Séance du
jeudi 14 septembre 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
9e
session -
34e
séance
IU 109
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Ma question s'adresse au Conseil d'Etat et, en particulier, à M. Joye à propos de ses facettes "constructrices" et "bétonneuses".
Il s'agit de Corsier-Port et du projet dont la population genevoise a pu prendre connaissance ces jours-ci, notamment mardi soir, lors d'une séance de présentation publique à Collonges-Bellerive. La population genevoise a donc appris qu'il est prévu de construire à Corsier-Port un port d'amarrage pour cinq cents bateaux, un chantier naval, une capitainerie, un club-house et un hôtel à deux niveaux sur l'eau, une vaste piscine sur le rivage, bordée de boutiques sur un côté, de deux rangées parallèles de logements de quatre à six pièces sur deux étages de l'autre côté, un parking pour deux cents voitures, un giratoire d'accès et un quai de circulation à usage limité.
M. Joye, on l'a dit, construit ou tire plus vite que son ombre. Refusé à Chens-sur-Léman l'hiver passé, ce projet d'un groupe étranger est présenté à Genève en février 1995 et accepté en mars, dans son principe, par le Conseil d'Etat. Le 8 août, une demande de démolition est déposée, le préavis est favorable et les autorisations seront délivrées quand il y aura accord du secteur routier sur ce projet.
Une demande de concession a été accordée à la société d'exploitation pour quarante ans, avec un droit de superficie. Il s'agit d'une société étrangère, avec des partenaires genevois minoritaires et, bien sûr, le partenaire Conseil d'Etat.
L'investissement serait de septante millions, entièrement assuré par le secteur privé. La location de la concession rapporterait entre 30 000 et 40 000 F.
M. Joye nous assure que des études d'environnement ont été faites, que celles concernant l'impact du bruit ont fait l'objet d'une attention très sérieuse - mais rapide.
Ce projet est supposé relever l'économie du canton, fournir du travail à tous et oeuvrer à l'intérêt général. La consultation est en cours.
Dès lors, mes questions sont les suivantes :
1) Qu'adviendra-t-il du site archéologique préhistorique qui a récemment fait l'objet de nouvelles explorations ? Vous savez que le port de Corsier comporte un fond archéologique formé d'un établissement lacustre datant de 3000 - 2500 avant notre ère. Vous savez aussi que le port de Genève a perdu ses fonds archéologiques qui ont été rasés au début du XVe siècle. Vous savez encore que tous les vingt ou trente ans les techniques archéologiques s'améliorent et que les récentes explorations du port de Corsier ont permis de peaufiner, d'une manière extraordinaire, notre connaissance des civilisations qui nous ont précédés, au bord du lac, à l'âge néolithique. Conserver ces fonds, dont il reste encore quelques exemples sur le territoire genevois, notamment à Collonges-Bellerive, relève de la haute mission du département des travaux publics en matière de conservation du patrimoine.
2) L'aménagement actuel est public. S'approprier ce lieu, bien de la collectivité, pour y réaliser un deuxième club nautique de luxe, en violation flagrante avec la loi sur les protections des rives du lac, c'est violer la loi et léser l'intérêt public. Monsieur Joye, êtes-vous déterminé à violer les lois en vigueur sur la protection des sites et du lac ? Je pose la question pour qu'on y réponde tout à l'heure.
3) Même si une partie importante est prévue sur le plan d'eau, le projet implique manifestement une modification du régime des zones dans cette région. Le Conseil d'Etat engagera-t-il une procédure de modification de zones permettant aux communes et au Grand Conseil de se prononcer sur un projet qui les concerne directement ? Ou pense-t-il prendre toutes les décisions lui-même, en court-circuitant les conseils municipaux des communes et le Grand Conseil ?
4) Quelles seront les nuisances pour les riverains ? Nous aimerions connaître les études d'impact. On nous dit que mille cinq cents voitures sont prévues journellement dans la nouvelle voirie.
5) Qui sont ces promoteurs qui se cachent derrière ABC Monaco ? On dit que cette société dispose de 800 000 F. Où trouvera-t-on les septante millions restants ? Qui est derrière cette société ?
6) En quoi consiste la nécessité, en termes d'intérêt public, de cette installation luxueuse ? Quel avantage offre-t-elle à la population ? Quelle clientèle vise-t-elle ? A qui sont destinés les logements ? Qu'adviendra-t-il de l'hôtel en saison d'hiver ? Comment remplir cet hôtel, etc., etc. ?
7) Enfin, une dernière question que vous a déjà posée le WWF : qu'en est-il de la protection de l'environnement et, en particulier, de la faune ? Le WWF a mené, au cours des vingt dernières années, un combat exemplaire auquel se sont finalement ralliés et le Grand Conseil, et le Conseil d'Etat, en matière de protection du lac, des rives du Rhône et des rives de l'Arve. Je vous demande donc si ce travail doit être, aujourd'hui, réduit à néant.
La présidente. Il sera répondu à votre interpellation urgente au point 63 quater. Je rappelle que la durée des interpellations urgentes ne doit pas dépasser trois minutes.