Séance du jeudi 18 mai 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 7e session - 22e séance

PL 7153-A
23. Rapport de la commission judiciaire chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi sur l'organisation judiciaire (augmentation de la compétence du Tribunal de police) (E 2 1). ( -) PL7153
Mémorial 1994 : Projet, 4526. Renvoi en commission, 4531.
Rapport de Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S), commission judiciaire

Sous les présidences respectivement de Mme Maria Roth-Bernasconi et de M. John Dupraz, la commission judiciaire a étudié au début de cette année 1995 le projet de loi 7153 du Conseil d'Etat, modifiant la loi sur l'organisation judiciaire (augmentation de la compétence du Tribunal de police). Durant ses travaux, elle a procédé à plusieurs auditions et a été assistée par M. Nicolas Bolle, secrétaire adjoint du département de justice et police et des transports.

C'est à la demande de l'Association des magistrats du pouvoir judiciaire que ce projet de loi a été élaboré, et indépendamment des travaux en cours concernant d'importantes réformes au sein de la justice pénale. Le sujet étant probablement peu familier aux députés non juristes de ce Parlement, il convient peut-être de situer par un petit rappel le cadre dans lequel s'inscrit ce projet de loi.

Rappel

En décembre 1990, notre Grand Conseil décidait de transférer à la Cour correctionnelle les jugements des infractions au code pénal passibles de plus de 5 ans de réclusion, mais à propos desquelles le procureur général n'entend pas requérir une peine supérieure à 5 ans de réclusion. Le rôle et le travail de la Cour d'assises a donc pu être réduit en ce qui concerne les affaires les moins graves. (En 1990, 39 causes ont été jugées, contre 25 en 1993.) Les conséquences évidentes d'un tel transfert se sont traduites par une augmentation des affaires traitées en Cour correctionnelle, avec et sans jury, et par une surcharge de cette Cour.

Du côté du Tribunal de police, on constate une diminution du nombre d'affaires traitées, par l'utilisation accrue d'ordonnances de condamnation par le Ministère public et les juges d'instruction, dont les compétences dans ce domaine ont été augmentées il y a deux ans par notre Grand Conseil. Ces magistrats peuvent, lorsque les faits sont établis, prononcer des peines allant jusqu'à 6 mois d'emprisonnement, contre 3 précédemment.

A noter que cette nouvelle limite à 6 mois se confond avec la compétence principale du Tribunal de police. Il apparaît donc justifié d'augmenter la compétence de ce dernier afin de garder à cette juridiction une compétence, en matière de condamnation, distincte du procureur général et des juges d'instruction.

Il convient dès lors de modifier la loi en permettant au Tribunal de police de connaître, avec le consentement du prévenu, des infractions au code pénal pour lesquelles le Ministère public n'entend pas requérir une peine privative de liberté supérieure à 18 mois (6 actuellement).

Auditions

La commission a procédé à plusieurs auditions. Elle a pu se rendre compte qu'à l'exception de quelques détails, toutes les personnes auditionnées étaient favorables au projet de loi qui lui était soumis.

12 janvier 1995

Audition de Mme Francine Payot, présidente de l'Association des juristes progressistes

Mme Payot apporte son soutien à cette augmentation de compétence du Tribunal de police. Elle propose cependant deux amendements, visant à préciser que la décision doit être prise lors de la première audience et que le prévenu présent doit être préalablement entendu. Ces deux amendements ont été repris dans les discussions ultérieures de la commission, mais rejetés lors du vote final (voir ci-dessous).

Audition de M. Bertossa, procureur général, et de M. Demeule, présidentde la Cour

MM. Bertossa et Demeule soutiennent ce projet de loi. Ils soulignent que ce projet s'inscrit dans une suite logique de réformes, dont les compétences deviennent les suivantes selon les juridictions: 6 mois pour les ordonnaces de condamnation, 18 mois pour le Tribunal de police et 5 ans pour la Cour correctionnelle. Accessoirement, ce projet comporte aussi deux autres réformes, à savoir confier aussi les causes d'homicide par négligence au Tribunal de police (rarement supérieures à un an) ainsi que confier au Tribunal de police le jugement d'infractions qui ne sont pas de sa compétence lorsqu'elles sont en concours avec les infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants à propos desquelles le Ministère public n'entend pas requérir une peine supérieure à 5 ans de réclusion, le Tribunal de police étant lié par ce maximum de peine. Cependant, lorsqu'il estime qu'une peine supérieure devrait être infligée, il renvoie la cause au Ministère public.

26 janvier 1995

Audition de Mmes Renée Pfister-Liechti, présidente du Tribunal de première instance, Valérie Laemmel, présidente du Tribunal de police et Sylvie Wegelin, juge au Tribunal de police

Toutes trois sont favorables au projet de loi soumis à la commission, augmentant la compétence du Tribunal de police. Elles expriment toutefois quelques inquiétudes quant à l'augmentation de la charge de travail pour le Tribunal de police, et rendent attentifs les députés sur les solutions qu'il faudra tôt ou tard trouver pour décharger les juges. Ce souci est particulièrement relevé par Mme V. Laemmel.

Au surplus, elles ne sont pas convaincues que les juges de la Cour d'assises et de la Cour corectionnelle seront réellement déchargés par ce projet, dès lors que ce sont eux qui composent la Chambre pénale, qui est l'autorité de recours du Tribunal de police. La Chambre pénale n'ayant pas la possibilité de prononcer une peine plus grave, les justiciables auront une forte tendance à faire appel et ainsi à se retrouver devant les juges mêmes que l'on avait voulu décharger.

A souligner enfin que Me Pascal Maurer, bâtonnier de l'Odre des avocats (ci-après ODA), n'a pas souhaité être entendu sur ce projet de loi, mais a fait connaître la position favorable de l'ODA.

Discussion de la commission

Il s'avère que ce projet de loi est en fait le résultat d'une «cascade», qui a débuté par la correctionnalisation des affaires criminelles les moins graves, puis qui s'est poursuivie par l'extension de compétence de 3 à 6 mois appliquée aux ordonnaces de condamnation, et du report au Tribunal de police des affaires chargeant la Cour correctionnelle.

Quelques députés expriment leur inquiétude face à ce qu'ils considèrent comme une «banalisation» de la justice, une impression de dépréciation de l'appareil judiciaire, en donnant progressivement tout pouvoir au Parquet. Au surplus, le malaise est perceptible face à ce genre de projets de loi, qui modifie par petites tranches le système judiciaire, alors qu'il faudrait mener une réflexion de réforme globale, ce que chacun appelle de ses voeux.

Quant au souci de la surcharge de travail pour le Tribunal de police, il est nuancé par de nouvelles donnes dans les causes traitées par ledit Tribunal. En effet, l'introduction des ordonnances de condamnation et la suppression des infractions à la taxe militaire ont supprimé nombre de cas devant cette instance.

Cependant, et malgré ces quelques réserves, la commission décide que ce projet de loi s'inscrit dans une suite logique de réformes, et qu'il est nécessaire. Au surplus, les commissaires sont rassurés par le fait que le consentement du prévenu reste une condition et que ses droits seront donc totalement garantis.

Vote

L'entrée en matière sur le projet de loi 7153 est acceptée à l'unanimité.

Discussion article par article.

Article 28, alinéa 1, lettre b: accepté à l'unanimité.

Article 28, alinéa 1, lettre c: accepté à l'unanimité.

Article 28, alinéa 1, lettre e: amendé à l'unanimité, lors d'un premier vote, suite à la proposition de l'Association des juristes progressistes:

e) des infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants à propos desquelles le Ministère public n'entend pas requérir une peine supérieure à 5 ans de réclusion. Le Tribunal de police est lié par ce maximum de peine. Cependant, lorsqu'il estime qu'une peine supérieure devrait être infligée, il renvoie la cause au Ministère public. Cette décision est prise lors de la première audience et n'est pas susceptible de recours. Le prévenu présent est préalablement entendu.

Article 28, alinéa 2: amendé à l'unanimité, lors d'un premier vote, suite à la proposition de l'Association des juristes progressistes:

2 Le Tribunal de police connaît, avec le consentement du prévenu, de toutes les infractions au code pénal pour lesquelles le Ministère public n'entend pas requérir une peine privative supérieure à 18 mois. Le Tribunal de police est lié par ce maximum de peine. Cependant, lorsqu'il estime qu'une peine supérieure devrait être infligée, il renvoie la cause au Ministère public. Cette décision est prise lors de la première audience et n'est pas susceptible de recours. Le prévenu est préalablement entendu.

Article 28, alinéa 3: accepté à l'unanimité.

Article 28, alinéa 4: accepté à l'unanimité.

A l'issue des travaux, la commission approuve à l'unanimité le projet de loi 7153, tel qu'amendé.

Cependant, lors de la séance suivante, la commission est avertie que les amendements ne sont pas compatibles avec le droit fédéral.

Tout d'abord parce que le Tribunal de police n'est pas toujours à même de se forger une opinion lors de la première audience. Il ne convient dès lors pas de limiter la décision à une seule audience. Quant à la deuxième modification, elle implique, en précisant que le prévenu doit être entendu, que les autres parties au procès ne le sont pas nécessairement. Cette précision ne peut donc être maintenue.

La commission reconnaît dès lors, dans son ultime séance sur ce sujet, son erreur. Elle revient ainsi au projet de loi inital, sans les amendements, et le nouveau vote final est approuvé à l'unanimité des membres présents.

La commission judiciaire propose donc au Grand Conseil ce projet de loi.

Premier débat

Mme Claire Chalut (AdG). Madame la présidente, je vous demande de bien vouloir donner un «coup de cloche», parce que ce brouhaha est absolument insupportable !

La présidente. Je partage votre sentiment, Madame ! Mais je crois bien que c'est le quinzième coup de cloche que je donne depuis le début de la séance !

Ce projet est adopté en trois débats, dans son ensemble.

La loi est ainsi conçue :

(PL 7153)

LOI

modifiant la loi sur l'organisation judiciaire (augmentation de la compétence du Tribunal de police)

(E 2 1)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi sur l'organisation judiciaire, du 22 novembre 1941, est modifiée comme suit:

Art. 28, al. 1, lettres b et d (nouvelle teneur)lettre e (nouvelle); al. 2 et 3 (nouvelle teneur)et al. 4 (nouveau)

b) des infractions au code pénal commises par négligence;

d) des infractions aux dispositions pénales du droit fédéral autre que le code pénal sous réserve de la lettre e;

e) des infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants à propos desquelles le Ministère public n'entend pas requérir une peine supérieure à 5 ans de réclusion. Le Tribunal de police est lié par ce maximum de peine. Cependant, lorsqu'il estime qu'une peine supérieure devrait être infligée, il renvoie la cause au Ministère public. Cette décision n'est pas susceptible de recours.

2 Le Tribunal de police connaît, avec le consentement du prévenu, de toutes les infractions au code pénal pour lesquelles le Ministère public n'entend pas requérir une peine privative de liberté supérieure à 18 mois. Le Tribunal de police est lié par ce maximum de peine. Cependant, lorsqu'il estime qu'une peine supérieure devrait être infligée, il renvoie la cause au Ministère public. Cette décision n'est pas susceptible de recours.

3 S'il y a concours entre une infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants et une infraction à une autre loi, le Tribunal de police connaît également de cette autre infraction, dans les limites fixées à l'alinéa 1, lettre e. Si cette autre infraction est passible de la réclusion, le consentement du prévenu est nécessaire.

4 Le Tribunal de police exerce, en outre, les attributions qui lui sont conférées par la loi d'application du code pénal et de la loi fédérale sur le droit administratif, ainsi que par le code de procédure pénale.