interpartis dont il a été fait mention dans ce débat demandait au Conseil d'Etat d'étudier la possibilité d'instaurer un versement transports, à l'image de ce qui se fait dans certains pays voisins. Ce principe consistait à prélever, à Genève, un pourcentage de 0,25% sur la masse salariale. Même si une telle taxe est à manier prudemment dans le contexte économique que nous connaissons aujourd'hui, elle constitue une piste intéressante. Et nous attendons maintenant du Conseil d'Etat qu'il réponde à ladite motion et qu'il revienne, devant ce Grand Conseil, avec des propositions.

Si, ce soir, nous rejetons ce projet de loi sous la forme proposée, nous affirmons, en revanche, que ce débat ne saurait être clos et nous attendons, pour le reprendre, la réponse du Conseil d'Etat.

M. Christian Grobet (AdG). Il est paradoxal que ceux qui, en d'autres circonstances, préconisent le recours aux taxes en lieu et place de l'impôt sur le revenu, combattent, ce soir, le principe d'une taxe telle celle proposée par ce projet de loi.

Il est vrai que ce projet présente un élément nouveau par rapport aux taxes que vous préconisez d'habitude sur les bancs de la droite, à savoir un prélèvement progressif, en fonction du revenu des personnes astreintes. Nous savons que vous êtes attachés à une taxe identique pour tout le monde, donc injuste sur le plan fiscal.

Aussi ne nous étonnons-nous pas que vous combattiez, aujourd'hui, une taxe progressive, alors même que son principe, comme Mme Reusse-Decrey l'a dit, a été admis par ce Grand Conseil dans le cadre de la motion votée, il y a un peu plus de deux ans, pour la taxe transports. Mais il est vrai que, dans ce Conseil, l'on n'est pas à une contradiction près ! Ceux qui, à l'époque, étaient pour une taxe transports calculée en fonction des revenus, la refusent aujourd'hui !

Nous voulons surtout contester la prétendue inconstitutionnalité d'une telle taxe. Nos opinions, bien sûr, peuvent diverger. Mme Reusse-Decrey parle d'experts que je ne connais pas, mais il est vrai, Madame, qu'en matière fiscale les experts, en général, appartiennent aux milieux des bancs d'en face, et que l'on ne cite pas souvent les autres. Nous savons où se situent les fiscalistes.

Mais en Suisse, le principe de la taxe existe. Il a été admis par le Tribunal fédéral. Dans le canton de Vaud, beaucoup de communes prélèvent, non pas une taxe déchets, mais une taxe voirie relativement importante, dont la constitutionnalité est absolument indiscutable.

Quant aux fonctionnaires internationaux, dont vous doutez, Monsieur Brunschwig, de la possibilité de les assujettir, j'ai lu récemment dans la presse un rapport présenté par la Confédération, plus précisément par la mission de Suisse auprès des organisations internationales : à la demande des communes vaudoises, la Confédération a admis que les fonctionnaires internationaux et les représentants des missions diplomatiques peuvent être assujettis à des taxes. M. Vodoz est certainement au courant. Ce rapport a été délivré à la demande d'un certain nombre de communes vaudoises.

Vous affirmez ce soir votre propre vérité, à savoir qu'il serait impossible d'assujettir à des taxes les fonctionnaires internationaux. C'est faux ! Vous affirmez qu'une taxe transports ne pourrait être décrétée, nous le contestons !

Demeure la question de savoir si une taxe peut être progressive ou pas. Cette question peut, effectivement, se poser. Nous pensons que le problème peut être résolu dans le sens que nous proposons. Par conséquent, vous ne pouvez pas affirmer, sans autre, que c'est impossible.

En réalité, vous refusez ce projet de loi pour des raisons purement politiques. De notre côté, nous avons dit que ce projet n'aurait pas été présenté s'il y avait eu rétrocession fiscale de la part du canton de Vaud, mais, puisqu'elle n'existe pas, il est parfaitement possible de prévoir d'autres mesures fiscales pour amener ceux qui bénéficient de l'infrastructure genevoise à contribuer aux frais qu'elle entraîne. C'est indiscutable.

Par voie de conséquence, nous ne pouvons que regretter que l'on ne veuille pas, ce soir, entrer en matière sur ce projet qui propose des solutions certainement recevables juridiquement. Il s'agit d'une opposition politique et je constate que c'est une politique des caisses vides ou plutôt des abattements fiscaux, comme ceux que vous avez consentis aux propriétaires, sur leur spéculation immobilière. C'est votre politique, ce n'est pas la nôtre !

M. Roger Beer (R). Comme cela a déjà été dit, le groupe radical a accueilli avec intérêt cette proposition qui démontrait que ses auteurs, issus des rangs de la gauche, se préoccupaient, pour une fois, de la difficile situation financière de l'Etat de Genève.

Vous vous rendez compte que l'argent manque et vous proposez des solutions. Malheureusement, ces solutions, comme démontré dans le rapport de notre collègue Brunschwig, ne sont pas réalistes. Pourtant, j'étais enclin à trouver de l'intérêt et de l'originalité à cette proposition, à la fois subtile et maligne, consistant à demander une contribution à des gens qui, n'ayant pas le droit de voter à Genève, ne pouvaient ni s'exprimer, ni participer aux décisions relatives à notre République.

Incontestablement, l'idée est bonne. Mais de l'idée à la réalisation, il est des règles de droit, que d'aucuns, ici, connaissent mieux que moi, et vous savez pertinemment que ce n'est pas dans le contexte du Grand Conseil, voire celui du Conseil d'Etat, que le problème pourra se régler.

Nous comprenons votre déception, votre façon de dire que ce n'est pas juridique, mais politique, etc. Toutefois, nous nous en tenons au rapport de M. Brunschwig fort bien documenté et qui justifie les raisons qui nous font dire que votre solution n'est pas applicable. Par conséquent, le groupe radical ne vous suivra pas et refuse d'entrer en matière.

M. Andreas Saurer (Ve). Je reviens très brièvement sur l'intervention de M. Spielmann.

Nous n'avons pas attendu M. Spielmann pour nous préoccuper des recettes fiscales et, plus particulièrement, des recettes des TPG, et savoir comment financer les parkings d'échange. Tout autant et depuis aussi longtemps que vous, nous nous préoccupons du développement des transports publics et de l'extension du réseau des TPG.

Votre projet de loi soulève un réel problème. Vous proposez l'introduction d'une taxe qui, il faut l'admettre, constitue une augmentation de la charge fiscale des gens qui travaillent à Genève sans y habiter, des gens qui s'acquittent des impôts soit en France, soit dans le canton de Vaud. Le problème qui se pose n'est pas celui d'augmenter leur charge fiscale, mais de savoir comment obtenir une meilleure rétrocession de ce qu'ils paient sur le lieu de leur domicile. Le problème est donc global et votre proposition d'astreindre à cette taxe uniquement ces personnes entraînera un effet secondaire que vous ne souhaitez certainement pas : des rejets antifrançais, antivaudois et anti-internationaux.

Cela dit, nous reconnaissons que votre projet de loi traite d'un problème réel. Nous regrettons que des discussions n'aient pas eu lieu en commission, raison pour laquelle nous soutenons votre proposition de renvoi en commission.

M. Michel Halpérin (L). Je ne serai pas long, parce que je voudrais simplement m'étonner ici de ce que M. Grobet fasse, avec tant de talent, semblant de ne pas comprendre le droit, lui qui est quand même un spécialiste reconnu, y compris en matière fiscale.

Je veux bien croire, Monsieur le député, que le commun de nos compatriotes puisse faire une confusion entre la taxe et l'impôt et ne pas comprendre, par exemple, que la TVA, bien qu'elle s'appelle taxe à la valeur ajoutée, soit en réalité un impôt. Mais vous, vous savez faire cette différence et vous savez pertinemment que la taxe n'existe qu'à partir du moment où elle représente le prix exact, sinon le prix proportionnel, d'une prestation de l'Etat.

Vous ne pouvez donc pas sérieusement faire semblant de croire ici, devant vos collègues du Grand Conseil, que l'impôt proposé est véritablement une taxe. Vous vous présentez comme plus incompétent que vous n'êtes, mais nous ne serons pas dupes (Applaudissements.)

M. Michel Ducret (R). Il y a une quinzaine d'année une association que j'ai l'honneur de présider aujourd'hui, la CITRAP, avait propagé une idée similaire dans différents milieux, lesquels s'étendaient des syndicats au Conseil d'Etat. A l'époque, nous nous étions déjà heurtés au même écueil.

Ce projet de loi pose le bon diagnostic d'un vrai problème, mais la solution préconisée n'est guère applicable en l'état. Pour autant qu'elle s'inscrive dans le cadre juridique fédéral, une telle taxe ne serait possible que dans une réciprocité pouvant lever l'hypothèque de la concurrence économique entre cantons, qui ferait que les conditions ne soient pas les mêmes à Lausanne et à Genève.

Cette motion pose aussi, indirectement, le problème d'une meilleure prise en compte des villes et de leurs problèmes économiques par la Confédération. Par "des villes", j'entends que les problèmes des transports en Suisse sont gérés, à l'exception de Genève, par les municipalités, et non par le canton.

En conséquence, notre groupe a invité le Grand Conseil à suivre la majorité de la commission. Par contre, il me semblerait judicieux d'inviter le Conseil d'Etat, à la lumière des propositions faites, des explications reçues, à explorer les différentes pistes susceptibles d'aboutir à une solution. Elles devraient être suivies par le Conseil d'Etat dans son action vis-à-vis de l'Etat fédéral et dans son dialogue avec notre voisin, l'Etat de Vaud.

M. Christian Ferrazino (AdG). Je réponds aux trois dernières interventions, car je ne puis laisser couler de telles larmes de crocodile dans ce parlement sans réagir. "On voudrait tous innover, il faudrait faire quelque chose, le problème est un vrai problème, mais la solution n'est pas la bonne". Monsieur Halpérin, vous parliez d'incompétence. Moi, je parle d'hypocrisie ! Je constate que certains en sont spécialistes, et vous en faites partie en essayant de faire croire, au moyen d'arguties juridiques, que la taxe est fixe par définition et que tout ce qui est progressif est un impôt.

Je vous rappelle, pour votre gouverne, que la taxe de séjour, elle, n'est pas fixe et qu'elle peut varier. Et il y en a une autre, Monsieur Brunschwig, que vous ne citez pas dans votre rapport, et qui est la taxe tourisme. Elle aussi varie et n'est pas fixe.

Alors, cessez de verser des larmes de crocodile, dites simplement que vous n'êtes pas prêts à trouver une solution, puisque même M. Saurer dit qu'on ne peut s'exposer à une réaction antifrançaise. C'est bien la preuve que personne n'a lu le projet de loi, car, si M. Saurer l'avait fait, il aurait constaté que les Français ne sont pas assujettis. Ces derniers travaillent à Genève, sont taxés à Genève et sachez, Monsieur Saurer, que nous rétrocédons 4% de la masse salariale, soit 80 millions, à la France.

Voilà le montant rétrocédé par Genève à la France ! Et ce que nous proposons est de faire en sorte que le canton de Vaud agisse de même envers nous, que nous envers la France.

Le contre-exemple que vous avez donné devrait illustrer la nécessité du projet de loi que nous avons présenté. Je vous remercie de l'avoir fait, bien que dans le mauvais sens ! Il faut en tirer la conclusion, à savoir que nous devons agir de la même manière, et c'est la solution que nous avons proposée ! Aucun de vous n'en a proposé d'autre et vous ne faites que verser des larmes de crocodile, sans fournir aucune solution. Voilà bien l'hypocrisie qui est de mise ce soir !

M. Jean Spielmann (AdG), rapporteur de minorité. Le débat démontre que la non-volonté d'entrer en matière et le refus de discuter de ce projet auront évité à certains d'exprimer des énormités dans ce parlement. En affirmant que nous voulons taxer les Français qui ne paient pas d'impôts à Genève prouve, à l'évidence, que non seulement l'on n'a pas lu le projet de loi, mais que l'on ne connaît ni le dossier, ni la manière dont nous avons travaillé.

Comme dit précédemment, notre proposition innove dans le mode de perception, lequel, sur le fond, est possible, puisque d'autres cantons prélèvent déjà des taxes en échange de prestations et qu'il est parfaitement possible de les doubler d'une réciprocité que d'aucuns réclamaient dans le cadre du projet de loi que nous ne pouvons pas modifier ici.

L'examen de nos propositions, en commission, aurait permis d'éviter que l'ignorance continue à régner et que votre volonté politique s'acharne à régler des comptes plutôt qu'à s'appliquer à l'examen de problèmes concrets.

Je réitère ici ma demande de renvoi en commission, ce qui vous donnera l'occasion d'argumenter avec plus de pertinence lors du prochain débat, puisque, comme je l'ai déjà dit, je vous fixe rendez-vous d'ici peu sur les deux objets.

M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat. Sur un tel sujet, le débat, bien sûr, n'est pas clos. Il pose le problème des rapports intercantonaux et ceux de nature financière, notamment fiscale, en ce qui concerne les diplomates exonérés à teneur des Conventions de Vienne.

Il nous faut continuer. C'est un travail difficile, de longue haleine et complexe, parce que touchant aux rapports entre les cantons.

Le projet de loi présenté est une mesure qui vise, effectivement, à imposer les pendulaires vaudois et les fonctionnaires internationaux au bénéfice d'immunités.

En commission, vous nous avez demandé ce qui était légitime, et nous vous avons donné notre opinion. Cette idée est contraire à votre point de vue, aux règles de double imposition intercantonale dégagées par le Tribunal fédéral, faisant l'objet de jurisprudences et ayant rang, dans ce domaine, de principes constitutionnels. D'autre part, elle se heurte au droit international suisse, partie intégrante du droit fédéral en ce qui concerne les fonctionnaires internationaux.

Concernant l'argumentation sur les taxes, notamment de nature communale et plus particulièrement vaudoise, un problème se pose par rapport aux taxes déchets et à l'assujettissement des diplomates dans le canton de Vaud.

Le problème se pose par rapport à l'imposition au lieu de domicile. Indépendamment de la problématique juridique taxe ou impôt - nous considérons, à teneur de la doctrine de la jurisprudence, qu'il s'agit d'un impôt - les taxes communales vaudoises sont prélevées au lieu de domicile des fonctionnaires internationaux, et non à leur lieu de travail.

Et c'est un double problème que celui, posé très objectivement, de taxer ou d'imposer sur le lieu de travail et non sur le lieu de domicile ceux qui, hormis les fonctionnaires internationaux, habitent à l'extérieur du canton. Cet aspect-là est extrêmement délicat et l'analyse qui en a été faite par les juristes de l'administration fiscale a confirmé, au niveau de la commission, que le projet, tel qu'il était prévu, n'était pas réalisable.

Où en sommes-nous avec les fonctionnaires internationaux et où en sommes-nous avec les Vaudois ?

Pour ce qui est des premiers, un groupe de stratégie a examiné l'ensemble des problèmes existant entre la Confédération et le canton de Genève d'une part, et les diplomates d'autre part. Les Vaudois, sous certains aspects, seront consultés pour examiner la problématique des rapports, gérés notamment par le droit international. Ce travail sera fait par la division des affaires étrangères et le Département fédéral des finances à Berne.

Nous attendons une prise de position tout à fait claire de l'autorité fédérale sur l'application des Conventions de Vienne par rapport à des taxes - je ne parle pas d'impôt - de type poubelle ou scolaire, dans les communes de domicile des fonctionnaires internationaux, pour savoir si elle sont compatibles avec les Conventions de Vienne et les règles protégeant les diplomates en raison de leur immunité. Je vous communiquerai cette prise de position en temps utile.

Nous avons demandé un rapport sur d'autres points, car des divergences existent entre les différents Etats, sur le plan international, concernant l'application des Conventions de Vienne. Certains Etats considèrent que ces conventions doivent être interprétées restrictivement - c'est le cas de la Suisse - et d'autres Etats, plus largement.

Dans le cadre du groupe de travail entre Berne, la Confédération et le canton de Genève, nous avons souhaité disposer d'une analyse complète de ce qui se passe dans les grandes capitales "internationales", telles que Vienne, New York, Paris, Madrid, pour qu'enfin le droit international public en matière d'immunité puisse être quelque peu harmonisé.

Nous nous sommes rendu compte de cette nécessité, lors de la difficile négociation avec l'OMC, les diplomates invoquant ce qui se passe à Vienne, ce qui est proposé à Bonn ou à New York, en regard d'une interprétation beaucoup plus restrictive sur le plan helvétique.

Il en va de même pour l'assujettissement des diplomates à nos juridictions, notamment à celles des Prud'hommes, où là encore des divergences existent.

Berne et la division juridique des affaires étrangères sont en train de préparer ces documents qui nous permettront d'y voir plus clair et de revenir, le cas échéant, sur certaines propositions. Sachez, par exemple, que des diplomates recourent actuellement contre la taxe sur l'eau dans le canton de Vaud, à leur lieu de domicile. A cet égard, nous attendons également certaines décisions.

J'ai régulièrement proposé aux Vaudois d'appliquer le système que nous avons avec la France ou celui qu'eux-mêmes ont avec la France, système calqué sur le système de droit international, c'est-à-dire une rétrocession, que ce soit par les Français ou que ce soit par Genève, dans les deux cas. Je trouvais tout à fait ridicule que nous ne parvenions pas, entre cantons frontaliers, sur la base d'une région qui forme quasiment un tout économique, à avoir des rapports de rétrocession. Afin de faciliter les choses, sans modifier nos lois cantonales respectives eu égard aux difficultés juridiques et politiques, j'ai proposé de mettre ensemble les produits de l'imposition au lieu de domicile des pendulaires vaudois et au lieu de travail des indépendants domiciliés dans le canton de Vaud, mais travaillant à Genève, puis de répartir le tout sur le plan politique.

J'ai fait chou blanc, si vous me passez cette expression, devant les autorités vaudoises, et des articles de presse ont commenté l'irritation provoquée par ma proposition.

A la suite de cela, et compte tenu des problèmes posés, un groupe de travail, sur notre insistance, s'est constitué entre quatre départements, ceux de l'économie publique et ceux des finances des deux cantons, afin de d'essayer de progresser dans deux directions. D'abord, dans l'analyse des flux financiers entre les cantons. Les Vaudois s'opposent farouchement à une rétrocession sous quelque forme que ce soit en disant que Genève reçoit bien davantage par le biais de ces flux que par celui d'une rétrocession. Par conséquent, une étude, pilotée par l'université, est en cours.

Le deuxième élément est - comme je vous l'ai dit il y a quelques mois - que les Vaudois sont d'accord sur le principe de trouver une quote-part de financement des infrastructures intéressant les deux régions. Bien entendu, ils ont pensé à l'aéroport, nous avons pensé à la partie que nous devons financer de la troisième ligne CFF et, le cas échéant, certaines infrastructures, notamment en matière de transports publics «TPG» qui aboutissent dans le canton de Vaud. Dans ce contexte, nous sommes en train d'examiner, avec le gouvernement vaudois, la possibilité d'obtenir de celui-ci des financements pour des projets concrets d'amélioration des infrastructures. Ce sera un premier pas.

Il est vrai que la situation financière dans laquelle les deux cantons se débattent - une situation sérieusement aggravée dans le canton de Vaud - renforce les résistances d'un certain côté par rapport à des rétrocessions, mais postule, et c'est ma conviction, qu'à terme nous serons obligés de nous entendre.

Le dernier problème est que les Vaudois n'ont évidemment pas qu'une frontière avec le canton de Genève. Ils en ont avec les cantons du Valais, de Neuchâtel, de Fribourg et même de Berne. Des régions autres que la région lémanique s'intéressent à nos travaux, et les Vaudois sont écartelés par rapport à des demandes éventuelles, même si elles ne sont pas de même importance, du Valais et surtout de la région de la Broye.

Si, pour nous, les problèmes, idéalement parlant, sont plus simples à concevoir, sous réserve des solutions juridiques, les Vaudois, eux, craignent qu'un accord avec Genève les obligent à passer, à terme, des accords du même type avec le canton de Fribourg, par exemple, voire avec d'autres cantons.

Ce problème est similaire à celui que j'ai rencontré par rapport à l'imposition de nos fonctionnaires respectifs. Je vous rappelle que j'avais énoncé l'idée qu'on pourrait commencer, par exception, à imposer ces derniers à leur lieu de travail et non pas à leur lieu de domicile. Certes, des jurisprudences prohibent cette manière de faire, mais nous aurions pu trouver un accord et une solution de nature politique qui n'auraient pas mis en cause nos lois fiscales respectives. Le nombre important de fonctionnaires genevois, domiciliés dans le canton de Vaud, par rapport à celui des Vaudois domiciliés à Genève, ou dans les cantons de Fribourg, de Neuchâtel ou du Valais, a rendu extrêmement difficile la concrétisation de cette idée émise dans le cadre d'un éventuel concordat intercantonal.

C'est, en résumé, les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Au niveau du gouvernement, il est vrai que nous n'avons pas encore pu répondre à la motion à laquelle il a été fait allusion, faute d'avoir trouvé des solutions avec nos partenaires.

Sans m'aventurer trop, je pense que le premier pas devrait se faire en direction de la proposition vaudoise de financement de nos infrastructures collectives. Nous sommes en train de travailler sur les critères correspondants et espérons que, le printemps prochain, nous pourrons revenir avec des informations plus importantes. A ce moment, nous disposerons du rapport de la Confédération concernant les fonctionnaires internationaux et les diplomates, et, sans doute, de l'étude de l'université des flux financiers et, par conséquent, des propositions de financement.

Je vous rappelle que, dans cette perspective, nous avions demandé que soient représentées les autorités vaudoises et les autorités françaises au conseil d'administration de l'aéroport, parce qu'à terme il faudra travailler régionalement, y compris avec la France, pour financer nos infrastructures, notamment celles des transports, mais également celles des déchets ou de tout autre service indispensable à notre vie collective.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer ce rapport en commission est rejetée.

Mis aux voix, ce projet est rejeté en premier débat.

7. Proposition de motion de Mme et MM. Fabienne Bugnon, Luc Gilly et Dominique Hausser visant à annuler l'autorisation d'un défilé militaire à Genève. ( )

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- la demande du colonel Duchosal de faire défiler des troupes militaires dans les rues de Genève;

- l'autorisation accordée par le Conseil d'Etat au colonel Duchosal;

- l'opposition à l'armée manifestée par la population genevoise (voir résultats des initiatives «Pour une Suisse sans armée et une politique globale de paix», «Pour une Suisse sans F/A-18», «40 places d'armes, ça suffit !» et les différentes votations sur les exportations d'armes et le service civil);

- que Genève est une ville de Paix, qui abrite de nombreuses organisations internationales, dont l'ONU qui fête cette année son cinquantième anniversaire;

- que c'est à Genève que de nombreux conflits mondiaux sont discutés, voire résolus;

- qu'une grande partie du monde est en proie à des conflits armés,

invite le Conseil d'Etat

- à retirer l'autorisation de défiler qu'il a accordée au colonel Duchosal;

- à réaffirmer, de cette manière, le rôle de médiateur pacifique de la Genève internationale.

EXPOSÉ DES MOTIFS

En autorisant le colonel Duchosal à faire défiler ses troupes militaires armées dans les rues de Genève, le conseiller d'Etat Gérard Ramseyer provoque les pacifistes et les antimilitaristes, fort nombreux à Genève.

Le plus étonnant réside dans le fait que cette autorisation a été ratifiée par l'ensemble du Conseil d'Etat, en juin 1995.

Nous pensons qu'il a agi de manière irréfléchie, en ne mesurant pas pleinement les conséquences d'une telle décision.

Au moment où de plus en plus de conflits armés éclatent dans le monde - et l'Europe n'est pas épargnée - un défilé militaire dans un pays qui se dit neutre et dans une ville qui abrite l'ONU est une dangereuse provocation. Cette organisation fête justement cette année son cinquantième anniversaire et toutes les manifestations (discours, cérémonies, expositions, arbre de la paix, concerts...) marquant l'événement sont axées sur la paix.

Il ne nous appartient pas de juger, dans le cadre de cette motion, l'efficacité ou l'utilité de l'armée suisse. Cela fait l'objet d'un autre débat.

Le conseiller d'Etat Gérard Ramseyer, pour justifier sa décision, énumère le nombre de défilés qu'il a autorisés.

Comparaison n'est pas raison !

La plupart des manifestations de rues sont là pour dénoncer des injustices ici et ailleurs. La manifestation représente le moyen le plus populaire de faire entendre et connaître un certain nombre de revendications, émanant le plus souvent de minorités.

Le défilé militaire, lui, s'apparente à de la propagande, ce qui n'a manifestement rien à voir. Comment peut-on comparer une manifestation, où les gens viennent librement, à un défilé d'où le citoyen-soldat ne peut se soustraire sous peine de représailles.

Enfin, nous estimons également qu'au moment où une majorité des autorités fédérales vient d'invalider l'initiative «pour moins de dépenses militaires et plus de politique de Paix», privant ainsi les citoyens de s'exprimer sur les moyens affectés aux dépenses militaires, l'idée même d'exhiber la concrétisation de ces dépenses est totalement déplacée.

Rappelons à cet égard la position de notre Grand Conseil de désapprouver l'invalidation de cette initiative.

Pour toutes ces raisons, nous demandons au Conseil d'Etat d'éviter cette provocation qui amènera forcément des affrontements inutiles, en retirant l'autorisation de défiler qu'il a accordée au colonel J.-F. Duchosal, quelle que soit la date choisie.

Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un bon accueil à notre motion.

Débat

La présidente. Nous avons reçu une lettre concernant cet objet. Je prie notre secrétaire de bien vouloir en donner lecture.

+ lettre : Résolution GSSA

La présidente. (S'adressant à des députés qui contestent.) M. le président du Conseil d'Etat avait levé la main en premier ! Je pense qu'il a une déclaration à faire. (Remarques.)

M 1013
7. Proposition de motion de Mme et MM. Fabienne Bugnon, Luc Gilly et Dominique Hausser visant à annuler l'autorisation d'un défilé militaire à Genève. ( )M1013

M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat. Réglez d'abord vos problèmes !

La présidente. S'il vous plaît ! Cette demande de parole est confirmée par notre seconde vice-présidente, et j'espère que vous ne mettez pas sa parole en doute !

M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais, au nom du Conseil d'Etat, et très brièvement - vous pourrez donc en débattre très largement après - faire la déclaration suivante :

Tout d'abord, dans son rapport sur la politique de sécurité, le Conseil fédéral, en 1990, a clairement formulé la mission de l'armée dans notre pays et cette mission est triple : prévenir la guerre en maintenant l'aptitude à la défense, participer à la promotion de la paix et à l'aide en cas de catastrophe, et, troisièmement, contribuer à préserver les conditions générales de survie. C'est dans cet esprit que la réforme de l'armée 1995 a été réalisée, et vous savez qu'elle est mise en oeuvre aujourd'hui.

Dans ce cadre, le régiment d'infanterie genevois 3 a une mission bien particulière : assurer la protection de notre aéroport et celle des organisations internationales de manière à pouvoir garantir, en tout temps, la possibilité pour ces dernières d'assurer leur bon fonctionnement et, notamment, celui du siège européen des Nations Unies.

C'est d'ailleurs pourquoi, dans les années récentes, l'armée a largement contribué à la mise en place d'éléments de sécurité : en 1983, pour la conférence sur la question de la Palestine, en 1985 - on s'en souvient tous - pour la rencontre Reagan/Gorbatchev, en 1988, lorsque l'Assemblée générale des Nations Unies s'est réunie à Genève et, enfin, l'an dernier, pour la rencontre Clinton/Assad. C'est donc bien la présence des organisations internationales à Genève qui nécessite de prendre des mesures bien particulières. Le régiment genevois 3 est composé exclusivement de citoyens soldats genevois, faisant leur service exclusivement sur le territoire de notre canton, sous réserve de cours techniques qu'ils ne peuvent suivre que dans d'autres places d'armes à l'occasion de cours de répétition.

Par conséquent, lorsque le Conseil d'Etat a été sollicité pour prendre une décision d'autorisation d'un défilé du régiment 3, à la fin de son cours de répétition, dans le courant du mois de novembre prochain, il a considéré qu'il n'y avait aucune raison pour que cette composante de nos institutions que constitue l'armée et plus particulièrement, en l'occurrence, ce régiment genevois, composé de citoyens soldats genevois faisant leur cours de répétition et affectés à une mission exclusivement genevoise, ne puisse pas défiler.

J'aimerais attirer votre attention, à cet effet, sur le fait que ce défilé, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit, aura lieu dans le cadre du cours de répétition. Il ne s'agit nullement d'une provocation, mais nous ne voyons pas pourquoi le citoyen soldat devrait être considéré comme une personne qu'il faudrait cacher. Nous avons une armée de milice - Jean Jaurès disait que c'était la meilleure armée et la seule possible - composée de citoyens soldats réalisant et exécutant leurs obligations militaires, conformément à la Constitution fédérale.

Mesdames et Messieurs, enfin, le Conseil d'Etat considère que la tolérance n'est pas à géométrie variable. Aujourd'hui, ce canton autorise à peu près toutes les semaines des manifestations de groupements de toutes natures et un certain nombre de droits sont défendus devant les Nations Unies, dans les rues de Genève, sur toute une série de problèmes, sur la base d'une jurisprudence constante. Cela permet à ces groupements de manifester dans des conditions bien définies. Je ne vois donc pas pourquoi le régiment genevois 3 n'aurait pas, lui aussi, le droit de défiler sur le territoire de Genève, dans des conditions qui respectent parfaitement les problèmes liés à la sécurité. Il ne s'agit donc - je le répète - d'aucune provocation de notre part !

C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat vous demande de rejeter cette motion. (Applaudissements.)

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je vois, Madame la présidente, que nous inaugurons une nouvelle procédure. Le Conseil d'Etat démolit les arguments des motionnaires avant même qu'ils n'aient eu le temps de les présenter. Je trouve cela assez curieux ! (Vacarme.) Mais vous pouvez aller à la buvette ! Je ne vous oblige pas à rester !

Une voix. Ils sont déjà démolis !

La présidente. Monsieur Ducret ! Mme la députée Bugnon a raison sur le plan de la procédure. J'ai pris sur moi d'accorder la parole au président du Conseil d'Etat, parce que celui-ci a été capable d'apporter des précisions et d'apaiser le débat dans le cadre de débats très délicats. A certains moments, vous m'avez même reproché de ne pas lui avoir donné la parole. Je demande alors un peu de cohérence de votre part.

Cela étant, Madame la députée, vous avez la parole. Pour le bon déroulement de nos débats, je vous prie d'arrêter d'applaudir à la suite des interventions. (Contestation et brouhaha.)

Mme Fabienne Bugnon. Je ne me suis pas opposée, Madame la présidente, à ce que le conseiller d'Etat prenne la parole, mais j'ai trouvé surprenant qu'il la prenne avant les députés. Je sais que M. Vodoz a effectivement concilié plusieurs fois des débats un peu houleux, mais ce n'était pas encore le cas : le débat n'était pas houleux, puisqu'il n'avait pas commencé ! En ce qui me concerne, j'essaye de respecter la règle stipulant que les députés ne doivent pas intervenir après le Conseil d'Etat, c'est pourquoi je me suis permis de faire cette réflexion !

Vous m'autorisez quand même à présenter la motion ?

La présidente. Tout à fait, Madame !

Mme Fabienne Bugnon. (Chahut.) Quel enthousiasme !

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je crois que cette motion a suffisamment fait parler d'elle, notamment à travers la presse, pour qu'il ne se justifie pas que je vous ennuie avec un long développement. (Exclamations.)

J'aimerais néanmoins insister sur quelques points précis :

1) Sur l'assimilation que font volontiers M. Ramseyer et M. Vodoz entre une manifestation et un défilé. Je sais que vous accordez, effectivement, durant l'année un grand nombre d'autorisations de manifester - puisque je participe à bon nombre de ces manifestations - restant ainsi dans la ligne de votre prédécesseur, mais je sais également que vous en interdisez quelques-unes, puisque je me suis retrouvée l'année dernière sur le banc des témoins-accusés, ayant cautionné une manifestation que vous n'aviez pas autorisée. Bref, ce n'est pas l'objet de ce soir, mais la comparaison me semble tout de même sans fondement, car jamais personne n'est obligé de participer à une manifestation, alors que les citoyens soldats, même si la date tombe sur leurs cours de répétition, seront contraints de participer à ce défilé, sous peine, certainement, de représailles.

2) Le moment choisi me semble alimenter une provocation inutile. Vous dites, Monsieur Vodoz, que ce n'est pas le cas; moi, je trouve que si ! Comme vous le savez, pour d'obscures raisons procédurières, le Parlement fédéral a invalidé, au mois de juin 1995, l'initiative du parti socialiste "Pour moins de dépenses militaires et plus de politique de paix". Cette initiative avait pour but de diminuer le budget alloué à l'armée, mais elle avait également le mérite et l'intérêt de faire connaître à la population quel montant la Confédération - notre fameuse Confédération qui ne sait plus où donner de la tête pour sortir des chiffres rouges ! - consacrait aux dépenses militaires.

Cette initiative ayant été invalidée, elle ne passera donc pas devant le peuple et elle ne permettra pas à la population d'obtenir cette information ni d'exprimer son avis au sujet de ces dépenses. Elle aurait peut-être préféré que ces montants soient utilisés pour d'autres priorités. Et vous choisissez ce moment-là pour exhiber la concrétisation de ces dépenses ! Si cela ne vous semble pas être de la provocation, que vous faut-il ? Pour nous, non seulement cela semble particulièrement déplacé mais indéniablement fort coûteux !

3) Le lieu choisi. Vous avez parlé de Genève en tant que ville des Nations Unies. Moi, je parlerai aussi d'une autre vision de Genève. C'est une ville où se déroulent de très nombreuses manifestations en faveur des droits de l'homme. Elle abrite les organisations internationales et les conflits qui mettent le monde à feu et à sang y sont discutés et parfois même résolus. C'est également une ville - il ne faut pas l'oublier - où l'opposition à l'armée a été le plus souvent manifestée lors des votations fédérales.

Enfin, et j'en terminerai par là...

Une voix. Ouf !

Mme Fabienne Bugnon. Oh, ce n'était tout de même pas très long !

Je suis certainement, comme un grand nombre d'entre vous, voire tous dans ce parlement, révoltée par ces images permanentes de guerre dont les médias nous abreuvent. Des conflits armés sévissent dans toutes les régions du monde et le but de cette motion - je vous le rappelle, puisque cela n'a pas l'air d'être tout à fait clair - n'est pas de remettre en cause le système de défense de la Suisse, mais il faut admettre - et vous devez l'admettre, puisque vous devez aussi admettre les minorités - que certains soient choqués et se sentent agressés en voyant un défilé militaire.

Nous demandons donc au Conseil d'Etat qu'il réfléchisse - même si ce n'est plus la peine apparemment... - à l'utilité d'une telle provocation à l'égard des pacifistes, ainsi qu'à l'égard des étrangers qui ont fui les conflits armés pour tenter de trouver un peu de sérénité dans notre pays. Nous vous demandons donc d'annuler ce défilé et d'attribuer les dépenses financières qui lui étaient liées à d'autres priorités, car notre canton en a sérieusement besoin !

M. Dominique Hausser (S). Mesdames et Messieurs les députés, l'armée est avant tout une école de violence, contrairement à ce que disait M. Vodoz tout à l'heure ! (Commentaires.)

«Je ferai aimer l'armée à la population genevoise !», affirme péremptoirement le colonel Duchosal. Je me demande ce qui le pousse à tenir de tels propos. Reflètent-ils véritablement ses pensées ? Est-il piloté ? A-t-il d'autres idées ? Il paraît évident que cette manoeuvre vise à venger l'armée de l'atteinte subie le 26 novembre 1989. (Rires.) On veut ainsi faire une démonstration de force contre des citoyens qui n'adhèrent pas à la logique poussiéreuse de l'armée !

Pour le colonel Duchosal, et ses patrons, occuper la ville de Genève pendant une semaine aurait pu ramener les habitants à la raison, croyaient-ils ! C'était sans compter sur les réactions vigoureuses de bon nombre de citoyens de cette cité. Aujourd'hui, il paraît que le même colonel - et ses patrons - se contenterait d'un défilé ! Quelle belle victoire ! A ma connaissance, la dernière présence militaire de cette envergure dans les rues de Genève date du 4 décembre 1977.

Une voix. T'étais pas encore né, à cette époque !

M. Dominique Hausser. J'étais tellement né que je m'en rappelle très bien ! Je vous raconterai des petites histoires à ce sujet, mais je poursuis :

Non seulement le colonel Duchosal devait obtenir l'autorisation de ses supérieurs au DMF pour occuper la ville mais celle des autorités cantonales. Et là - très heureux hasard - le colonel Ramseyer a été, avant d'être conseiller d'Etat, le subordonné du colonel Duchosal. (Rires.) Attendez, je n'ai pas fini ! Il est aujourd'hui le chef...

La présidente. Monsieur Hausser, je suis navrée de vous interrompre ! Attendons que le calme revienne ! Monsieur Dupraz, je vous en prie ! Vous êtes un mal élevé, Monsieur Dupraz ! (Rires, applaudissements et quolibets.)

M. John Dupraz. Excusez-moi, Madame la présidente, je suis prêt !

Une voix. Tu "bouffes" de l'institutionnel !

M. Dominique Hausser. Non, non, non; je "bouffe" du Conseil d'Etat ! Euh, pardon ! Je disais donc qu'aujourd'hui le conseiller d'Etat est le chef du policier Duchosal... (Exclamations.) Nous voyons donc bien qu'un lien réel existe entre justice, police et militaire; pourtant ces domaines devraient être séparés.

D'autre part, le discours de M. Vodoz indique bien que le Conseil d'Etat est intéressé par cette démonstration de force pour montrer aux citoyens opposés à leur politique néoconservatrice... (Rires.) ...que l'armée est là pour la défendre. (Rires.) Madame la présidente ! (Chahut.) Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, cette attitude du Conseil d'Etat est également un soutien aux fabricants et aux exportateurs d'armes et de matériel à usage militaire. (Manifestation.)

En effet, une armée intérieure forte serait une caution de qualité - ce sont les militaires qui le disent - et encouragerait ainsi les armées étrangères à se fournir en Suisse. En poursuivant cette logique, on peut donc affirmer que cela soutient et encourage les multiples conflits planétaires : Bosnie, Yougoslavie, Rwanda, Burundi, etc. Cette attitude est en contradiction avec l'esprit de paix de Genève. Ces conflits provoquent, bien entendu, des déplacements de population et on entend, de surcroît, des morceaux d'anthologie du style : «La barque est pleine», «Il y a trop d'étrangers» et patati et patata... Pourtant, nous savons fort bien, grâce à ma démonstration, que l'armée participe à ces mouvements.

L'inégalisation croissante des richesses est également provoquée par les commandes délirantes de nos états-majors, dépenses excessives pour essayer de montrer que l'armée est efficace. Cela génère des troubles sociaux programmés. On sait ainsi que lorsque tout va mal à l'intérieur du pays, l'armée prétend intervenir pour rétablir l'ordre, alors qu'elle a provoqué le désordre.

En résumé, le soutien à l'armée est un soutien aux conflits extérieurs à notre pays. Cela génère des troubles intérieurs, ce qui amène l'armée à intervenir et, par conséquent, à semer encore davantage le trouble.

Deux solutions se présentent : soit on fait une bonne guerre contre un ennemi extérieur, et ce sont les autres qui risquent de nous créer des problèmes, soit, beaucoup plus efficacement, on supprime l'armée et, dans l'immédiat, on l'empêche d'envahir la ville en votant cette motion.

Permettez-moi, en conclusion, de citer un admirable proverbe ukrainien que je garde dans ma besace depuis de nombreuses années : «Quand le drapeau est levé, l'intelligence est dans la trompette !». (Rires.)

M. Luc Gilly (AdG). (Exclamations.) Comme d'habitude, les affaires militaires vous passionnent !

Je voudrais poser deux questions à M. Vodoz.

1) Pourquoi, tout d'un coup, il semble si nécessaire d'organiser ce défilé militaire ? Si j'ai bonne mémoire, M. Duchosal - dont je salue d'ailleurs la patience et la présence - a attendu plus de six mois pour avoir une réponse et, ce soir, on décide, sans autres, d'autoriser ce défilé.

2) Monsieur Vodoz, nous avons mentionné intentionnellement dans notre motion qu'il ne nous appartenait pas de juger, dans le cadre de cette motion, de l'efficacité ou de l'utilité de l'armée suisse; c'est l'objet d'un autre débat. Nous parlons ici du défilé militaire. De toute façon, vous savez très bien qu'un groupe terroriste bien organisé peut tout faire "péter", avec ou sans armée ! Il n'y a qu'à regarder chez nos voisins français pour s'en convaincre, ou lire «Le Matin» de dimanche dernier. M. Troyon y raconte que les pistolets 9 mm portent tous le même numéro : «Avis aux amateurs, j'ai toujours mon côté terroriste !». Certains sont emmenés à Bel-Air pour moins que ça !

Ce soir, sans m'énerver, je voudrais rappeler que nous traiterons peut-être encore aujourd'hui, voire demain, une résolution demandant au gouvernement genevois de s'engager sur la conférence de Vienne, par l'entremise de Berne, au sujet de l'interdiction d'exportation et de construction des mines. Nous devrons nous prononcer, ce soir ou demain, dans ce même parlement, sur la possibilité de construire un Institut de recherche sur la paix à Genève - vieux serpent de mer... Nous devrons également parler d'un projet de loi du Conseil d'Etat demandant un demi-million pour aider la Croix-Rouge dans ses oeuvres humanitaires en ex-Yougoslavie. Enfin, nous devrons discuter d'une sculpture de paix à placer devant le Palais des Nations.

Ce sont donc quatre ou cinq sujets qui engagent notre parlement sur le chemin de la paix. Or, le défilé militaire que vous proposez d'autoriser, Monsieur Vodoz et Madame et Messieurs du Conseil d'Etat, est tout à fait contradictoire !

J'ai déjà débattu dans mon interpellation du mois de juin de ce sujet. Ce soir j'aimerais juste rappeler que la population genevoise s'est prononcée à plusieurs reprises, lors de votes populaires, contre l'armée et pour le pacifisme. Je crois qu'il faut approfondir le débat dans ce sens. Le vote contre l'armée n'est pas forcément négatif pour vous, Mesdames et Messieurs assis sur les bancs d'en face. Le vote contre l'armée de la population genevoise exprime aussi la simple volonté de faire triompher le pacifisme et plus de justice sociale. Or, la présentation de militaires, qu'ils proviennent du bataillon genevois ou du bataillon suisse - point n'est là la question, Monsieur Vodoz - n'est pas ce que Genève a de mieux à offrir à ses citoyens !

Je me réserve d'intervenir plus tard.

M. Armand Lombard (L). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, on a souvent constaté que ce Grand Conseil était un raccourci de la vie politique genevoise, le lieu où les idées sont finalisées dans le but d'empaqueter et d'envoyer un concept pour réflexion, à la presse ou à la population.

Nous jouons ici une superbe "commedia dell'arte", où chacun a un rôle. Monsieur Gilly, vous auriez - il est vrai - déçu vos électeurs et, je dois le reconnaître, vos détracteurs dont je suis - si vous n'aviez pas poussé de la forêt militaire ce brame mâle qui est votre marque de fabrique ! (Rires.) Vous voilà flanqué, pour cette scénette cocasse, de notre égérie fédérale et d'un Sancho Pança à l'urticaire inflammable... (Rires.) ...sollicitant ce Grand Conseil d'interdire un défilé des soldats de Genève !

Dites donc, Monsieur Gilly, pour la réflexion et les mobiles, vous ne donnez pas dans la dentelle, ce soir ! Vous voulez vos "manifs" à vous, mais pas les nôtres, hein ! Je vous sais l'ami des porteurs de pancartes, des peintres de banderoles et des scripts de slogans ! Je vous sais l'ami des défilés du samedi, des saucisses grillées à la veillée sur les places publiques, le compagnon de route des processions rituelles sur le pont du Mont-Blanc, en vous gaussant de faire "bouchonner" la circulation, ou, encore mieux, à la Corraterie en vous gaussant d'"ennuyer" la grande finance - quand je dis d'ennuyer... (Rires.) Mon cher neveu me fait des récits enthousiasmés et fournis de ces rencontres.

Chacun doit pouvoir s'exprimer, et après tout je trouve que c'est bien que cela se traduise par un défilé.

Une voix. Je ne vois pas le rapport !

M. Armand Lombard. Messieurs les motionnaires, si vous ne voyez pas le rapport, je vais vous l'expliquer !

Alors, laissez l'armée s'exprimer aussi ! Laissez une institution qu'aucun vote fédéral, malgré vos interprétations, n'a mise en question, montrer ce qu'elle fait et montrer son intention par sa présence ! Il en va de cette transparence si chère à chacun d'entre nous; il en va du bon fonctionnement de nos institutions de pouvoir s'exprimer et, si on y arrive, d'écouter ! C'est une des exigences de notre système que d'écouter et de tolérer la différence même s'il s'agit de défilés ! C'est l'immense privilège de notre pays que de pouvoir disposer d'un droit à l'expression, même s'il s'agit d'un défilé militaire !

Vous dites encore, Mesdames et Messieurs les motionnaires, dans votre piètre argumentaire, que ce défilé doit être interdit...

La présidente. On vous entend mal, Monsieur Lombard !

M. Armand Lombard. Si on m'entend mal, je vais pouvoir y aller un peu plus fort, Madame la présidente !

La présidente. Mais je vous en prie !

M. Armand Lombard. Vous dites qu'une bonne partie du monde est en proie à des conflits armés. Eh bien, daignez considérer, Mesdames et Messieurs les motionnaires, que le peuple suisse dans sa majorité - il est vrai sans notre égérie fédérale et sans notre Sancho Pança local - veut se protéger des conflits armés par une défense solide, par une armée organisée et fière de l'être, par un système de défense réfléchi à l'avance et évalué avec constance. Laissez cette majorité préférer prévenir une explosion, malheureusement possible, de l'imbroglio bosniaque et laissez l'armée montrer l'état de sa préparation militaire, périodiquement, à sa population !

Les Genevois ont un régiment qui défend principalement ces organisations internationales dont vous souhaitez qu'elles fonctionnent dans des temps de conflits pour maintenir la paix. Cessez donc vos lamentations et faites front, Monsieur Gilly, comme un citoyen soldat, même si vous vous êtes dispensé de ce service vous-même !

Votre brame est altéré - comme dit le psalmiste - et votre motion est irréfléchie ! C'est pourquoi nous nous opposerons avec force à votre demande. Personne, d'ailleurs, ne vous demande d'aller voir votre régiment défiler !

M. Pierre Vanek (AdG). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je pourrais entrer dans la polémique et utiliser également des métaphores animalières, comme nous les sert M. Lombard, en évoquant ses propres barrissements, mais cela ne me semble pas très intéressant, pas plus, d'ailleurs, que ses ricanements ! Ce sujet est sérieux et mérite une discussion sérieuse aussi.

Contrairement à quelques-uns de mes préopinants, je suis assez content que M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat, se soit exprimé en début de discussion. Cela permet de nous exprimer sur les choses qu'il a dites.

Première remarque. Il a essayé de nous "vendre" ce défilé, notamment le régiment d'infanterie 3...

Une voix. C'est gratuit !

M. Pierre Vanek. Mais non, au contraire, c'est payant ! C'est même assez cher ! Mais je reviendrai sur cet aspect des choses, tout à l'heure ! Ne bousculez pas l'ordonnance de mon discours, s'il vous plaît ! (Rires et exclamations.)

M. Vodoz nous a "servi sur un plat" que les militaires en question étaient des Genevois résidant à Genève, dont le rôle est de protéger les organisations internationales, l'aéroport, etc., en nous réitérant l'importance que cela avait pour Genève. Il a tenté de nous "vendre" ce régiment comme ne faisant en fait, à la limite, pas vraiment partie de l'armée suisse, comme quelque chose de tout à fait à part, en évoquant des opérations qui sont essentiellement des activités de police. Je ne crois pas qu'il soit sain que l'armée effectue un travail qui relève de la compétence de la police. Les militaires n'ont pas la formation adéquate, car le travail n'est pas le même. Bref, c'est un problème.

Deuxième remarque. M. Vodoz a mis l'accent sur le fait que ce régiment est constitué de citoyens-soldats. C'est vrai qu'une armée constituée de citoyens-soldats est parallèlement la meilleure que l'on puisse avoir.

M. Vodoz a cité Jaurès à ce propos. Il est évident que c'est mieux que d'avoir une armée constituée de mercenaires, mais c'est bien surtout parce que, le cas échéant, c'est le terme "citoyen" qui peut primer sur celui de "soldat". Pour en revenir à Jaurès, cité par M. Vodoz, il a chanté un certain nombre de fois "l'Internationale", dont les paroles incitent à «mettre crosse en l'air», à «rompre les rangs» et, s'il le faut, à «fusiller ses propres généraux» ! C'est précisément pour cela qu'il est préférable d'avoir des citoyens-soldats, parce que, le cas échéant, ils peuvent ne pas obéir à la discipline militaire.

Dans cette affaire, je voudrais que le terme «citoyen» prime sur celui de «soldat» et que les citoyens-soldats qui seraient appelés à défiler puissent s'exprimer en toute liberté et, en conséquence, ne défiler que s'ils en ont envie. Car, tout de même, nous devons être libres, comme vous l'avez dit, de participer ou non à une manifestation !

M. Ramseyer, en répondant à une interpellation de mon collègue Gilly, lors d'une séance avant les vacances, disait qu'il s'agissait d'une manifestation et que dans une vraie démocratie «...les droits doivent être les mêmes pour tout le monde». Fort bien, mais alors que l'on déclare que les militaires ne recevront pas l'ordre de défiler et qu'ils sont libres de le faire ou non ! A cette condition, je me déclarerai favorable à l'autorisation de ce défilé.

Or, il n'en est rien ! A l'évidence, il s'agit d'un défilé commandé et d'une opération politique dont l'esprit est bien éloigné de celui qu'a essayé de nous "vendre" M. Olivier Vodoz, en évoquant les organisations internationales et leurs buts élevés !

Mon collègue Luc Gilly a parlé des déclarations extrêmement inquiétantes du major Troyon parues dans «Le Matin». Je ne vais pas citer tout l'article, mais il mérite une lecture attentive. En résumé :

D'abord, il présente cette opération comme étant effectuée avec sa bénédiction, le colonel Duchosal étant présenté comme son fils spirituel ! C'est dans cette filiation que se situe cette volonté de défiler.

Par ailleurs, M. Troyon s'annonce, dans le premier paragraphe, comme étant un peu terroriste. Dans le même paragraphe, il indique qu'il vient d'acheter des armes de poing. Messieurs de la droite vous apprécierez, il reproche ensuite aux Genevoises et au Genevois leur gauchisme, cela y compris à l'adresse de ceux qui vous ont élus ! Il se prononce tout à fait clairement contre la démocratie telle que nous la connaissons et propose une dictature de sept ans des milieux patronaux qui nommeraient directement les députés et il enrobe tout ça par une conclusion laissant entendre que si le défilé est interdit il faudra qu'il trouve quelque chose qui explose ! Cet état d'esprit, ces déclarations, sont parfaitement séditieux et condamnables !

Pour ce qui est du fond, je suis presque triste de devoir dire qu'il faut interdire ce défilé militaire, en effet, de toute façon, une opération de ce type est vouée à l'échec, du point de vue des relations publiques de l'armée. L'argent des contribuables est bien mal employé, et, si la population s'en rendait compte elle aurait une plus grande conscience antimilitariste et sociale dans cette république. Je le répète, je suis contre ce défilé... (Exclamations.)

L'armée nous coûte - cela figurait dans le Téléjournal en début de semaine - globalement 13 milliards par an ! (Contestation.) Ce sont des chiffres qui proviennent d'un livre publié par le «Journal de Genève» et dont la lecture est fort intéressante. 13 milliards par an au moment même où l'âge de la retraite des femmes est élevé ! A combien pourrait-on l'abaisser, pour toutes et tous, si ces 13 milliards étaient utilisés dans ce domaine ? A un moment, également, où on s'en prend aux chômeurs, avec la nouvelle loi sur le chômage. Combien de postes de travail pourrait-on créer, combien de chômeurs pourrait-on indemniser dans des conditions plus décentes avec ces 13 milliards par an ?

C'est vrai, comme disait un député sur les bancs d'en face, qu'il faudrait supprimer l'armée, c'est vrai aussi, comme l'a dit mon collègue Luc Gilly, que cela n'est pas le propos de ce soir.

Je termine enfin au sujet de la manifestation. MM. Lombard, Ramseyer et Vodoz ont fait une analogie fallacieuse. Soyons clairs : si vous voulez que cette manifestation ait lieu, il faut qu'elle soit à bien plaire, sinon cela n'en est pas une ! Vous n'avez pas le droit, en toute logique, d'assimiler des manifestations populaires à un tel défilé ! C'est de l'escroquerie intellectuelle ! C'est comme cela que cela s'appelle ! C'est particulièrement injurieux, pour ceux qui organisent - et j'en suis - des manifestations où il y a parfois beaucoup de participants, comme il y a deux semaines environ. (L'orateur est interpellé par M. Ducommun.)

Monsieur Ducommun, si vous voulez prendre la parole, faites-le ! Vous répondrez tout à l'heure ! C'est comme cela que l'on procède au parlement ! (L'orateur est interpellé par M. Dupraz.) Je me proposerai, précisément, de vous donner une leçon de démocratie, Monsieur Dupraz ! Je vois que l'élève du premier rang à gauche a compris quelques éléments de la leçon !

Lorsque nous manifestons, au sujet de Malville par exemple, il n'y a pas d'ordre de marche. Les gens sont libres de venir ou non ! (Chahut.) Si je pouvais décréter des ordres de marche, nous ne nous retrouverions pas 5 000 participants genevois, mais bien 50 000 ! C'est bien la preuve que nous sommes libres d'y participer, et c'est, d'ailleurs, ce qui fait la valeur de ces manifestations comme étant l'expression d'un droit démocratique. Dans les pays où l'on est obligé de voter pour un parti unique à 98%, le vote n'a aucune valeur. De même, une manifestation n'aurait aucune valeur dans un pays où celle-ci serait obligatoire. C'est tout à l'honneur du Conseil d'Etat et de M. Ramseyer d'en autoriser bon nombre. Mais dans le cas présent il s'agit d'autre chose, puisque les militaires sont obligés de défiler.

Vous devriez donc interdire ce défilé, une manifestation en faveur de l'armée, organisée par le colonel Duchosal, c'est évidemment autre chose...

M. Bénédict Fontanet. Nous avons pris bonne note du fait que M. Vanek aimerait bien pouvoir émettre des ordres de marche pour les manifestations contre Creys-Malville !

M. Pierre Vanek. Je n'ai pas dit ça !

M. Bénédict Fontanet. Vous avez dit que cela ne vous déplairait pas !

La présidente. Monsieur Fontanet, attendez également que le calme revienne ! Je n'ai pas encore mis en route mon chronomètre.

M. Bénédict Fontanet. Bien, Madame la présidente !

A quelques mois d'une élection, les démarches effectuées par les personnes qui se trouvent sur les bancs d'en face sont bien sûr exemptes de toute préoccupation électorale !

Nous sommes un certain nombre à penser que l'idée de ce défilé militaire n'était tout de même peut-être pas très habile et que d'autres formes de promotion de l'armée sont certainement plus judicieuses. Nous avons vu que, par exemple, les démonstrations d'aviation militaire avec celles de la patrouille de Suisse recueillaient beaucoup de succès quand elles avaient lieu à Cointrin. Les journées "portes ouvertes" ont également été bien accueillies. Mais certaines personnes aiment les défilés, la fanfare, et c'est très bien comme cela. Je ne vois pas au nom de quoi elles n'y auraient pas droit !

Ce qui me dérange dans votre motion, c'est qu'elle procède d'un mélange des genres et d'une certaine forme d'intolérance. Puisque vous avez parlé d'"escroquerie intellectuelle", je dirai que vous faites preuve de "terrorisme intellectuel" ! En effet, vous voulez faire dériver le débat sur ce sujet précis du défilé vers un débat pour ou contre l'armée.

Or, ce débat a été tranché par le peuple suisse, voici maintenant quelques années, dont acte. L'armée existe, et, ne vous en déplaise, ce n'est pas en votant une motion au Grand Conseil que nous allons la supprimer, bien heureusement pour elle et pour le peuple suisse ! Je parlais d'un mélange des genres parce que vous comparez ce défilé à une manifestation. Pour ma part, je trouve qu'il y a une différence entre une manifestation à laquelle on va librement et un défilé, mais si des groupements politiques, associatifs, des mouvements divers ont la possibilité de manifester, on ne voit pas pourquoi l'armée ne pourrait pas, elle aussi, défiler. L'armée est tout de même un corps constitué de ce pays, qui a été voulu par la Constitution fédérale, qui est légitimé par elle. Si n'importe quel groupuscule politique peut organiser un "sitting" devant les Nations Unies à Genève, on ne voit pas pour quelle raison l'armée, elle, si elle le veut et avec l'accord des autorités compétentes, ne pourrait pas défiler dans les rue de Genève ! Je ne vois donc pas sur la base de quel motif le Conseil d'Etat pourrait refuser une telle autorisation.

Mesdames et Messieurs les députés, si les autorités de la Ville de Genève, qui semblent être très fâchées avec l'idée d'une traversée de la rade pourtant votée par le peuple, voici maintenant quelques années - pour utiliser un euphémisme - décidaient de manifester violemment leur opposition en défilant dans les rues et que le Conseil d'Etat interdisait une telle manifestation au motif que le peuple de la Ville de Genève était d'accord avec la traversée de la rade et qu'il n'y a pas de raison que la Ville manifeste, vous ne seriez pas satisfaits. Vous crieriez très fort et vous auriez certainement raison !

Votre motion montre une certaine forme d'intolérance, ou "terrorisme intellectuel" - pour répondre à notre prétendue "escroquerie intellectuelle". En effet, sur certains sujets comme l'énergie, l'armée, le logement et autres, d'aucuns font parfois preuve d'un aveuglement primaire, refusent la discussion et n'imaginent pas que l'on puisse penser différemment d'eux. Voltaire, au siècle des lumières - peut-être n'y sommes-nous plus - disait à l'un de ses interlocuteurs : «Je ne suis pas d'accord avec ce que vous me dites, mais je me battrai, fût-ce jusqu'à la mort, pour que vous puissiez le dire.» ! Vous, Mesdames et Messieurs, vous vous battez non pas contre l'armée mais pour qu'un corps constitué légitime dans ce pays ne puisse pas manifester !

Vous voulez lutter contre le militarisme, les excès et les violences par les armes dans le monde, ce qui est une bonne chose. Mais, notre armée a une mission exclusivement défensive, aussi je trouve que votre attitude démontre un certain aveuglement. Vous refusez que d'autres puissent penser différemment de vous et nous ne voyons pas en quoi un défilé, en tant que tel, est absolument inadmissible !

Il est vrai que le moment est bienvenu d'effectuer une telle démarche, d'autant qu'elle est bien relayée sur le plan médiatique et que nous approchons des échéances électorales ! D'aucuns, sur certains rangs, tentent peut-être de pousser leur candidature... (Brouhaha.) Ce n'est pas moi qui ai déposé la motion et je n'y adhère pas, par voie de conséquence je ne peux pas être suspecté d'électoralisme.

Cette motion fait donc preuve de sectarisme; elle n'est pas admissible par rapport à une institution comme l'armée suisse et, par rapport à sa mission, plus particulièrement celle du régiment genevois, même si on peut discuter et disputer de la date de cette manifestation. Face à ce texte, la seule attitude que nous puissions avoir consiste à le refuser !

M. Roger Beer (R). Je rappelle que nous passons dans ce parlement des heures et des heures, des jours et des semaines à nous battre pour que des idées et des gens puissent s'exprimer !

M. Fontanet a très bien expliqué certaines des motivations qui se cachent vraisemblablement derrière cette motion et je suis sûr, comme lui, que l'antimilitarisme primaire n'en est pas la seule motivation. Nous nous battons pour le respect des minorités, pour l'expression des idées qui ne sont pas obligatoirement les nôtres ! Eh bien, pour moi, un défilé militaire effectué par des Genevois pour des Genevois relève de la même logique. En plus, il s'agit d'un corps constitué, même si les Genevois ont voté plutôt contre l'armée. Du reste, je suis persuadé que certains militaires ont voté contre, mais je ne vous dirai évidemment pas ce que j'ai voté. J'ai déjà défilé deux fois, en tant que militaire, à Genève et cela ne s'est jamais mal passé, même si cela n'a pas plu à tout le monde.

C'est pour ces différentes raisons que je comprends très mal un tel acharnement à refuser ce défilé, sous le motif que certains ne sont pas d'accord avec la majorité d'un vote, et que ce mode d'expression ne vous convient pas.

En résumé le parti radical ne pourra pas suivre votre motion, même si nous sommes d'accord avec vos considérants, car nous sommes tous pour la paix. Vous reconnaîtrez vous-mêmes que, même dans les pays où l'on cherche à instaurer la paix, l'armée est nécessaire.

Nous allons certainement encore écouter tout ce qui va se dire de bien, de mal, de bien dit ou autre contre le défilé, mais, quoi qu'il en soit, le groupe radical s'opposera à votre motion.

M. Laurent Moutinot (S). Mesdames et Messieurs les députés, le problème qui nous occupe ne porte pas sur le principe d'une manifestation, mais sur la conception du rôle du citoyen et de celui du soldat. Nous devons savoir où se trouve la limite, pour une même personne, entre le soldat et le citoyen.

Je suis remonté jusqu'à Rome pour vous rappeler que les troupes romaines n'entraient pas en ville et qu'elles déposaient leurs armes au-delà du Tibre. Les Romains étaient comme nous citoyens et soldats, mais s'ils n'ont pas voulu mélanger les genres, ils avaient des raisons pour cela, raisons qui aujourd'hui sont toujours valables.

Le défilé d'une troupe en armes dans une ville, quand bien même il s'agit des troupes de cette propre ville, demeure une provocation. Si Rome interdisait, je ne vois pas pourquoi Genève permettrait ! Si le régiment 3 veut défiler, si le régiment 3 doit être montré à la population, qu'il le fasse là où c'est sa place : dans les casernes, sur les places d'armes pendant les exercices, mais non dans les rue de la cité.

Toujours dans l'histoire romaine, César a été rendu célèbre par une violation grave d'une loi de la cité qui a consisté à franchir les limites de sa province avec son armée, alors qu'elle aurait dû rester de l'autre côté du Rubicon. Je vous demande, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, de prendre exemple sur les vertus de la Rome républicaine et de ne pas jouer les Césars. (Applaudissements.)

M. Jean-François Courvoisier (S). Il est évident que je m'associe à mes collègues qui demandent de retirer l'autorisation accordée au défilé du régiment 3 du colonel Duchosal, mais je tiens encore à insister auprès de M. Ramseyer pour lui demander de revenir sur sa décision.

Albert Camus a dit qu'il était du parti de ceux qui réclament le droit à l'erreur ! Comme je suis aussi de ce parti, j'accorde bien volontiers ce droit à M. Ramseyer ! Mais, Monsieur le président, en autorisant ce défilé vous n'avez pas commis une erreur, mais une faute ! Aujourd'hui, nous vous donnons la chance de la réparer.

Nous admettons tous qu'un défilé militaire, avec de beaux uniformes, des drapeaux et des clairons, a un très grand pouvoir attractif sur les foules, particulièrement sur les jeunes et sur les enfants. Ceux de ma génération se souviennent du succès des parades militaires de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste. Lorsque j'étais étudiant à Paris, peu après la guerre, des amis français m'ont dit combien ils avaient eu de peine, en période d'occupation, à empêcher leurs enfants d'aller applaudir les manifestations militaires allemandes, si bien organisées qu'il était impossible d'y rester insensibles. C'est là-dessus que compte le colonel Duchosal et ses amis pour faire aimer l'armée à Genève !

Ces manifestations, si spectaculaires soient-elles, ont un effet pervers sur la jeunesse en développant chez elle le goût des armes, de la violence et un nationalisme chauvin. Cette perversité est d'autant plus dangereuse qu'elle est camouflée derrière un patriotisme fanfaron !

Genève qui a été le siège de la Réforme, de la Croix-Rouge, de la SDN, qui se prépare à créer un Institut de la paix doit renoncer à cette démonstration de force pour conserver son prestige spirituel. Le GSsA que je soutiens depuis sa création entreprendra tout ce qui est légal pour que ce défilé n'ait pas lieu et sauver, de cette manière, l'esprit de Genève.

Si, toutefois, ce défilé devait avoir lieu, je ne sais pas ce qu'entreprendra le GSsA, mais je sais que j'irai personnellement distribuer des tracts aux officiers, sous-officiers et soldats du colonel Duchosal pour leur demander de désobéir et de refuser de défiler. (Exclamations.)

Sans douter de la sincérité des officiers soldats, ou du moins de certains d'entre eux, il est nécessaire de leur faire comprendre qu'ils ne défendent pas notre patrie qui n'est nullement menacée, mais qu'ils défendent les intérêts de fabricants d'armes sans scrupules, qui n'hésitent pas à créer des conflits partout dans le monde pour agrandir leur empire financier. Je demanderai à ces soldats de méditer la pensée de l'écrivain Georges Bernanos, Français profondément catholique et patriote, qui disait : «La paix du monde n'est pas menacée par les révoltés, mais par les soumis.» ! J'espère que quelques-uns d'entre eux refuseront de se soumettre et auront le courage de désobéir.

Au printemps dernier, le journaliste Daniel Cornu a écrit dans la «Tribune de Genève» un article intitulé "le courage de renoncer". Cet article concernant la traversée de la rade s'adressait à M. Philippe Joye, qui ne semble pas avoir compris le message. Je sais qu'il faut beaucoup de courage pour renoncer à un projet ou à une décision, mais j'ose espérer que M. Ramseyer aura ce courage. S'il renonce, de lui-même, à laisser défiler ses troupes je serai fier d'être genevois, et, malgré nos divergences irréductibles, je serai même fier de notre gouvernement.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de soutenir la motion 1013. (Applaudissements.)

M. Pierre Froidevaux (R). La motion 1013 est illustratrice de l'accumulation de contresens politiques aboutissant à un non-sens final. Madame et Messieurs les motionnaires, vous faites de la politique comme certains bacheliers leurs versions latines. Vous imposez un sens dans une phrase sans exprimer la réalité de son créateur. Aussi, vous me contraignez à quelque chose de détestable, rappeler des vérités parfois trop simples.

Des considérants 1 et 2, on peut tirer que le régiment d'infanterie 3 est égal au colonel Duchosal. Il est vrai que le colonel Duchosal est un homme d'exception, que sa carrière militaire force le respect de tous ses soldats et le fait craindre de la hiérarchie militaire. A l'époque où il était encore jeune recrue, il n'a pas été jugé digne de devenir officier, car simple fils d'agriculteur dans le civil. Mais sa troupe, ses camarades, l'ont promu démocratiquement sergent, puis, fait exceptionnel, lui ont donné les qualifications nécessaires pour une école d'officier.

La reconnaissance de ses hommes à tous niveaux fit que le groupe initial s'appelait «Ducho», puis il y eut la section «Ducho», «la compagnie à Ducho», «le bataillon à Duchosal» et, enfin, «le régiment du colonel Duchosal». Malgré cet hommage tout troupier, il s'agit avant tout du défilé du nouveau régiment d'infanterie 3. Il est composé de Genevois, pour des missions très essentiellement exclusives à Genève. Il est le fruit de l'expérience du bataillon Aéroport 1 et il est bien normal qu'à l'occasion de son tout premier cours de répétition, sous la forme «Armée 95», ce nouveau corps de troupe soit présenté à la population.

Ceci est d'autant plus vrai qu'il s'agit d'une formation d'alarme pour le territoire genevois. Cette troupe DOIT aussi faire ses cours de répétition sur le canton et vivre en harmonie avec sa population.

Des considérants 4 et 5, on peut tirer que la présence d'une troupe genevoise à Genève est incompatible avec la Genève internationale. Quel affreux contresens ! Une des missions essentielles de ce régiment est la surveillance des conférences internationales. Souvenez-vous ! Lorsque M. Arafat en 1988 s'est vu interdire le sol américain pour plaider la cause palestinienne au siège new-yorkais de l'ONU, il a fallu déplacer très rapidement cette conférence au siège européen de l'ONU à Genève. Cette conférence, qui sentait alors le souffre du terrorisme international, s'est déroulée dans la paix. Sa sécurité a été notamment assurée par nos citoyens qui s'étaient armés pour défendre le processus de paix du Proche-Orient, qui est maintenant celui que vous connaissez tous.

Faut-il que Genève ne puisse plus répondre présente à ces pourparlers de paix, surtout lorsqu'ils sont rendus plus difficiles en raison de la mondialisation des enjeux qui rendent les endroits neutres de plus en plus rares ?

Du considérant 3, on peut tirer que les Genevois sont contre l'armée. Encore un nouveau contresens ! Madame et Messieurs les motionnaires, vous prenez argument du résultat de plusieurs votations, notamment de celle qui prônait «une Suisse sans armée et une politique globale de paix». Combien de citoyens genevois ont-ils voté en faveur de cette initiative, d'abord afin de réclamer une réforme de l'armée ? Cette réforme est maintenant en cours. Continueront-ils à voter contre l'armée ? Personnellement, je ne le crois pas.

Je le crois d'autant moins que vous avez omis dans votre litanie la dernière votation, celle concernant les casques bleus, largement approuvée par une majorité de votants genevois. Sans armée, pas de casques bleus !

Du considérant 6, on peut tirer que l'armée serait à l'origine des conflits armés. La violence est d'abord un phénomène individuel dont la gravité est proportionnelle à sa force associative. Si la démocratie capte à son profit l'expression de la violence totale qu'est l'engagement des moyens d'un conflit armé, soit l'armée elle-même, elle se donne les moyens de stabiliser cette fureur destructrice. Assurer la paix de nos citoyens fait partie de nos devoirs d'élus.

L'ensemble de ces contresens politiques aboutit au non-sens final des invites. Mais pour apaiser les motionnaires qui ont souhaité nous présenter, ce soir, cet intéressant problème, je propose une pacification générale par un soutien global à cette motion, en corrigeant le non-sens final par la suppression de la première invite qui serait remplacée par :

« - à autoriser le défilé du régiment d'infanterie 3;»

mais tout en maintenant la deuxième invite :

« - à réaffirmer, de cette manière, le rôle de médiateur pacifique de la Genève internationale.»

Le deuxième considérant tomberait, comme le mot «annuler» dans le titre.

Nous laisserons alors la paternité de l'exposé des motifs aux signataires de cette motion, car, si le texte laisse à désirer, nous sommes tous d'accord ici pour affirmer notre qualité d'antimilitariste convaincu. Pour rappel, je vous livre la définition du mot «militarisme» selon le Petit Larousse illustré : «système politique fondé sur la prépondérance de l'armée».

Soyez rassurés, Madame et Messieurs les motionnaires, nous sommes tous, à gauche comme à droite, des partisans acharnés de notre démocratie. Je crois que vous avez confondu dans cette motion le mot «militarisme» avec le mot «militantisme», simple erreur d'une ligne dans le dictionnaire, que ce parlement s'empressera de corriger en soutenant les amendements que je propose. (Applaudissements.)

La présidente. Monsieur le député, ayez l'obligeance de bien vouloir déposer vos amendements sur le bureau de ce Grand Conseil.

M. Max Schneider (Ve). Je ne répondrai pas au pamphlet déplacé de M. Fontanet. Les gens qui se sont engagés contre ce défilé n'ont pas attendu une période électorale pour prendre la parole. Il y a bien longtemps qu'ils luttent contre ce mode de démonstration dans notre ville.

La décision du gouvernement genevois d'autoriser ce défilé peut être comparée, toute proportion gardée, à la décision de M. Chirac. (Protestations.) D'un côté, on trouve les intérêts de l'extrême droite, d'un autre, ceux de l'extrême gauche. Que l'on soit pour ou contre, le débat a le mérite d'exister au sein de notre Grand Conseil, de manière relativement sereine.

Il faut aussi se rappeler que l'armée, en Suisse et dans notre canton, est soumise au pouvoir civil. Ce n'est donc pas un dirigeant militaire qui peut imposer quelque chose dans notre canton, car c'est le pouvoir civil qui est la plus haute autorité.

Dans le cadre d'une action non violente contre cette proposition de défilé, le rôle de l'opposition est d'abord de connaître les raisons et les causes qui peuvent motiver nos adversaires, ceux qui veulent défiler. M. le conseiller d'Etat en a fait une liste que j'ai écoutée et comprise.

Je crois personnellement qu'une grande partie de la population, ainsi que de ce Grand Conseil, ne l'entend pas de la même façon, c'est la raison pour laquelle nous allons faire connaître notre position. Un débat public concernant la première résolution y a contribué, de même que notre débat de ce soir, et tous les autres débats publics, dès demain, dans la rue, ce qui est très sain. Nous avons la chance de vivre dans une démocratie pacifique et il faut en profiter.

Cependant, il arrivera un moment où il faudra passer à une autre action. Dans le cadre de la non-violence, lorsque les paroles ne suffisent pas, quand les beaux discours n'arrivent pas à leur fin, une autre étape s'impose : l'appel à la désobéissance civile. Dès lors, je m'associe entièrement à l'appel de M. Courvoisier qui a demandé la désobéissance des soldats. J'espère que la désobéissance civile gagnera également nos écoles et une grande partie de la population contre cette démonstration de force.

Pour terminer, je tiens à souligner que même l'armée la mieux équipée ou la mieux entraînée du monde, mais qui ne jouit pas du soutien total de sa propre population, est un peu une maison construite sans fondations. Je m'adresse alors aux responsables de notre gouvernement pour leur dire : quel déplorable spectacle va offrir une débandade de citoyens sans armes face à cette troupe armée qui voudra marcher au-devant d'une décision antipopulaire !

M. René Koechlin (L). Les pacifistes ou pseudo-pacifistes qui se sont exprimés jusqu'à maintenant, notamment sur les bancs d'en face, me laissent profondément perplexe. Ils me font un peu penser à cet élève d'élémentaire du Conservatoire qui expliquait à Paderewski comment jouer du piano.

D'avance je vous demande pardon de prendre la liberté de vous faire un discours qui pourra vous apparaître, à certain moment, comme une confession. Je ne remonterai pas dans l'histoire jusqu'à Rome, comme le faisait tout à l'heure M. Moutinot, mais tout simplement jusqu'à la dernière conflagration mondiale. A l'époque, j'étais enfant. J'ai vécu à Paris jusqu'en 1944. Ma famille a dû quitter cette ville précipitamment pour des motifs que je n'expliquerai pas ici. En tant qu'enfant, j'ai vécu la violence de très près et elle a profondément marqué mon psychisme. C'est pourquoi je suis intimement troublé d'entendre des personnes parler de la violence avec autant de légèreté; car je peux vous assurer que, s'il existe un pacifiste dans cette salle, c'est bien moi !

Or je puis dénombrer deux sortes de pacifisme qui ont chacune leur valeur : le pacifisme non violent et l'attitude forte. Au seuil de la deuxième guerre mondiale, on a vu ces deux formes de pacifisme incarnées par deux hommes de tempérament et de caractère bien différents mais qui tous deux s'exprimaient au nom de la paix.

Le premier se nommait Chamberlain, prêt à faire toutes les concessions pour sauver la paix, car c'était son objectif déclaré. Face à la violence aveugle, cette attitude s'est avérée totalement inopérante. C'est à ce pacifisme de mouton bêlant que se réfèrent, ce soir, certains députés. Le second était Churchill, partisan d'une option défensive de la paix elle aussi, mais ferme, vigoureuse et armée. Il avait compris que le seul moyen de sauver la paix consistait précisément à s'armer pour la défendre. C'est ce à quoi s'est attachée l'armée suisse pendant la conflagration et, avec elle, tout le peuple suisse.

A l'époque, j'étais envoyé en Suisse, chaque été, une étiquette sur ma veste, pour les vacances scolaires, avec les convois de la Croix-Rouge. Nous vivions dans ce havre de paix deux mois idylliques, dont je garde un souvenir lumineux, inoubliable, celui d'un pays dont l'armée était là pour défendre la paix que, moi, enfant, je savourais.

Après ces deux mois, il fallait retourner à Paris et assister à tout ce à quoi j'ai assisté. Oui, Madame, j'ai vu les défilés militaires de la Wehrmacht ! Une compagnie de «SS» habitait à côté de ma maison, une batterie de DCA occupait le champ d'en face. Je ne vous décrirai pas ce que j'ai vu...

Aujourd'hui comme auparavant, l'armée suisse n'est attachée à rien d'autre qu'à la défense de la paix. Et si elle défile, c'est pour nous le rappeler ! (Applaudissements.)

Mme Claire Chalut (AdG). On a réduit ici l'armée à quelque chose comme une fanfare, à une traversée de la rade, bref, à une minorité. C'est paradoxal quand même, lorsqu'on touche à l'un des budgets les plus importants de la Confédération.

Je voudrais cependant vous poser une question. Puisqu'on en a parlé tout à l'heure, j'aimerais dire pourquoi on a tué Jaurès. On l'a tué parce qu'il s'opposait à la logique militaire et à la logique de guerre. Je pense qu'il avait raison de mener ce combat qui l'a conduit à la mort, puisqu'on a connu ensuite les charniers et les millions de morts inutiles, bien sûr. On l'a éliminé, car il devenait gênant.

Par la suite, le règlement des conflits contemporains, sans remonter très loin dans le temps, s'est soldé par un échec lorsqu'ils ont été réglés par les militaires. Pourquoi ? Parce que le coût social en est exorbitant, payé par les populations civiles.

La «guerre du Golfe» est terminée, mais, en fait, elle continue parce qu'elle affame des hommes, des femmes et des enfants. Tous les jours, ils meurent par centaines. C'est cette logique militaire qui empêche aujourd'hui ce pays d'avoir accès aux biens qu'il possède à l'étranger et de pouvoir payer ses importations, ce qui paralyse tout le fonctionnement économique du pays. Cette guerre continue donc.

Il est clair, Messieurs, que, défilé ou pas, je ne peux pas accepter cette logique. Je me suis toujours battue contre cela. Tout à l'heure, nous parlions ici de démocratie. Je tiens à m'adresser particulièrement au Dr Froidevaux, parce que, en tant que médecin, il a tenu des propos effrayants. Savez-vous, Monsieur le docteur Froidevaux, que cette démocratie s'arrête à la porte des casernes ? Vous le savez très bien !

On emprisonne ceux qui objectent, on punit ceux qui ne paient pas leur taxe militaire et l'office des poursuites intervient s'ils persistent dans leur refus de la payer. D'ailleurs, ces deux pratiques concernent n'importe qui, y compris des personnes invalides ou paraplégiques depuis leur plus tendre enfance.

M. Andreas Saurer (Ve). Permettez-moi d'intervenir et de répondre à un certain nombre d'interventions.

Tout d'abord, Monsieur Vodoz, je prends note que vous estimez que votre décision ne constitue pas une provocation. J'irai même plus loin. Je suis pratiquement convaincu que cela n'était pas votre intention. En revanche, je ne crois pas que ce soit à vous de savoir si les personnes concernées se sentent provoquées ou pas, mais à celles qui le sont. C'est à elles de savoir comment elles ressentent votre décision. Je ne vous donne donc pas le droit de juger comment la population, moi et d'autres personnes, doivent ou ont le droit de réagir par rapport aux décisions que vous prenez.

Monsieur Froidevaux, en chacun de nous on trouve de la violence et parfois même beaucoup de violence. Chacun l'extériorise et vit avec, tant bien que mal. Maintenant, se pose le problème des moyens. Extérioriser et vivre sa violence à travers les moyens militaires créent des effets totalement différents que si on n'a pas d'armes à disposition. Donc, la violence est en chacun de nous, mais les effets de la violence dépendent avant tout des moyens utilisés.

Enfin, il existe un certain amalgame entre une manifestation en général et la décision du Conseil d'Etat de donner le droit au régiment Duchosal de défiler. Le Conseil d'Etat a le droit de le faire et la majorité du Grand Conseil a le droit de prendre cette décision. Mais il faut savoir que, fondamentalement, c'est une manifestation politique décidée par le Conseil d'Etat pour soutenir l'armée. C'est cela le fond du problème ! Si une association privée tentait de manifester pour apporter son soutien à l'armée, je n'y verrais aucun problème.

Je vous accorde également le droit, Monsieur Vodoz, de décider que, dans la situation actuelle, il est nécessaire, important et fondamental que le Conseil d'Etat manifeste clairement son soutien à l'armée. C'est votre droit ! Mais ne nous dites pas que ce défilé est de même nature qu'une manifestation de solidarité internationale ou de CONTRATOM. Il est une manifestation du gouvernement, du Conseil d'Etat. De surcroît, vous obligez des citoyens à y participer. C'est une manifestation obligée, ce qui est fondamentalement différent. Je ne peux pas accepter qu'on fasse cet amalgame au nom de la soi-disant liberté d'expression, entre des manifestations organisées par le Conseil d'Etat, où les personnes sont des participants obligatoires, et les manifestations que nous organisons.

M. Pierre Vanek (AdG). Je regrette que M. Koechlin ne soit plus là, parce que je voulais relever deux ou trois choses à propos de ses déclarations. Je reviendrai sur d'autres interventions plus tard.

M. Koechlin a parlé avec beaucoup d'émotion, en évoquant son expérience et en nous traitant pratiquement de «Munichois», lorsqu'il parlait de Chamberlain et de la position des uns et des autres à la veille de la seconde guerre mondiale.

Une voix. T'as rien compris !

M. Pierre Vanek. Il a indiqué une analogie entre notre position... (L'orateur est interrompu.) Je peux parler...

La présidente. Vous pourrez répondre à M. Vanek, Mesdames et Messieurs les députés, mais laissez-le d'abord s'exprimer. Vous rectifierez ensuite.

M. Pierre Vanek. M. Koechlin a évoqué son expérience personnelle de la deuxième guerre mondiale, ainsi que les problèmes ayant précédé ce conflit et la politique erronée ayant mené aux accords de Munich qui ont conduit à une occupation du continent par les armées d'Hitler.

Je souhaiterais évoquer également cette période, non pas à travers mon expérience directe parce que, évidemment, je suis trop jeune pour l'avoir vécue. Je suis particulièrement sensible à ses imputations, car mon père étant originaire de Tchécoslovaquie a grandi à Prague, a passé toute son adolescence sous l'occupation nazie de la ville de Prague et a participé à l'insurrection des habitants avant la fin du conflit. Il est venu ensuite en Suisse après la guerre. C'est pour cette raison que je suis né ici. J'ai grandi dans un quartier peu éloigné du parc Mon Repos où vous savez que, annuellement, le 11 novembre, passe un défilé militaire. Etant enfant, je l'appréciais. L'armée pratiquait encore le pas de l'oie. Mon père, qui avait vécu cette occupation nazie, y voyait des analogies et cela l'insupportait profondément, et je crois que j'ai pris quelque chose de ce sentiment.

C'est un peu facile de nous servir Chamberlain et de lui préférer une politique de résistance. C'est un débat que nous ne pouvons pas avoir ce soir. Il y en a d'autres qui ont fait dans leur carrière beaucoup de défilés militaires, comme le maréchal Pétain, pour ne prendre qu'un exemple, qui disposait d'un appareil militaire soi-disant parfaitement rôdé, ce qui ne l'a pas empêché de se coucher devant l'occupant allemand. En conséquence, ce qui est déterminant, ce n'est pas seulement le fait de savoir marcher au pas, mais c'est surtout les orientations politiques et l'esprit qui animent les soldats et les citoyens.

En l'occurrence, l'esprit qui anime cette démonstration militaire n'est pas un esprit de paix. Je l'ai indiqué en renvoyant à la caricature qu'en a faite Troyon. C'est un esprit belliciste, peu démocratique, et nous ne sommes pas dans une situation comparable en Europe, aujourd'hui, à celle de la veille de la deuxième guerre mondiale.

J'aimerais revenir très brièvement aussi sur ce qu'ont dit MM. Beer et Fontanet. M. Beer est assez étonné qu'on veuille "empêcher des gens de s'exprimer". Comme je l'ai dit dans mon intervention, les gens peuvent s'exprimer, simplement ce défilé n'est pas une expression de l'opinion des soldats.

M. Fontanet nous a dit que l'armée était un corps constitué, que la majorité des citoyens suisses avait voté pour et qu'elle possédait donc une légitimité. En l'occurrence, l'organisation de ce défilé à Genève n'est pas une décision du DMF, il s'en garderait bien. C'est bien la décision d'un homme, le colonel Duchosal. A mon avis, il est parfaitement légitime de la contester. C'est la manifestation d'opinion d'un seul homme. S'il veut le faire, il existe des canaux d'organisation de manifestation. Je suis prêt à lui fournir des conseils si besoin est. (Rires.) J'ai l'habitude !

M. Froidevaux, qui a essayé de nous exposer une sorte de pseudo-démonstration mathématique avec les chiffres 1, 2 et 3 de la motion, mais aussi par un tour de passe-passe et de prestidigitation, nous a présenté d'abord... (Brouhaha.)

Il a voulu nous présenter d'abord le colonel Duchosal - on en avait presque la larme à l'oeil - comme un chef démocratiquement élu par la troupe. Si c'était le cas, ce serait différent, mais cela n'est pas le cas. En Suisse, les officiers de l'armée ne sont pas élus. M. Duchosal ne l'a pas été. Ce n'est pas une expression démocratique. C'est de nouveau vouloir montrer cette affaire comme étant l'expression de l'opinion de la troupe, mais cela ne se passe pas comme cela dans notre armée. Désolé de vous décevoir, Monsieur Froidevaux !

Autre tour de passe-passe : celui où il présente une majorité de votants en faveur de l'initiative du GSsA pour la suppression de l'armée, comme des partisans de l'armée actuelle, telle qu'elle a été toilettée depuis. C'est une jolie récupération ! Mais les gens ont voté une initiative majoritairement pour la suppression de l'armée et, jusqu'à nouvel avis, on tient compte du libellé des initiatives, des lois et des motions qu'on vote, pour savoir ce que les électeurs ont voulu dire. C'est aussi comme cela que fonctionne le système démocratique.

Je reviens aux allégations de M. Fontanet concernant l'électoralisme qui présiderait à nos interventions sur cet objet. Vous savez que le GSsA est intervenu systématiquement sur les questions militaires sans se préoccuper aucunement du calendrier électoral. M. Fontanet réclame en quelque sorte, à la veille des élections, une trêve de Dieu pour qu'on ne parle pas de problèmes politiques brûlants comme celui de l'armée, afin qu'il puisse gentiment se faire élire en glissant cette question sous le tapis. Il est parfaitement normal que les débats politiques soient particulièrement vifs en période électorale et je n'y vois rien que de très sain par rapport à notre système démocratique et à nos institutions.

Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Le Département militaire fédéral a trouvé dans le colonel Duchosal un excellent communicateur. C'est bien là que le bât blesse ! Rien n'a été dit au cours de ce débat sur la réception du message du Département militaire fédéral et de son dynamique colonel dans la population genevoise.

Il ne s'agit pas ici pour moi de débattre de l'existence de l'armée mais de l'opportunité de faire défiler, en ce moment même, à Genève, un régiment de notre armée. Pas un jour ne passe sans que l'existence d'une guerre immonde à nos portes nous révulse et nous expose à la reconnaissance d'un sentiment qui est particulièrement humiliant et terriblement décourageant : un sentiment d'impuissance qui diffère complètement de celui qui a porté ma génération, Monsieur Koechlin, née pendant la guerre, justement dans l'effervescence démocratique qui a suivi la victoire contre le nazisme; le sentiment que nous nous acheminions vers la démocratie, vers l'indépendance des peuples, vers plus de justice sociale et vers un développement plus durable.

Voilà qu'un colonel genevois vient rappeler la population de notre canton à ses devoirs de guerre. Car le sentiment d'impuissance que nous éprouvons nous expose à son tour à choisir l'abri de la force. Il déclenche la peur et la recherche de la sécurité des armes et c'est bien là ce qui me gêne le plus. Le message que risque de délivrer ce défilé et les réflexes qu'il tend à encourager, c'est le choix de la force musclée plutôt que le dialogue critique et la concertation; celui de la réponse violente, plutôt que la solidarité compatissante; celui du repli, du réduit défensif, plutôt que des sentiments d'ouverture.

Malheureusement, dans ce monde militarisé, j'arrive à comprendre que les gens puissent choisir, par réflexe, ce repli. Si bien que je crains fort que ce défilé ne délivre ce message : nous sommes là, cette force est la vôtre, choisissez la force plutôt que la compréhension critique et intelligente de ce qui se passe et la voie pour dépasser les contradictions que nous vivons actuellement.

Ce message à la veille de Noël, au moment où nos rues se pareront de lumière... (Protestations.) ...est particulièrement déplaisant, alors même que nous allons... (Brouhaha.) ...dans les prochains mois, nous efforcer à des gestes de solidarité, notamment envers les habitants de l'ex-Yougoslavie.

La présidente. Nous allons passer au vote des amendements déposés par M. Froidevaux.

Le premier amendement vise à supprimer «annuler» dans le titre, ce qui transforme le titre de la motion en ces termes :

«Proposition de motion visant à l'autorisation d'un défilé militaire à Genève»

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je crois qu'il y a quelques sujets dans ce parlement qu'on ne peut pas aborder et qui ne permettront jamais de débats sereins. L'armée en est un. Nous en avons eu une preuve, ce soir. Je regrette que ce soit M. Olivier Vodoz qui ait ouvert les feux.

Nous avons entendu toutes sortes d'interventions, dont celle de M. Koechlin avec beaucoup d'émotion. Pour avoir lu son livre, je crois connaître une partie de sa vie. Bien que je comprenne son émotion, je pense qu'elle n'a pas lieu d'être dans le cadre de cette motion.

On a entendu des interventions au ras des pâquerettes ou d'une violence incroyable comme celle de M. Froidevaux, ainsi que quelques incohérences du groupe radical avec M. Beer qui applaudit aux considérants, alors que son collègue Froidevaux les démolit un à un. Vous avez voulu poser le débat, Mesdames et Messieurs, sur l'utilité ou non de l'armée. C'est votre choix et cela reste de votre responsabilité.

En ce qui me concerne et malgré les invectives habituelles, désagréables et malhonnêtes de M. Lombard, l'idée de cette motion n'est pas une remise en cause de l'armée, mais un refus de ce défilé pour toutes les raisons que nous avons tenté de vous expliquer. Mais je crois qu'il n'y a pas de meilleur sourd que celui qui ne veut pas entendre. Vous n'avez pas voulu entendre nos arguments parce qu'il était beaucoup plus facile de déplacer ce débat sur la question, pour ou contre l'armée.

Avant de conclure, j'aimerais proposer à M. Fontanet un projet de loi pour empêcher les députés qui se présentent à une quelconque élection de prendre la parole, parce que nous allons vous entendre dire pendant deux mois, chaque fois que nous oserons lever la main : «Oh, là, là ! C'est de l'électoralisme !». Monsieur le député, venant de votre part, c'est particulièrement déplacé.

Je terminerai en déclarant, Madame la présidente, qu'au nom des motionnaires je retire cette motion, puisque M. Froidevaux a voulu lui donner un caractère ridicule et je vous laisse donner la parole à vos collègues du parti radical qui vont vite la reprendre à leurs noms.

M. Pierre Froidevaux (R). Nous prenons acte de la volonté des motionnaires de retirer leur motion. Telle qu'amendée, elle aurait pu être acceptable, mais je ne tiens pas à reprendre l'exposé des motifs. Je note donc le retrait de cette motion.

La présidente. La motion étant retirée, il n'y a donc pas lieu de se prononcer.

 

Cette proposition de motion est retirée.

La séance est levée à 23 h 5.