Séance du jeudi 27 avril 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 6e session - 16e séance

PL 7229
24. Projet de loi de Mmes et MM. Elisabeth Reusse-Decrey, Fabienne Bugnon, John Dupraz, Gilles Godinat, Pierre-François Unger et Hervé Burdet modifiant la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève (exhortation) (B 1 1). ( )PL7229

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève, du 13 septembre 1985, est modifiée comme suit:

Art. 13 (nouvelle teneur)

Exhorta-tion

Le président ouvre la séance en prononçant l'exhortation que les députés et le public écoutent debout:

«Mesdames et

Messieurs les députés,

Prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.»

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les raisons du dépôt de ce projet de loi se retrouvent dans les travaux de ce Grand Conseil concernant des modifications de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève.

Historique

Le vendredi 3 décembre 1993, notre parlement, composé de plus d'une moitié de nouvelles et nouveaux députés, votait un nouveau règlement du Grand Conseil.

Issu d'une proposition du bureau du Grand Conseil, ce projet fut longuement discuté en commission du règlement qui établit elle-même le projet de loi final.

Dans l'ensemble, la commission était parvenue à des accords sur la plupart des points, et en plénum, seuls quelques amendements furent encore discutés.

L'article 13 fut l'un des nombreux articles ayant fait l'objet de modifications. Le but essentiel de voter une nouvelle teneur à cet article étant d'inscrire dans la loi que le public devait se tenir debout durant l'exhortation, à l'image des députés. En plénum, cette modification ne fit l'objet d'aucune remarque, et l'article 13 approuvé sans opposition. Pourtant une seconde modification avait été apportée dans le texte même de l'exhortation.

La phrase citée dans le projet proposé par le bureau, reprenait l'ancien texte, sans modification. Il s'agissait de «faire servir les travaux des députés au bien de la patrie». Le projet final comportait, lui, un autre texte, en ne parlait plus de «bien», mais de «prospérité» de la patrie.

Renseignements pris auprès de la rapporteuse de ce projet et confirmés par d'autres députés, il s'agit là d'une «coquille» involontaire qui a échappé au parlement. Ce projet vise donc aujourd'hui à revenir à l'ancienne citation.

En effet, le mot prospérité, même s'il veut dire favorable, heureux, a une connotation, relevée d'ailleurs dans différents dictionnaires consultés, très en relation avec le monde des affaires, avec un aspect financier. Alors qu'au contraire le mot «bien» se rapporte à un état général de bien-être, à ce qui est bon, conforme à un idéal, à une morale.

Il ne fait bien évidemment aucun doute que les cent députées et députés que nous sommes ne cherchent jamais à faire servir leurs travaux exclusivement à des intérêts liés à l'argent, comme le laisse supposer le mot «prospérité», mais au contraire qu'ils ne sont guidés que par la morale, et le souci du bien-être de tout un chacun dans la société.

C'est pourquoi nous souhaiterions, à chaque exhortation de début de séance, pouvoir à l'avenir entendre réaffirmer à nouveau nos réelles motivations et préoccupations, à savoir le «bien» de la république, et nous vous invitons dès lors, Mesdames et Messieurs les députés, à bien vouloir accueillir favorablement ce projet de loi.

Préconsultation

M. Gilles Godinat (AdG). Ce projet de loi nous donne à réfléchir sur le sens du rituel de l'exhortation. Je ne vais pas vous accabler avec le développement de la signification de ce rituel, sous l'angle ethnologique, psychosocial, voire psychanalytique.

J'aimerais faire simplement deux observations concernant l'un des termes, à savoir le mot «patrie». Ce mot renvoie à des significations symboliques et idéologiques précises. Premièrement, il renvoie à la notion de «terre de nos ancêtres», vu sous l'angle patrilinéaire de la possession du sol et de sa transmission, avec les significations sémiologiques suivantes : le pater familias, le patriarcat, le patron, le paternalisme, les patriciens, voire le mot «patriote» affiliés au terme de «patrie».

Deuxièmement, ce mot renvoie à l'espace géopolitique, sous l'autorité d'une entité politique déterminée, qui correspond au terme plus moderne de «nation».

Ces deux réflexions m'amènent à formuler deux interrogations par rapport à deux problèmes :

Premièrement, l'affiliation patrie-père est un signe de la domination masculine dans notre société. Le concept «nation» renvoie à des idéologies conservatrices, avec les dérives nationalistes que connaissent plusieurs pays actuellement. Le concept qui me paraît le plus approprié et qui ne renvoie pas à l'Ancien Régime, mais qui renvoie à la notion moderne d'un acquis démocratique de nos institutions, est le mot «République», à savoir, à son origine, «res publica», soit les «affaires publiques».

Je propose donc un amendement dont nous discuterons en commission, à savoir le remplacement du mot «patrie» par le mot «république».

M. Armand Lombard (L). Ce projet de loi sera certainement discuté en commission. Cela permettra ou pas de l'affiner ou de le modifier dans le sens souhaité par mon collègue, M. Godinat.

A priori, j'aimerais relever deux points de ce projet de loi :

Tout d'abord, je remarque que, dans nos ordres du jour, apparaissent de plus en plus souvent les symptômes d'une maladie de changement de lois, qui font que des discussions créatives, inventives, sur de nouveaux projets, sur de nouvelles solutions à amener à la vie de la cité, nous amènent à ratiociner, à ressasser des faits anciens ou acceptés, ce qui ne changera pas grand-chose au sort de Genève.

Un des arguments principaux utilisés par les auteurs du projet est de mentionner : «Le rapporteur a dit.». Le rapporteur a dit ça, le rapporteur a dit que, et comme il nous a dit ci, on pourrait bien changer, et comme il nous a dit ça, on n'aurait rien à modifier...

En vérité, je me demande qui sont «les vilains rapporteurs» dans cette opération.

Deuxièmement, je n'accepte pas ce qui est mentionné à la page 3 à propos des cent députés que nous sommes et qui «ne cherchent jamais à faire servir leurs travaux exclusivement à des intérêts liés à l'argent, comme le laisse supposer le mot «prospérité», mais au contraire qu'ils ne sont guidés que par la morale et le souci du bien-être.».

Je regrette infiniment cette proposition, car, pour parler de la morale, ce n'est pas le lieu. C'est à mauvais escient qu'elle est placée là. C'est un véritable réarmement moral que formulent les auteurs du projet. C'est une espèce de société chiraquienne des valeurs, ou mieux encore celle M. Gingrich. On en appelle à la famille, au respect de l'individu.

Le souci du bien-être : il n'y a guère que dans le pays le mieux en chair du monde que l'on peut ignorer que le bien-être est directement lié à l'argent et à l'activité économique. Non, je ne considère pas comme un défaut le fait de développer l'économie, de créer des emplois productifs, de dégager des profits et d'alimenter ainsi les caisses publiques qui pourront redistribuer ces sommes pour plus d'équité à la communauté. Non, je ne considère pas l'argent comme une tare, comme un moyen obsolète ou immoral.

Si vous désirez faire figurer «au bien et à la prospérité» dans le projet de loi, faites-le ! Mais éviter d'introduire dans le débat un aspect manichéen de bas niveau, du genre les bons contre les mauvais, ceux qui pensent argent contre ceux qui parlent bien-être. Cette pensée est dangereuse, parce que ne laissant aucun espoir au consensus. De plus, elle est d'une telle faiblesse intellectuelle qu'elle ouvre le champ à des batailles bien inutiles.

M. Laurent Moutinot (S). Il arrivait autrefois, et il arrive encore dans certains cantons, que l'exhortation soit placée sous le signe des valeurs religieuses. Fort heureusement, ce n'est pas le cas dans notre République, où l'Etat et l'Eglise sont séparés.

Il convient, en revanche, que notre exhortation puisse appeler à nos devoirs, tout en faisant notre unanimité. Il est difficile d'admettre que les termes utilisés dans l'exhortation puissent poser un problème de conscience à l'un ou l'autre des députés.

Contrairement à ce que vous dites, Monsieur Lombard, la distinction entre le bien et le mal est le fondement de la morale. Aussi, je vous renvoie à la «Critique de la raison morale» de Kant.

La prospérité et l'économie ne sont évidemment pas des valeurs négatives. Mais il convient de placer notre exhortation sous la valeur la plus haute qui nous est commune, et cette valeur est incontestablement le bien.

Ce projet est renvoyé à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil.