Séance du vendredi 19 mai 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 7e session - 25e séance

R 287
4. Proposition de résolution de Mmes et MM. Fabienne Bugnon, Bénédict Fontanet, Jacques Boesch, Hervé Burdet, Marie-Françoise de Tassigny et René Longet concernant l'initiative populaire fédérale «Oui à l'Europe». ( )R287

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le vote du 6 décembre 1992 a été particulièrement clair dans notre canton. Certes, il ne portait pas sur l'adhésion à l'Union européenne proprement dite, cependant l'on peut partir de l'idée qu'une telle adhésion serait largement majoritaire à Genève.

L'adhésion de la Suisse à l'Union européenne est particulièrement importante pour un canton frontière comme le nôtre. Sans elle, nous n'arrivons pas à valoriser le potentiel régional. Nous peinons à retrouver pleinement notre insertion régionale.

Le Grand Conseil s'est, à plusieurs reprises, manifesté en faveur de la participation de notre pays à l'intégration européenne, et tout récemment le Conseil d'Etat déclarait vouloir introduire dans nos lois cantonales une clause d'eurocompatibilité.

L'actuel blocage du processus d'adhésion suscite une forte déception et une forte démobilisation parmi les partisans de l'intégration européenne dans notre pays; il est nécessaire que les forces favorables à l'ouverture puissent retrouver un espace d'expression politique.

L'initiative «Oui à l'Europe» offre l'occasion de sortir de cette impasse et elle permet d'envisager que notre pays puisse apporter, avant la fin du siècle encore, le concours actif de son histoire, de son expérience et de ses valeurs à la réussite de la construction européenne très directement.

Dans ce contexte et pour ces raisons, nous estimons qu'une prise de position claire et ferme du Grand Conseil est essentielle et vous proposons, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir adopter la présente proposition de résolution.

ANNEXE

TEXTE DE L'INITIATIVE

L'initiative propose d'ajouter trois articles supplémentaires aux dispositions transitoires de la constitution fédérale:

Art. 23 (nouveau)

1 La Suisse participe au processus d'intégration européenne et vise dans ce but à adhérer à l'Union européenne.

2 La Confédération engage sans délai des négociations avec l'Union européenne en vue d'y adhérer.

3 L'adhésion à l'Union européenne sera soumise au vote du peuple et des cantons, conformément à l'article 89, 5e alinéa.

Art. 24 (nouveau)

Lors des négociations et de l'adaptation du droit suisse au droit de l'Union européenne, toutes les autorités veilleront à ce que, notamment, les valeurs fondamentales de la démocratie et du fédéralisme ainsi que les acquis sociaux et environnementaux soient assurés par des mesures adéquates.

Art. 25 (nouveau)

La Confédération tiendra compte des compétences des cantons et sauvegardera leurs intérêts lors de la mise en oeuvre du traité d'adhésion et du développement de l'Union européenne, de même que dans le cadre d'autres questions relatives à l'intégration européenne.

Elle informera les cantons à temps et de manière exhaustive, les consultera et les associera à la préparation des décisions.

Débat

M. Hervé Burdet (L). C'est à réitérées reprises que, dans ce parlement, nous nous sommes prononcés pour ce «oui à l'Europe». Je n'aurais donc pas à faire une longue argumentation pour vous présenter la résolution 287.

Nous vous proposons de dire oui à l'Europe, oui à l'initiative pour l'adhésion à l'Union européenne, car nous ne pourrons plus, en restant isolés, résoudre les défis sociaux, économiques et écologiques présents et futurs.

Nous vous invitons à dire oui à l'initiative pour l'adhésion à l'Union européenne, car la jeunesse d'aujourd'hui entend participer de plein droit à la construction de l'Europe de demain.

Nous vous demandons d'accepter l'initiative pour l'adhésion à l'Union européenne, car la Suisse, berceau de la coexistence pluriculturelle, veut contribuer au développement d'une Europe pacifique et tolérante.

Enfin, nous vous proposons de dire oui à l'Europe et à l'initiative pour l'adhésion à l'Union européenne pour que la Suisse puisse mettre son expérience démocratique, son expérience du fédéralisme, au service de la construction d'une Europe toujours plus proche du peuple.

Le parti libéral est particulièrement bien placé pour vous inviter à soutenir cette résolution, puisque son comité central suisse a décidé, dès le 21 mars, d'appuyer l'initiative «Oui à l'Europe» lancée conjointement, à fin février, par cinq mouvements de jeunes.

Les libéraux ont été les premiers, il y a quatre ans, à réclamer que l'adhésion de la Suisse à l'Europe figure parmi les objectifs à terme du gouvernement fédéral.

L'alinéa 2, de l'article 23, est le seul point du texte qui nous a causé quelque perplexité. Il demande à la Confédération d'engager sans délai les négociations d'adhésion. Ce texte a suscité la discussion. Le parti libéral n'entend, en aucune façon, entraver les négociations bilatérales des complexes négociations sectorielles que la Suisse vient d'entamer avec Bruxelles.

Nous vous proposons donc de voter ce soir, si possible avec enthousiasme et à la majorité, la résolution 287 qui soutient l'effort des jeunes de ce pays et nous incite, nous autres Suisses, Européens de toujours, à faire partie de l'Europe pour travailler à son futur.

M. René Longet (S). Cette résolution, ni rhétorique, ni anodine, affirme trois choses :

1) L'Europe que nous voulons constitue, bel et bien, un projet politique. Nous voulons une Europe du citoyen, et cette Europe ne sera pas le fruit spontané de l'intégration économique. Elle devra être obtenue de haute lutte par ses citoyens. Elle ne doit pas être seulement le résultat d'un processus ou d'un pouvoir technocratique. Elle ne doit pas se limiter à la recherche d'économies d'échelle. C'est un projet politique dont nous nous réclamons et auquel, en tant que Suisses, nous voulons participer.

2) La résolution affirme que le destin de la Suisse et celui de l'Europe sont liés. La Suisse, en effet, est un des rares Etats d'Europe qui ne soit pas un Etat nation. Notre pays, datant d'avant les Etats nations, est apte à ouvrir la voie de leur dépassement. C'est, en fait, une mini-Europe et la Suisse réunit, sur son territoire, trois cultures européennes. Si la Suisse a un sens, c'est bien celui de préfigurer l'Europe. Le projet européen nous concerne donc intrinsèquement.

3) La résolution affirme qu'il y a une chance de sortir de l'enlisement du processus de rapprochement et de négociation en vue de l'adhésion qui, depuis le vote du 6 décembre 1992, se limite aux négociations bilatérales. Effectivement, l'initiative «Oui à l'Europe» nous offre une possibilité de sortir de cet enlisement.

A Genève, nous sommes doublement impatients de voir ce dossier avancer. Doublement impatients, parce que nous entendons, selon la volonté de l'ensemble de ce Grand Conseil, développer la politique régionale - à ce titre, notre non-appartenance à l'Union européenne risque de nous imposer des limitations de plus en plus contraignantes - et parce que le canton de Genève a voté oui à 80%, le 6 décembre 1992, avec une participation de 80% ! Donc, deux tiers, en chiffres absolus, des électrices et électeurs ont voté affirmativement. Genève a un rôle particulier à tenir, quand il s'agit de rappeler aux autres cantons suisses qu'il y a un intérêt, pour notre pays, à participer à la construction de l'Europe. Et nous revendiquons notre part de cette construction.

La résolution a été conçue comme un double instrument. En fait, elle ne demande pas au Conseil d'Etat de faire le travail que nous pourrions faire. Le Conseil d'Etat a, lui aussi, apporté son appui à cette initiative. Nous pensons que le Grand Conseil doit faire de même, dans son propre rayon d'action.

Que proposons-nous ?

D'une part, forts du résultat du 6 décembre 1992, nous demandons à nos concitoyennes et concitoyens de souscrire à cette initiative, parce qu'elle représente le débouché politique que nous attendons.

D'autre part - et cela s'adresse particulièrement à vous, Madame la présidente, et au Bureau - nous demandons aux autres Grands Conseils de Suisse de suivre notre exemple.

Nous souhaitons, avec le vote de cette résolution, que le Bureau puisse acheminer cette dernière aux vingt-cinq autres parlements cantonaux pour les inviter à réfléchir, avec nous, à ce dossier et à lancer la dynamique à laquelle nous aspirons.

Je crois savoir qu'il y aura des amendements à la motion déposée par nos collègues de l'Alliance de gauche. Ils les présenteront tout à l'heure. Ces amendements ne me posent pas de problème, mais je ne saurais, à leur propos, engager les autres signataires.

J'espère que cette motion sera votée à l'unanimité pour exprimer la volonté politique de Genève dans ce dossier.

M. Gilles Godinat (AdG). Notre groupe tient à vous faire part de ses réflexions quant au processus de construction européenne.

Issu de la dernière guerre mondiale, le processus d'intégration politique des différents Etats nationaux est plutôt chaotique. Il est dominé par les intérêts des grands groupes industriels et financiers, en particulier les multinationales, pour la mise sur pied d'un nouveau marché, le marché européen.

Au plan institutionnel, il est important de rappeler que la doctrine Truman a donné naissance au plan Marshall et à la conférence de Paris, en 1947. L'adoption du plan Marshall et sa proposition aux Européens étaient liées, d'une part, au processus d'unification européenne et, d'autre part, à l'adhésion à l'économie de marché.

L'acceptation du plan Marshall par l'Europe de l'Ouest a abouti à la création de l'Organisation européenne de coopération économique, l'OECE, en 1951, l'ancêtre de l'Organisation de coopération et de développement économique, née en 1960.

En 1949, le Conseil de l'Europe avait amené à la création, en 1951, de la communauté européenne du charbon et de l'acier, la CECA, qui précédera la création du Marché commun, avec le traité de Rome, en 1957, et, par là, la naissance de la Communauté économique européenne, la CEE.

L'actuelle mondialisation du marché tend à relativiser les marges d'autonomie réelle et les prérogatives des gouvernements nationaux. Les enjeux de la globalisation entraînent une concurrence croissante entre trois pôles, les Etats-Unis, l'Europe et le Japon. Les Etats nationaux sont soumis à cette dynamique.

J'aimerais donner un exemple, sur le plan financier, en citant un article récent de la presse locale : «L'International Security Market Association remarque la chose suivante dans l'évolution de son activité : l'euromarché obligataire, c'est trente mille milliards de dollars d'obligations échangées en 1994 sur le marché obligataire, soit l'équivalent de 440 milliards de dollars de nouvelles émissions, l'an dernier. C'est le plus grand marché de capitaux libre du monde, relève, en souriant, son secrétaire général, M. Langton.».

A défaut d'être lié, au départ, à un règlement, à des taxes, à des précomptes, l'euromarché obligataire fut contraint à se structurer, sous peine d'implosion, après la crise de 1973. Depuis, ce n'est plus un marché axé sur l'Europe, mais un marché aux dimensions globales, sans barrières, auquel plus personne ne peut s'opposer, assure son secrétaire général. L'une des difficultés, reconnaît M. Langton, c'est de faire comprendre aux banques centrales la globalité et l'extranationalité de l'euromarché obligataire.

Voilà une illustration de la dynamique qui domine les processus de globalisation.

Pour notre groupe, le problème de l'intégration de la Suisse à l'Europe ne se pose donc pas en termes d'ouverture ou de fermeture, mais en termes d'orientation de développement économique et social globale.

Dans ce sens, nous voulons construire une Europe sociale, par le biais d'une politique économique qui réponde aux besoins et à l'émancipation de toutes et de tous, au-delà de l'exploitation du travail de la majorité par une minorité, détentrice des capitaux.

Contre le développement de sociétés à plusieurs vitesses, celles du chômage et de l'exclusion, nous voulons l'Europe de la nouvelle citoyenneté par l'extension des droits démocratiques et sociaux : droits de vote et d'éligibilité; droits sociaux, tels le droit au logement, le droit à la formation et le droit aux soins.

Nous sommes donc contre l'Europe de Schengen, ce nouvel apartheid européen.

Nous sommes pour une Europe antimilitariste et démilitarisée, pour une politique globale de paix. Nous sommes contre les exportations d'armes et contre les lobbies militaristes et nationalistes.

Enfin, nous sommes pour une Europe solidaire, pour une coopération avec les populations laissées pour compte. Nous sommes pour le respect de l'environnement, mais contre l'oppression et l'exploitation, la misère, le pillage des ressources de l'ensemble de la planète.

C'est pour cette Europe là que nous nous engageons.

Nous apportons donc notre soutien à l'initiative «Oui à l'Europe», mais nous jugeons la résolution insuffisante. Nous devons tirer les conséquences de notre appui à l'adhésion à l'Union européenne, en adaptant notre législation aux normes européennes, en particulier dans le domaine social.

Je rappelle que dans le cadre d'Eurolex, tant sur le plan fédéral que cantonal, plusieurs projets de lois avaient été préparés à cet effet. Après l'échec, en votation populaire, de l'entrée de la Suisse dans l'espace européen, une partie importante de ces projets de lois a été retirée, voire remisée aux oubliettes. Mon collègue Spielmann en parlera tout à l'heure.

C'est donc dans ce sens que vont nos amendements qui complètent la résolution, afin que se concrétise la volonté affirmée d'adhésion, en cohérence avec le travail effectué pour l'adaptation aux acquis communautaires de l'Europe.

Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). A l'heure où le parti radical a démontré sa capacité d'être un mouvement de progrès, en promouvant l'adhésion à l'Union européenne, en tant qu'objectif principal, il est nécessaire et opportun que le Grand Conseil genevois s'engage très clairement pour cette initiative.

En effet, il est capital de confirmer le vote des Genevois du 6 décembre 1992 et, surtout, de prouver que notre canton a un projet pour l'avenir de ses concitoyens. Il n'est pas permis que nos jeunes subissent une évidente discrimination, du fait de la limite de leur sphère d'activité professionnelle. Il n'est pas permis, pour la Genève internationale, que nous ne souscrivions pas à une garantie du maintien de la paix, face aux désordres émergeant au sud et à l'est de l'Europe communautaire. Il n'est pas permis que nous ne participions pas à une stratégie commune, en matière d'ouverture de la politique d'environnement. Il n'est pas possible, en tant que canton frontalier, de laisser passer notre chance en matière d'ouverture économique.

Pour ces grands principes et les nombreux autres, qu'il est inutile de vous rappeler, nous vous demandons de faire vôtre, sans conditions, cette initiative.

Je terminerai en citant Lazlo : «Pour que l'humanité cesse enfin de réagir et commence à agir, elle a besoin d'une étoile à suivre.». Il n'est pas question ici de voyage interplanétaire, mais simplement d'une bonne boussole. Les idéaux positifs sont importants, non pas parce qu'on peut les accomplir tout de suite et complètement, mais parce qu'ils établissent des règles grâce auxquelles nous pouvons diriger nos pas.».

M. Bénédict Fontanet. Monsieur Godinat, je vous fais remarquer qu'il conviendrait de participer à l'Europe avant de la souhaiter comme ceci, comme cela, avec ce qui est bien et ce qui ne l'est pas.

Pour l'instant, notre pays est, malheureusement, sur le bord du chemin. Avant de dire que l'Europe n'est pas assez sociale, qu'elle est trop orientée sur le marché et sur le grand capital, terrorisant et terrifiant, nous devrions, nous autres Suisses, participer, ne serait-ce que modestement, au processus d'intégration avant de le critiquer. Il est, certes, plus difficile de participer de l'intérieur que de critiquer de l'extérieur. Et j'ai le sentiment que c'est ce que vous faites.

Nous prendrons connaissance de vos amendements avec intérêt, mais, pour l'instant, nous ne les avons pas.

Ce pays a besoin d'un grand dessein. Indubitablement, l'idée européenne, pour un pays multiculturel comme le nôtre, une sorte de petite Europe avant l'heure, devrait nous enthousiasmer et nous pousser à y adhérer, puisque cette idée a fait qu'il n'y a plus eu de conflits, depuis cinquante ans, en Europe.

Quoi qu'en aient dit certains, tout à l'heure, on peut regretter que, dans ce pays, la plupart des grands partis politiques font l'impasse sur l'idée européenne. Ce n'est jamais le moment d'en discuter, pour cause d'élections fédérales, d'élections cantonales, et d'autres choses encore. Finalement, c'est un débat que l'on préfère éviter.

Nous, démocrates-chrétiens genevois, estimons indispensable que cette question soit clairement et rapidement posée au peuple, parce que, pour la génération à laquelle j'appartiens et qui tente de voir au-delà de l'an 2000, sans doute à l'instar de beaucoup dans ce parlement, elle est essentielle pour l'avenir de notre pays. C'est la question de politique étrangère de la Suisse par excellence, et nous ne pouvons pas nous cantonner dans une attitude qui consisterait à dire : «Voyons d'abord ce que donnent les négociations bilatérales, ensuite nous déciderons de savoir si nous devons adhérer ou pas.».

Nous nous trouvons au centre d'une communauté de 320 millions d'habitants. C'est notre premier partenaire commercial, c'est notre premier partenaire dans le cadre de nos échanges. C'est aussi notre premier partenaire quant aux citoyens étrangers qui résident sur notre sol.

Alors, au diable les tergiversations de petite politique politicienne à la petite semaine ! Il faut poser rapidement la question de l'Europe. C'est pourquoi nous voterons cette résolution avec enthousiasme, laquelle n'est pas révolutionnaire en tant que telle !

Je laisserai M. Spielmann s'exprimer sur la révolution. C'est un expert en la matière.

Votons donc cette résolution pour marquer la vocation de Genève pour la diplomatie multilatérale, induite par le grand nombre de ses organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales. Il nous faut affirmer cette vocation et dire notre volonté de participer à la construction européenne, avec les moyens modestes dont nous disposons, face aux 320 millions d'habitants de la communauté.

Votons donc cette résolution avec enthousiasme. Invitons nos Confédérés à voter en faveur de l'Europe et faisons en sorte que ce débat européen, dans ce pays, se tienne le plus rapidement possible.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Le groupe écologiste soutient cette résolution, telle qu'elle est présentée, puisqu'il ne connaît pas encore les amendements proposés par M. Godinat.

L'intervention de M. Godinat est particulièrement intéressante au niveau de l'histoire, mais ce n'est pas ce soir que nous allons créer l'Europe de nos rêves. Votre Europe, Monsieur Godinat, est celle à laquelle je voudrais adhérer, mais il n'en est pas question pour l'heure.

Ce soir, notre but est de donner un coup de pouce à cette initiative lancée par des jeunes, toutes tendances confondues. Le cadre en est si large que presque chacun de nous peut y souscrire, et ce débat doit être aussi celui de la Suisse allemande.

Quant à nous, nous n'entrerons pas dans une longue discussion. Nous soutiendrons simplement cette résolution.

M. Jean Spielmann (AdG). Je n'avais pas l'intention de polémiquer avec M. Fontanet, mais je lui réponds, puisqu'il m'interpelle.

En disant qu'il ne s'agissait pas, avec ce débat sur l'Europe, de faire de la politique politicienne à la petite semaine - je cite - il me rappelle qu'on en a eu quelques exemples récents, notamment quand le PDC, au niveau national, a décidé de ne pas soutenir le projet européen, cet automne, afin d'essayer de se placer, sur l'échiquier politique, du côté de ceux qui pourraient empocher les dividendes du refus à l'Europe. C'est cela que j'appelle, Monsieur Fontanet, de la politique à la petite semaine.

Il s'agit de montrer des exemples concrets de notre volonté de participer à la construction européenne et, par conséquent, de poursuivre le travail fait par le Conseil d'Etat et le parlement, au moment où nous avions débattu de l'Eurolex et des différentes modifications législatives qu'elle entraînait. Le travail considérable du Conseil d'Etat avait démontré qu'il y avait toute une série de domaines dans lesquels nous étions en retard par rapport aux autres pays européens. Je veux parler notamment de la politique sociale, mais aussi de la politique économique, de tout un volet des droits de la population. Aussi vais-je énumérer un certain nombre de lois que le Conseil d'Etat nous avait présentées dans un gros pavé, en nous disant : «Voilà les points de notre législation cantonale à modifier», car, nonobstant l'Eurolex au niveau fédéral, il était nécessaire d'adapter certaines lois cantonales pour les rendre eurocompatibles, avec le plus petit dénominateur commun, pour adhérer à l'EEE.

Des lois qui doivent être modifiées aujourd'hui encore, il y a, bien sûr, toutes les lois sociales, aussi bien celles qui concernent les assurances-maladie que celles qui concernent l'assurance-chômage. Il y a aussi celles réglant le droit à la participation des travailleurs, qui n'est pas de cogestion, ni de codécision, mais un simple droit à l'information. Nous avions déposé ce projet de loi avant la votation sur l'EEE. Il est toujours dans les tiroirs des commissions. Nous n'avons donc pas encore rempli cette obligation juridique pour être eurocompatibles.

Restent aussi les droits des populations, notamment pour ce qui est des enfants. Le regroupement familial devant vous préoccuper, Monsieur Fontanet, je cite le droit des enfants à rejoindre leur famille, et le droit, pour eux, d'obtenir un enseignement et une éducation. Tout cela est actuellement bafoué par une série de dispositions que nous devons modifier. Je pense notamment à la suppression du statut de saisonnier, mais aussi à toute une série de droits fondamentaux qui n'existent pas encore dans notre pays et que nous aurions dû adopter pour être eurocompatibles.

Votre invitation, à l'ensemble des cantons suisses, à prendre position en faveur de l'adhésion à l'Europe est une démarche honorable, que nous soutenons. Mais elle serait plus crédible si vous aviez fait, en partie du moins, les pas nécessaires en direction de l'Europe, et cela en adaptant notre législation et en modifiant les points que je viens d'énumérer.

On pourrait ajouter encore la loi sur les cartels, les pouvoirs économiques, la position des banques dans ce pays, etc. Dans les documents du Conseil d'Etat figurent des enseignements et des propositions qui permettraient de rendre plus eurocompatible notre législation cantonale.

L'argument, qui prétend que c'est au niveau fédéral que les choses doivent se régler, n'est pas suffisant. Il ne permettra pas à ce parlement de se dégager de ses responsabilités. Une série de décisions ont, en effet, été prises au niveau de la Confédération, mais les cantons devaient modifier leur propre législation pour la rendre eurocompatible, dans la mesure où nous avions décidé d'adhérer à l'EEE.

Pour un parlement, qui s'apprête à convier les autres cantons à participer, avec nous, à la construction européenne, il serait légitime de faire le minimum du minimum et d'adapter la législation cantonale en vue de son eurocompatibilité. Votre démarche n'en serait que plus crédible.

C'est pourquoi nous proposons de compléter la résolution 287, en lui ajoutant deux invites, soit une invite No 3 qui énoncerait :

«la Confédération et les cantons à adapter leur législation aux normes européennes (Eurolex) notamment dans le domaine social;»

et, pour entreprendre ces démarches nous-mêmes, une invite No 4 rédigée comme suit :

«le Conseil d'Etat à saisir le Grand Conseil des projets des lois répondant à cet objectif.».

Voilà nos propositions. Elles sont minimalistes. Si vous n'entrez pas en matière et n'entendez même pas faire un signe concret en direction de la construction de l'EEE, il vous sera facile de vous donner bonne conscience en appelant les autres à faire ce que vous refusez de faire vous-mêmes.

Tout à l'heure, on verra, dans ce parlement, qui est crédible et qui ne l'est pas.

M. Bénédict Fontanet. Dans le brouhaha ambiant et généralisé, au demeurant fort sympathique, je voudrais répondre brièvement à M. Spielmann. Je...

La présidente. Monsieur Fontanet, attendez que le calme revienne ! Même du bureau, on ne vous entend pas, et pourtant vous avez une voix qui porte. Oh, je ne fais que sonner !

M. Bénédict Fontanet. Qui est K.-O., Madame la présidente, puisque vous venez de sonner ?

La présidente. Monsieur Fontanet, vous pouvez vous exprimer.

M. Bénédict Fontanet. Madame la présidente, pour répondre à l'attente légitime de notre collègue Boesch, impatient de connaître ma réaction à l'intervention de M. Spielmann, je dirais que, personnellement, je regrette la position de la présidence du parti démocrate-chrétien suisse, s'agissant de l'Europe.

Mais que voulez-vous, Monsieur Spielmann, diverses opinions s'expriment dans notre parti, un grand parti national, par rapport à l'Alliance de gauche, un mouvement politique qui, à défaut d'être éphémère, n'en demeure pas moins local. Notre parti, à l'instar de bien d'autres, connaît des divisions sur le sujet européen, mais je vois que j'ai définitivement dégoûté M. Grobet qui s'en va. Nous aurons donc une intervention en moins !

Nous n'allons pas nous laisser conter fleurette par l'Alliance de gauche.

L'Europe, elle, procède de la volonté de deux grands mouvements politiques, au lendemain de la seconde guerre mondiale. L'un d'eux, que je citerai en premier par courtoisie, est la social-démocratie et l'autre, la démocratie chrétienne. Ce sont ces deux mouvements politiques qui ont construit l'Europe telle qu'elle existe aujourd'hui, telle qu'elle est certainement perfectible. Mais l'Europe ne doit rien, vous en conviendrez, à l'Alliance de gauche. Par voie de conséquence, ce n'est pas sur ce sujet que nous allons nous laisser nous donner une leçon par M. Spielmann, malgré ses qualités d'orateur et l'affection que nous pouvons lui porter.

Nous vous invitons donc à voter cette résolution telle quelle. En effet, les amendements proposés ne nous semblent pas appropriés, car ils procèdent de la confusion des genres.

Ce que nous tenons à savoir c'est si l'on soutient, oui ou non, l'initiative, et non pas, en cas d'acceptation, si notre législation sera adaptée ou pas.

Ne confondons donc pas les genres. Votons cette résolution qui a été cosignée par tous les partis représentés sur les bancs de ce Grand Conseil et cessons-là, Monsieur Spielmann, ces petites querelles de politique politicienne.

M. Jean Spielmann (AdG). Je ne conçois pas, Monsieur Fontanet, que vous puissiez esquiver de la sorte des sujets qui me semblent très importants. Même si cela vous fait rire, vous devez, à partir de la démarche que vous faites vous-même, répondre concrètement aux questions qui se posent.

Les problèmes que je viens d'évoquer devraient vous préoccuper au plus haut point. Il ne s'agit pas d'une confusion des genres, mais de crédibilité. Vous avez parlé de grands mouvements européens. Moi, j'ai dit les retards que notre pays avait, dans plusieurs domaines, à rattraper par rapport à l'Eurolex.

Aussi laissez-moi vous rappeler que les domaines où la Suisse accuse des retards sont précisément ceux que la démocratie chrétienne a améliorés dans d'autres pays. Je pense notamment au regroupement familial, au droit des enfants, au droit des familles. Pour le moins, on pourrait attendre qu'un parti comme le vôtre qui, de ces propositions, se forge des arguments tout à fait honorables, fasse également un petit pas vers leur concrétisation, en acceptant que ce pays soit également digne de ce qui a été fait par les grands mouvements, que vous avez cités tout à l'heure, au niveau européen, et supprime enfin le statut des saisonniers, absolument incompatible avec l'ensemble de la législation européenne.

Que l'on commence par modifier notre propre législation avant de donner des leçons, avant de demander aux autres cantons de rejoindre, avec Genève, le mouvement européen.

Il ne s'agit donc pas d'un mélange des genres, mais de la prise en compte des propositions, faites par le Conseil d'Etat, de modifications de notre législation pour son adaptation minimale à la législation européenne.

Il faut modifier la loi dans le domaine des assurances sociales, du regroupement familial, du droit des enfants et aussi, en ce qui concerne l'interdiction des cartels, la position dominante et toute-puissante des banques.

Tous ces points devraient vous tenir à coeur et si vous persistez à prétendre que ce n'est que de la diversion, alors je vous dis que votre démarche, qui n'est pas sérieuse, ne permettra pas d'aller de l'avant, parce qu'elle cache un fait inacceptable : vous vous posez en donneur de leçons et vous n'êtes même pas capable, ici, d'entrer seulement en matière sur ce que vous demandez aux autres de réaliser.

M. Jean-Philippe Maitre. Le Conseil d'Etat tient à rappeler un fait inhabituel en la matière : il a, en tant qu'exécutif cantonal, apporté son soutien à cette initiative, en faisant partie du comité du soutien à l'initiative.

Nous avons agi ainsi pour trois motifs essentiels d'importance égale. Il ne s'agit donc pas de les évoquer en imaginant une quelconque hiérarchie.

L'un est de nature économique. Sur deux francs gagnés, notre pays en gagne plus d'un sur les marchés extérieurs. Notre premier partenaire économique est l'Union européenne. En termes de maintien et, mieux encore, de développement des emplois, il est suicidaire d'imaginer que nous pourrons vivre encore longtemps, quels que soient les résultats des relations bilatérales, dans un isolement économique.

Je vous donne deux exemples récents, parmi d'autres :

L'exemple de Battelle. De par ses activités, Battelle est concernée par des contrats qui la mettent en présence d'Etats, donc de marchés publics. Parce que Battelle, en Suisse, n'a pas accès à ces marchés, elle a été obligée de délocaliser une partie de ses activités à Archamps, qui n'est pas très loin...

Autre exemple. En matière de télécommunications, les PTT étaient partenaires d'un projet européen, extraordinairement important. Nous avions la possibilité d'avoir à Genève le siège de cette nouvelle multinationale. Pour des raisons de stricte appartenance à l'Union européenne et alors même qu'il était établi que le dossier genevois était le meilleur, ce projet va se réaliser à Amsterdam.

C'est la conséquence claire et directe de notre non-appartenance à l'Union européenne.

L'autre motif de notre appui à cette initiative est évidemment fortement de nature politique. L'Europe est un projet pour la paix. A cet égard, notre pays a une responsabilité tout à fait particulière. Nous vivons maintenant l'époque du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre. Nous avons donc une responsabilité, a fortiori, parce que nous avons été épargnés. Et dans la mesure où l'Europe est un projet pour la paix, il est nécessaire que la Suisse s'y engage.

Politiquement également, la construction européenne est un projet qui colle parfaitement à l'identité de notre pays qui pratique plusieurs langues, qui vit plusieurs cultures et plusieurs confessions. Cela est fondamental et correspond à notre identité politique.

Le dernier motif, et j'en termine là, est celui-ci : les jeunes, qui ont lancé cette initiative, ont simplement fait preuve, tout à la fois, de maturité et de responsabilité politiques. Les dossiers où les élus politiques peuvent être en phase avec la jeunesse ne sont pas si nombreux pour que l'on puisse faire l'économie d'un soutien clair, d'un soutien engagé, d'un soutien qui conduit le gouvernement de ce canton à dire très clairement oui à l'Europe, raison pour laquelle il vous invite à voter cette résolution.

La présidente. Nous allons voter sur la proposition d'amendements de nos collègues Godinat et Lyon, qui visent à compléter le texte de la résolution par les deux alinéas 3 et 4 suivants :

« 3. la Confédération et les cantons à adapter leur législation aux normes européennes (Eurolex) notamment dans le domaine social;»

et

« 4. le Conseil d'Etat à saisir le Grand Conseil des projets de lois répondant à cet objectif.».

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Mise aux voix, cette résolution est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

RÉSOLUTION

concernant l'initiative fédérale «Oui à l'Europe»

LE GRAND CONSEIL,

vu le vote des Genevoises et Genevois le 6 décembre 1992;

vu le lancement, le 21 février 1995, de l'initiative poulaire fédérale «Oui à l'Europe»,

 déclare faire siennes les demandes de cette initiative;

 invite:

1. les citoyennes et citoyens de Genève à la signer;

2. les parlements cantonaux suisses à prendre une position analogue à la sienne.