Séance du vendredi 19 mai 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 7e session - 25e séance

M 993
10. Proposition de motion de Mme et M. Sylvia Leuenberger et Chaïm Nissim concernant la gestion de l'appareil de l'Etat. ( )M993

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

- que léguer à nos descendants une énorme dette publique limite singulièrement leur liberté et ne respecte pas le principe du développement durable;

- la nécessité d'améliorer le fonctionnement de l'Etat;

- le projet de loi 6909, sur l'information et la consultation du personnel de l'administration cantonale et des établissements publics cantonaux;

- les essais de dialogue et de fonctionnement budgétaire par enveloppes faits à l'hôpital dans le cadre de caducée notamment,

invite le Conseil d'Etat

à étudier:

- de nouvelles structures de gestion qui intègrent les notions de participation et d'initiative des fonctionnaires (voir PL 6909);

- de nouvelles relations administration-administrés, basées sur une transition graduelle de nos structures hiérarchiques et pyramidales actuelles, vers des structures plus modernes en réseaux décentralisés;

- des systèmes d'enveloppes budgétaires;

- à ouvrir une vaste consultation sur les meilleures idées qui ressortent de ce débat

- et à les appliquer.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le Grand Conseil vient d'accepter le projet de loi 7123 concernant la surveillance de la gestion administrative et financière et l'évaluation des politiques publiques. Cette loi d'application, qui vise à renforcer le contrôle de gestion interne à l'Etat et à mettre en place un système d'évaluation de l'adéquation des lois votées et de leurs applications concrètes par une commission externe et indépendante, répondait en partie à notre motion 822, déposée en 1992, qui invitait le Conseil d'Etat à introduire un contrôle budgétaire dans l'administration publique.

Par contre, les invites de cette motion concernant la participation et l'esprit d'initiative des fonctionnaires pour améliorer la gestion de l'Etat ne furent pas prises en compte. Bien qu'il faille signaler que nous avions déposé, avec le parti du travail et les socialistes en 1992, un projet de loi (6909) sur l'information et la consultation du personnel de l'administration cantonale et des établissements publics cantonaux.

Il s'agissait, suite à la directive du Conseil d'Etat du 19 août 1992, d'instaurer des commissions du personnel au sein des départements ainsi que de notre préoccupation d'être eurocompatible et de répondre à l'arrêté fédéral sur l'information et la consultation auprès des entreprises privées et publiques, d'élargir ce sujet et de donner une base légale à l'initiative du Conseil d'Etat.

Aussi, comme nous venons de recevoir, à la commission des finances, un rapport intermédiaire concernant la mise en place de ces commissions expérimentales du personnel, nous voulons marquer notre volonté, à travers cette motion, de revenir sur ce thème, d'en débattre et de voter une loi qui permettra au personnel de l'Etat d'avoir des structures légales pour participer aux décisions concernant, entre autres, les restrictions budgétaires, la protection de l'environnement, l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes, etc.

Il est certain que ceci est le début d'une modification en profondeur des rapports entre employés et employeurs et qu'elle ne peut pas se réaliser sans prendre du temps et de la réflexion. Il est certain également que l'introduction d'enveloppes budgétaires doit être subordonnée à la réalisation de cette première étape qu'est la participation. Il est indispensable que les fonctionnaires soient motivés par une telle approche afin que l'on puisse introduire dans un second temps le système d'enveloppes budgétaires. Sinon, ce ne serait que la mise en place de petits diktats décentralisés.

D'où l'objet de notre motion d'aujourd'hui.

Nous nous basons sur les critères, chers à l'écologie, de la décentralisation et de la participation, ainsi que sur certaines notions des nouvelles méthodes de gestion dont il est beaucoup question aujourd'hui (« new public management ») pour demander à l'Etat d'étudier, puis de mettre sur pied, de nouvelles structures étatiques de gestion des relations humaines.

Et là je profite de citer les paroles de Michel Crozier, sociologue, qui sont tout à fait éclairantes à ce sujet:

« La crise vient de ce qu'on l'on ne s'est pas adapté à un monde qui est devenu tout à fait différent. Le système de contrôle ancien de la société industrielle était fondé sur la hiérarchie, la distance et le secret. Or la hiérarchie ne fonctionne plus quand il y a une possibilité de discussion et de choix. La distance diminue parce que les rapports humains se simplifient... »

Et je rajouterai:

Un homme (= femme ou homme) motivé et responsable en vaut deux !

Améliorer le contrôle et la surveillance de l'Etat, c'est bien; mais ce n'est pas suffisant pour que les choses évoluent. Il faut envisager une nouvelle vision de la gestion étatique: décentraliser, responsabiliser les employés, les inciter en les valorisant à proposer des méthodes de rationalisation et d'économie, améliorer les relations avec les administrés (les contribuables).

Certains aspects du New Public Management constituent une remise en cause d'un système rigide et hiérarchique de l'Administration où la dimension psychologique des rapports humains n'avait aucune place. Selon les régions, les identités culturelles, l'Etat doit trouver de nouvelles méthodes de gestion qui visent à abaisser les coûts de son administration, mais pas uniquement en effectuant des coupes linéaires dans un budget ou en licenciant, mais en motivant le personnel à éclairer leurs supérieurs sur les causes réelles du gaspillage.

Et ces nouvelles méthodes de gestion ne relèvent pas d'une recette toute prête à l'avance, mais ne peuvent se construire qu'à travers la participation et les propositions des gens concernés, à savoir les fonctionnaires qui travaillent sur le terrain.

On peut également citer quelques titres de la presse romande très évocateurs de ce nouveau chemin que devrait prendre la fonction publique: « Réinventer l'Etat, loin des idéologies », « La ville de Berne fait sa révolution », « Déficit public: au-delà du sécateur », « Dépasser la tyrannie des comptables », « pas de tabous pour réformer l'Etat ».

Certes, rien n'est jamais aussi facile qu'on pourrait le croire en lisant simplement un article dans un journal.

Certes aussi, le rôle du fonctionnaire, les rigidités budgétaires et des réglementations dépassées bloquent pas mal d'évolutions et de souplesse dans le fonctionnement de l'Etat genevois. Car il faut avouer honnêtement que le processus du budget actuel de l'Etat de Genève, qui n'est que la reconduction systématique des lignes budgétaires d'année en année, ne laisse aucune marge de manoeuvre politique pour modifier quoi que ce soit. Hormis quelques amendements. Et la commission des finances, dans son ensemble, constate son impuissance.

Certes encore, la structure politique actuelle ne facilite guère le dialogue constructif, on dirait que tout est fait pour que les échanges de horions soient plus faciles que le travail constructif. Et certes enfin, le New Public Management seul n'est en rien une panacée, sans partage du travail par exemple il peut même aboutir à une aggravation du chômage et de l'exclusion.

En décentralisant ce qui peut l'être, après une concertation intelligente avec les fonctionnaires, en donnant à chaque service une enveloppe à gérer de manière autonome, en considérant le service public comme une organisation de services qui doit être appréciée de ses clients, en faisant participer les employés aux économies ou idées d'amélioration qu'ils pourraient suggérer, il semble que certaines villes, un peu partout dans le monde, aient retrouvé leur sourire en sortant des chiffres rouges. (A noter que la « participation » à laquelle nous pensons ici, pour les employés qui trouveraient des idées d'amélioration du fonctionnement de l'appareil, n'est pas forcément financière bien sûr, il peut aussi s'agir d'une récompense en temps libre supplémentaire, d'une récompense au groupe qui a vécu l'origine de l'idée, etc. De plus, la participation c'est aussi dans notre esprit la prise en charge autonome de certaines décisions. Enfin, la participation c'est encore le libre accès des administrés - les utilisateurs du service public - à l'administration, le dialogue par exemple entre une association d'habitants et le service du département des travaux publics et de l'énergie qui s'occupe de l'aménagement de leur quartier).

Le problème n'est pas de montrer du doigt des responsables (et ne le sommes-nous pas tous un peu dans nos demandes continuelles sans tenir compte de l'ensemble de la problématique), mais de lancer un débat pour amorcer un changement de mentalité. Et pour nous les écologistes, il n'est possible qu'avec des notions de décentralisation (enveloppes budgétaires), de participation, de motivation.

Nous voudrions un débat, des propositions concrètes, des expériences pilotes.

Pour ces raisons, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de faire bon accueil à cette motion.

Références:

- Articles de l'Hebdo, Domaine public, Journal de Genève sur le NPM.

- Document du SSP: « pour des services publics performants et peu onéreux, réformer vaut mieux que privatiser »

- David Osborne/ Ted Gaebler, reinventing government.

- M 471 concernant les modalités d'établissement du budget annuel.

- M 448 concernant l'établissement d'un bilan écologique et social du canton.

- M 669 concernant les priorités dans les économies réalisées par l'Etat.

- M 697 concernant l'augmentation de certaines recettes fiscales de l'Etat.

- M 767 concernant un plan de rigueur négocié avec les partenaires sociaux afin de rétablir l'équilibre de fonctionnement.

- M 772 concernant le temps partiel dans la fonction publique.

- M 776 concernant un plan de redressement financier.

- M 810 concernant l'assainissement des finances publiques.

- PL 6909 sur l'information et la consultation du personnel.

- PL sur l'EP SAN (PL 7213).

Débat

La présidente. (Contestation.) Je suis navrée, mais nous terminerons de traiter les objets concernant le département des finances !

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Vu l'heure tardive et malgré le fait que nous tenions à discuter de ce sujet, nous renonçons à en débattre. Nous proposons donc simplement le renvoi de cette motion à la commission des finances, dans laquelle nous avons déjà entrepris un débat sur le thème de la participation par le biais du PL 6909.

Mme Christine Sayegh (S). Je ne vais pas abuser du temps de notre Grand Conseil. Je tiens simplement à dire que nous appuyons le renvoi à la commission des finances.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des finances.