Séance du vendredi 9 juin 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 8e session - 28e séance

R 296
8. Proposition de résolution de Mme et MM. Elisabeth Reusse-Decrey, Jean-Claude Genecand, Chaïm Nissim et Pierre Vanek sur la conception cantonale de l'énergie. ( )R296

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- l'article 10 de la loi sur l'énergie, qui invite le Conseil d'Etat à réactualiser la conception cantonale en matière d'énergie à chaque législature, et à faire rapport au Grand Conseil, qui accepte cette conception sous forme de résolution;

- l'acceptation par notre Grand Conseil (le 16 septembre 1993) d'une conception vidée de sa substance, qui ne contenait que la liste des actions et postulats sur lesquels nous étions tous d'accord, et qui ne contenait plus d'objectifs politiques chiffrés,

décrète

La conception cantonale de l'énergie, votée le 16 septembre 1993, est complétée par les objectifs d'économie suivants:

Objectifs combustibles (mazout-gaz)

- Réduction de la consommation totale d'énergie de chauffage (y compris l'eau chaude sanitaire) de 1,5% annuellement, à population constante, par rapport à la valeur actuelle d'ici l'année 2025.

(N. B. Ce premier objectif est repris tel quel du premier projet de conception, présenté par le Conseil d'Etat le 10 février 1993 - R 253.)

Objectifs électricité

- Les autorités cantonales présentent une stratégie de réduction de la consommation d'électricité - et des appels de puissance - de l'ordre de 1% par an ou mieux, pour les 4 prochaines années (législature). Cet objectif tient compte de la conjoncture économique et de la démographie. Le plan d'économies présenté par le gouvernement devrait avoir recours au levier tarifaire dégressif ou progressif à l'égard du consommateur, en fonction des efforts réalisés ou non par ce dernier.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Nous vous proposons une conception complétée, pour les raisons suivantes:

Situation actuelle

En Suisse, selon l'Union des centrales suisses d'électricité (UCS), la consommation industrielle a baissé ces 3 dernières années de 5,7% contre 0,17% les 3 années précédentes. Dans le même temps, la consommation des services a progressé de 2% contre 7,9% les 3 années précédentes.

Pour les ménages, après une période de forte augmentation de 7,5% entre 1989 et 1991, la consommation s'est pratiquement stabilisée entre 1992 et 1994, où la hausse n'a été que de 0,17%.

A Genève, pendant les mêmes périodes, la consommation totale du réseau a même diminué entre 1991 et 1994, alors qu'entre 1989 et 1991 la hausse avait été de 4,69%.

Si l'on ne peut se réjouir d'une diminution de consommation dans l'industrie due essentiellement à la dégradation de l'activité économique, et si l'on doit déplorer le boulimie de certains consommateurs, on doit se féliciter de la tendance à la stabilisation des consommations ces 3 dernières années. C'est bien là la preuve qu'une politique visant à une meilleure gestion de nos ressources est possible et que les premiers efforts dans ce domaine ont déjà porté leurs fruits.

Une conception cantonale de l'énergie. Pourquoi?

Vivre en parfait égoïste et dire «après nous le déluge» n'est pas l'attitude responsable d'un homme ou d'une femme qui se veut au service de sa patrie. Les experts se disputent sur les conséquences dans le temps de la pollution, qu'elle soit atmosphérique (couche d'ozone) ou environnementale (déchets radioactifs). Aucun expert, cependant, n'ose dire que les effets à long terme sont nuls.

Notre Grand Conseil, mû par le souci de ne pas hypothéquer la vie des générations futures, a accepté, lors de la précédente législature, une première conception cantonale de l'énergie. Mais de vives discussions ont eu lieu, 3 commissions différentes se sont réunies de nombreuses fois (les commissions consultative, COTEN et parlementaire) et il n'a pas été possible de dresser des objectifs chiffrés et un calendrier.

La présente résolution a pour objectif de pallier ce manque, en remettant un contenu chiffré dans la conception cantonale.

Les économies d'énergie: un gisement à exploiter!

Est-ce qu'il viendrait à l'idée de quelqu'un de se plaindre de sa voiture qui consomme moins que la précédente. A voir le succès des petites cylindrées, il est indéniable que chacun est attentif à ses dépenses. Si un frigo est mieux isolé, si une chaudière est proportionnée aux besoins et techniquement améliorée, si les appareils ménagers sont moins dévoreurs d'énergie, si les éclairages utilisent les nouvelles technologies, si les appareils à grosses utilisations, téléviseurs, ordinateurs, fax sont éteints lors d'interruptions prolongées, etc., si toutes ces améliorations techniques sont intégrées à notre quotidien, il est déjà possible d'effectuer de notables économies sans que notre confort se dégrade.

Les lois du marché sont ainsi faites: si la demande se précise vers moins de consommation, les fabricants suivront la tendance et même, la concurrence aidant, ils la précéderont. Pour reprendre l'exemple de la petite voiture, certains constructeurs se sont mordu les doigts de n'avoir pas pris le virage assez tôt. Ce qu'il faut, c'est donner l'impulsion. Les voeux pieux ne suffisent plus.

L'urbanisation nous a contraints de prendre des mesures de circulation, de même la protection de l'environnement, c'est-à-dire le bien-vivre de nous tous, nous contraint de prendre des mesures d'économie d'énergie. Il nous faut mettre sur pied un calendrier avec des objectifs chiffrés, qui pourront d'ailleurs être revus à chaque législature en fonction des succès et des échecs. Il faut également se donner les moyens de sa politique en jouant sur les tarifs en fonction de l'effort consenti par le consommateur et créer un fonds qui investira dans les économies d'énergie, comme cela se fait déjà dans de nombreux pays (USA, Allemagne, Danemark).

Dans ces pays, les mesures d'utilisation rationnelle de l'énergie sont perçues comme contribuant à la sécurité de l'approvisionnement, à une meilleure gestion des ressources, et à un progrès pour l'économie.

Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, nous soumettons la présente résolution à votre bienveillance.

Débat

M. Jean-Claude Genecand (PDC). Je souhaite d'abord corriger le texte dans la première phrase des «Objectifs électricité» : il faut supprimer ou, mieux, car c'est une coquille. Il faut donc lire :

«Les autorités cantonales présentent une stratégie de réduction de la consommation d'électricité...»

Mesdames et Messieurs les députés, est-il utopique de chiffrer des économies d'énergie ? Puisque nous parlons d'économies, que fait le Conseil d'Etat, si ce n'est de fixer des objectifs annuels afin de restreindre le déficit ? Cette volonté politique est nécessaire pour obtenir des résultats. Pourquoi en irait-il autrement pour les économies d'énergie ?

Si j'ai cosigné cette résolution, c'est d'abord parce que je crois qu'il est nécessaire de sauvegarder notre environnement, mais aussi parce que j'ai un réflexe de patron : je mise sur les coûts moins élevés des dépenses d'énergie. Si, avec la même efficacité des outils de travail, je diminue ma facture aux Services industriels de 10 à 15%, c'est bon à prendre par les temps qui courent ! La Ville de Genève a compris cela depuis vingt ans, ce qui lui a permis de diminuer sa consommation de 45% pour le chauffage des immeubles. C'est aussi l'expérience réalisée, grâce aux SI, pour les locaux scolaires de la ville d'Onex, qui a atteint une diminution de 20 à 25% d'électricité. Pensons à la télévision et aux ordinateurs qui restent allumés des heures durant, inutilement ! Cette énergie gaspillée pourrait suffire à alimenter une ville de trente mille habitants.

Dans l'exposé des motifs, nous avons montré la situation actuelle en matière de consommation d'énergie. Celle-ci a fortement diminué à cause de la baisse de l'activité économique, alors que celle des ménages s'est stabilisée, durant ces trois dernières années. C'est dire qu'en mettant en place une véritable politique d'économies d'énergie les objectifs proposés sont réalistes et atteignables sans diminuer notre confort. Par ailleurs, l'étude des rapports Logilab et CERA nous permettra, à partir de bases scientifiques, de déterminer le potentiel des économies et les coûts qu'elles génèrent.

C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, notre résolution arrive à point nommé. Notre groupe la votera et je souhaite qu'une forte majorité du Grand Conseil la soutienne.

M. Chaïm Nissim (Ve). Je vais compléter ce qu'a dit mon collègue Genecand.

En février 1993, il y a environ deux ans, nous avions déjà adopté une première résolution, qui portait le numéro 253 et nous présentait une conception : malheureusement celle-ci ne nous a jamais permis de nous mettre d'accord sur des objectifs chiffrés. Malgré trois ans de travail dans trois commissions différentes - les commissions consultative, parlementaire et technique - nous n'avons pas réussi à trouver un terrain d'entente sur des objectifs chiffrés. Cette conception était revenue devant le Grand Conseil, puis avait été renvoyée, suite à la même bagarre concernant les objectifs, et, pour finir, avait été adoptée sans prévoir aucun chiffre.

Or, les objectifs sont utiles mêmes si on ne les atteint pas. Ils nous donnent une sorte de baromètre, une espèce de tableau de bord qu'on peut suivre, auquel on peut se référer pour savoir où l'on en est, si l'on a utilisé convenablement son argent ou pas. Suite à la motion 820 déposée il y a trois ans, nous avions prévu de consacrer un certain nombre de millions, chaque année, à une politique d'économies d'énergie. Il est donc important de définir des objectifs, afin de déterminer si ces millions sont gérés convenablement.

En plus, ces objectifs seront des références, si l'on veut se rapprocher à long terme d'un «développement durable» - c'est une expression qui s'emploie beaucoup : c'est presque devenu une «tarte à la crème» ! Cette semaine, j'ai ouvert mes oreilles toute grandes et j'ai entendu plusieurs fois : «développement durable» ! C'est devenu un des masques de beaucoup de discours ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Cela signifie qu'il faut essayer de nous développer et de préserver les chances de développement des générations futures.

Pour ce faire, il ne faut pas fabriquer de déchets radioactifs qui risquent de prétériter la vie de ces générations futures, ne pas utiliser trop d'énergies non renouvelables, mais, au contraire, employer le plus possible d'énergies renouvelables. C'est un changement important de nos mentalités, de tout notre équipement et de notre appareil industriel. A long terme, nous allons donc utiliser davantage de courant électrique pour nos transports que de gaz ou de mazout, parce qu'il n'y en aura plus. Nous nous chaufferons avec du solaire, surtout du solaire passif, à eau chaude, et plus avec du mazout, énergie non renouvelable. Nos appareils, nos mentalités, nos modes de vie vont changer, dans quelques décennies, mais il faut commencer à nous y préparer maintenant parce que, lorsqu'on se prépare longtemps à l'avance, les virages sont moins pénibles à négocier et on a le temps de fabriquer des compétences et des emplois qui, par la suite, serviront à nous reconvertir. Le développement durable est donc un objectif essentiel, et c'est dans cette perspective que nous vous proposons - j'insiste sur ce mot, car nous ne vous imposons rien - quelques objectifs.

En commission, en étudiant cette résolution, les deux études qui viennent d'être rendues à notre commission, et la motion 820 qui propose d'investir de l'argent dans les économies d'énergie, nous devrons définir des objectifs, en tentant d'échapper au dilemme cornélien, fort bien résumé par notre président, M. Joye, quand il disait : «Nous pouvons essayer de remplacer une partie du nucléaire, peut-être pas la totalité tout de suite, par des couplages chaleur-force ou par des centrales à gaz» - c'est une solution qui a l'avantage de donner du courant bon marché - «mais nous pouvons aussi remplacer une partie du nucléaire par des économies d'énergie». C'est écologiquement intéressant mais cela donne des kWh beaucoup plus chers que le gaz. Il faudra donc choisir entre l'économie et l'environnement.

La pesée des intérêts devra être nuancée et intelligente. Bref, nous espérons arriver en commission, à l'issue de quelques journées de travail que nous avons déjà préparées, à une solution qui convienne à tous et ne soit ni trop ceci, ni trop cela. Là est notre espoir, et c'est dans ce but que nous vous proposons les chiffres soumis dans notre résolution.

Mme Janine Berberat (L). Jamais deux sans trois ! Cette résolution a, pour le moins, le mérite de réunir, cette fois-ci, tous les auteurs des précédentes, mais la proposition de base reste la même, c'est-à-dire anticiper sur les conclusions du prochain rapport du Conseil d'Etat, ce qui pourrait modifier la conception de l'énergie actuellement appliquée, et cela sans attendre qu'une évaluation des actions entreprises soit faite.

Décider aujourd'hui, à mi-parcours, que cette conception est vide d'objectifs politiques, simplement parce qu'ils ne sont pas inscrits en chiffres mais, dans le même temps, reconnaître, dans l'exposé des motifs, qu'une meilleure gestion en matière d'énergie a été réalisée à Genève, tout particulièrement ces dernières années, et que les effets d'une nouvelle politique commencent à porter leurs fruits, relève plus, je pense, de l'impatience que de la mauvaise foi des auteurs.

Le Grand Conseil précédent a adopté, si ce n'est des objectifs chiffrés, en tout cas, un postulat et un catalogue d'actions qui mériteraient d'abord de laisser le temps aux différentes personnes et services concernés de les réaliser et d'en évaluer les effets, avant de tirer un bilan que certains jugent déjà négatif ou trop timide. Toutefois, le groupe libéral soutiendra cette proposition de résolution, dans la mesure où les auteurs en accepteront le renvoi à la commission de l'énergie et des Services industriels.

En effet, si la conception actuelle de l'énergie doit être réactualisée en 1997 par le Conseil d'Etat et adoptée, si possible, par ce Grand Conseil, il n'en demeure pas moins que l'on doit, aujourd'hui déjà, se poser et poser les bonnes questions aux différents partenaires qui seront impliqués dans les conséquences et les coûts de nos choix, que ces choix soient anti ou partiellement nucléaires et qu'ils soient orientés vers des énergies nouvelles et indigènes. Que les partenaires soient transporteurs, distributeurs, vendeurs ou consommateurs, un objectif chiffré a son poids de contraintes et d'efforts économiques pour les différents maillons de la chaîne, et il apparaît opportun que nous prenions le temps et la peine de les écouter, afin de mieux concilier économie et environnement.

De plus, Genève ne peut envisager en solitaire sa politique en matière d'énergie. Dépendante à plus de 70% de ressources extérieures, déterminée aussi dans sa volonté d'être européenne, il convient de tenir compte de ces différents paramètres et d'avoir une approche plus globale et non pas de mener une politique de coup par coup. Les Genevois ont voté l'initiative «L'énergie, c'est notre affaire», c'est vrai, mais ils n'ont pas souhaité forcément qu'elle en soit une mauvaise.

C'est pourquoi nous vous proposons, Mesdames et Messieurs les députés, le renvoi de cette résolution en commission.

M. Pierre Vanek (AdG). Nous ne nous opposerons pas à cette proposition de renvoi en commission. Je ferai quelques observations pour compléter ce qui a été dit par mes préopinants et coauteurs de la résolution, ainsi que pour répondre à quelques remarques de Mme Berberat.

Cette résolution est minimaliste. Elle propose, en matière d'électricité, puisque c'est là qu'il y a controverse, de se fixer comme objectif une réduction de 1% par an - ou mieux ! - de la consommation. Je pense qu'il est possible de faire mieux. Le vote d'une résolution de ce type a simplement le mérite de dire qu'on va faire ce qu'on réclame depuis très longtemps, c'est-à-dire des économies d'énergie, notamment électrique.

Effectivement, Madame Berberat, nous avons voté un article, maintenant dans la constitution, qui contient des dispositions clairement antinucléaires. Les citoyens de ce canton ont plébiscité non seulement le moratoire en matière nucléaire mais également l'abandon du recours à ce type d'énergie. En conséquence, on ne pouvait guère faire des économies - consommer moins en matière d'énergie - et se fixer un objectif moins ambitieux que de proposer une réduction de 1% : c'est vraiment le minimum ! On ne peut pas aller en deçà, si l'on veut respecter les intentions des citoyens, qui sont très claires. On peut s'opposer à ces intentions; se dire que c'était une erreur d'avoir voté cet article constitutionnel; on peut proposer de le modifier mais, tant qu'il est en vigueur, il faut essayer d'aller dans cette direction.

Du côté du parti libéral, on nous dit qu'il a été question d'anticiper sur les résultats de la conception cantonale de l'énergie. Il n'est pas question d'anticiper quoi que ce soit ! Lors de la dernière législature, une conception contenant des objectifs aurait dû être votée. Nous ne sommes pas en train d'anticiper mais d'agir a posteriori, avec beaucoup de retard. Il y a un certain nombre d'années, dès 1986 ou 1987, des dispositions de ce type auraient dû être prises, des indications en terme d'objectifs auraient dû être fixées.

La loi sur l'énergie, en son article 10, qui prévoit cette question de la conception cantonale de l'énergie, évoque la nécessité d'adopter un plan directeur de l'énergie du canton, lequel établit périodiquement la part souhaitable des différentes énergies, notamment celles qui sont renouvelables. Pour nous, la part souhaitable de l'énergie nucléaire dans l'approvisionnement de ce canton, c'est zéro ! C'est un objectif clair. Comme l'a dit M. Nissim, on ne peut pas tourner le bouton du jour au lendemain, mais on doit affirmer dans cette conception que la part souhaitable tende vers zéro, parce que cela répond à une demande des citoyens clairement exprimée. On ne peut pas à la fois dire cela et ne pas accepter une évolution de la consommation énergétique qui aille dans ce sens.

On nous a accusés de mauvaise foi en la matière ! Je répondrai que nous avons été d'une modération exemplaire : nous nous sommes montrés arrangeants et souples, y compris en acceptant de renvoyer cette résolution en commission pour en discuter. Notre attitude est justifiée, car nous devrons travailler sérieusement en commission et rapidement pour mettre en oeuvre des moyens pour atteindre cet objectif de 1%, ou plus. J'insisterai, pour ma part, sur le fait qu'il faut essayer de faire mieux. En effet, c'est le taux actuel constaté aujourd'hui, plutôt dû aux effets de la récession qu'à la politique énergétique.

Une dernière observation pour finir : Mme Berberat a dit que nous étions dans un contexte national, voire international, et que Genève n'était pas seule. Effectivement, nous sommes dans un contexte national, marqué par la publication, ces derniers jours, d'un rapport de l'Office fédéral de l'énergie, ou d'une commission de celui-ci, le rapport Cattin - je ne sais pas si vous l'avez lu - qui fait des propositions, désastreuses à mon sens, disant que les pouvoirs publics doivent se retirer de toute intervention dans le secteur de l'énergie, qu'il faut abaisser le coût de l'électricité pour les gros consommateurs industriels, avec, comme corollaire sous-entendu, la conséquence d'un report du coût sur les petits consommateurs. On doit prendre en considération ce contexte.

Cela signifie que, si l'on veut avoir une légitimité, du fait que les Services industriels - je crois qu'aujourd'hui personne n'oserait proposer leur privatisation - sont une entreprise publique, il faut proposer une politique claire qui soit applicable par cette entreprise et une politique publique qui soit en conformité avec l'article 160 C de notre constitution. Il faut qu'elle exprime la volonté de nos citoyens de sortir du nucléaire, certes à terme pour le canton de Genève, pour être un exemple pour d'autres cantons suisses et les pays qui nous environnent. J'aimerais bien que l'abandon du nucléaire ne se fasse pas en catastrophe, à la suite d'un accident, d'un nouveau Tchernobyl qui se produirait, par exemple, dans l'hexagone voisin.

M. Roger Beer (R). Nous sommes entrés, une fois encore, dans un débat technique et finalement très politisé, et l'on sent bien que les approches et les sensibilités sont très différentes.

Notre collègue de l'Alliance de gauche trouve que cette résolution est minimaliste, mais, pour les radicaux, elle est raisonnable. Or, puisque c'est le même texte, bien que les approches divergent, le groupe radical sera d'accord de l'étudier plus sérieusement à la commission de l'énergie. Je crois que, par rapport à tout ce qui a été dit, il faut bien se rendre compte que le voeu des Genevois est effectivement de faire des économies d'énergie. Cependant, nous devons respecter des bases très concrètes.

Nous ne pouvons pas aujourd'hui refaire l'histoire, même si nous en avons envie, car nous ne pouvons pas avoir d'influence sur ce qui a été décidé il y a quelques années. Aujourd'hui nous devons essayer de modeler, par notre rôle politique, l'avenir tel que nous avons envie de le laisser à nos descendants. Cette résolution est, pour notre Grand Conseil, une sorte de roman-feuilleton à épisodes, vu que cela fait plusieurs séances qu'elle est présentée, puis retirée, retravaillée et à nouveau présentée, notre collègue Nissim ayant finalement réussi à reformuler ces différentes propositions et fait en sorte qu'elles soient acceptables. Nous nous réjouissons donc de l'étudier en commission.

Sans plus allonger, le groupe radical est intéressé par ce qui ressortira de cette conception, telle que vous la proposez, et étudiera ce qu'il sera possible de faire, en période de crise.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Au travers de tout ce qui a été dit, nous constatons qu'il y a un consensus pour un renvoi en commission et c'est là l'essentiel. J'ose espérer que, cette fois-ci, nous parviendrons à terminer nos travaux de commission, en nous mettant d'accord sur des objectifs politiques, chose qui n'avait pas été possible sur le précédent projet.

Cependant, je suis un peu inquiète en entendant les propos de Mme Berberat qui ne sont pas faits pour me rassurer, parce que si, dès le départ, nous sommes accusés d'impatience et de mauvaise foi, j'ai peur que nos travaux ne s'enlisent assez rapidement. Non, Madame Berberat, nous ne faisons preuve ni d'impatience, ni de mauvaise foi ! Nous sommes même en train de faire le travail du Conseil d'Etat, qui aurait déjà dû nous présenter une conception, comme cela est inscrit dans la loi. A force d'attendre, le Conseil d'Etat ne nous présentant pas de nouveau projet de conception, nous avons décidé de nous mettre nous-mêmes au travail, avec peine il est vrai, car il a fallu retirer cette résolution, la modifier et la représenter mais, aujourd'hui, je suis satisfaite de voir que le consensus s'établit autour du renvoi en commission. J'ose espérer que nous y travaillerons sereinement.

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Je voudrais remercier ce parlement d'accepter le renvoi de cette résolution en commission et ajouter qu'il serait sage de traiter ces thèmes pendant les discussions que nous avons engagées, dans le cadre des très nombreuses séances agendées pour l'étude du rapport CERA-Logilab.

Avant de répondre aux auteurs de la résolution, je tiens à rassurer Mme Reusse-Decrey. Si quelqu'un s'est préoccupé des questions relatives à l'énergie, à la diminution possible de la consommation, aux questions du Demand Side Management et du Least Cost Planning, c'est bien le Conseil d'Etat actuel ! Le petit procès d'intention que vous nous faites, en nous disant que vous devez vous substituer à nous, est en retard d'en tout cas une année.

En ce qui concerne les objectifs combustibles, ainsi que le relèvent les auteurs de la résolution, le but était d'obtenir une réduction globale de 45% de la consommation totale d'énergie, ce qui correspond à 1,5% annuellement. Ces objectifs sont liés à neuf mesures, C1 à C9, qui sont pour la plupart en phase d'exécution. Il faut relever que le programme mis en oeuvre déploiera tous ses effets lorsqu'il aura atteint son rythme de croisière. On n'obtient pas ce genre de modifications, tout de suite.

Ces mesures ont été conduites en étroite collaboration avec de larges milieux : organisations professionnelles, entreprises et secteur privé. Je vous en donne quelques exemples :

1) La revalorisation des rejets thermiques dans le secteur des services au centre administratif de la BCG à Lancy, dans le cadre du projet immobilier «Les Mouilles».

2) La substitution d'énergies renouvelables à des agents fossiles : par exemple, dans trois communes genevoises, nous avons effectué des installations de chauffage au bois.

3) Nous avons aussi un projet de chaufferie alimentée en déchets de bois dans la zone maraîchère de Troinex. Le nombre de surfaces de captage est toujours en augmentation et nous menons maintenant notre action dans le domaine des immeubles locatifs.

4) L'amélioration des installations techniques des bâtiments.

5) La mise à disposition des agences immobilières ou des collectivités publiques d'un outil de gestion énergétique de parcs immobiliers qui s'appelle le GEPI.

6) L'établissement de préavis thermiques, qui fixent des objectifs de consommation.

La quantité d'énergie fossile substituée annuellement, grâce aux mesures prises maintenant dans l'ensemble du canton, est évaluée à 0,5% de la consommation d'énergie. Il résulte de ce qui précède que l'objectif fixé dans la conception adoptée en 1993 reste d'actualité, mais que le pourcentage de réduction annuelle ne peut être admissible qu'en tant que moyenne.

Je ne vous cache pas qu'arriver à économiser 45% d'énergie me semble être un «sacré exploit», mais le coût des mesures pour y parvenir est à comparer à l'économie visée. Rien que pour le remplacement des fenêtres dans le canton de Genève, si l'on voulait être conformes aux normes OPair et OP-Bruit, les montants en jeu seraient de l'ordre de 1,5 à 2 milliards de francs. C'est vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que nous ne sommes pas en mesure d'imposer le rythme de travail qui a été demandé par les ordonnances fédérales.

J'en viens maintenant aux objectifs d'électricité. La conception cantonale de l'énergie vise, à l'instar du programme fédéral Energie 2000, la maîtrise de la consommation d'énergie, sans atteinte au développement économique. C'est un principe important, à une période où le grand problème de l'Etat et des privés, c'est l'emploi. Toute mesure qui aurait pour effet d'entraver le développement économique serait catastrophique et ne pourrait aller qu'à fin contraire.

Aujourd'hui, les buts de 1993 sont totalement dépassés, comme celui de maîtriser la croissance annuelle pour la conduire de la valeur actuelle de 2,5 à 3% à la stabilisation en l'an 2000. Tout le monde est d'accord pour dire que ces buts vont beaucoup évoluer. Poursuivre l'effort, en l'amplifiant, pour réaliser une décroissance visant à revenir, au plus tôt en 2025, à la consommation de 1990, est un but qui sera probablement plus vite atteint que prévu, pour des raisons qui tiennent, comme vous l'avez relevé, Monsieur Vanek, malheureusement à la conjoncture. Depuis lors, l'évolution conjoncturelle a conduit à un réexamen du problème qui s'avère très complexe.

En ce qui concerne les économies, nous estimons que les taux de réduction, qui figurent dans la résolution 296, sont des taux dont je suis incapable de vous dire, Monsieur Vanek, s'ils sont justes ou faux, parce que je crois qu'ils s'inscrivent dans toute une série d'autres éléments que je me permettrai de citer.

Je tiens à souligner les actions qui ont été conduites en matière de Demand Side Management, plus particulièrement les exemples suivants :

- les tarifs du service de l'électricité ont été restructurés, afin d'introduire une tarification été-hiver pour les consommateurs importants et d'intensifier l'application de la théorie marginaliste;

- les programmes pilotés par l'OCEN;

- l'extension dans le secteur privé;

- le développement des systèmes chaleur-force;

- la détermination de l'indice électrique;

- le développement du solaire.

Autant d'actions qui sont maintenant en cours. De plus, la prise en considération des aspects énergétiques dans la gestion des bâtiments de l'Etat s'est traduite par une diminution de 2,4% de la consommation de courant en 1994, malgré une augmentation de 5,5% pendant la même période.

Je voudrais vous donner maintenant les quelques éléments qu'il me semble nécessaire de traiter simultanément à votre résolution. C'est dans cette optique que je vous demande d'apprécier les économies en électricité, de même que, plus généralement, en énergie, en fonction des études CERA et Logilab. Les critères sur lesquels nous devons tomber d'accord sont les suivants :

1) La hausse de la consommation probable.

2) L'augmentation de l'autonomie électrique cantonale : tout le monde souhaite qu'elle soit aussi grande que possible. Elle sera peut-être de 8% - ce sera assez facile à calculer.

3) La diversification des sources d'énergie.

Je me permets de vous faire signe, Monsieur Vanek, car j'aborde le problème du nucléaire. Je comprends votre désir très louable et très puriste, si j'ose dire, de renoncer à l'énergie nucléaire. En ce qui concerne le gouvernement, je ne pense pas que nous arrivions à vous faire des propositions en ce sens, le Grand Conseil, pour sa part, restant maître de ses intentions. A une époque comme celle-ci, nous ne pouvons pas purement et simplement renoncer à une source d'énergie. Par contre, et là je suis d'accord avec vous, il faut diminuer de façon très importante l'apport nucléaire.

4) Les économies qu'on peut réaliser par ce qu'on appelle le Demand Side Management et le Least Cost Planning sont très difficiles à réaliser, mais je pense que les études Logilab et CERA nous aideront dans cette voie.

5) L'apport de l'énergie de substitution douce et renouvelable est aussi difficile à évaluer. La part des centrales chaleur-force, qu'il faudrait prendre en compte, est extrêmement intéressante, mais il y a toujours le problème des canalisations et de qui les paient.

6) L'influence des critères environnementaux est vitale et les rapports avec la Suisse romande, comme l'a dit Mme Berberat, sont très importants aussi. Comment allons-nous réagir, car nous ne sommes pas seuls ? Nous collaborons avec les entreprises électriques fribourgeoises, avec la Société romande d'électricité, la Compagnie vaudoise, etc.

7) Il y a encore les propositions du conseiller fédéral Ogi, qui ont été publiées aujourd'hui dans la presse et qui ont trait à la privatisation des autoroutes de l'électricité. C'est une tendance qui se fait jour un peu partout et dont le but est de permettre aux acheteurs de disposer de sources d'énergie compétitives et non monopolistiques. Cela nous amène à notre problème avec EOS, puisque vous savez qu'ils sont, pour l'instant, nos vendeurs exclusifs.

8) Enfin, il y a la question très délicate de l'origine véritable et du mélange des courants dans nos fournitures électriques. Vous savez comme moi que, même si vous achetez de l'énergie électrique que vous croyez être de la houille blanche, vous pouvez vous trouver en présence d'une énergie nucléaire, parce qu'il est très difficile d'en définir l'origine, de la même manière qu'il est difficile de séparer l'origine des différents captages, dont dépend l'eau de votre robinet.

Je suis donc reconnaissant aux auteurs d'avoir présenté cette résolution, mais j'aimerais vraiment qu'elle soit traitée avec le reste des problèmes très complexes qui nous attendent cet été.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de résolution à la commission de l'énergie et des Services industriels est adoptée.