Séance du
jeudi 22 juin 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
8e
session -
30e
séance
M 1006
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- que la concurrence accrue et l'internationalisation du marché fragilise le secteur industriel genevois;
- que l'intérêt de garder à Genève un secteur industriel dynamique et vivant est essentiel;
- que le précieux savoir-faire risque de disparaître lors de la fermeture d'entreprises genevoises,
invite le Conseil d'Etat
- à faire l'inventaire des parcelles inoccupées situées dans les zones industrielles existantes;
- à présenter un projet de développement de l'industrie genevoise en accord avec les atouts du canton;
- à valoriser des filières de formation indispensables au développement du secteur industriel;
- à systématiser le principe d'intervention d'une structure tripartite lorsqu'une entreprise se trouve en prise avec des difficultés financières majeures.
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'industrie genevoise risque de n'être que de beaux souvenirs, de ceux que l'on se raconte au coin du feu. La disparition de ces entreprises a entraîné des pertes d'emplois importantes. L'imminence de fermeture d'autres «fleurons de l'industrie genevoise» aura le même résultat entraînant par là une disparition de savoir-faire.
Genève a eu une longue tradition tant sur le plan national qu'international. Notre canton abritait des entreprises industrielles diversifiées, donnant ainsi un équilibre entre les 3 secteurs d'activités économiques. Cette harmonie offrait à la population des emplois débouchant sur des possibilités de carrière. La Genève d'aujourd'hui est principalement celle du tertiaire puisqu'il représente 80% des emplois du canton. Même si notre ville bénéficie d'une aura internationale (pour combien de temps encore?), nous ne pouvons faire l'économie de projets de développement du secteur industriel avant que celui-ci ne disparaisse. La Genève de demain ne peut reposer sur un seul secteur d'activités. Chacune et chacun de nous connaissent les conséquences entraînées par le principe de la monoculture. Epargnons-nous l'erreur des autres.
L'exiguïté du canton, l'aménagement du territoire, l'accessibilité sont des critères qui ont amené le législateur à prévoir l'emplacement de zones industrielles. Reste à les occuper pour maintenir, dans un premier temps, et développer ce type d'activités économiques. Les zones industrielles doivent davantage répondre aux besoins de l'industrie plutôt qu'à ceux des services. Le cas de l'industrie automobile est un bon exemple de la dérive genevoise. Il y a quelques décennies des automobiles étaient construites à Genève. Rappelez-vous la Dufaux ou la Pic-Pic. La concurrence entre les différents marchés internationaux a provoqué la disparition de l'industrie automobile en Suisse. Aujourd'hui, des parcelles de zones industrielles genevoises abritent des voitures en attente de vente. L'industrie automobile suisse n'a pas pu faire face aux marchés internationaux.
L'industrie horlogère a connu des crises successives réduisant les emplois de deux tiers. Elle connaît un regain de succès puisque la Fédération horlogère a annoncé 8 milliards de bénéfices pour 1994. Les carnets de commande sont pleins pour 1995 et l'attente est plus longue pour la livraison de montres haut de gamme. L'industrie horlogère suisse tente de faire face à la concurrence internationale. Si elle a, encore, les moyens de résister, c'est grâce à la qualité du produit livré. Et la qualité du produit est l'expression d'un savoir-faire quasi unique.
L'industrie des machines, appelée maintenant le mécatronique, n'a pas démérité au cours de ces dernières décennies. La concurrence est rude. Les emplois sont menacés. Genève a vu disparaître des entreprises reconnues sur le plan international. Souvenez-vous de Verntissa, d'Hispano-Suiza, des Ateliers des Charmilles, dont un seul département a survécu. D'autres entreprises sont en difficulté telles la SIP et Tavaro.
Ce secteur d'activités peut être soutenu et il doit être développé. Ce défi pourra être relevé par une volonté politique exprimant clairement son soutien au secteur industriel. Le développement de ces activités doit devenir une priorité organisée. En effet, des entreprises de haute technologie, innovatrices, à forte valeur ajoutée de par leur savoir-faire, doivent être incitées à s'implanter à Genève. Double défi en leur permettant de faire face aux enjeux économiques de ces prochaines années et en évitant que le canton ne survive sur un mode proche de la monoculture.
Ces défis, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les député-e-s, de les relever avec nous en soutenant cette motion et son renvoi à la commission de l'économie.
Débat
Mme Fabienne Blanc-Kühn (S). Contrairement à l'impression que vous auriez pu avoir, à la lecture de l'introduction de cette motion, il ne s'agit pas du chant des pleureuses !
Nous partons de constats réalistes et tenons à contribuer au développement du secteur industriel genevois.
Genève connaît une longue tradition dans le secteur tertiaire que nous n'entendons pas contester. Nous estimons toutefois que l'équilibre économique de ce canton doit se faire harmonieusement. Cela sera possible en tenant compte également d'une autre longue histoire : celle de l'industrie ! Notre canton a abrité et compte encore des entreprises industrielles remarquables. Il est de notre responsabilité de maintenir leur existence et de susciter l'implantation de nouvelles industries à Genève. Il est aussi de notre devoir de prévoir d'éventuelles interventions de l'Etat, lorsque des entreprises en difficulté, suite à des gestions hasardeuses ou en l'absence de projets industriels, risquent un conflit collectif important. Ainsi, lorsqu'une direction ne donne pas les informations nécessaires aux travailleurs et que ceux-ci voient leur poste de travail menacé, il est indispensable que l'Etat ait un rôle incitatif, cela de manière systématique, afin de trouver une issue positive au conflit latent.
Mais l'essentiel de cette motion porte, Mesdames et Messieurs les députés, sur la nécessité, d'une part, de faire le point sur l'avenir que Genève veut réserver au secteur industriel et, d'autre part, sur l'utilisation des zones industrielles existantes. Quel type d'entreprise peut vivre, se développer, faire vivre le capital humain, dont on pourrait craindre la dispersion, si Genève perdait son potentiel industriel.
Quelles conditions le canton peut-il poser pour assurer un équilibre économique entre des secteurs différents, mais interdépendants ? Ces questions, sur un point de l'ordre du jour d'une séance du Grand Conseil, méritent notre attention, mais les réponses également ! Celles-ci pourront être données, si vous acceptez, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion à la commission de l'économie.
M. Pierre Kunz (R). «Les syndicats courent après l'économie» : c'est ainsi que Marco Cattaneo titrait son éditorial de mercredi. La motion 1006 laisse penser que le parti socialiste tout entier court après l'économie !
Les moyens, que les motionnaires proposent au Conseil d'Etat pour soutenir et développer le secteur industriel, ne constituent par un catalogue exhaustif. D'ailleurs, à chaque session du Grand Conseil, ils en proposent de nouveaux. Ce qui surprend ici c'est que les moyens dont il est question sont - ou en tout cas apparaissent comme tels - déjà connus, utilisés, inutiles, soit carrément contraires, me semble-t-il, aux objectifs poursuivis par la motion !
Je passerai rapidement sur l'inventaire des parcelles inutilisées dans les zones industrielles qui est demandé. Les motionnaires peuvent le demander à M. Sallin qui le tient en permanence. Je passerai aussi rapidement sur les filières de formation, qu'il est bien sûr toujours facile de critiquer et de dénigrer, mais qui, quand même, globalement et on doit bien le reconnaître, répondent aux besoins de l'industrie.
Par contre, s'agissant du projet industriel en accord avec les atouts du canton, comme vous le dites, il faut s'étonner de ce texte qui ne fait que reprendre, d'ailleurs de manière inexacte, une invite formulée par la commission de l'économie dans une résolution que ce Grand Conseil devra traiter prochainement. Lorsque je dis "de manière inexacte", je le dis parce que cette résolution parle non pas de projets de développement industriel - des mots qui nous ramènent aux plus belles heures de la planification étatique - mais d'études prospectives.
Reste la structure tripartite dont il est question à la dernière invite. Les radicaux ont l'impression que cette invite, comme le reste de la motion d'ailleurs, est née dans la précipitation et sous la pression d'un certain nombre d'événements, de difficultés rencontrées par certaines entreprises industrielles de notre canton, difficultés d'ailleurs sérieuses, puisqu'elles mettent en péril des centaines d'emplois.
Les radicaux comprennent les préoccupations des motionnaires et tiennent à stigmatiser le manque de transparence et l'insuffisance d'information interne et externe de ces entreprises. Les radicaux ont déjà eu l'occasion de le dire : il n'est pas acceptable qu'une entreprise masque sa situation économique, financière et technique à ses collaborateurs. Toute entreprise, précisément parce qu'elle est libre de se gérer comme elle l'entend, assume une responsabilité à l'égard de ses collaborateurs. A tout moment, quand les choses vont bien, comme lorsqu'elles vont mal, ceux-ci devraient être mis en situation de jauger la solidité de leur entreprise, de juger la qualité de leurs employeurs, de leurs dirigeants et, par conséquent, les perspectives de leur emploi. Car, en dernière analyse, c'est bien à chaque collaborateur qu'il revient de gérer son avenir professionnel, et il doit pouvoir le faire en toute connaissance de cause.
Cet aspect de la motion, mais celui-là seulement, est intéressant. Malheureusement, les motionnaires ne l'ont pas traité avec le sérieux qui aurait convenu. Les radicaux suggèrent donc aux motionnaires de retirer leur motion, et de traiter sérieusement le problème spécifique de la transparence de l'information dans l'entreprise dans un autre projet, problème qui concerne, au demeurant, toutes les entreprises et pas seulement les entreprises industrielles. Alors, mais seulement alors, les radicaux, Mesdames, collaboreront très volontiers avec vous. Faute de ce retrait, les radicaux rejetteront la motion 1006.
M. Max Schneider (Ve). Au nom du parti écologiste, j'aimerais déplorer ce débat, tout comme le débat que nous avons eu, lors de notre dernière séance du Grand Conseil, au sujet de GENILEM.
Ce projet issu des partis de droite, préparé avec un haut fonctionnaire du département de l'économie publique, n'a pas été discuté en commission. Il a été déposé, après la discussion en commission, sans en parler aux autres groupes, voté et adopté en discussion immédiate. Aucune information n'a été transmise aux membres de la commission de l'économie de ce Grand Conseil. C'était un coup de force de la droite. Et on retrouve le même procédé, aujourd'hui, avec cette proposition de motion d'un parti de gauche, mais elle a au moins le mérite de chercher le dialogue.
Cette proposition reprend certaines phrases de la droite et propose, notamment : «Le développement de ces activités doit devenir une priorité organisée. En effet, les entreprises de haute technologie, innovatrices, à forte valeur ajoutée de par leur savoir-faire, doivent être incitées à s'implanter à Genève». Les entreprises de haute technologie à forte valeur ajoutée peuvent être de l'armement nucléaire, des industries polluantes, bref, c'est toujours un débat gauche/droite.
Et maintenant, alors que ces arguments pourraient être avancés par la droite, M. Kunz refuse cette motion ! Cela signifie que, en commission de l'économie, tout ce qui vient de la gauche est systématiquement balayé par la droite et que les projets de droite ne passent même plus en commission !
C'est la raison pour laquelle le groupe écologiste va soutenir le renvoi de cette motion en commission de l'économie, afin qu'elle puisse y être discutée. Je vous invite donc, Mesdames et Messieurs de la droite, à entrer en matière sur cette motion, même si elle est présentée par un parti de gauche !
M. Armand Lombard (L). Avant de m'exprimer sur la motion qui nous est soumise, j'aimerais simplement dire à M. Schneider combien j'apprécie peu son langage et combien je redoute ce qu'il prend pour une originalité formidable : le renvoi de cette motion en commission. Monsieur Schneider, d'autres partis que le vôtre renvoient les projets en commission. Mon parti le fait aussi, et je ne me considère pas pour autant comme un phénix remontant sur son perchoir avec une dignité non troublée ! (Exclamations.)
Il y a une quinzaine de jours, ou un mois, Mme Calmy-Rey qualifiait un rapport que j'avais élaboré sur une précédente motion de "particulièrement stupide", parce qu'il mentionnait tout spécialement que le débat entre le développement d'entreprises industrielles et d'entreprises de services était un combat qui me paraissait particulièrement vain et inutile pour permettre à Genève de sortir de la crise structurelle que nous traversons actuellement.
Or, cela ne devait pas être si stupide que cela, Madame Calmy-Rey, puisque c'est exactement l'argument que vous reprenez dans votre motion ! Ce sera d'ailleurs ma seule critique, parce que je trouve cette motion tout à fait louable. Il est vain de parler de développement des services à Genève et de monoculture. Qui serait capable de déterminer la limite entre ce qui est industriel et les services ? Plus personne ne sait comment classifier une entreprise, par rapport à l'informatique : dans l'industrie ou dans les services ? Je crois que ce débat est absolument inutile dans cette enceinte.
A l'évidence, nous devons créer des emplois en créant de nouvelles entreprises. La monoculture n'existe pas. Il a souvent été dit par le Conseil d'Etat et par de nombreux députés, ainsi que par Mme Calmy-Rey, que l'économie genevoise s'appuyait sur la place internationale, avec ses nombreuses activités, sur la place financière, sur les technologies de pointe et de forte valeur ajoutée, sur la formation et les recherches. Ces quatre axes ont souvent été évoqués et prouvent que nous ne sommes pas dans un système de monoculture, mais que nous menons un programme de développement économique parfaitement sensé et équilibré !
Je regrette, par conséquent, ce passage de la motion et ces quelques demandes qui me paraissent particulièrement inutiles. En effet, «Faire des inventaires, présenter des projets, valoriser des formes déjà établies, systématiser des principes déjà admis», sont des suggestions que nous pouvons discuter : cela ne nous fera pas de mal. Cela nous permettra également de passer un bon moment en commission de l'économie - ce qui n'est pas négatif - et peut-être y trouverons-nous des terrains d'entente.
L'important est la création d'emplois, Monsieur Schneider, que cela tombe bien ou mal, même si cela passe par une motion traitée plus vite que celles que vous renvoyez en commission pour y perdre du temps. Si GENILEM a été renvoyé au Conseil d'Etat, c'est parce que ce projet est urgent et qu'il ne faut pas attendre le mois de décembre pour créer des entreprises. Nous, nous n'avons pas de temps à perdre à discuter en commission, et nous avons envie de créer des emplois. Alors, cela ira pour cette motion : puisqu'elle est faite pour "discutailler" nous la "discutaillerons". Si GENILEM est passé c'est parce que c'est un programme d'action.
Non seulement nous devons créer des entreprises et, par conséquent, des emplois, mais nous devons éviter la fermeture des entreprises industrielles qui connaissent de grandes difficultés. Nous devons également soutenir et accompagner les sociétés d'exportation, car la production genevoise doit pratiquement obligatoirement être exportée. Ce sont des points sur lesquels nous pourrions discuter et être plus inventifs.
Je ne peux donc pas me réjouir d'étudier cette motion en commission, mais nous sommes malgré tout prêts à le faire.
M. Gilles Godinat (AdG). Notre groupe a déjà eu l'occasion de défendre quelques-unes de ces idées à l'occasion de la pétition des commissions d'employés de Tavaro.
J'aimerais juste rappeler que ce canton possède un capital de savoir-faire, dans le secteur industriel, qui est extrêmement précieux et qu'il ne faut pas dilapider. Nous avons dégagé, dans d'autres interventions antérieures, les grandes lignes de ce qui nous paraît indispensable pour mener une politique industrielle valable dans ce canton. Nous voulons que les pouvoir publics mènent une politique industrielle active, nous voulons que la FONGIT et l'AGIP se développent encore davantage et nous voulons, effectivement, sauver le secteur industriel actuellement menacé. Je pense à la SIP et à Tavaro, en particulier.
Cette motion a le mérite de poser à nouveau cette question fondamentale, à savoir : quel rôle les pouvoirs publics peuvent-ils jouer, lorsqu'un secteur est menacé au point de détruire le précieux tissu social d'un canton ?
C'est la raison pour laquelle notre groupe soutiendra cette motion.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, moi, je ne dédaigne pas passer de bons moments en commission, mais, franchement, cette motion a d'autres motifs que de nous faire passer de bons moments en commission.
Vous vous souvenez, peut-être, Mesdames et Messieurs les députés, de l'achat, par une société publique allemande, d'un nouveau procédé de fabrication d'énergie solaire, inventé par un professeur de l'EPFL, le professeur Gretzel. Nous avons parlé de cette affaire dans une réunion de la commission de l'économie du parti socialiste genevois en présence d'un invité, directeur d'une grande société industrielle à Genève. Ce monsieur nous a dit : «Ah voilà, ça pourrait être une mesure intéressante, mais même si l'Etat de Genève avait acheté cette nouvelle technique de production, pour la diffuser aux petites et moyennes entreprises, ça ne servirait à rien, parce qu'à Genève le savoir-faire nécessaire n'existe plus !». Il nous a encore dit : «Faites attention de ne pas en arriver au point où le dernier qui sort s'entende dire : N'oubliez pas de fermer la lumière !».
Mesdames et Messieurs les députés, l'industrie genevoise est en difficulté, et même si Genève est un canton où 80% de la population travaillent dans le secteur tertiaire, cette situation reste préoccupante. Je ne vais pas utiliser le terme de monoculture, puisqu'il ne plaît pas du tout à M. Lombard, mais, tout de même, on peut parler de dépendance, on peut parler de débouchés offerts à nos enfants et à nos adolescents, on peut parler de perte d'un précieux savoir-faire.
En faisant ces constats, Mesdames et Messieurs les députés, en vous proposant cette motion, nous ne faisons pas preuve d'un pessimisme de mauvais aloi, ma collègue l'a dit : nous ne sommes pas le cercle des pleureuses, mais simplement nous essayons d'être un peu réalistes. Regardez du côté de la SIP et du côté de Tavaro, il n'est pas dit aujourd'hui, malgré les mesures prises par le département de l'économie publique et l'activisme qu'il profère en la matière, que les emplois industriels de ces entreprises puissent être maintenus à Genève.
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons débattre de politique industrielle, en mettant l'accent sur deux point :
1) Nous disons : «Rassemblons les gens autour d'une table, essayons de définir un concept de développement industriel fondé sur nos atouts pour que des mesures coordonnées puissent être prises ensuite, notamment dans les domaines de l'aménagement du territoire, de la politique de l'emploi et de la formation». C'est la première étape importante.
2) L'autre point, c'est celui du rôle de l'Etat. C'est un point sur lequel nous nous disputons, nous nous faisons des reproches mutuels en partant d'idéologies différentes. Nous souhaitons, au travers de cette motion, vous dire : «Cessons ces chamailleries, cessons ces discussions stériles». Nous sommes tous d'accord dans ce Grand Conseil pour dire que l'Etat doit assurer la mise en place des conditions-cadres favorables, mais nous pensons que l'Etat doit jouer un rôle plus actif dans l'organisation du développement économique. Et nous souhaitons, en particulier, que, lorsque des entreprises sont en difficulté, on puisse systématiser des structures d'aide, telles qu'elles ont été pensées, réfléchies et d'ores et déjà mises en place de façon ponctuelle par le département de l'économie publique.
Mesdames et Messieurs les députés, nous souhaitons que cette motion soit renvoyée en commission, pas pour "discutailler", mais pour parler sérieusement de politique industrielle et que nous puissions nous entendre sur quelques points fondamentaux à nos yeux.
M. Claude Blanc (PDC). Je crois que Mme Blanc-Kühn et Mme Calmy-Rey ont bien fait de préciser toutes les deux, et probablement sans s'être concertées au début de leur intervention, qu'elles ne représentaient pas ici le cercle des pleureuses, parce qu'on aurait pu en douter ! (Rires.)
Une fois de plus - M. Kunz le disait tout à l'heure - à chaque séance du Grand Conseil, une séance différente est destinée à la commission de l'économie. C'est une commission intéressante, parce qu'on y apprend beaucoup de choses et qu'on y "discutaille". Vous avez aussi utilisé ce mot, Madame Calmy-Rey, comme si vous pressentiez qu'on allait vous reprocher de "discutailler", pourtant c'est ce qu'on n'arrête pas de faire !
Cette motion occupera effectivement plusieurs soirées, à partir de septembre - on ne va pas y passer l'été, bien que je sois disponible - et on y apprendra certainement beaucoup de choses. Le représentant du département de l'économie publique pourra nous indiquer un certain nombre de choses déjà entreprises, mais je n'ai pas le sentiment que le vote de cette motion puisse faire avancer d'un iota l'activité industrielle à Genève. En effet, rien ne permet, dans cette motion, d'aider les entreprises en difficulté à s'en sortir, et, en tout cas, ce ne sont pas les conseils de l'Etat qui le peuvent. J'ose imaginer, quand même, que le fond de votre pensée n'est pas de faire planifier la production industrielle par l'Etat, pour revenir à des structures économiques qui ont été expérimentées ailleurs, mais qui n'ont pas vraiment prouvé être à l'origine du développement des industries dans ces pays. C'est bien le contraire, puisque tous ces pays sont maintenant exsangues !
Cela étant, nous ne nous opposerons pas au renvoi de cette motion en commission de l'économie. Nous y passerons, comme le disait M. Lombard, quelques bonnes soirées instructives !
Mme Micheline Calmy-Rey. On verra !
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Cette proposition de motion comprend un certain nombre d'invites, certaines exprimées en termes très généraux et d'autres en termes plus précis.
Je voudrais m'arrêter un bref instant sur les invites rédigées en termes plus précis.
La première d'entre elles concerne l'inventaire des parcelles dites "inoccupées" et qui sont situées dans les zones industrielles existantes. Je peux vous dire à cet égard que cet inventaire existe, bien évidemment, et, de plus, il est constamment tenu à jour. Le vrai problème n'est donc pas de dresser cet inventaire, mais de savoir quelle est la politique que l'on veut mener dans les zones industrielles qui ont été conçues et aménagées à cet effet, pour le développement de l'activité industrielle, pour son maintien et sa reconversion.
Je ne vous cache pas que je nourris un certain nombre d'inquiétudes en entendant les propos de certains, qui me paraissent confondre les buts et les moyens. La politique d'aménagement du territoire est un moyen. S'agissant des zones industrielles, c'est un moyen au service d'un but : le développement des industries de notre canton. Aujourd'hui, on entend ça et là - cela est probablement relativement répandu, en particulier par celles et ceux qui connaissent peu le secteur de l'industrie - dire qu'il serait tout d'un coup possible de trouver aux zones industrielles des affectations complètement différentes de celles qu'elles ont aujourd'hui. Nous avions déjà eu un débat sur ce sujet, à l'occasion d'une intervention de M. Kunz.
Les zones industrielles représentent un moyen absolument fondamental au service de la politique industrielle de ce canton. Il serait donc déraisonnable de changer la vocation de base de ces zones industrielles au sens d'une mixité qui aurait pris un profil tel qu'en définitive ces zones n'auraient plus d'industrielles que le nom et qu'elles ne seraient plus destinées à abriter des entreprises industrielles.
Cela étant dit, il serait tout autant déraisonnable de ne pas tenir compte de l'évolution considérable de l'activité industrielle. Si cette activité a changé, le profil des zones industrielles doit s'adapter. Nous devons effectivement avoir des zones industrielles plus souples dans leur affectation, qui tiennent compte d'un certain nombre de nouveaux besoins, mais qui, sur un territoire aussi limité que le nôtre, dans l'exiguïté de ses frontières cantonales, doivent être réservées, par principe, aux activités industrielles.
C'est un débat important, car il me semble qu'un certain nombre de malentendus se sont développés à ce niveau. Oui, nous voulons développer et moderniser l'instrument que sont les zones industrielles ! Oui, nous voulons adapter ces zones à l'évolution de l'activité même des industries, qui a beaucoup changé, mais ce serait une erreur fatale pour l'industrie, si nous avons une vision et une ambition à long terme de faire de ces zones des fourre-tout de la mixité !
En effet, les charges foncières et, notamment, le prix au m2 des terrains industriels augmenteraient tellement rapidement qu'ils rendraient impossible l'installation de nouvelles activités industrielles, qui ne pourraient pas supporter de telles charges, ces charges étant plus faibles que dans d'autres zones de développement plus ouvertes, par exemple les zones 4B. Ces zones sont plus adéquates pour des installations mixtes, avec des activités plutôt tertiaires.
Voilà le problème des zones industrielles, et il serait intéressant, sur ce plan, que nous nous en expliquions en commission de l'économie et pas seulement en commission de l'aménagement. Nous devons déterminer le rôle des zones industrielles au service d'une politique industrielle. Sur ce point, j'aimerais que vous puissiez entendre l'avis des aménagistes - c'est ainsi qu'on les appelle - mais surtout celui des industriels, qui vous expliqueraient très concrètement la raison de leur présence à Genève et confirmeraient que, sans ces zones industrielles, ils seraient probablement ailleurs en Suisse ou à l'étranger.
Deuxième point concret : c'est l'invite demandant de systématiser la structure tripartite, qui devrait être en action lorsqu'une entreprise se trouve en difficulté financière majeure. Le but que vous proposez est celui auquel nous adhérons et que nous pratiquons déjà, mais en souplesse, en recherchant avant tout les rapports de confiance plus que les structures.
Je m'explique. Lorsqu'une entreprise est en difficulté, si, comme l'a dit M. Kunz - et cela est parfois un défaut - elle n'est pas en mesure d'assumer elle-même la transparence et le développement de l'information dus aux cadres et aux employés, il faut pouvoir développer avec elle des rapports de confiance de telle nature que ces carences d'information lui apparaissent comment étant un préjudice à son aptitude à sauvegarder ce qui peut l'être et pour l'aider à développer des solutions nouvelles. Ainsi, les collaborateurs seront amenés à participer et à communiquer leur enthousiasme et leur foi dans leur entreprise.
Sur ce plan, je ne peux pas rejoindre votre préoccupation dans la mesure où la systématisation de ce type de structure tripartite impliquerait une sorte - qu'on le veuille ou non - de codification, et nous nous éloignerions probablement des rapports de confiance que nous cherchons - je peux l'affirmer - systématiquement avec les entreprises de manière à les amener - ce n'est pas général, mais, malheureusement, un certain nombre d'exceptions confirment la règle - à s'ouvrir davantage à la concertation avec les organisations syndicales, en particulier avec la FTMH. Pour ma part, je tiens cette organisation comme un partenaire crédible dans la concertation industrielle dans ce canton et pour développer un certain nombre de solutions nouvelles. Si nous codifions cela, comme nous le faisons, par exemple, en matière de main-d'oeuvre étrangère, je crois que nous n'arriverons pas à créer les rapports de confiance avec les entreprises, qui sont le fruit d'un long travail subtil dans lequel les rapports humains importent davantage que les textes.
En conclusion, ce qui me frappe le plus, dans cette motion - c'est une déception pour moi - c'est la vision complètement pessimiste des choses. Madame Calmy-Rey, votre intervention a accentué ce sentiment. Bien entendu, la presse, dont c'est le travail, met en évidence la situation particulièrement préoccupante de certaines entreprises, comme la SIP ou Tavaro. Mais pour quelques industries dans ce cas, qui sont prestigieuses et qui font partie de la culture industrielle de ce canton, combien de petites et moyennes industries sont nées, se sont développées sans que l'on parle d'elles, sans que l'on parvienne à médiatiser leur développement technologique, la valorisation des marchés sur lesquels elles parviennent à s'implanter !
Madame, je puis vous dire que dans la situation difficile que nous connaissons - c'est d'autant plus remarquable - ce canton a connu une reconversion industrielle qui est bien entendu davantage le fruit de l'activité des toutes petites, des petites et moyennes industries que des très grandes. Il ne faut toutefois pas négliger les très grandes, parce qu'elles sont souvent à l'origine de la naissance de petites et moyennes industries.
Pour ma part, je souhaite le renvoi de cette motion en commission, pour que nous ayons l'occasion d'approfondir ce qui me semble être un certain nombre de malentendus provenant d'un manque d'information. J'aimerais inviter la commission de l'économie - mais il faudra que nous y consacrions le temps nécessaire, au minimum une demi-journée - à se rendre à l'office pour la promotion de l'industrie que j'ai l'honneur de présider. Cela lui permettrait de mieux saisir la réalité industrielle de ce canton, ne serait-ce qu'au travers de l'exposition permanente, qui est un outil d'information remarquable. Vous pourrez constater que, malgré le contexte difficile, cette réalité industrielle est fantastique et enthousiasmante. Il faut donc continuer à se battre parce que cela en vaut la peine. Ne voyez pas l'industrie genevoise seulement au travers des cas douloureux ! Ils existent et nous nous battons pour chercher à les résoudre, mais nous avons également un terreau extrêmement fertile que je vous invite à mieux connaître.
C'est la raison pour laquelle il me semble souhaitable d'en débattre en commission.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'économie est adoptée.