Séance du
jeudi 4 mai 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
6e
session -
21e
séance
PL 7230 et objet(s) lié(s)
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article unique
La loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains, du 16 septembre 1988, est modifiée comme suit:
Art. 14, al. 1 (nouvelle teneur) al. 2 (abrogé)
Opposition
1 Toute personne peut, par déclaration écrite de son vivant ou, après son décès, par l'entremise de ses proches dûment informés, s'opposer au prélèvement d'organes ou de tissus sur son corps après décès.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Les greffes d'organe représentent l'un des progrès les plus spectaculaires que la médecine a enregistré au cours de ces vingt dernières années. Non seulement ces greffes permettent de sauver un nombre croissant de vies humaines, et particulièrement d'individus jeunes ou d'enfants, (greffes de coeur, de foie, de poumons par exemple), mais elles permettent également, dans certaines circonstances (greffes de rein par exemple), d'augmenter significativement la qualité de vie des patients qui en bénéficient tout en diminuant les coûts induits par leur prise en charge en l'absence de greffe (d'environ 80 000 F par an par personne à moins de 20 000 F par an par personne).
La Suisse dispose en outre depuis plusieurs années d'une organisation remarquable, Swiss Transplant, permettant une coordination nationale unanimement reconnue et totalement opérationnelle en matière de prélèvement/transplantation d'organes. Enfin, Genève est, en Suisse, probablement le centre le mieux organisé en matière de transplantation comme en témoigne son Unité de transplantation qui regroupe l'ensemble des greffes d'organes. Cette unité est d'ailleurs dirigée par l'actuel président du Comité exécutif de Swiss Transplant, le Dr P. Morel.
Le nombre de transplantations en Suisse a certes discrètement augmenté au cours de ces dernières années. Mais ce constat positif n'est lié qu'à l'augmentation du nombre de donneurs multi-organes et aux progrès des équipes de prélèvement. A l'inverse, le nombre total de donneurs est, lui, en nette baisse. Après avoir culminé à 151 en 1986, il n'a depuis lors cessé de diminuer pour arriver au chiffre de 111 en 1994.
Pourquoi le don d'organes est-il en recul en Suisse? Les Suisses sont-ils égoïstes dans le domaine du don d'organes, la législation est-elle trop contraignante, l'information est-elle insuffisante?
Le premier constat qui s'impose est que le nombre de donneurs potentiels a considérablement diminué ces dernières années en raison de l'efficacité des mesures de prévention, s'agissant particulièrement des accidents sur la voie publique, et des progrès importants enregistrés grâce au développement de la médecine d'urgence. Ce fait est évidemment des plus réconfortants.
Une seconde constatation est fournie par une récente étude conduite par le professeur Gutzwiller, de Zurich, qui a montré que 80% de nos concitoyens accepteraient le don d'organes, après une information adéquate, alors qu'actuellement seuls 7% de la population suisse était porteuse d'une carte de donneur. Cette générosité remarquable contraste singulièrement avec les chiffres enregistrés dans les cantons comme le nôtre où le taux de refus des proches au prélèvement est de l'ordre de 50%.
Une des causes de ce phénomène est sans doute liée à la législation cantonale genevoise qui soumet le prélèvement d'organes soit à la déclaration de volonté du défunt de son vivant (carte de donneur ou équivalent), soit au consentement d'un proche. Il est aisé de comprendre que le consentement de proches se heurte souvent à la souffrance ou au déni de ces proches, s'agissant de la perte d'un être cher dans des circonstances généralement brutales et dramatiques. L'annonce du décès d'un être cher et la demande presque simultanée de l'autorisation de procéder à un prélèvement d'organes constitue une épreuve que peu de gens sont en mesure de supporter. Il n'est d'ailleurs pas rare que certaines familles, après avoir pu faire face au deuil qui les frappe, expriment leur regret de n'avoir consenti au don d'organes.
Enfin, d'autres éléments, et particulièrement la nécessité d'une information encore plus large, peuvent aussi être évoqués pour remédier à la situation que nous venons de décrire.
Cela étant dit, la baisse du nombre de donneurs, bien réelle, a eu pour conséquence d'entraîner une augmentation du nombre des patients en liste d'attente (concernant la transplantation rénale: 270 en 1987, 386 en 1993) mais surtout elle a occasionné de nombreux décès de patients en attente d'un organe vital (coeur et foie en particulier).
Au-delà de ces considérations déjà tragiques, il faut également signaler que la diminution du nombre de greffons disponibles contribue sans aucun doute à faire courir à notre société un risque qui nous paraît inacceptable: inciter les patients les plus aisés à recourir à un tourisme médical ignoble vers les pays où la transplantation est plus «facile», là où le risque de commerce d'organes représente un dérapage «médico-économique» intolérable.
Le présent projet de loi n'entend évidemment pas régler l'ensemble des problèmes relatifs au don d'organes. En revanche, il se propose d'introduire, en matière de prélèvement d'organes, la notion de consentement présumé tout en respectant bien évidemment la liberté de chaque individu de s'opposer, de son vivant ou après son décès, par l'entremise de proches, au prélèvement d'organes. Une telle législation est déjà en vigueur dans d'autres pays (Espagne, Belgique par exemple) et dans d'autres cantons ( Vaud, Zurich et, depuis peu, Neuchâtel par exemple).
Ce projet de loi, tout en affirmant le respect impératif de la volonté de la personne vivante ou décédée ou de ses proches après décès, assouplit néanmoins la législation actuelle, considérant la possibilité de sauver un certain nombre de vies humaines et d'améliorer significativement la qualité de vie d'autres malades.
Voici les raisons pour lesquelles nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, d'accueillir favorablement le présent projet de loi.
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article unique
La loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains, du 16 septembre 1988, est modifiée comme suit:
Art. 14 A (nouveau)
Service public
Le prélèvement aux fins de transplantation et les transplantations elles-mêmes, avec des organes ou tissus provenant soit de cadavres, soit de personnes vivantes, ne peuvent se dérouler que dans les divisions communes des établissements hospitaliers publics à caractère universitaire.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Les transplantations d'organes font partie des grands succès de la médecine de ce siècle. De très significatifs progrès techniques ont permisdes greffes qui paraissaient pendant très longtemps impossibles, voire inconcevables.
Les espoirs suscités sont également à la mesure de ces progrès. Les journaux évoquent, à intervalles réguliers, le cas de personnes en attente de dons concernant l'un ou l'autre des organes que la médecine a appris à greffer.
Malheureusement, la presse évoque aussi, à intervalles réguliers, tous les dangers et dérapages résultant de la conjonction de la rareté, de la haute technicité et des grands espoirs.
En effet, la rareté, c'est-à-dire l'attente d'organes que l'on puisse trouver et greffer avec succès, est également un sujet d'angoisse, d'espérance et de multiples dérapages.
La question de la rareté est au centre du projet de loi émanant de trois députés et ayant pour but de substituer le consentement présumé au consentement explicite. Sous ces vocables techniques se cache aussi un problème difficile: celui de la disponibilité de tissus et d'organes greffables en quantité suffisante.
Le présent projet de loi aborde deux problèmes: celui du cadre dans lequel ces interventions doivent s'effectuer et, comme corollaire, ce qu'il y a lieu d'éviter à cet égard.
Notre Conseil n'insistera pas sur tout l'équipement, l'encadrement et le haut niveau scientifique indispensable à de telles interventions. Ces conditions sont réunies dans nos hôpitaux publics à caractère universitaire, mais elles peuvent difficilement être réunies dans un établissement privé, quelles que soient sa valeur et la qualité de ses prestations. C'est pourquoi, dans toute la Suisse, les transplantations s'effectuent à ce jour exclusivement dans des hôpitaux publics et universitaires.
La préoccupation fondamentale qui sous-tend ce projet s'appelle commercialisation. Très récemment, notre collègue chargé du département de l'action sociale et de la santé, en sa qualité de président de Swisstransplant, a montré les risques qu'une «privatisation» des transplantations faisait courir.
En conséquence et avec la clarté et la force de la loi, nous vous demandons de bien vouloir adopter ce projet de loi qui assurera l'égalité de traitement et de choix basés sur des critères exclusivement scientifiques.
Le nouvel article que nous vous proposons d'adjoindre à la loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains (K 1 19) prolonge la problématique du prélèvement d'organes et de tissus qui est la raison d'être du chapitre V de cette loi.
Au bénéfice de ces explications, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir réserver rapidement un accueil favorable à ce projet de loi.
Préconsultation
M. Pierre-François Unger (PDC). Chaque année, en Suisse et dans le monde, de nombreuses vies peuvent être sauvées grâce aux progrès enregistrés dans le domaine de la transplantation d'organes vitaux. Ces greffes s'adressent en priorité à des enfants, à des femmes ou à des hommes dans la force de l'âge; mais le manque d'organes est responsable chaque année de la mort de 20% d'entre eux.
Chaque année aussi, la qualité de vie d'un nombre encore plus grand de patients peut être améliorée par la greffe d'un organe non vital; mais chaque année la liste des patients dialysés dans l'attente d'un greffon augmente.
Il est donc souhaitable - peut-être nécessaire - de prendre des mesures, afin de favoriser le don d'organes. C'est un don, car en cette matière le commerce et, pire encore, le trafic d'organes - qui ne sont hélas pas que fantasmes - sont des insultes innommables à l'éthique la plus élémentaire. C'est un don aussi, car cet acte, comme d'ailleurs son refus, représente une des facettes du droit inaliénable de chaque individu de disposer de son propre corps.
Ce don, Mesdames et Messieurs les députés, 80% des Suisses sont prêts à le consentir, mais, hélas, moins de 19% d'entre eux sont porteurs d'une carte de donneur. Néanmoins, quoi de plus compréhensible ? L'acte volontaire que nécessite l'acquisition d'une carte de donneur représente, pour beaucoup, une confrontation à leur propre mort qui n'est ni simple, ni naturelle. Dès lors, et compte tenu de la législation genevoise en vigueur, c'est aux proches qu'il appartient de prendre, en cas de décès, la décision d'accorder ou non le don des organes du défunt.
Il nous apparaît inadéquat, et pour tout dire presque immoral, de demander à une famille - vu le traumatisme émotionnel qui accompagne inévitablement l'annonce du décès d'un être cher - de prendre la décision immédiate d'un don d'organes éventuel.
Cette décision est, dans ces circonstances, tout simplement, ni raisonnable, ni humaine. Le déni et la révolte, bien compréhensibles face au choc de l'annonce du décès, font que cette décision ne peut être prise dans la sérénité voulue. Un certain nombre de familles, d'ailleurs, après avoir refusé le don d'organes dans ces instants, nous font part de leur regret.
Le présent projet de loi propose donc d'introduire dans notre législation la notion de consentement présumé, comme cela existe déjà dans d'autres cantons et pays. Il entend également respecter la liberté de chaque individu de s'opposer, de son vivant ou après son décès - par l'entremise de ses proches - à un prélèvement d'organes.
Voilà pour le principe de ce projet, mais le principe ne suffit pas. Si ce projet est accepté, il nous paraît évident qu'une information claire et complète devra être diffusée à la population. En effet, Mesdames et Messieurs les députés, un tel projet n'a de sens que s'il est mis en place dans la plus absolue transparence.
M. Pierre Froidevaux (R). Les projets de lois 7230 et 7237, issus des travaux préparatoires de la future loi sanitaire, sont aussi importants qu'urgents. Ils consacrent une adaptation cantonale de nos lois aux progrès médico-techniques en matière de transplantation d'organes.
En effet, non seulement de nombreux citoyens sont en attente de greffes, mais, pour certains d'entre eux, leur survie dépend, à court terme, d'un éventuel donneur. L'urgence de ces projets de lois est ainsi décrétée. Néanmoins, ils nécessitent un travail minutieux en commission pour préciser quelques points.
Le remplacement du consentement éclairé par un consentement explicite, ou traduit en langage plus populaire : «Qui ne dit mot, consent.», est délicat. Nul doute que nous sommes 80%, selon les auteurs de ce projet de loi, à souhaiter être donneurs d'organes, si la fatalité du destin nous y amène. Pourtant les proches, rejetés dans un deuil en général brutal, tempèrent notre bonne volonté, statistiquement, plus d'une fois sur deux. Cette source de conflits, si elle n'était pas maîtrisée, engendrerait un débat populaire très contre-productif pour les équipes médico-chirurgicales, dont on décrierait le pouvoir quasi discrétionnaire vis-à-vis de patient en «exitus».
Si l'obtention du oui au prélèvement d'organes n'est plus exigée, le problème subsiste avec la même intensité quant à son contraire, soit l'obtention du non. Comment les équipes médicales sauront-elles que ce patient inconscient, en phase ultime de sa vie, pense oui ou non ? Une carte de donneur ? Ce n'est pas fiable ! Une banque de données centralisée ? C'est une piste ! Cette difficulté doit être résolue en commission, sinon nous aggraverons les deuils pathologiques.
Le second point concerne le projet de loi présenté par le Conseil d'Etat, qui limite les interventions de greffes d'organes aux divisions communes de nos institutions médicales universitaires. L'intention du Conseil d'Etat est louable, en voulant combattre efficacement le danger d'un trafic, mais elle reste aussi d'application difficile.
En effet, lorsqu'une mère ou un père donne à son enfant, de son vivant, un de ses deux reins, il est logique que ces parents puissent choisir leur équipe médicale. Or, les allogreffes ont des champs d'application ne se limitant pas aux transplantations cardiaques, pulmonaires, hépatiques ou rénales. D'autres interventions fréquentes sont concernées par le projet de loi, alors que la volonté du département n'est sans doute pas d'empêcher l'activité médicale privée, liée aux greffes de cornée, de peau, d'os, de moelle osseuse ou de sang. Lorsque le texte de loi prévoit une limitation aux tissus humains, nous touchons même à certaines préparations purement pharmaceutiques, ainsi qu'aux produits de beauté d'origine placentaire.
Le projet de loi 7237 se devra ainsi de préciser avec précaution son champ d'application en commission de la santé, afin de développer son plein effet.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). En préambule, j'aimerais remercier les auteurs de ce projet de loi d'avoir osé apporter ce délicat et difficile problème au sein de ce parlement. En effet, parler du don d'organes peut toucher chacun de nous au plus profond de soi, tant sur les plans affectif, éthique, que sur celui des convictions religieuses. Il n'y a rien de politique dans une telle approche, mais seulement des convictions personnelles. M. Unger et M. Froidevaux viennent d'évoquer largement l'aspect ayant trait aux difficultés humaines face à des situations de drame, de douleur et de deuil.
En parallèle, il existe un autre aspect très important, issu de la situation actuelle du manque d'organes disponibles. En effet, les progrès techniques réalisés ces dernières années augmentent fortement les chances de succès d'une transplantation et, dès lors, la liste des personnes en attente s'allonge douloureusement et désespérément même pour certains. Or, qui dit manque dit risque de trafic. A ce sujet de nombreux scandales, parfois profondément tragiques, ont éclaté dans la presse ces dernières années. Rumeurs ou vérité ? Très probablement un peu des deux.
Outre les trafics, une autre manière de contourner ce déficit d'organes disponibles est apparue dans certains pays du Sud. Il s'agit de filières d'adoption illégale, dont par la suite les enfants disparaissent.
Au-delà des victimes de ces monstruosités, et sous-jacent à ces trafics, se profile le rôle tout aussi abject de l'argent, puisqu'il s'agit de mutiler le corps des plus démunis pour sauver ceux qui en ont les moyens.
Ces deux dérives inacceptables doivent impérativement être combattues, même si notre pays est probablement moins concerné par de telles horreurs. De nouvelles bases légales - entraînant une augmentation potentielle du nombre d'organes à disposition - permettront de soulager des êtres humains dans l'attente et dans la souffrance. Elles permettront aussi de diminuer et si possible de faire disparaître les risques de trafics liés au manque d'organes disponibles. Dans ce sens, ce projet de loi est un grand pas en avant.
Par la suite, il faudra se pencher sur l'aspect de l'information à la population et aux personnes plus directement concernées. A notre avis, le terme «dûment informés», figurant dans le projet de loi, est essentiel et il faudra en définir rigoureusement son application.
L'approche éthique sera également un aspect important de notre travail. En effet, comment apprécier le terme «dûment informés» évoqué à l'instant, et quels critères seront définis pour établir le choix du bénéficiaire d'une transplantation ?
Finalement, les conditions et les lieux devront être précisés. En ce sens le projet de loi du Conseil d'Etat pourra déjà répondre partiellement à ces questions, dont certaines ne sont pas nouvelles, il est vrai.
De surcroît, il faudra impérativement se donner des moyens de réponses claires, ne laissant aucune place aux interprétations douteuses ou hasardeuses, et cela, dans un maintien des principes fondamentaux de gratuité totale et dans le respect des convictions de chaque individu. Alors seulement, une transplantation d'organes pourra être considérée comme un don de vie et uniquement comme tel, sans aucun lien possible avec les notions de trafic, d'argent ou de corruption.
Mesdames et Messieurs les députés, tout en respectant le choix de chacun sur un sujet qui touche à des convictions aussi intimes, nous apportons notre appui à ce projet de loi et souhaitons vivement son renvoi en commission.
Mme Micheline Spoerri (L). A mon tour, je tiens à remercier MM. Pierre-François Unger, Philippe Schaller et Bénédict Fontanet d'avoir mis à l'ordre du jour de nos travaux une proposition qui constitue aujourd'hui une véritable priorité dans le domaine médical.
Comme évoqué auparavant par M. Unger, la nécessité de recourir à la transplantation d'organes est brûlante d'actualité, sachant que malheureusement, aujourd'hui, 20 à 25% des patients en liste d'attente décèdent, faute d'avoir pu bénéficier du don d'organes.
Après avoir procédé à des progrès médicaux et d'organisation tout à fait remarquables, on a fait naître chez les patients atteints de maladies incurables un espoir pathétique - qui peut se traduire par une issue heureuse et la renaissance du patient et de sa famille - mais qui malheureusement se termine trop souvent dans des circonstances dramatiques, laissant d'autres familles dans la détresse. Il est de notre devoir de savoir comment remédier à cette situation, et cela dans le plus profond respect des receveurs, mais aussi des donneurs.
Nous sommes tous, Mesdames et Messieurs, aussi bien des donneurs que des receveurs potentiels, et notre choix individuel se fait assez sereinement, à un moment ou à un autre de notre vie. Néanmoins, quand nous sommes appelés - en tant que proches et, aujourd'hui, en tant que responsables politiques - à substituer notre décision à celle des défunts, la difficulté du choix est extrême, chacun, d'ailleurs, l'assumant à sa façon. Voilà pourquoi nos travaux devront être conduits avec la plus grande délicatesse et en tenant compte des diverses sensibilités.
Le problème du don repose fondamentalement sur une relation de confiance et, à mon sens, deux éléments méritent d'être soulignés dès ce soir vis-à-vis de notre population.
Tout d'abord, même si l'on est en désaccord avec les moyens proposés, il faut comprendre que l'objectif des auteurs du projet de loi - et, au-delà, le souci du corps médical - n'est pas de forcer nos concitoyens à donner plus largement, mais d'assurer la pérennité de la transplantation d'organes, ce qui est tout à leur honneur.
De surcroît, comme l'ont dit les préopinants, nous devons également affirmer, précisément, que notre parlement instaurerait toutes les mesures nécessaires au respect du choix de l'individu si, par hypothèse, le consentement présumé était accepté. En particulier, il faudrait faire en sorte que tous nos concitoyens soient régulièrement et parfaitement informés de la nouvelle loi.
Sans anticiper sur la suite des travaux, il convient en outre d'analyser exhaustivement les raisons menant au refus du don. Est-ce à cause de la brutalité de la question posée aux familles, alors même qu'elles viennent de perdre un être cher ? Est-ce la crainte du non-respect du corps de l'être cher, voire la crainte d'une mutilation, lors du prélèvement d'organes ? Ce qui, je m'empresse de le dire, est loin d'être le cas dans la réalité. Est-ce par conviction philosophique ou religieuse ? Est-ce, enfin, par peur que tout ne soit pas tenté pour sauver l'être aimé, sous prétexte de faire bénéficier le patient en attente d'une greffe ?
Nous tiendrons compte, Mesdames et Messieurs, de toutes ces questions et leur accorderons toute l'attention qu'elles méritent. C'est, en effet, le seul moyen de progresser, en faisant passer le message vis-à-vis de l'opinion publique déjà sensibilisée. Nous rechercherons - avant tout et dans tous les cas - le consentement mutuel.
Voilà pourquoi l'essentiel est de tout mettre en oeuvre pour encourager les déclarations spontanées des donneurs de leur vivant car, si difficile soit-elle à atteindre, cette solution reste la meilleure. Le courant doit passer directement entre donneur et receveur, comme ce fut le cas lors de la campagne nationale en septembre 1994 - organisée à Berne et animée par Mme la conseillère fédérale Ruth Dreifuss - qui suscita une immense solidarité.
Il faut également aider concrètement Swiss Transplant afin qu'elle demeure irréprochable et que toute confiance en elle soit préservée.
La solidarité, la confiance et le contact humain, Mesdames et Messieurs, aucune législation ne les garantira. Arrêtons de compter sur les lois ! Les pays étrangers ayant adopté le consentement mutuel enregistrent parfois des succès, comme en Autriche et en Espagne, et parfois des fluctuations, comme en Belgique, dont la courbe des donneurs est infléchie et parfois malheureusement des échecs - comme ce fut le cas en France - qui a dû revenir en arrière, pour avoir perdu, avec ce système, de nombreux donneurs.
Plus près de nous, en Suisse, Neuchâtel n'a pas encore promulgué la loi décidée par son Grand Conseil en février 1995. Pour ma part, je ne connais pas les effets du consentement présumé dans les cantons de Vaud et de Zurich qui, eux, ont un recul beaucoup plus grand. Néanmoins, vous n'êtes pas sans ignorer - à travers la presse et la télévision alémaniques - que quelques familles ont très mal vécu la réalité du consentement présumé, jugeant avoir été abusées. L'expérience suisse est donc timide. A ce propos, ne mériterait-elle pas, dans ce domaine particulier, un débat national, afin d'éviter les contradictions entre cantons ?
Malgré la bonne prédisposition de nos concitoyens vis-à-vis du don - ce dont je suis convaincue - n'oublions jamais, Mesdames et Messieurs, qu'il s'agit d'un terrain fragile et mouvant où nos responsabilités politiques, mais également celles du corps médical et des médias ne peuvent s'engager qu'avec beaucoup de précautions.
Voilà les quelques réflexions que le groupe libéral souhaitait présenter, en vous recommandant d'envoyer ce projet de loi, ainsi que le projet 7237 qui ne peut que le compléter, à la commission de la santé.
Ces projets sont renvoyés à la commission de la santé.