Séance du
jeudi 22 juin 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
8e
session -
30e
séance
I 1938
La présidente. La lecture de la pétition 1079 ayant été demandée, je vous prie, Monsieur le secrétaire, de bien vouloir la faire ! (La présidente est interpellée par un député.) Monsieur Revaclier, gardez vos commentaires pour vous ! (Rires, remarques et quolibets.) C'était M. Vaucher ? Monsieur Vaucher, que faites-vous sur les bancs radicaux ? Je ne sais pas si on peut vous y accepter !
(P 1079)
PÉTITION
Droit d'asile: à l'aéroport aussi !
Depuis des années, des abus de pouvoir sont régulièrement signalés dans le traitement des demandes d'asile à l'aéroport de Genève-Cointrin. Des requérants qui demandent la protection de la Suisse en faisant état d'un risque de persécution dans leur pays et qui sont retenus en zone de transit ont été renvoyés en dehors de toute décision exécutoire. D'une façon plus générale, et malgré certaines améliorations, le droit de ces requérants à l'assistance d'un mandataire n'est pas garanti, faute d'une information adéquate et en raison de la difficulté de communiquer avec l'extérieur depuis la zone de transit. Enfin, il arrive que ces requérants, qui ne sont en rien des délinquants, soient traités comme des détenus, enfermés dans les locaux de police de l'aéroport, soumis à des fouilles humiliantes ou à des mesures injustifiées. Ces pratiques sont injustifiables, et les autorités cantonales genevoises ne sauraient se retrancher derrière l'office fédéral des réfugiés (ODR), dès lors qu'elles sont elles-mêmes compétentes pour ce qui touche aux dispositions pratiques entourant le séjour en transit de requérants d'asile, en attente d'une décision de cet office, ainsi que pour l'exécution concrète des décisions devenues exécutoires.
D'accord en cela avec la Coordination genevoise pour la défense du droit d'asile, les soussignés demandent dès lors au Grand Conseil d'intervenir par voie législative, par motion ou résolution auprès du Conseil d'Etat ou par toute autre démarche utile, pour préserver le droit d'asile à l'aéroport de Cointrin. Ils demandent notamment que des dispositions précises soient prises et rendues publiques:
1. Pour qu'aucune obstruction administrative ne vienne empêcher le dépôt d'une demande d'asile à l'aéroport de Cointrin et qu'aucune mesure de renvoi ne soit exécutée en l'absence d'une décision définitive de l'autorité fédérale. (Il est à souligner à ce propos que, même après une décision de renvoi prise par l'ODR, la loi sur l'asile(art. 47 LA) prévoit un délai utile de 24 heures pour solliciter la suspension du renvoi par l'autorité de recours, laquelle dispose elle-même d'un délai utile de 48 heures pour répondre à cette requête).
2. Pour que les requérants retenus en zone de transit puissent exercer pleinement leurs droits dans la procédure, il importe que ceux-ci soient informés clairement et complètement de ces droits et qu'ils ne se heurtent pas à des obstacles pratiques pour prendre contact avec une oeuvre d'entraide ou tout autre mandataire. (Le cas échéant, une aide concrète - mise à disposition d'un téléphone pour des appels régionaux, recours à un interprète, voire assistance juridique - doit être envisagée.)
3. Pour que le séjour en zone de transit, dans l'attente d'une décision, et l'exécution éventuelle du renvoi, se déroulent dans le respect de la dignité humaine, sans que ces requérants ne soient assimilés abusivement à des délinquants. (S'agissant de la détention en vue du refoulement, celle-ci paraît a priori injustifiée, dès lors que la personne est déjà retenue en zone de transit et ne peut donc s'échapper. L'exécution du renvoi, même en cas d'opposition, doit par ailleurs exclure le recours à des moyens disproportionnés.)
N.B. : 1467 signatures
Coordination genevoise
pour le droit d'asile
MM. Michel Ottet
et Yves Brutsch
Case postale 110
1211 Genève 7
M. René Longet (S). Madame la présidente, je n'ai pas du tout développé mon interpellation. M. Schneider...
La présidente. Je suis au courant de ce que j'ai demandé à M. Schneider, je vous demande si vous voulez développer votre interpellation maintenant.
M. René Longet. Oui, Madame !
La présidente. Alors, je vous donne la parole.
M. René Longet. Merci, Madame la présidente !
Lors de la séance du 23 mars dernier, Mémorial no 10, page 1000, j'exposais la situation, qui m'avait été communiquée, d'un requérant d'asile d'origine syrienne, M. "H" qui avait été conduit par la police genevoise au consulat de son pays, puis extradé de force en Grèce, pays d'où il risquait d'être transféré en Syrie. Ce requérant risquait cinq ans de prison dans son pays pour s'être soustrait au service militaire.
J'avais exposé cette situation et demandé à M. Ramseyer s'il était au courant de ces faits et ce qu'il pouvait en dire. M. Ramseyer, lors de la séance suivante, séance de nuit, Mémorial no 11, page 1155, affirmait ceci : «M. "H" était arrivé le 16 février de cette année en provenance d'Athènes à Genève. Il aurait détruit son billet d'avion. Il avait voyagé sous un faux nom et a été identifié à Genève comme étant d'origine syrienne. Il parlait français, et on ne savait pas d'emblée d'où il venait. L'ODR a refusé la requête qu'il a présentée et devant le refus de M. "H" de quitter le pays, il a passé cinq jours à Champ-Dollon. Le 25 février, finalement, sous une forme qui n'a pas été précisée - était-il d'accord ou non ? - il a été embarqué pour la Grèce. Il a été admis à nouveau en Grèce, bien que ce pays n'en avait pas envie». La réponse de M. Ramseyer s'arrêtait là. Il disait encore que, pour le reste, il avait demandé une enquête complémentaire. L'état de fait s'était donc arrêté au 23 mars.
Dans l'intervalle, un certain nombre de choses sont apparues, que je vous résumerai comme ceci :
Il est effectivement apparu que la Grèce voulait, au départ, renvoyer ce citoyen syrien en Syrie. Il avait bien demandé protection à la Suisse, car son pays se trouvant sous le régime de la loi martiale, il y a été condamné pour refus de servir. Cette condamnation entraînait, effectivement, une peine de cinq ans de prison. L'ODR avait refusé sa demande, car, selon lui, il ne courait pas le risque, une fois en Grèce, d'être extradé vers la Syrie, ce qui était donc faux.
Durant son séjour de cinq jours à Champ-Dollon, le requérant a été effectivement présenté par la police genevoise au consulat de Syrie, et la police a déclaré à ce sujet qu'elle avait reçu des ordres de "haut". Ensuite, il a été renvoyé, comme cela a été dit, en Grèce, alors que ce pays avait expressément déclaré que l'asile ne lui serait pas accordé. Il était donc effectivement en grand danger. On savait à Genève que l'asile ne lui serait pas accordé, puisque des fax sont arrivés de Grèce, indiquant que ce M. "H" ne serait pas reçu en Grèce, en tout cas pas en tant que requérant d'asile.
Ensuite, M. "H" a passé vingt jours dans un centre de détention proche de l'aéroport d'Athènes, cela constamment sous la menace d'être renvoyé en Syrie. Finalement, différentes procédures ont été entreprises en Suisse, et la commission de recours en matière d'asile a accepté son recours - on peut donc mesurer l'importance de son existence, et je vous rappelle qu'il a fallu se battre énormément pour l'obtenir - dans l'intervalle, un mois après son départ pour Athènes, le 25 mars - deux jours après votre réponse, Monsieur Ramseyer.
Finalement, M. "H" a pu revenir en Suisse. Heureusement que la Grèce n'a pas mis sa menace à exécution de le renvoyer en Syrie !
Le 20 mars, M. "H" était de nouveau à Genève, où il a subi une fouille corporelle et où il a passé au CERA. J'aimerais encore signaler que le requérant a affirmé, notamment par un courrier qu'il a adressé à la Ligue suisse des droits de l'homme, du 1er avril 1995 - ce courrier est en votre possession, Monsieur Ramseyer - avoir subi des mauvais traitements caractérisés, durant son séjour à Champ-Dollon.
Aujourd'hui, M. "H" se trouve dans un autre canton de Suisse, et on peut, après la décision définitive des autorités suisses - finalement, de l'autorité de recours - d'accepter sa requête d'asile, s'estimer heureux qu'il ne soit rien arrivé de plus grave à ce requérant. Nous aurions vraiment pu nous reprocher de ne pas avoir fait ce qu'il fallait et ne pas avoir la conscience tranquille. Les circonstances ont été favorables à M. "H", mais elles ne l'auraient peut-être pas été pour d'autres.
J'aimerais faire le lien entre la pétition et ce dossier, puisque les mauvais traitements allégués par M. "H" font également partie de cette pétition.
Je possède un dernier élément : à l'occasion d'une rencontre - Monsieur Ramseyer, vous m'en aviez d'ailleurs parlé - qui a eu lieu le 20 mars entre la délégation du Conseil d'Etat compétente et la Coordination Asile, vous aviez dit qu'une information précise serait donnée, pour tous les requérants et les demandeurs en situation difficile, sur les droits et les devoirs qui sont les leurs. Cette information nous paraît extrêmement importante pour que chacun sache quels sont ses droits et que la zone d'ombre disparaisse, alors qu'elle persiste malgré les nombreuses interventions au sujet des requérants débarquant à Cointrin.
En guise de conclusion, Monsieur Ramseyer, je vous poserai les questions suivantes, sur l'établissement des faits :
l) Pouvez-vous confirmer les faits que j'ai exposés ce soir, ou contestez-vous certains points précis ? L'établissement des faits dans cette affaire est, en effet, tout à fait fondamental.
2) Que pensez-vous de l'allégation de M. "H", selon laquelle il aurait reçu des mauvais traitements, dont la Ligue des droits de l'homme a eu connaissance, laquelle l'a transmise à qui de droit.
3) Enfin - cela me paraît particulièrement grave - la police genevoise se serait permis de présenter un requérant d'asile au consulat de son pays, soit du pays qu'il fuyait ! Qu'en est-il ? Cela a étonné plus d'un !
J'aimerais avoir votre appréciation sur ces faits et sur leur interprétation.
Subsidiairement, et cela recouvre mes questions, j'aimerais connaître les résultats de l'enquête complémentaire, dont vous m'aviez parlé dans votre réponse le 23 mars. Trois mois ont passé depuis, et je pense qu'un certain nombre d'éléments ont pu être établis.
Enfin, dernier point, j'aimerais avoir l'assurance que le document qui a été promis à la Coordination Asile, en date du 20 mars, soit réellement mis à disposition de tous ceux qui en ont besoin, dans la zone de l'aéroport de Cointrin et ailleurs. Partout où quelqu'un présente une demande d'asile, on doit pouvoir lui remettre un document clair et net sur ses droits et ses devoirs.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. S'agissant des faits, soyons clairs sur la véritable personnalité de M. "H" !
Il quitte la Syrie, se réfugie en Grèce, falsifie ses documents, son identité et prend un avion sous une nationalité française. Arrivé à Genève, il est démasqué : on constate qu'il ne s'agit pas du tout de la personne correspondant aux documents, et il est arrêté. Ensuite, l'administration fédérale - et non pas cantonale - décide le renvoi de ce monsieur vers son dernier pays de résidence, à savoir la Grèce.
Or, Monsieur le député, je vous rappelle que la Grèce, comme la Suisse, a signé la Convention de Genève, relative au statut de réfugié. Elle est donc tenue, comme la Suisse, au respect du principe de non-refoulement. A cet égard, l'assertion selon laquelle la Grèce s'apprêtait à le renvoyer en Syrie ne me paraît pas exacte.
Quant au refoulement lui-même, les services de police genevois ont agi scrupuleusement sur la base d'une directive de l'ODR du 22 février 1993, stipulant, en substance, que dans le cas de dépôt d'un recours, la décision contestée doit être exécutée aussi longtemps... (L'orateur martèle ces deux derniers mots.) ...que la commission de recours n'a pas donné d'instruction contraire.
Or, dans cette affaire - vous le savez pertinemment - la commission de recours n'a pas donné d'instruction contraire, de sorte que cette personne a été renvoyée. M. "H" s'est opposé par la force, deux fois, à son renvoi. La troisième fois, il a été écroué à Champ-Dollon pour voie de fait. Ensuite, après discussion, il a accepté de prendre l'avion pour la Grèce.
La situation actuelle est effectivement curieuse. Cette personne ayant déposé un recours une nouvelle fois, la commission de recours a finalement admis de réexaminer la demande d'asile de M. "H". En attendant cette nouvelle décision, qui ne sera que la quatrième pour ce monsieur, l'intéressé a été autorisé à revenir en Suisse.
Les leçons à tirer de cette affaire, Monsieur le député, sont bien simples : dans la mesure où l'administration fédérale, l'ODR, n'a pas modifié sa directive sur l'exécution du renvoi du 22 février, c'est mon département qui a donné ses propres instructions à sa propre police, à l'aéroport, pour qu'elle s'en tienne désormais strictement à l'article 47 de la loi sur l'asile et qu'elle veille, ainsi, aux délais de vingt-quatre et quarante-huit heures, évoqués tout à l'heure.
Nous avons donc fait plus. Mais à vous entendre, Monsieur le député, je me demande jusqu'où vous aimeriez que l'on aille : je pense encore plus loin ! Nous avons prévu des mesures à court terme sur l'information des requérants d'asile, sur le déroulement de la procédure et sur leurs droits. Si ce monsieur ignorait ses droits, alors expliquez-moi comment il est possible que quelqu'un qui découvre - paraît-il - la Suisse et les arcanes de son administration, qui plus est complètement démuni, ait réussi en moins d'une demi-heure à avoir un avocat pour l'assister !
Ce document d'information sur le droit des requérants est donc prévu, et nous avons pris les mesures usuelles pour améliorer encore les conditions d'existence en zone internationale.
L'unique but de l'allégation de mauvais traitements est de gagner du temps. Quand ce monsieur sera resté six mois, huit mois ou une année, on viendra nous dire qu'il est parfaitement assimilé et que nous ne pouvons plus le renvoyer. Je n'ai pas reçu la plainte de ce monsieur au sujet de ces mauvais traitements. Il s'agit, à coup sûr, de l'évacuation forcée à laquelle il s'est opposé par la violence.
Vous me demandez où en est l'information que vous auriez dû recevoir. Peut-être qu'il y a eu un manquement à votre égard, mais si vous lisez les journaux, toute la presse en a parlé : le canton de Genève a pris des mesures tout à fait novatrices en la matière ! Elles vont toutes dans le sens d'une plus grande générosité et d'une plus grande humanité.
Vous m'avez posé des questions auxquelles je répondrai ultérieurement sur la base des documents, parce que vous venez de dire que ce monsieur était venu normalement en Suisse, alors qu'il est entré en Suisse sous une fausse identité. Quelqu'un qui n'a rien à se reprocher n'agit pas ainsi ! Je répondrai donc plus tard à votre question demandant si je confirmais les faits.
A votre question demandant si nous reconnaissons les mauvais traitements, je réponds négativement. Il s'agit, comme je l'ai dit, certainement de l'opposition de ce monsieur, par la violence, à son expulsion.
Vous m'avez demandé s'il était exact qu'il a été présenté aux représentants de son consulat. Je le vérifierai et je vous répondrai sur ce point.
Enfin, vous m'avez prié de vous donner le résultat d'une enquête complémentaire, que je vous avais promise. Je vous le donnerai en même temps que ma réponse à votre intervention.
Monsieur le député, il me semble que ce cas n'est pas idéal pour défendre les idées qui sont les vôtres ! Nous avons affaire à quelqu'un qui nous a trompés, à qui nous avons appliqué des données strictement fédérales. Nous avons adopté des règles genevoises encore plus généreuses, mais je vous le dis sincèrement, Monsieur le député : faites attention de ne pas trop tirer sur la corde ! Vous savez déjà ce que vous ont coûté les recours contre les mesures de contrainte. Ce n'est pas moi qui ai inventé les résultats qui vous sont néfastes, ainsi qu'à notre politique. C'est vous qui les avez voulues, on les appliquera, en temps opportun, comme elles sont sorties du Tribunal fédéral et des autres tribunaux qui se sont penchés sur ce cas.
Vous aurez donc ultérieurement ma réponse largement documentée sur ce cas précis, lequel a fait l'objet de plusieurs rapports de police.
M. René Longet (S). Je vais prendre connaissance des informations qui me seront communiquées par M. Ramseyer et je répliquerai ensuite.
La présidente. Le Grand Conseil prend acte que la réponse du Conseil d'Etat à cette interpellation figurera à l'ordre du jour d'une prochaine séance.