Séance du vendredi 19 mai 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 7e session - 25e séance

R 292
11. Proposition de résolution de MM. Michel Balestra, Roger Beer, Hervé Dessimoz, Bénédict Fontanet, Jean-Pierre Gardiol et Jean Opériol demandant la modification de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID) et de la loi de l'impôt fédéral direct (LIFD), afin de permettre la réalisation de systèmes de financement pour l'acquisition de son logement principal sous forme de leasing immobilier privé. ( )R292

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le 14 décembre 1990, le Parlement fédéral adoptait la loi fédérale sur les impôts directs (LIFD) et la loi d'harmonisation des impôts directs (LHID) en exécution de l'article 42 quinquies de la Constitution fédérale. En vertu de l'article 72 LHID, les cantons ont un délai au 31 décembre 2000 pour adapter leur législation aux dispositions de la LHID.

Politique fiscale et intérêt général

L'harmonisation fiscale est nécessaire pour tenir compte de la mobilité de la population, des imbrications économiques qui dépassent largement les frontières des cantons ainsi que des besoins de rationalisation.

Toutefois, la politique fiscale cantonale peut et doit rester, dans certains domaines, un instrument au service d'une politique d'intérêt général. L'encouragement à l'accession à la propriété demeure un des domaines de la politique sociale où des mesures incitatives d'ordre fiscal doivent pouvoir être prises par les cantons.

Il est donc essentiel que les cantons conservent la faculté, s'ils l'estiment opportun, d'utiliser l'instrument fiscal dans leur politique générale d'encouragement à l'accession à la propriété.

Or, l'article 9 LHID interdit toute déduction au titre de l'encouragement à l'accession à la propriété et retire ainsi aux cantons leurs compétences dans ce domaine.

Un ensemble de mesures nécessaires et urgentes

La Suisse compte à peine 30% de propriétaires et Genève moins de 15%, soit le plus faible taux de propriétaires d'Europe. Ce déséquilibre n'est économiquement pas satisfaisant et socialement injustifié.

Des mesures politiques s'imposent d'autant plus que l'accession à la propriété de son logement est un objectif de rang constitutionnel et que le Conseil fédéral a clairement souligné dans son programme de politique foncière du 11 septembre 1991 qu'il s'agissait d'une mesure urgente et importante.

Comme le démontre la politique d'accession à la propriété menée dans d'autres pays européens, un tel objectif ne peut être atteint que par un ensemble de mesures.

La faculté d'utiliser les fonds du 2e pilier pour l'acquisition de son logement constitue un premier pas. Il n'est, cependant, pas suffisant et doit être complété par la mise en place de nouveaux moyens de financement, tel que le leasing immobilier privé, qui sont adaptés au niveau de revenu de l'acquéreur qui lui permettent de se garantir contre les fluctuations des taux.

Encourager des solutions simples et pratiques

En effet, pour un particulier, les deux freins principaux à l'acquisition de son logement résident dans le manque de fonds propres et le risque lié à la fluctuation des taux d'intérêts.

Le concept de leasing immobilier permet de mensualiser la dépense d'acquisition de son logement principal tout en permettant la constitution des fonds propres nécessaires pendant la durée du leasing. Ce moyen de financement résout donc le problème de l'insuffisance des fonds propres tout en garantissant la sécurité d'un investisseur à coût constant.

Le système du leasing immobilier privé permet au preneur de leasing, avec une dépense mensualisée fixe, à la fois de constituer ses fonds propres en amortissant le 20% du prix de son logement et de payer les intérêts du leasing. Par un calcul adapté à chaque cas, ce budget mensuel correspond au budget loyer-impôt que verse la personne comme locataire. Ainsi, le système du leasing immobilier privé permet de devenir propriétaire sans devoir mobiliser des fonds propres importants. Après une période de dix ans, le leasing peut être transformé en crédit hypothécaire pour le montant résiduel.

D'un point de vue fiscal, le concept de leasing immobilier privé par du constat que le preneur de leasing se trouve dans la position d'un propriétaire et qu'il doit donc être traité fiscalement comme tel. Ainsi, le preneur doit pouvoir déduire les intérêts du leasing de son revenu imposable mais, en contrepartie, se laisser imposer une valeur locative. Cette solution a été examinée et approuvée par le Docteur Hans Hansjürg Brumann dans un ouvrage très documenté. Le principe de la déduction des intérêts d'un leasing immobilier est, au demeurant, déjà acquis dans le domaine commercial.

Ce concept, fondé sur le principe de l'équité, évite toute inégalité de traitement avec la personne qui loue son logement. Il a fait l'objet de modèles chiffrés qui confirment l'équilibre du système.

Par ailleurs, des experts suisses du plus haut niveau, notamment le Juge fédéral Bernard Corboz, ont longuement examiné ce système de leasing immobilier privé et confirmé sa conformité avec l'ordre juridique suisse.

Conclusion: assouplir le droit fédéral

Le leasing immobilier privé n'entraîne aucune perte de substance fiscale. Il se justifie même de l'encourager puisqu'il favorise non pas la fortune existante mais la formation de patrimoine.

De plus, à moyen et long terme, en favorisant l'ancrage du contribuable sur le sol cantonal, un tel système s'avère nettement favorable à l'économie.

Pour permettre la réalisation de ce projet simple et pragmatique qui contribuerait à la relance de l'économie, indispensable afin d'encourager les emplois dans la construction, des assouplissements sont nécessaires. Par conséquent:

- la LHID doit être modifiée afin que les cantons retrouvent leurs compétences en matière de politique du logement;

- la LIFD doit être assouplie afin de permettre un traitement fiscal similaire et équitable du propriétaire et du preneur de leasing.

Pour ces motifs, nous vous prions de réserver, Mesdames et Messieurs les députés, un accueil favorable à la présente résolution.

Débat

M. Jean-Pierre Gardiol (L). Malgré l'heure tardive et puisque nous devons traiter le sujet, je vais essayer de retenir votre attention deux minutes ! (Protestations.)

Il ne devrait pas être nécessaire de rappeler que l'encouragement à l'accession à la propriété est un objectif constitutionnel tant au niveau fédéral que cantonal, mais, aujourd'hui, qui s'en soucie réellement ? Sur tous les bancs de ce Grand Conseil, nous sommes convaincus, depuis longtemps déjà, que l'Etat doit faire un effort pour aider la construction de logements sociaux. Le canton consacre plusieurs dizaines de millions de francs par année dans ce but et il ne relâchera pas son effort, puisque la demande de logements bon marché persiste.

Cependant, en matière de logement et d'habitat, il ne serait pas normal que l'effort des collectivités publiques soit unilatéral et que l'accession à la propriété soit oubliée. Dans ce domaine, l'Etat doit avancer sur deux pieds. Pourquoi ? Tout simplement parce que l'acquisition de son propre logement est souhaitée par une majorité de personnes, comme l'attestent les nombreux sondages et enquêtes organisés régulièrement sur ce thème !

Le logement constitue un bien précieux; il est d'autant plus précieux lorsqu'on en est le propriétaire. La propriété favorise l'épanouissement de l'être humain, et le toit que l'on possède constitue un refuge pour toute la famille et les proches. (Brouhaha. La présidente fait sonner sa cloche.) La propriété du logement constitue aussi une forme de prévoyance idéale pour la vieillesse, à condition que l'habitation soit bien gérée.

Il est donc grand temps que le rêve que partagent de très nombreuses familles devienne maintenant réalité dans ce pays et que l'on passe enfin des bonnes intentions aux actes. Il est temps d'encourager réellement l'accession à la propriété par des mesures fiscales, avant tout au niveau fédéral et cantonal, pour ceux qui n'attendent plus qu'un petit coup de pouce pour franchir ce pas !

Il ne faut pas non plus négliger la dimension économique de l'accession à la propriété. En effet, si le taux des propriétaires, à Genève, passait de 14% à 20%, cela représenterait vingt mille propriétaires de plus, soit un investissement de l'ordre de 8 milliards de francs, à partir d'un investissement de 400 000 F par propriétaire ! (La présidente fait encore sonner sa cloche.) J'ai bientôt terminé ! (Des voix : aaahhh !) Le même raisonnement - si vous arrivez à savoir où j'en suis, ce qui m'étonnerait ! (Rires.)

La présidente. Monsieur Gardiol, je vous en prie, continuez votre intervention !

M. Jean-Pierre Gardiol. Le même raisonnement, donc, peut être fait au niveau suisse, où la moyenne des propriétaires se situe à 31%. C'est d'ailleurs une des raisons qui avait poussé les Chambres fédérales à introduire la possibilité d'utiliser une partie du deuxième pilier pour accéder à la propriété.

Mesdames et Messieurs les députés, le temps est venu d'agir différemment et de permettre, pour une nouvelle classe sociale, l'accession à la propriété, mais cela n'est pas réalisable sans un véritable encouragement fiscal.

En adressant cette résolution au Conseil fédéral, le canton de Genève contribuera de façon décisive à aller au-delà des discours politiciens. D'ailleurs, si vous en teniez moins, on progresserait davantage dans nos ordres du jour ! Elle encouragera, enfin, en Suisse, l'accès à la propriété en permettant de mettre sur le marché des produits tels que le «Logis Leasing» de la Banque cantonale de Genève et elle remplira ainsi les objectifs constitutionnels que j'ai mentionnés au début de mon intervention. (Applaudissements.)

Une voix. Hip, hip, hip, hourra !

M. Jean-Pierre Gardiol. Je recommence !

M. Laurent Moutinot (S). L'atmosphère qui règne ce soir est très sympathique, mais je ne crois pas qu'elle soit propice à regagner le respect et la confiance que nos concitoyens n'ont manifestement plus dans nos institutions ! (Manifestation et remarques.) On pourra jouer tout à l'heure, si vous le voulez !

Une voix. Rabat-joie !

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, cela fait trois fois que nous renvoyons les points concernant le président du Conseil d'Etat ! Je tiens à ce que nous terminions son département ce soir : ce serait la moindre des courtoisies ! Laissez donc M. Moutinot s'exprimer !

M. Laurent Moutinot. Par souci de transparence, je vous indique que j'ai eu connaissance du projet «Logis Leasing», alors que j'étais membre du Conseil d'administration de la Banque hypothécaire. Je m'en suis ouvert au président Dominique Ducret et les propos de mon intervention ne se fondent que sur le texte de la résolution 292 et le très intéressant dossier publié par la Société privée de gérance dans l'«Information immobilière».

Monsieur Gardiol, vous avez fait un vibrant plaidoyer en faveur de l'accession à la propriété. C'est fort intéressant, mais cela n'est pas à l'ordre du jour ! C'est votre proposition de résolution sur le leasing immobilier qui est à l'ordre du jour. C'est une formule qui permettrait, sans fonds propres, de constituer lesdits fonds propres par mensualité et de devenir propriétaire. Ce système - cela a été dit dans la résolution - peut comporter certains avantages. Mais la question qui se pose, en réalité, à travers ces grilles successives, est de connaître le traitement fiscal qui sera réservé et si nous consentons, ou non, à faire un effort fiscal en faveur de ce mode d'accession à la propriété. L'administration fiscale estime que le leasing ne peut pas être déduit; elle a raison en l'état actuel du droit fédéral, et, vous, vous proposez que Genève intervienne pour le modifier !

Cette proposition de résolution doit être critiquée sur un certain nombre de points. On nous explique, en page 4, que le leasing immobilier privé n'entraîne aucune perte de substance fiscale. On nous explique, dans le brillant dossier auquel je me référais tout à l'heure, dans la bouche de M. Salama, directeur adjoint de la BCG : «Le principe est simple : permettre à un particulier, pour un budget mensuel, loyer et impôt, sensiblement égal à celui qu'il a en tant que locataire, de devenir propriétaire avec très peu de fonds propres.». Cela signifie, en d'autres termes, payer moins d'impôts et avoir plus de ressources pour acquérir sa propriété.

On ne peut pas admettre ce système sans réserve et sans discussion ! En effet, on prive ainsi manifestement l'Etat d'une ressource importante de la part de personnes qui ont des moyens importants pour un but qui n'est pas essentiel aujourd'hui, surtout vu l'état de nos finances. Les exemples cités dans le dossier sont parlants. On nous cite des cas de personnes qui gagnent entre 100 000 et 200 000 F. On nous explique qu'avec ce brillant système des personnes gagnant 200 000 F payeraient 64 000 F d'impôts en tant que locataires et 53 000 F avec un leasing déductible. En d'autres termes, on financerait, à raison de 10 000 F et par contribuable interposé, l'achat d'un logement pour une personne qui gagne 200 000 F !

Ce système n'est pas adéquat, surtout sans garde-fou. Si vous voulez discuter de leasing immobilier - je l'admets, c'est une formule qui offre un certain nombre d'avantages - il faut renvoyer cette proposition de résolution à la commission fiscale afin, précisément, de placer un minimum de garde-fous. Un système qui permet de faire une acquisition et d'obtenir un prêt important sans fonds propres au départ me paraît comporter un risque, qui n'a pas été suffisamment mesuré.

Vous êtes bien conscients de la difficulté, d'ailleurs, Messieurs les résolutionnaires, parce que vous parlez dans l'invite de  «...permettre la mise en place des moyens de financement.». En réalité, vous auriez dû dire : «...autorise la déduction fiscale du leasing.»; cela aurait été plus clair !

En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, nous ne pouvons pas souscrire à cette résolution dans son principe, en tout cas sous la forme de laquelle elle nous est proposée. Si elle est renvoyée en commission fiscale, il faudra s'assurer que les efforts que pourrait faire la collectivité pour l'accession à la propriété ne soient pas faits au détriment d'autres priorités plus importantes ! (Applaudissements.)

Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de résolution à la commission fiscale est rejetée.

Mise aux voix, cette résolution est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

RÉSOLUTION

pour demander la modification de la loi fédérale sur l'harmonisationdes impôts directs des cantons et des communes (LHID) et de la loide l'impôt fédéral direct (LIFD), afin de permettre la réalisationde systèmes de financement pour l'acquisition de son logement principalsous forme de leasing immobilier privé

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

- l'article 34 sexies de la Constitution fédérale ainsi que l'article 10 A de la Constitution genevoise;

- que l'accession à la propriété de leur logement du plus grand nombre de citoyens constitue un but essentiel de sa politique;

- qu'un tel objectif ne saurait être atteint que par un ensemble de mesures, notamment fiscales;

- que la LHID méconnaît la nécessité de laisser aux cantons une certaine latitude pour encourager l'accession à la propriété par des mesures incitatives d'ordre fiscal;

- que la LIFD, telle qu'elle est actuellement appliquée par l'administration fédérale, empêche la mise en place d'un système de leasing immobilier privé qui permette, avec un budget mensuel fixe, la constitution des fonds propres nécessaires à l'acquisition de son logement;

 exerçant le droit d'initiative du canton de Genève, en application de l'article 93, alinéa 2, de la Constitution fédérale et en vertu de la compétence que lui réserve l'article 156 de la loi portant règlement du Grand Conseil,

demande au Conseil fédéral

de proposer à l'Assemblée fédérale de modifier la loi d'harmonisation des impôts directs (LHID), notamment de son article 9 et de la loi de l'impôt fédéral indirect (LIFD) afin de permettre la mise en place de moyens de financement pour l'acquisition de son logement principal, tel que le leasing immobilier privé, qui ne nécessitent pas la mobilisation de fonds propres importants et qui garantissent la sécurité d'un investissement à coût constant.

 

La présidente. Nous allons passer aux réponses des deux interpellations, Mme Evelyne Strubin ayant renvoyé son interpellation au Conseil fédéral.