Séance du
jeudi 8 juin 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
8e
session -
27e
séance
M 1010
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le Tribunal fédéral a rendu récemment son verdict concernant un ressortissant étranger abusivement détenu dans le canton de Berne, et souligné que certaines applications cantonales de la loi sur les mesures de contrainte étaient contraires à la Convention européenne des droits de l'homme.
Suite à cet arrêt, notre Conseil d'Etat a dû se rendre à l'évidence: le règlement qu'il avait édicté en février 1995 n'était pas compatible avec les décisions de notre justice suprême. Il a donc décidé de le modifier et d'en voter une nouvelle teneur, parue dans la Feuille d'avis officielle du 2 juin 1995.
Cependant, il semble que le Conseil d'Etat fasse fausse route car, avec ce nouveau règlement, il:
- déroge à un principe constitutionnel fondamental en matière de liberté individuelle, puisque le principe d'un contrôle de la détention par un juge au plus tard dans les 48 heures est inscrit dans notre constitution, et que, le 16 juin 1988, notre Grand Conseil avait clairement estimé ne pas pouvoir déroger à ce principe dans le cas de détention en vue de refoulement;
- durcit le règlement en doublant la durée de détention qui ne dépend que du pouvoir discrétionnaire d'un fonctionnaire de police;
- ne tient pas les promesses rassurantes qu'il a avancées à plusieurs reprises l'année dernière quant à une application modérée des mesures de contrainte;
- prend de nouvelles décisions dans ce dossier chaud, sans aucune concertation avec les milieux intéressés ni même en informer la commission judiciaire du Grand Conseil actuellement saisie d'un projet de loi sur ce dossier;
- ne respecte toujours pas l'obligation faite dans la loi fédérale que ces personnes privées de liberté, mais n'ayant commis aucun délit, soient détenues dans des conditions et des lieux autres que les personnes purgeant une peine pour des raisons pénales.
Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, nous souhaitons que le Conseil d'Etat modifie dans les plus brefs délais le règlement qu'il vient d'adopter le 31 mai 1995 concernant l'application de la loi sur les mesures de contrainte.
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je dirai juste un mot pour rassurer les députés libéraux. Si je suis la seule signataire de cette motion, ce n'est pas parce que je détiens le monopole du coeur, mais parce que, vu l'urgence, je n'ai pas eu le temps de négocier avec qui que ce soit.
Je me suis appliquée à rédiger un exposé des motifs suffisamment détaillé pour ne pas développer cette motion ce soir.
Je demande son renvoi au Conseil d'Etat.
M. Philippe Joye. Madame la présidente, la modification d'urgence du règlement dans le sens proposé soulève des questions juridiques très complexes, qui, avant tout amendement, doivent être examinées sérieusement et d'une façon approfondie par le Conseil d'Etat. S'impose notamment une consultation préalable de l'autorité judiciaire concernée. Il en va de même pour ce qui est des conditions de détention faisant l'objet des griefs de la motionnaire.
En conclusion, je souhaiterais que cette proposition de motion soit renvoyée au Conseil d'Etat.
La présidente. C'est ce que nous propose Mme Reusse-Decrey.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
motion
concernant le règlement d'application des dispositions sur le séjouret l'établissement des étrangers
(F 2 3)
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- la récente modification, par le Conseil d'Etat, du règlement d'application des dispositions sur le séjour et l'établissement des étrangers et concernant l'application de la loi sur les mesures de contrainte;
- la décision de prolonger à 96 heures une détention strictement administrative, sans aucun contrôle judiciaire;
- le chapitre sur la liberté individuelle de la constitution genevoise, qui consacre le principe d'un contrôle de la détention par le juge au plus tard dans les 48 heures et auquel le Grand Conseil avait estimé en 1988 ne pas pouvoir déroger pour les détentions en vue du refoulement;
- le non-respect de la loi fédérale qui stipule clairement que les conditions et lieux de détention doivent être appropriés à des personnes n'ayant commis aucun délit,
invite le Conseil d'Etat
à modifier d'urgence le règlement du 31 mai 1995, respectivement du 15 février 1995, en rétablissant le principe d'un contrôle judiciaire de la détention dans les 48 heures, cas échéant en donnant cette compétence à un juge unique du Tribunal administratif plutôt qu'à une section formée de trois juges de ce tribunal, et en définissant un régime de détention administrative dégagée des contraintes liées au secret et à la sécurité en matière de détention préventive.
La séance est levée à 23 h 25.