Séance du
mercredi 22 mars 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
5e
session -
9e
séance
IN 101-C
RAPPORT DE MAJORITÉ
La commission fiscale a étudié lors de 8 séances qui se sont tenues entre le 30 septembre 1994 et le 14 février 1995 l'initiative populaire intitulée «Pour des emplois d'utilité publique et écologiques» lancée par la «Coordination de solidaritéS».
Notre commission fut présidée durant ces travaux par M. Jean-Luc Ducret, puis par M. Daniel Ducommun. Nous avons bénéficié de l'assistance de M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat, président du département des finances (DF), M. Daniel Brauen, administrateur général de l'administration fiscale (DF) et M. Pietro Sansonetti, directeur des affaires fiscales de l'administration fiscale (DF).
1. Rappel des propositions de l'initiative 101 et simulation financière
L'initiative 101 institue un fonds pour l'emploi, affecté à la création de postes de travail d'utilité publique dans les domaines sociaux et écologiques, notamment des économies d'énergie, de la production d'énergies renouvelables.
Un impôt supplémentaire serait prélevé sur le capital et le bénéfice net des personnes morales. Pour le capital, il s'agirait d'un taux de contribution de 0,15% de la part du capital imposable supérieure à 10 millions de francs. Pour le bénéfice net, concrètement, il s'agirait d'augmenter le taux minimum de 2%. Pour les sociétés holdings, il s'agirait de prélever 0,01% du capital imposable.
Ces impôts seraient soumis aux centimes additionnels cantonaux et, semble-t-il, communaux. L'évaluation faite par le département montre que, pour le canton, cela rapporterait 42 millions de francs pour l'impôt sur le capital et 30 millions pour l'impôt sur le bénéfice la première année, sur la base de la situation actuelle.
2. Auditions
a) Audition de Coordination solidaritéS
Coordination solidaritéS est représentée par M. Batou, Mme Filipowski et M. Godinat. Ces derniers précisent que leur comité a cherché une solution au déficit des finances publiques à partir de la constatation que les revenus des personnes morales ont crû plus vite pendant les années 80 que ceux des salariés. Ils estiment, dès lors, que les personnes morales doivent participer à la relève des finances publiques. Cette augmentation de la fiscalité n'aurait pas, selon eux, de répercussions négatives sur l'économie. D'autre part, ils déclarent que cette initiative touche le point central de la crise économique en associant les préoccupations des chômeurs et celles de l'Etat. Enfin, ils expliquent que les lois du marché ne peuvent résoudre une situation de chômage structurel.
b) Audition de la Chambre de commerce et d'industrie de Genève
La Chambre de commerce et d'industrie est représentée par M. Jean-Rémi Roulet et M. Pierre Cogne. Ces derniers estiment que le redressement des finances publiques ne peut intervenir que par des efforts portant sur les dépenses et les recettes. L'effort sur les dépenses doit se faire prioritairement par une diminution de la masse salariale. En ce qui concerne les recettes, ils estiment qu'il ne s'agit pas d'augmenter les impôts, ce qui ne manquerait pas de provoquer un exode de gros contribuables (personnes physiques ou personnes morales), et en particulier de sociétés holdings. A l'opposé, ils estiment qu'en conservant ou en retrouvant des taux fiscaux incitatifs, on pourrait augmenter le nombre des contribuables qui pourvoient le plus aux recettes de l'Etat.
Les représentants de la Chambre rappellent que le Grand Conseil vient de faire passer le taux minimum d'imposition du bénéfice des personnes morales de 4% à 6%. Dès lors, accepter cette initiative aboutirait à monter ce taux de 6% à 8%, soit une augmentation de 100% par rapport au taux en vigueur jusqu'à fin 1994, ce qui leur semble inacceptable.
Les initiants semblent viser les sociétés à forte capitalisation, en fait, ils vont toucher toutes les sociétés avec des faibles bénéfices, ce qui n'est manifestement pas équitable.
Enfin, la Chambre relève son incompréhension quant au fait de savoir si ces impôts complémentaires seront soumis aux centimes additionnels communaux ou non.
c) Audition de la Fédération des syndicats patronaux
La Fédération des syndicats patronaux est représentée par MM. Barde, Mathey et Roduit. La Fédération constate que, pour l'essentiel, l'initiative 101 vise à la création de postes de travail d'utilité publique. Il y aurait lieu de rappeler que la loi sur l'assurance-chômage actuellement en discussion aux Chambres fédérales, et le revenu minimum d'aide sociale que le Grand Conseil vient de voter, prévoient notamment des tâches de ce type. L'initiative 101 viendrait donc se superposer à tous ces dispositifs, sans que les questions d'organisation, d'encadrement et de financement soient, quant à elles, réglées le moins du monde. Il est rappelé que le canton de Genève (Etat, communes, entreprises, salariés et contribuables) contribue déjà à l'heure actuelle pour plus de 600 millions de francs par an au traitement du chômage. L'augmentation du taux de 2% à 3% accroîtra ce montant de quelque 130 millions de francs.
Quant aux moyens, ils consistent une fois de plus à ponctionner les entreprises alors même qu'il conviendrait de préserver leur substance afin qu'elles puissent créer des emplois. Il est constaté que Genève a globalement une fiscalité très lourde en comparaisons intercantonales, sans compter la taxe professionnelle qui est prélevée dans notre seul canton.
d) Audition de M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat, président du département de l'économie publique
M. Maitre a longuement expliqué la révision partielle de la loi fédérale sur l'assurance-chômage qui est actuellement en discussion au niveau des Chambres fédérales. Il existe toujours des divergences entre le Conseil national et le Conseil aux Etats. Dès lors, les travaux ne seront pas bouclés avant le mois de juin, ce qui est bien évidemment gênant pour le traitement de l'initiative 101. En effet, les travaux fédéraux auront de toute façon des répercussions sur la possibilité de financer des emplois d'utilité publique.
Les principes essentiels sur lesquels se base la révision en cours sont les suivants:
- privilégier les mesures actives telles que des cours ou des occupations temporaires;
- obligation pour les cantons de mettre en place ces cours et occupations temporaires, faute de quoi ils auraient des charges financières importantes;
- délai de carence de 12 mois pour les bacheliers au terme de leur formation académique, à moins qu'ils ne participent à des mesures actives;
- délai de carence de 5 jours appliqué à toute personne au début de sa période de chômage (mesure inappropriée pour M. Maitre).
M. Maitre a ensuite donné quelques informations sur les emplois temporaires à Genève. Ce système est prévu dans la loi cantonale sur le chômage pour chaque chômeur arrivant en fin de droit. Il occupe alors un emploi dans une administration cantonale, communale ou dans une institution d'utilité publique. En 1994, 3200 emplois temporaires ont été mis en place pour des périodes allant de 3 à 12 mois. Ce programme a coûté en 1994 64 millions de francs. Il s'agit donc d'un effort énorme mais justifié, selon le Conseil d'Etat, si l'on prend en compte l'aspect qualifiant de ces programmes.
Il constate que la révision fédérale va dans le sens du programme cantonal existant. En tout état de cause, le canton ne diminuera pas son effort dans ce domaine. Quelle que soit la variante adoptée par les Chambres fédérales, il est vraisemblable que Genève dépensera moins en financement propre, car la Confédération participera au coût. Par conséquent, l'initiative 101 risque de ne plus être actuelle face à la révision de la LACI.
Enfin, M. Maitre estime que l'initiative 101 est floue quant à la notion d'emplois d'utilité publique et écologiques. Il conviendrait de définir ce que pourraient être ces emplois face à ce qui se fait déjà. De plus, il faut être attentif à la concurrence avec les entreprises privées.
3. Position de la majorité de la commission
La majorité de la commission estime qu'il n'est ni légitime ni judicieux d'envisager une augmentation de la fiscalité pour les personnes morales. En effet, la très mauvaise situation économique qui prévaut actuellement à Genève doit pousser les autorités à multiplier les mesures incitatives pour les entreprises. Il s'agit de favoriser l'implantation ou la création de sociétés ainsi que le développement des entreprises déjà établies. C'est donc dire que l'initiative va fondamentalement dans le sens inverse de la solution la plus appropriée pour créer de nouveaux postes de travail. Nous voyons donc que ce fonds, bien mal nommé, pour l'emploi amènerait sans doute une détérioration de la situation des entreprises et donc une aggravation du chômage. De plus, le canton de Genève, grâce à son programme d'occupation temporaire et au revenu minimum d'aide sociale, est l'un des plus généreux et actifs de toute la Suisse quant à l'assistance des chômeurs. Il ne s'agit pas, dès lors, de lancer de nouvelles aides qui feraient double usage et qui provoqueraient des problèmes d'organisation, d'encadrement et de financement.
L'étude plus technique de cette initiative montre les faiblesses suivantes:
- Une augmentation de l'impôt sur le capital pour les sociétés ayant des fonds propres de plus de 10 millions de francs toucherait les quelque 450 sociétés concernées (voir tableau annexé) quel que soit leur niveau de rentabilité. C'est donc dire que nous aurions des grandes sociétés subissant des pertes et luttant pour leur survie qui devraient assumer une charge fiscale plus importante. De plus, de nombreuses sociétés ayant augmenté année après année leurs fonds propres dans un souci de sécurité et de saine gestion seraient pénalisées par cette augmentation fiscale, alors que la loi genevoise sur les contributions publiques, au contraire, encourageait la capitalisation. Enfin, Genève a la particularité d'avoir de nombreuses sociétés liées à des activités de service et qui peuvent donc relativement facilement déménager sous des cieux bien plus cléments en matière fiscale. Nous pensons, en particulier, aux sociétés bancaires ou financières, sans oublier les entreprises actives dans d'autres domaines comme le négoce, l'informatique, l'assurance, etc. Il s'agit aussi de ne pas oublier les sociétés holdings qui ont, par définition, une mobilité totale. Le taux proposé par l'initiative pour ces sociétés holdings correspondrait au triple de celui en vigueur actuellement. Les sociétés holdings ayant bien évidemment, en raison de leur but, soit la détention de participations, des fonds propres élevés, cela amènerait une aggravation très importante de leur fiscalité. Cela provoquerait inévitablement un exode de ces sociétés vers d'autres cantons.
- L'augmentation de la fiscalité sur les bénéfices des personnes morales aurait l'immense désavantage de toucher toutes les sociétés, y compris les PME, qui ont un rendement inférieur à 10,66% En effet, actuellement ces entreprises paient un impôt de base (sans les centimes additionnels cantonaux et communaux) de 6% pour les sociétés ayant un rendement inférieur à 8% et un impôt allant de 6% à 8% pour les sociétés ayant un rendement compris entre 8% et 10,66%. Avec la proposition de l'initiative 101, toutes ces entreprises avec des faibles rendements verraient leurs taux de base passé à 8%. Est-ce normal de taxer plus lourdement les sociétés avec des faibles rendements? Cette proposition est choquante surtout si l'on considère que le taux minimum vient de passer de 4% à 6% alors que le taux maximum, lui, baissait de 15% à 14%. Autrement dit, avec cette initiative le taux doublerait (de 4% à 8%) en quelques mois. Les initiants n'ont pas estimé nécessaire de tenir compte de la modification législative antérieure qui allait totalement dans le sens de leur proposition sur cet aspect-là de leur projet.
- L'initiative 101 déroge à l'article 8 de la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat qui prescrit que «les impôts ne peuvent pas en règle générale être attribués à la couverture d'un type particulier de tâches». L'initiative est, de plus, extrêmement peu précise sur la manière dont seraient utilisées les ressources du fonds. De plus, pourquoi limiter ce fonds à la création de postes de travail d'utilité publique dans le domaine social ou écologique et notamment pour l'économie d'énergie et la production d'énergies renouvelables? Les autres occupations seraient-elles incompatibles avec l'éthique des initiants ou bien veulent-ils influencer par ce biais la politique des autorités en la matière ? Quelle que soit la véritable intention des initiants, cela nous semble réducteur pour les chômeurs que de voir limités à des domaines aussi stricts leurs postes de travail.
Ces éléments politiques et techniques ont conduit la majorité de la commission à estimer qu'il était impossible de rentrer en matière sur cette initiative 101.
4. L'hypothétique contreprojet du Parti Socialiste
Lors de l'avant-dernière séance, soit le 7 février 1995, les commissaires socialistes ont proposé un contreprojet à cette initiative. Celui-ci instituerait un taux unique d'impôt sur le bénéfice net. Celui-ci se monterait à 12%. L'idée d'un taux unique, à défaut d'être innovatrice (nous en avions parlé lors d'un précédent débat lié au «fameux amendement Sayegh») est séduisante. En effet, cela correspond à une conception de la fiscalité plus moderne et plus proche des normes européennes. Pourtant, nous avons dû formuler un certain nombre d'objections, bien que nous ne soyons pas opposés au principe du taux unique:
- Le taux de 12% est sans doute beaucoup trop élevé. En effet, même si les simulations nécessaires n'ont pas pu être faites, faute de temps, il est évident que ce taux amènerait une ponction fiscale globale sur les entreprises beaucoup plus importante qu'actuellement. Cela correspondrait à une majoration de 100% (sans même tenir compte de l'augmentation de 4% à 6% qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1995) de l'impôt pour toutes les sociétés qui ont de faibles rendements. Ce taux de base unique de 12% amènerait à un taux d'environ 28% avec les centimes additionnels cantonaux et communaux pour toutes les entreprises. Or le bénéfice net distribué est encore, bien évidemment, taxé chez l'actionnaire par le biais de l'impôt sur le revenu (phénomène de la double imposition économique: l'entreprise et l'actionnaire). Cela amènerait une charge fiscale beaucoup trop lourde en comparaisons intercantonales et internationales. Existerait-il encore des motivations suffisantes pour les entrepreneurs? Nous en doutons.
- Il s'agirait d'étudier, en parallèle du taux unique, l'éventuelle suppression de l'impôt sur le capital. En effet, l'aspect incitatif pour une forte capitalisation de la législation actuelle serait totalement abandonné par l'instauration d'un taux unique. Il ne resterait que l'aspect pénalisant par le biais de l'impôt sur le capital, ce qui n'est pas acceptable.
- La nouvelle législation en vigueur sur le traitement des initiatives nous imposait de stricts délais de traitement, il était dès lors impossible de trouver de bonnes solutions à ces multiples interrogations et divergences en deux séances.
En une phrase, le groupe socialiste a visé trop vite et trop haut et c'est pourquoi par 5 députés (3 L, 2 DC) contre 5 (2 S, 2 ADG, 1 E) et 2 abstentions (2 R), la commission a refusé d'opposer un contreprojet à l'initiative 101.
5. Conclusion et votes
La relance de l'économie à Genève est un objectif ambitieux mais incontournable pour que Genève retrouve une certaine sérénité et puisse continuer à financer des programmes sociaux aussi importants et généreux que ceux que nous avons actuellement. Il s'agit donc de ne pas détériorer les conditions cadres pour les entreprises, au nombre desquelles figure la fiscalité.
Cette raison fondamentale, ainsi que les problèmes techniques évoqués ci-dessus, ont conduit la majorité de la commission par 7 voix (3 L, 2 R, 2 DC) contre 5 voix (2 S, 2 ADG, 1 E) à refuser l'initiative 101.
INITIATIVE POPULAIRE
«Pour des emplois d'utilité publique et écologiques»
Les soussignés, électeurs et électrices dans la République et canton de Genève, en application des articles 64 et 65 de la constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, et des articles 86 à 93 dela loi sur l'exercice des droits politiques, du 15 octobre 1982, appuyent la présente initiative rédigée, instituant un fonds cantonal affecté aux dépenses pour l'emploi.
LOI
instituant un fonds pour l'emploi
(D 3 19)
Article 1
But
1 La présente loi institue un fonds cantonal pour l'emploi, affecté à la création de postes de travail d'utilité publique dans les domaines sociaux et écologiques, notamment des économies d'énergie, de la production d'énergies renouvelables.
2 Les ressources du fonds s'ajoutent à celles que l'Etat affecte déjà à ces domaines.
Art. 2
Objet
Le fonds cantonal est alimenté par une contribution prélevée sur le capital et le bénéfice net des personnes morales.
Art. 3
Assujettisse-ment
Sont astreintes au paiement de la contribution les personnes morales assujetties à l'impôt cantonal en application de la loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887.
Art. 4
Base
d'imposition
Le capital et le bénéfice net imposables sont déterminés conformément aux dispositions de la loi générale sur les contributions publiques.
Art. 5
Exécution
La contribution due par les personnes morales n'est pas perçue sur les sociétés coopératives, les associations et les fondations.
Art. 6
Exception
La contribution due par les personnes morales mentionnées à l'article 65 de la loi générale sur les contributions publiques, notamment, les holdings, équivaut à 0,1% du capital imposable.
Art. 7
Taux de la
contribution
due par les
personnes
morales
1 La contribution des autres personnes morales est constituée par un impôt supplémentaire prélevé sur le capital et le bénéfice net.
2 Le taux de la contribution sur le capital équivaut à 1,5% de la part du capital imposable supérieure à 10 millions de francs.
3 La contribution sur le bénéfice net est uniquement perçue auprès des personnes morales dont l'impôt sur le bénéfice net, calculé en application de l'article 73 de la loi générale sur les contributions publiques, est inférieur au taux minimum légal augmenté de 2%. Le taux de cette contribution équivaut à la différence entre le taux de l'impôt sur le bénéfice net et le taux minimum légal augmenté de 2%.
Art. 8
Centimes
additionnels
Les centimes additionnels prévus par la loi annuelle sur les dépenses et les recettes du canton de Genève sont perçus sur la contribution due par les personnes morales et sont affectés au fonds cantonal pour l'emploi.
Art. 9
Application
de la loi
générale sur
les contri-
butions
publiques
1 Les dispositions de loi générale sur les contributions publiques s'appliquent en tant que la présente loi n'y déroge pas.
2 Sont notamment applicables par analogie les dispositions de la loi générale sur les contributions publiques concernant les exemptions, les procédures de taxation, de réclamation et de recours, la perception, ainsi que les pénalités.
Art. 10
Entrée en
vigueur
La présente loi entre en vigueur le 1er janvier de l'année qui suit son acceptation en votation populaire.
RAPPORT DE PREMIÈRE MINORITÉDE L'ALLIANCE DE GAUCHE
Le 6 décembre 1993, lors de sa prestation de serment, le Conseil d'Etat déclarait: «Notre première priorité sera l'emploi». L'initiative qui nous est proposée s'intitule « Pour des emplois d'utilité publique et écologiques ». Et pourtant elle n'a trouvé grâce ni devant le Conseil d'Etat, ni devant la majorité de la commission fiscale.
La lutte pour l'emploi
Dans son rapport relatif à cette initiative, le Conseil d'Etat ne craint pas d'affirmer: «Certes, dans le cas d'espèce, la destination des fonds collectés a priori sans limite, encore qu'il y a toutes les raisons d'escompter la disparition à terme de la tâche d'utilité publique que constitue l'embauche des chômeurs en fin de droit, au gré de la reprise économique attendue». Que voilà un bel optimisme! De fait l'analyse du Conseil d'Etat est erronée: il continu à croire - et en l'espèce il s'agit bien de croyance - que la reprise économique s'accompagne automatiquement d'une demande suffisante en matière d'emploi pour permettre une baisse significative du chômage.
La réalité est tout autre. Depuis le début de l'année 1994, nous constatons une certaine progression du PIB et pourtant, le chômage a continué à progresser comme l'indique le graphique ci-après relatif à l'évolution depuis 1990, en moyenne annuelle, du nombre de chômeurs:
La crise économique que nous connaissons est une crise de longue durée. Elle comporte un volet structurel important qui n'a pas fini de développer ses effets. Ainsi, nombreux sont les investissements de rationalisation qui conduisent à des destructions de postes de travail et qui ne sont pas compensés par les créations d'emplois. Le secteur bancaire et celui des assurances notamment prévoient des pertes de postes de travail importantes dans les années à venir.
Dans ces conditions, affirmer, comme le fait le Conseil d'Etat, qu'il n'est pas nécessaire d'engager de nouveaux moyens pour lutter contre le chômage c'est refuser de voir la réalité en face et ce d'autant que le chômage de longue durée ne fait que s'aggraver. La réalité est, qu'aujourd'hui, l'économie privée n'est pas en mesure de répondre aux besoins en matière de travail. La majorité de la commission considère qu'il faut pratiquer la politique du « laisser faire » sans se soucier des dégâts considérables que cela entraîne dans la vie quotidienne des milliers de sans-emploi de notre canton. Si tel n'était pas le cas, cette même majorité aurait reconnu que l'objectif de l'initiative valait la peine d'être soutenu et, pour le moins, aurait proposé un contreprojet.
La fiscalité
L'initiative prévoit la création d'un fonds cantonal pour l'emploi, affecté à la création de postes de travail d'utilité publique dans les domaines sociaux et écologiques, notamment des économies d'énergie et de la production d'énergies renouvelables. Le financement de ce fonds doit être assuré par de nouvelles recettes fiscales - évaluées à environ 50 millions de francs par an - prélevées auprès des sociétés dont le capital imposable est supérieur à 10 millions. L'initiative prévoit un relèvement de 0,1% de l'imposition des holdings, une contribution sur la part du capital imposable supérieure à 10 millions de 1,5%, ainsi qu'une augmentation du taux minimum légal d'imposition du bénéfice net le portant ainsi à 8%.
Lors de l'examen du budget 1995, nous avions déjà signalé la volonté affichée de la majorité, non seulement de ne s'attaquer qu'aux seules dépenses, mais encore de refuser toute augmentation des recettes fiscales, voire de les supprimer dans un certain nombre de cas comme dans celui de l'impôt sur les gains immobiliers après 25 ans de possession. Les auteurs de l'initiative prennent le contre-pied de cette politique. Partant d'une nécessité, la lutte contre le chômage qui, d'une manière ou d'une autre, alourdit les charges de l'Etat, ils proposent une modeste hausse de la fiscalité pour les sociétés les mieux loties.
De manière générale, et contrairement aux idées reçues, il convient de rappeler ici que la part des recettes fiscales rapportées au revenu cantonal a diminué:1
1 Source: Recettes, dépenses et endettement du canton de Genève, université de Genève, département d'économie politique.
Ces données, qui expliquent en partie les raisons du déficit des finances publiques, montrent aussi que le «poids» de l'Etat dans l'économie n'est pas aussi élevé que certains voudraient le faire croire. Face à des besoins aussi essentiels que la création d'emploi dont le bénéfice, notamment sur les plans social et écologique, profiteront à toute la société, il existe une marge de manoeuvre.
Les auteurs de l'étude précédemment citée ont montré qu'entre 1987 et 1992, la part de l'impôt sur les personnes morales en pourcentage du total des recettes fiscales a diminué, passant de 12,5% à 11,5%. Les partisans de l'initiative, en prévoyant une augmentation modeste de la taxation des plus grandes sociétés, ne mettent nullement en cause l'existence de celles-ci sur le territoire de notre canton. Chacun sait que la présence, à Genève, de ces sociétés dépend de bien d'autres facteurs que la seule question de la fiscalité à commencer par l'environnement général dont elles bénéficient tant en matière d'infrastructure que de conditions de vie pour leur personnel. Le département de l'économie publique, dans sa brochure à l'intention des investisseurs intitulée «Comparaisons internationales», montre que Genève est très attractive en regard de sept grandes villes européennes, qu'il s'agisse de la fiscalité sur les sociétés, de la durée du travail, de l'absentéisme ou des coûts immobiliers.
L'initiative prévoit une contribution supplémentaire pour les sociétés dont le capital imposable est supérieur à 10 millions de francs. Le nombre de ces sociétés a évolué de la manière suivante depuis 1985:
Au nombre de 307 en 1985, ces sociétés fortement capitalisées sont 466 en 1993, soit une progression de 52%. Pendant la même période le nombre de personnes morales est passé de 19 142 à 21 633, soit une augmentation de 13%. A l'évidence nous assistons à une progression relative des sociétés fortement capitalisées quatre fois plus importante que celle de l'ensemble des personnes morales. Par ailleurs, en 1993, le 40% de ces sociétés au capital de plus de 10 millions de francs provenait du secteur bancaire et financier dont on connaît l'excellente tenue en matière de bénéfice. Or, là encore, le mode de calcul de l'impôt sur le bénéfice, basé sur l'intensité de rendement, favorise les sociétés fortement capitalisées alors que les petites et moyennes entreprises dont les capitaux propres sont généralement peu importants paient proportionnellement plus d'impôts. Dans ces conditions, la contribution prévue par l'initiative sur le bénéfice net vise à corriger quelque peu cette inégalité.
L'évolution depuis 1985 du capital imposé, en francs courants et en francs constants, se présente de la manière suivante:
En passant en francs courants, de 25,7 milliards en 1985 à 39,3 milliards en 1993, le capital imposé dans notre canton a progressé de 53%. En francs constants, pendant la même période, l'augmentation est de 11%. On le voit, les personnes morales peuvent participer davantage qu'elles ne le font aux recettes fiscales et, dans le cas qui nous occupe, surtout celles fortement capitalisées.
Une des objections de la majorité consiste à parler de la concurrence fiscale intercantonale. Outre le fait déjà mentionné que l'aspect fiscal n'est qu'un élément de la décision pour une société de s'implanter à Genève ou de quitter notre canton, il convient de souligner que notre canton est fort bien placé en matière d'imposition sur le capital des sociétés anonymes. En 1992, sur la liste des 27 chefs-lieux des cantons et par ordre croissant d'imposition, Genève se trouve au 11e rang pour l'imposition d'un capital imposable de 100 000 F et 1 million de francs et au 10e rang pour un capital imposable de 10 et 100 millions.
Conclusion
La crise structurelle de longue durée que nous traversons est destructrice d'emplois. Dans ces conditions, la politique du laisser faire n'est plus de mise si l'on prétend lutter pour la création de postes de travail. L'initiative «Pour des emplois d'utilité publique et écologique» constitue un instrument permettant à la fois de créer des postes de travail et de répondre à des besoins aussi importants que les économies d'énergie par exemple.
Le mode de financement de ces mesures est tout à fait adapté à la réalité économique et fiscale des sociétés qui seront appelées à y participer et qui ont bénéficié, pour la plupart d'entre elles, de gains de productivité importants, notamment en supprimant des postes de travail.
Dans ces conditions, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons à abandonner l'illusion qui consiste à croire que le problème de l'emploi se résoudra par le seul jeu du marché et à adopter cette initiative.
RAPPORT DE DEUXIÈME MINORITÉ
L'initiative 101 se propose d'instituer un fonds cantonal pour créer des emplois d'utilité publique.
Le Conseil d'Etat, suivi par 7 des 14 membres de la commission fiscale, recommande le rejet de cette initiative. Le Conseil d'Etat admet que les conditions de recevabilité de cette initiative sont réalisées et ne la rejette que sous l'angle de l'opportunité.
On peut alors se poser la question de savoir si ce rejet n'est pas motivé par le fait que le Conseil d'Etat entend rester seul maître dans ce domaine et définir lui seul la politique sociale du canton.
Or, nul ne devrait être surpris par l'affirmation qu'aujourd'hui l'évolution de l'économie privée ne génère plus d'emploi et que la politique du Conseil d'Etat va dans le même sens en gelant systématiquement les postes libérés par l'effet du PLEND.
Aussi, la présente initiative qui soulève des questions pertinentes, comme le relève d'ailleurs le Conseil d'Etat dans son rapport (IN 101 A, lettre B, page 3, chiffre II), invite à l'action et non plus seulement à la réflexion pour trouver une solution pour les personnes sans emploi.
Si l'on en croit la nouvelle philosophie du Conseil national dans le cadre de la révision de la loi sur l'assurance-chômage, philosophie exposée par M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat, devant la commission fiscale, il y a lieu de privilégier les mesures actives pour retrouver un emploi au détriment des indemnités. Ainsi, les cantons sont responsables de l'organisation de ces mesures actives, ce qui signifiera pour Genève la mise sur pied de 6 500 cours.
Dans l'hypothèse où le canton ne satisfait pas à cette exigence, les subsides fédéraux prévus ne seront pas versés.
Ces mesures actives, permettant un complément de formation, devraient être destinées en priorité aux personnes âgées de moins de 25 ans, ce qui démontre à l'évidence qu'aujourd'hui une population toujours plus jeune reste sans emploi.
L'initiative 101 est donc d'une malheureuse actualité flagrante, ce qui ne semble pas vraiment contesté.
Autre est le débat sur le mode de financement.
Les initiants proposent que le fonds cantonal pour l'emploi affecté à la création de postes de travail d'utilité publique soit alimenté par une accentuation de la charge fiscale des entreprises, à savoir 0,1% du capital imposable des sociétés holdings, dont le taux actuel est 0,3%.
Les autres personnes morales dont le capital imposable est supérieur à 10 millions de francs verraient leur taux d'imposition passé de 2% à 3,5% et le taux minimal du bénéfice net de 6% à 8%.
Sur le principe, il est juste d'augmenter la charge fiscale des sociétés car elles ne remplissent plus leur rôle de créatrices d'emplois, l'informatique supprimant progressivement les postes de travail.
Ainsi, la contribution sociale des entreprises en est d'autant diminuée.
Le groupe socialiste a saisi l'occasion de cette initiative pour soumettre à la commission un projet de loi, lequel aurait pu être présenté en qualité de contreprojet en ce qui concerne le mode de financement prévu par les initiants.
En effet, les personnes morales sont actuellement imposées sur le capital et sur l'intensité de rendement.
Nous avons déjà eu l'occasion de critiquer ce système en relevant que le calcul de l'impôt sur le bénéfice des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives, d'après l'intensité du rendement, a pour conséquence qu'une entreprise dont les fonds propres sont importants acquitte moins d'impôts sur le bénéfice qu'une entreprise obtenant le même bénéfice net imposable mais qui dispose de moins de fonds propres.
Si ce mode encourage les entreprises à s'autofinancer, il désavantage, par contre, les nouvelles entreprises par rapport à celles, plus anciennes, qui disposent de capitaux.
Pour reprendre les termes du Conseil fédéral dans son message sur l'harmonisation fiscale, le système d'impôts d'après l'intensité de rendement enfreint le principe de la neutralité de l'impôt sur le plan de la concurrence.
Le groupe socialiste a donc proposé de modifier le système en introduisant le barème proportionnel qui impose le bénéfice net selon un taux fixe.
Cette proposition a été rejetée de justesse par 5 voix «contre» (3 L et 2 DC) contre 5 voix «pour» (2 S, 2 ADG et 1 E) et 2 abstentions (R).
Le projet de loi a donc été déposé indépendamment de l'initiative 101 et propose de taxer le bénéfice net des sociétés de capitaux et coopératives au taux fixe de 12%.
Le refus d'entrer en matière sur ce contreprojet potentiel a été motivé, principalement, par une opposition catégorique à toute augmentation des impôts.
Or, la situation de l'emploi se détériore de jour en jour et les personnes qui en sont victimes ont toujours plus de difficultés à retrouver une activité lucrative.
Ce ne sont souvent pas les compétences mais le nombre de postes offerts sur le marché qui manque.
Il y a lieu d'être conscient qu'avec les autoroutes de l'information, la notion de travail est en train de se modifier, le temps de travail est en train de diminuer et le problème social qui en résulte est en train de s'aggraver.
Le groupe socialiste déplore l'absence d'un contreprojet à cette initiative, lequel aurait permis de déterminer le mode de financement, d'autant plus que le Conseil d'Etat y était favorable sur le principe si l'on en croit le dernier alinéa de ses conclusions dans lesquelles il se réservait la possibilité de saisir le Grand Conseil d'un contreprojet, après l'examen de recevabilité par la commission législative.
L'opposition pure et simple à l'initiative 101 n'est pas raisonnable et c'est pourquoi, faute d'un contreprojet, nous la soutiendrons.
Au bénéfice de ces explications, nous vous invitons, Mesdames, Messieurs les députés, à soutenir cette initiative.
Débat
M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur de majorité. Le débat que nous allons avoir sur cette initiative 101 dépasse largement une problématique purement fiscale ou technique. Il s'agit en fait de deux conceptions différentes afin d'essayer de résoudre ou de diminuer le problème du chômage. Peut-être même pouvons-nous dire que c'est un des points essentiels de divergence entre la droite et la gauche de ce parlement.
Pour les partis de gauche, il s'agit de prélever des moyens supplémentaires sur le dos des entreprises pour tenter d'améliorer la situation des chômeurs.
Pour les partis de l'Entente, il est impératif de donner le maximum de chances de développement aux entreprises, afin qu'elles puissent augmenter leur potentiel humain et ainsi décharger l'Etat, le plus vite possible, de certaines prestations d'assistance. Augmenter à Genève la fiscalité des entreprises n'est manifestement pas pour nous une incitation à la création de postes.
En sus de cette opposition fondamentale, nous voyons deux grandes faiblesses à cette initiative.
- Tout d'abord, les initiants croient être très précis dans leur objectif fiscal qui vise à taxer plus les sociétés fortement capitalisées. Pourtant, ils se trompent en grande partie de cible dans la mesure où l'application de ce texte toucherait toutes les sociétés ayant de faibles rendements, y compris les petites et moyennes entreprises qui ont des fonds propres modestes. Taxer plus fortement les sociétés qui ont de faibles bénéfices, peut-être après des années de déficits, quel magistral autogoal !
- En second lieu, en ce qui concerne l'utilisation des fonds, les initiants sont malheureusement extrêmement flous en suggérant la création d'un fonds cantonal pour l'emploi dans les domaines sociaux et écologiques. Quelle belle profession de foi, quel bel idéal ! Mais pourquoi limiter ce fonds à la création de postes dans le domaine social ou écologique exclusivement ? D'autres activités seraient-elles incompatibles avec l'éthique des initiants ou bien veulent-ils, par ce biais, influencer la politique des autorités en la matière ? En tout état de cause, pensez-vous que seuls des emplois dans ces domaines sont capables de résoudre le problème du chômage ? Cela nous semble un peu trop simple et surtout assez démagogique. De plus, d'importants programmes d'occupation temporaire et de formation existent déjà ou sont prévus au niveau cantonal et fédéral. Dès lors, comment articuler et développer ce programme supplémentaire ? Tous ces points d'interrogation subsistent et l'audition des initiants n'a pas permis d'élucider ces questions, leur initiative étant plus une profession de foi, un cri du coeur qu'une réponse intelligente à un grave problème.
Dans la situation budgétaire actuelle, les emplois seront créés prioritairement par les entreprises; nous devons dès lors leur offrir les meilleures conditions-cadres parmi lesquelles figure en priorité la fiscalité. Il s'agit donc de s'opposer à cette initiative.
M. Bernard Clerc (AdG), rapporteur de première minorité ad interim. Le rapport de majorité ne dit pas un mot de l'évolution inquiétante du chômage, et pour cause. Elue sur une prétendue priorité à l'emploi, la majorité n'est pas parvenue à enrayer le chômage. Plus grave encore, elle s'oppose aujourd'hui à une mesure qui vise la création de postes de travail.
Vous préférez, Monsieur Brunschwig, assister les chômeurs, et encore avec beaucoup de réticences, plutôt que d'engager des mesures pour leur fournir de véritables emplois. La seule méthode que vous préconisez c'est laisser faire et voir venir, les choses finiront bien par s'arranger ! Le problème, c'est qu'elles ne s'arrangent pas.
La majorité, semble-t-il, n'a pas bien lu ou n'a pas voulu lire l'article 1 de l'initiative. Celui-ci parle très clairement de création de postes de travail et non pas, comme le dit le rapport de majorité, d'occupation temporaire, voire de contre-prestation liée au revenu minimum pour les chômeurs en fin de droit. Les initiants ne souhaitent pas mettre un emplâtre sur une jambe de bois. Ils ne veulent pas créer des postes de travail alibis qui seraient occupés alternativement par des chômeurs en situation précaire. Ce qu'ils préconisent, c'est la création de cinq cents postes de travail stables, conçus pour durer tant que la situation l'exigera et répondant aux besoins existants sur le plan social et sur celui de l'écologie. Dans ce sens cela ne fait aucunement double emploi, comme vous le prétendez, avec les mesures existantes d'aide temporaire aux chômeurs.
Lors de son audition devant la commission, la Fédération des syndicats patronaux a évalué à 730 millions le coût du chômage à Genève. Encore ne s'agit-il là que des coûts directs. Cela signifie qu'en moyenne la dépense pour un chômeur s'élève à 46 000 F par an. La mise en oeuvre de l'initiative permettra une économie immédiate de 23 millions correspondant au 46% de la somme investie, sans compter les coûts indirects, qu'ils soient monétaires ou sociaux. Par ailleurs, la création d'emplois dans un domaine comme celui des économies d'énergie permettra à l'Etat et aux institutions publiques de réaliser des économies importantes et concrétisera, au niveau public, des mesures prévues par le plan «Energie 2000».
Au niveau fiscal, le rapport de majorité ne craint pas de peindre le diable sur la muraille en utilisant des données fausses comme on peut le constater au bas de la page 5 du rapport. Je cite : «Le taux proposé par l'initiative pour ces sociétés holdings correspondrait au triple de celui en vigueur actuellement.». En fait, il ne s'agit pas d'un triplement de l'impôt, comme le prétend le rapport de majorité, mais du passage d'un taux de 0,3% à 0,4%, ce qui signifie une augmentation d'un tiers. Ainsi, une société holding au capital de 10 millions verra son imposition passer de 3 000 F à 4 000 F. Voilà, à coup sûr, un effort insurmontable. Vous n'avez pas de tels états d'âme quand vous acceptez que le revenu d'un salarié diminue de 30% lorsqu'il se trouve au chômage. C'est l'occasion de rappeler ici que la part de l'impôt sur les personnes morales, en pourcentage du total des recettes fiscales, a diminué ces dernières années, puisqu'elle est passée de 12,5 à 11,5%. Les sociétés au capital de plus de 10 millions ont augmenté de 52%, passant de 307, en 1985, à 466, en 1993. La progression du nombre de ces sociétés est quatre fois plus importante que celle de l'ensemble des personnes morales. Pendant cette même période le capital imposé a augmenté de 53% en francs courants et de 11% en francs constants. Qui peut continuer à prétendre que la fiscalité genevoise n'est pas attractive pour les personnes morales ? Sur un plan global, la ressource fiscale supplémentaire de 50 millions représentera une augmentation de 1,5% des rentrées fiscales.
Mesdames et Messieurs de la majorité, certains d'entre vous croient, et d'autres feignent de croire, qu'en maintenant, voire en diminuant, l'imposition des entreprises, cela permettrait de favoriser la création d'emplois. Si cela marchait, on le saurait. Hélas, il n'en est rien ! Les expériences faites ailleurs montrent que les faveurs consenties aux entreprises ont bénéficié principalement aux détenteurs de capitaux et n'ont pas créé un seul emploi. En France, M. Balladur lui-même le reconnaît. Ne soyez pas plus bornés que lui. Pour une fois, pensez à moyen et long terme et dites-vous que le plus grand danger ne réside pas dans quelques millions de rentrées fiscales supplémentaires mais bien dans le développement du chômage.
Un jour ou l'autre, que vous le vouliez ou non, il faudra bien, sous une forme ou sous une autre, en payer le prix.
Mme Christine Sayegh (S), rapporteuse de deuxième minorité. Au-delà des chiffres, c'est un choix de société que nous propose cette initiative, un choix solidaire motivé par une réalité qui perdure : la crise. Cette crise, dont la connotation structurelle est non seulement évidente mais encore marque un changement profond dans l'organisation du travail, ne se résoudra pas avec le temps au gré de l'offre et de la demande. Vous le savez bien, l'offre et la demande d'emploi sont en train de prendre des chemins contraires. Les moyens classiques dont se targuent les partis de l'Entente pour résoudre cette crise sont inefficaces et surtout dépassés, pour ne pas dire surannés. Les bénéfices des sociétés fortement capitalisées ont augmenté, en 1994, entre 8 et 10% en tout cas, alors que le chômage n'a même pas été stabilisé. C'est donc un leurre de croire, et de faire croire, que les choses vont s'arranger d'elles-mêmes.
Les progrès informatiques rendent la plupart des entreprises plus performantes, c'est bien. Mais l'achat d'ordinateurs ou le leasing de ces derniers dispense les entreprises d'engager du personnel supplémentaire, de payer des salaires supplémentaires et, par voie de conséquence, les dispense de participer aux charges sociales par le biais de cotisations. Ainsi, l'initiative 101 vise juste, tant sur la création d'emplois d'utilité publique que sur les bailleurs de fonds. Les sociétés de capitaux doivent maintenir leur participation financière à la politique sociale et une légère augmentation de la fiscalité - il n'y a pas lieu, en l'espèce, de peindre le diable sur la muraille - pour les sociétés fortement capitalisées ne fera que rétablir leurs contributions sociales qui diminuent de manière constante.
Il n'y a pas lieu d'aller à l'encontre du progrès, notamment du progrès technique, il y a lieu de s'y adapter, d'en mesurer les effets positifs et négatifs, et plus particulièrement en matière d'emploi. Nous avons proposé un projet de loi qui est annexé - je pense par erreur - à l'initiative 102 en contreprojet de cette initiative. Il propose une taxation des sociétés sur leur bénéfice net et non plus sur l'intensité du rendement. Ce système est plus équitable et les sociétés ne sont plus tentées de capitaliser pour payer moins d'impôts; elles capitaliseront en fonction de leur but social. Toutefois, ce projet de loi sera discuté ultérieurement. Ainsi, sans contreprojet, l'initiative 101 ira donc en votation et le verdict populaire ne sera, je l'espère, pas celui de la majorité qui s'est dégagée en commission.
M. Daniel Ducommun (R). Estimant les deux initiatives qui nous occupent ce soir proches l'une de l'autre, je me propose de faire une intervention commune aux deux objets pour vous informer que notre groupe s'oppose à l'initiative 101 et s'opposera tout à l'heure à la 102, sans contreprojet, rejoignant en cela les deux rapports de majorité.
Il ne faut pas s'étonner de l'action des initiants. A chaque année électorale, et depuis des décennies, on ressort des fonds de tiroir la même volonté de taxer les hauts revenus et les sociétés fortement capitalisées au profit de l'action sociale. En d'autres termes, l'adage de ponctionner les riches pour donner aux pauvres est toujours un cliché d'actualité. Nous considérons que, si mal il y a, il n'est pas soigné avec le bon remède.
Nous ne sommes pas les seuls à penser cela, puisque, suite au vote très net des Zurichois sur ces mêmes sujets, M. Rudolph Strahm - la référence du parti socialiste suisse en matière d'économie - juge l'idée de taxer les grosses fortunes comme étant un dogme vieillot des années 30. M. Strahm demande par ailleurs à ses militants de tempérer leur ardeur dans les autres cantons, dont Genève, et d'éviter tout combat d'arrière-garde, parce que ces initiatives sont déposées dans la plupart des cantons suisses.
M. Francis Matthey, un autre sage du parti socialiste, voit plutôt une action dans une meilleure solidarité intercantonale, afin d'éviter des disparités mais surtout la mobilité des contribuables aisés. MM. Strahm et Matthey sont si proches de notre centre que nous partageons en tous points leurs points de vue. Si les actions des initiants sont maladroites, il n'en reste pas moins que les conditions sociales se sont dégradées ces dernières années. Chômage et vieillissement de la population affectent comme jamais cette fin de siècle dans notre pays, à Genève en particulier. Nous ne pouvons donc pas rester indifférents devant cela, Monsieur Clerc, il faut agir.
En ce qui nous concerne, nous préconisons quatre pistes afin de tenter de remplir les mêmes objectifs que les initiants. Deux sont en relation avec la fiscalité. D'une part, je reviens sur la solidarité intercantonale, plus précisément sur le fait d'exercer une pression continuelle sur le canton de Vaud dont chaque jour environ trente mille de ses ressortissants utilisent nos infrastructures. D'autre part, nous ne restons pas figés sur les recettes fiscales cantonales, puisque nous jugeons la proposition d'un taux d'impôt fixe sur le bénéfice net digne d'intérêt et sommes prêts à en discuter en commission sur une base toutefois mieux étudiée et adaptée que la proposition socialiste qui se promène, on l'a vu tout à l'heure, en page 17 de l'initiative 102. Cette façon de taxer par le biais du taux fixe nous paraît plus moderne et, par ailleurs, eurocompatible.
Pour conclure, je suggère deux autres axes de réflexion. Le premier sur l'amélioration permanente des conditions-cadres en faveur d'entreprises nationales ou étrangères qui souhaitent s'établir dans notre cité. A notre avis, c'est la meilleure action pour combattre le chômage. De source officieuse, nous savons, et M. Jean-Philippe Maitre pourra peut-être nous fournir quelques renseignements tout à l'heure, que plusieurs entreprises souhaitent venir s'installer dans notre canton, notamment une importante organisation de télécommunication, qui n'est pas Reuters mais encore une autre. Eh bien, cette importante organisation hésite entre Genève et Amsterdam. Aux dernières nouvelles, elle s'installerait plutôt en Hollande pour des raisons essentiellement fiscales. Je ne crois donc pas que les initiatives de ce soir soient de nature à enthousiasmer ce type d'entreprise.
Enfin, nous jugeons que la poursuite des efforts de l'Etat sur les dépenses de fonctionnement, qui se situent tout de même à 5 milliards, vous le savez, doit être accélérée conformément au plan de redressement des finances publiques à l'appui de réformes structurelles importantes et non marginales telles que nous les avons vécues lors de récentes votations. Nous ne sommes de loin pas négatifs, mais, pour suivre les mêmes préoccupations que les initiants sur l'angoisse des besoins sociaux grandissants, nous proposons des remèdes pragmatiques au lieu de dogmatiques, et c'est là que se situe notre différence.
M. Gilles Godinat (AdG). Les estimations concernant la disparition des postes de travail depuis le début de la récession évaluent la perte à vingt mille postes pour le canton de Genève. Une part importante de cette perte résulte de restructurations, principalement dans le secteur des services financiers, banques et assurances, comme le soulignait le rapport de M. Bernard Clerc.
Ainsi, la part du chômage structurel tend donc à augmenter à plus d'un tiers du total. Ce constat peut être fait, pour le moins, à l'échelle européenne. Pour rentabiliser le capital, le valoriser et le reproduire, ces propriétaires n'ont besoin que d'une fraction toujours plus réduite de la population active disponible au moindre coût salarial. Voilà l'inexorable loi des marchands du travail. Sans une volonté affirmée d'orienter différemment ce cours des choses, la situation de l'emploi ne changera pas. Nos réponses à la diminution des postes de travail sont articulées autour de quatre axes principaux.
Premièrement, la diminution générale du temps de travail avec une nouvelle répartition des postes assurant ainsi le maintien voire la mise à disposition de nouvelles places de travail.
Deuxièmement, le recyclage professionnel.
Troisièmement, la création de nouveaux emplois dans le domaine de l'utilité sociale, appelés également nouveaux emplois de service. Enfin, la réinsertion par paliers des marginaux délaissés et des exclus.
J'aimerais donner ici quelques pistes à la réflexion de notre Grand Conseil dans le domaine des emplois d'utilité publique. D'abord dans les services publics classiques, à savoir l'enseignement, la santé et les transports. Dans l'enseignement, plusieurs élèves nécessitent des formes d'appui et d'encadrement spécifique et des emplois d'utilité publique d'aide à la formation et à l'apprentissage seraient indispensables pour le perfectionnement de ces élèves en difficulté. Par extension, on pourrait imaginer des structures d'appui semblables pour les adultes handicapés ou professionnellement en difficulté. Dans le domaine de l'enseignement encore, tout le secteur du parascolaire, dont on a largement débattu, est un secteur où des activités d'utilité publique peuvent également être développées.
Dans le domaine de la santé, développer les centres de promotion de santé communautaires dans les quartiers permettrait d'améliorer les conditions de santé de la population et favoriserait le développement d'emplois stables dans un domaine utile socialement. Enfin, un travail lié au domaine de la toxicomanie, comme nous en avons débattu en commission, peut s'avérer également très utile.
Dans le domaine des transports, il y a différentes pistes envisageables. On pourrait imaginer des ateliers de réparation de minibus et de voitures de service pour un système de «véhicules-vacances» afin de développer de nouveaux modes d'utilisation des voitures dans ce canton.
Dans le domaine plus précis de l'utilité sociale, il s'agit, d'une part, des activités correspondant aux trois mille deux cents emplois temporaires mis en place en 1994 dans le canton, dont une part non négligeable pourrait être stabilisée à plus long terme. Il s'agit de stimuler les prestations d'associations à but non lucratif venant collaborer avec les services publics dans des prestations de proximité dans le domaine de la solidarité sociale, de l'aide aux personnes âgées, de l'animation, de la solidarité dans les quartiers, qui représentent à nos yeux un développement concret de la nouvelle citoyenneté.
J'aimerais donner un exemple extrêmement précis. Il y a, dans ce canton, plus d'une centaine de patients psychiatrisés qui vivent isolés dans des pensions. Il y a plusieurs centaines de patients souffrant de troubles psychiques qui vivent isolés en appartement. Il est tout à fait possible de développer des structures d'accompagnement qui permettraient à ces personnes exclues du monde social, vivant dans une misère affective et sociale tragique, de pouvoir réintégrer progressivement une vie sociale et affective décente.
Enfin, dans le domaine de la communication et de la solidarité internationale, il y a des secteurs à développer dans le domaine de la mise en valeur des différents savoirs. Il faut favoriser les expériences professionnelles dans le domaine de la Fédération genevoise de coopération, dans l'accueil et l'intégration des requérants d'asile, par exemple. Voilà quelques pistes concrètes non exhaustives dont plusieurs modèles ont été expérimentés ici ou ailleurs.
Pour conclure, j'aimerais insister sur un argument du président de la commission sociale du CNPF, syndicat patronal de nos voisins français, qui contredit le programme de relance de l'Entente. En effet, M. Demange déclarait dans le journal «Le Monde», du 20 octobre 1994 : «La baisse des charges des entreprises ne crée pas directement d'emplois.». Les mesures fiscales incitatives ne créeront jamais d'emplois. C'est un des vôtres qui le dit ! Par conséquent, demander une contribution solidaire aux secteurs économiques qui ont le plus profité de la dernière période pour assurer leur bénéfice et rationaliser leur service au détriment des salariés transformés du jour au lendemain en chômeurs est une oeuvre légitime et nécessaire au vu du coût économique, social et psychologique désastreux du chômage.
M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur de majorité. Si je me permets d'intervenir, c'est pour mentionner quelque chose qui me semble assez flou dans la loi par rapport à la remarque de M. Clerc. En effet, à l'article 6 de l'initiative, il est dit :
«La contribution due par les personnes morales mentionnées à l'article 65 de la loi générale sur les contributions publiques, notamment les holdings, équivaut à 0,1% du capital imposable.».
Cette référence à l'article 65 qui, depuis, est devenu l'article 34, puisque la loi a changé comme vous le savez, mentionne cela :
«Les sociétés holdings sont soumises à l'impôt annuel de 0,3% sur leur capital propre.».
J'en déduis, dès lors, comme M. Clerc ne parle pas d'un impôt supplémentaire alors qu'il en est question à l'article 7, que l'on va passer d'un taux de 0,3% à un taux de 0,1% pour les sociétés holdings. Il me semble qu'il y a un problème majeur au niveau de la technique, car il n'est mentionné nulle part un impôt supplémentaire en tant que tel. Je crois que, de toute manière, que ce soit l'un ou l'autre des chiffres, c'est le principe qui va être débattu aujourd'hui.
M. Bernard Clerc (AdG), rapporteur de première minorité ad interim. Décidément, Monsieur Brunschwig, vous avez de la peine à lire les textes des initiatives, surtout si elles ne correspondent pas à vos perspectives ! Vous avez oublié l'article 2 qui dit que le fonds est alimenté par une contribution prélevée sur le capital et le bénéfice net des personnes morales, et ensuite on indique les taux.
M. Nicolas Brunschwig, rapporteur de majorité. Lisez l'article 5, Monsieur Clerc !
M. Bernard Clerc, rapporteur de première minorité. L'initiative dit clairement que le taux pour les sociétés holdings passe de 0,3% à 0,4%. Par contre, je suis d'accord avec vous sur le fait que ces initiatives posent des questions essentielles et deux conceptions sur la manière d'aborder la question de l'emploi. L'une, effectivement, propose du laisser-faire, du laisser-aller et les lois du marché par elles-mêmes résoudront les problèmes, et l'autre, qui est la nôtre, consiste à dire que c'est à l'Etat d'intervenir à partir d'un certain niveau de développement du chômage, parce que, autrement, on accepte de manière quasi définitive qu'un certain nombre de nos concitoyens sont exclus du marché du travail.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Cette initiative pose certains problèmes généraux que l'on ne peut pas nier, comme, par exemple, l'affectation des impôts, principe que nous avons combattu à maintes reprises, car il limite le pouvoir d'action du Grand Conseil ou de la population. Elle met également en évidence la fragilité du système fiscal genevois qui ne repose principalement que sur une faible partie de la population; il y a donc un risque que la tour fiscale s'écroule. Enfin, elle ne respecte malheureusement pas tout à fait l'article 8 de la nouvelle loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat qui dit que toute demande de dépense nouvelle doit prévoir une couverture financière, mais, en principe, pas par une hausse d'impôts.
De plus, il faut reconnaître qu'en commission tout le monde est parti avec des a priori très marqués qui ont fait que la montagne de statistiques que nous avons obtenue n'a pas beaucoup influencé les idées de départ. Malgré une lecture attentive de celles-ci, il est très difficile de démontrer clairement l'accroissement réel du fossé entre les plus riches et les plus pauvres ou même de déterminer quelles sont les conséquences exactes pour les plus concernés par les modifications éventuelles.
On constate également que la fiscalité genevoise relève souvent plus d'analyses pragmatiques que scientifiques. En fait, il manque un outil statistique performant pour établir des scénarios résultant de modifications de la loi fiscale. C'est certainement une des raisons qui ont fait que l'amendement socialiste visant à ramener le taux d'imposition à 12% plutôt que d'avoir une échelle de valeurs selon le taux de rendement n'a pas été rejeté sur le principe par le Conseil d'Etat. Cela prouve bien qu'il faut revoir cette fiscalité des sociétés.
Mais, si nous admettons des difficultés dans l'application de cette initiative, elle présente un avantage certain qui fera que nous la soutiendrons. Elle ouvre les yeux à ceux qui ont eu la chance de savoir utiliser leur potentiel de gestion, de création, de production dans des conditions conjoncturelles excellentes qui ont favorisé leur enrichissement et qui, aujourd'hui, ont souvent procédé à des licenciements pour restructurer leurs entreprises, notamment dans les banques et les assurances. Elle ouvre les yeux de ces gens sur le fait qu'elle partage le prix à payer maintenant avec les plus défavorisés en acceptant une légère hausse d'impôts, car, à long terme, les coûts sociaux du chômage seront forcément plus lourds. Cette hausse doit servir au financement de la réinsertion professionnelle, à la création de nouveaux emplois ou au partage du travail.
D'autre part, si Genève attire autant de grosses fortunes et d'entreprises de pointe, c'est que notre ville offre une sécurité, une qualité de vie exceptionnelle, et cela a aujourd'hui un prix plus élevé qu'hier, vu la diminution des emplois ici et dans les autres pays. Enfin, par ce biais, on contribue également, même dans une infime mesure, à lutter contre le déséquilibre Nord-Sud, car si, effectivement, tous les pays occidentaux taxaient beaucoup plus les sociétés surcapitalisées ou les grosses fortunes, ils contribueraient à freiner la fuite des capitaux vers les pays déjà riches et participeraient à un équilibre plus sain entre le Nord et le Sud.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). M. Ducommun fustige nos conceptions, parce qu'elles datent des années 30, nous dit-il. Je me permettrai de lui faire remarquer que les vôtres, Mesdames et Messieurs de l'Entente bourgeoise, viennent d'encore plus loin, puisqu'elles remontent, d'après vous-mêmes, à Adam Smith, que vous citez avec beaucoup d'enthousiasme et à réitérées reprises sur vos bancs. Monsieur Ducommun, vous n'avez même pas pris la peine d'enrober ces conceptions d'Adam Smith d'un peu de modernité, mais seulement d'un peu de bla-bla.
Ce que je voudrais vous dire, c'est que nous vivons aujourd'hui dans une situation où les inégalités sociales croissent. Vous voulez encore augmenter ces inégalités sociales en privilégiant fiscalement les plus privilégiés et en agissant quasi exclusivement sur les dépenses de l'Etat pour rééquilibrer les finances publiques. Or, de plus en plus de femmes, de familles monoparentales ont besoin d'aide de l'Etat pour pouvoir vivre, et ce phénomène va perdurer. Le nombre de personnes âgées va continuer de croître et un chômage structurel s'installe dans notre canton, tout comme il s'est installé dans les cantons et les pays voisins.
Ajouté à cela le ralentissement des recettes d'impôts depuis 1987, les allégements fiscaux consentis depuis cette date, la suppression de la progression à froid et la modification de la structure du revenu cantonal, on comprend qu'il existe un sérieux problème de financement des prestations publiques. D'ailleurs, les gens les plus lucides dans vos rangs sont conscients de ce phénomène et y réfléchissent. Ainsi, le département de l'action sociale le reconnaît implicitement et, en partant des mêmes prémices que celles que je viens d'exposer, il soumet aux différents partis politiques un projet de financement des prestations d'aide aux personnes âgées sous la forme d'une taxe de solidarité. Pour ce qui nous concerne, partis, syndicats et mouvements de gauche, nous proposons un réajustement de la charge fiscale des personnes morales et un impôt de solidarité sur les grandes fortunes; c'est l'objet des initiatives 101 et 102.
Deux arguments à l'appui de l'initiative 101. Une première série d'arguments porte sur l'intérêt de modifier le poids de la charge fiscale sur le bénéfice des personnes morales. L'impôt sur le bénéfice net est, pour un bénéfice donné, inversement proportionnel au capital versé augmenté des réserves avec des valeurs plafond à 14% et des valeurs plancher à 6%. L'impôt sur le capital est, lui, proportionnel au capital. Il résulte de ces dispositions un impôt total sur le bénéfice et le capital qui décroît, puis croît à nouveau, en fonction du rapport capital sur bénéfice avec un minimum autour de 15% et un maximum autour de 35%.
Or la loi actuelle joue un rôle extrêmement conservateur. D'un côté, elle met à l'abri d'un trop fort impôt des sociétés qui sont, le plus souvent, solidement en place et largement dotées en capital, mieux à même de palier les effets de la conjoncture et, de l'autre, elle taxe plus lourdement des sociétés nouvelles à fort taux de croissance et peu capitalisées. Et si la loi a pour avantage d'encourager les entreprises à s'autofinancer, elle défavorise celles qui font appel à beaucoup de main-d'oeuvre par rapport à celles qui nécessitent de gros investissements en capitaux.
Il y a donc un intérêt légitime à vouloir modifier le poids de la charge fiscale sur les personnes morales pour imposer plus lourdement les sociétés fortement capitalisées. D'après les chiffres que la commission a obtenus auprès de l'administration fiscale cantonale, le taux moyen d'imposition des sociétés au capital de plus de 10 millions de francs se situe aux alentours de 10%, centimes additionnels compris, ce qui signifie qu'elles sont imposées au taux de base minimum. Il est donc justifié de vouloir répartir autrement la charge fiscale en faveur des petites et moyennes entreprises, notamment de celles qui utilisent plus de main-d'oeuvre en regard de celles qui sont fortement capitalisées.
Il y a aussi une deuxième série d'arguments, à l'appui de cette initiative 101, qui propose d'augmenter les recettes fiscales provenant des sociétés. Le revenu de la propriété et des entreprises contribue de plus en plus à la formation du revenu cantonal au détriment de la rémunération des salariés et des indépendants.
Si les impôts frappant les entreprises étaient comparables aux impôts frappant les ménages, les recettes totales des impôts sur les revenus suivraient le revenu cantonal. On observerait simplement un glissement vers les impôts des entreprises. Or ce n'est pas le cas. Les impôts des personnes physiques font entrer, grosso modo, 2 milliards de francs dans les caisses publiques et les impôts des personnes morales aux alentours de 500 millions de francs. La distorsion est évidente. Elle légitime une augmentation de l'imposition des personnes morales.
Le groupe socialiste avait proposé, en commission, plutôt que de procéder à des réajustements successifs, un changement du système d'imposition du bénéfice des sociétés pour un impôt proportionnel que nous avions situé à 12%. Cette proposition a été refusée en commission par manque de données sûres et sérieuses provenant de l'administration fiscale concernant les effets d'un tel taux proportionnel fixe, et surtout d'un taux fixé à 12%. Le projet a dès lors été déposé pour lui-même et figurera à l'ordre du jour d'une prochaine séance. Je souhaite que vous acceptiez de voter son entrée en matière.
Mais, pour l'heure, nous nous rallions à l'initiative 101.
Mme Anne Chevalley (L). Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse !
C'est exactement ce à quoi vont finalement mener les initiatives qui se succèdent dans le but, certes louable mais combien peu réaliste, d'améliorer les possibilités d'aide aux chômeurs et de création d'emplois.
Mon propos n'est pas d'entrer dans des détails techniques qui ont déjà été donnés et commentés, mais de rappeler, comme l'a fait notre collègue Nicolas Brunschwig dans son excellent rapport et dans son intervention préliminaire, les efforts très importants qui ont déjà été consentis par notre canton et dont, faute de recul et de prévisions réalistes, nous ne savons pas encore jusqu'où ils nous mèneront en termes de prestations financières, notamment en ce qui concerne le revenu minimum d'aide sociale en faveur des chômeurs en fin de droit.
L'imposition des personnes morales qui a été modifiée par le projet de loi 7090, adopté par notre Grand Conseil en septembre dernier, augmente la charge fiscale des sociétés dans une mesure qui, compte tenu de la situation des finances cantonales, nous a paru supportable. Aller au-delà serait suicidaire.
De plus, il serait indécent d'exiger, six mois à peine après une augmentation, une nouvelle aggravation de cette charge. Soyons réalistes et mettons-nous quelques instants seulement à la place des sociétés qui n'hésiteront pas, à l'instar des personnes physiques qui emportent armes et bagages pour s'installer dans un canton voisin, à transférer leur siège sous des cieux plus cléments.
Or, Genève ne peut se permettre de perdre des contribuables, qu'ils soient fortement capitalisés ou plus modestes, mais cependant fournisseurs d'emplois, dans une période où, au contraire, des mesures incitatives doivent être prises, notamment sur le plan fiscal, pour stimuler la relance et attirer de nouvelles sociétés commerciales ou industrielles.
Rétablir la santé de notre économie est le moyen le plus sûr pour répondre aux objectifs de cette initiative.
Cessons de croire que Genève est si merveilleuse qu'il ne viendrait à l'esprit de personne de la quitter pour de seules raisons fiscales, alors que, comme il l'a été dit et redit, de nombreuses sociétés disposent d'une grande mobilité et n'hésiteraient pas à faire le pas, excédées qu'elles seraient par une nouvelle ponction qui pourrait en précéder d'autres.
Cela étant, le groupe libéral est disposé à étudier un nouveau système d'imposition des personnes morales selon le principe dit du taux unique. Cependant, cette modification nécessite une étude approfondie des conséquences de ce nouveau système sur les rentrées fiscales et du taux qu'il y aura lieu d'appliquer.
Imaginons donc que nous arrivions, dans un délai relativement proche, à une conclusion favorable - notre parlement acceptant aujourd'hui l'IN 101 - nous procéderions à trois modifications successives de l'imposition des personnes morales !
Cessons de scier la branche sur laquelle nous sommes assis !
L'initiative est dangereuse et, par conséquent, inacceptable, et le groupe libéral vous invite à lui opposer un refus massif.
M. Jean-Claude Vaudroz (PDC). Depuis que je suis sur les bancs de la députation, c'est bien la première fois que nous sommes tous d'accord sur un point, à savoir que l'emploi est une priorité absolue.
Toutefois, je ne comprends pas cette initiative prétendant vouloir créer des emplois en pénalisant davantage les entreprises par un impôt supplémentaire sur le capital et sur le bénéfice des personnes morales. C'est d'autant plus illogique que l'on se base sur des constats des années 80 en disant que les revenus des personnes morales ont crû plus vite que ceux des salariés, alors même que nous sommes, en 1995, dans une situation totalement différente. Le Grand Conseil a mis en application, et cela dès le 1er janvier 1995, le taux minimum d'imposition du bénéfice des personnes morales de 4 à 6%.
Nos entreprises, pour rester compétitives, doivent absolument investir et se moderniser. Cela est d'autant plus vrai et urgent que nous traversons une période particulièrement difficile. Il faudrait, par conséquent, alléger davantage l'imposition plutôt que le contraire, afin de préserver ce qui paraît essentiel dans une entreprise, cette substance, ce fruit de ce travail qui va permettre à l'entreprise de redevenir créatrice d'emplois. En fait, pour ceux qui soutiennent ces PME et ces PMI, sachez que si vous pénalisez davantage encore et en cette période des entreprises fortement capitalisées, non seulement nous devrons assumer le risque de les voir peut-être quitter notre canton, mais surtout de les voir pénaliser à leur tour des PME et des PMI qui sont des sous-traitants.
Il n'y a effectivement pas de miracle. Je prendrai l'exemple d'un gros donneur d'ordres dans le domaine de la mécanique. Cette société fortement capitalisée est certainement celle qui distribue le plus grand volume de travail à des sous-traitants. Elle sous-traite - c'est une estimation toute personnelle - entre 30 et 50 millions à plus d'une vingtaine d'entreprises de mécanique, et cette entreprise, simplement pour rester compétitive sur le marché mondial, a dû négocier avec tous leurs sous-traitants une baisse généralisée d'environ 10%. Cela montre que les premières priorités pour ces entreprises sont le coût et la performance. Aujourd'hui, il faut savoir que le marché économique est mondial.
Nous ne pouvons pas, dès lors, aller à l'encontre du progrès. Quand certains nous disent qu'il est juste d'augmenter la charge fiscale des sociétés, car elles ne remplissent plus leur rôle de créatrices d'emplois - l'informatique, entre autre - supprimant progressivement des postes de travail, je m'inscris en faux contre cela. Si nous devions revenir vingt ans en arrière, non seulement nous devrions fermer purement et simplement les portes de nos entreprises, mais nous irions à l'encontre de la nature même de l'être humain qui est de progresser. Pour que nos entreprises ne soient pas la proie d'une fiscalité pénalisante, le groupe démocrate-chrétien refusera l'initiative 101.
M. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat. Le débat d'aujourd'hui - permettez-moi de le dire - est tout à fait normal en période de crise; il a lieu dans la plupart de nos cantons, mais aussi dans la plupart des pays industrialisés d'Europe occidentale. Il oppose, bien entendu, au-delà des anathèmes lancés de part et d'autre, des doctrines et des théories économiques différentes. Compte tenu de la volonté de développement qui est la nôtre et des problèmes sociaux générés par la crise économique, il est bien naturel que notre parlement en débatte.
Cette période de difficultés économiques persistantes est aggravée à Genève, comme dans le reste de la Suisse romande et en Suisse en général, par deux facteurs importants. Je les rappelle :
Premièrement, la concurrence toujours plus vive, qui contraint un certain nombre d'industriels à se délocaliser.
Hier encore, la délocalisation se faisait vers d'autres pays européens, comme le Portugal dans le domaine textile. Aujourd'hui, elles se fait beaucoup plus loin, notamment vers l'Extrême-Orient.
Deuxièmement, l'effritement du dollar - pour ne pas dire davantage. Ce phénomène qui dure depuis plus d'une semaine est très inquiétant. Cela pénalise extrêmement lourdement notre économie et tout particulièrement notre économie d'exportation. Je ne vous cache pas que le gouvernement est très préoccupé; il souhaiterait des interventions des autorités fédérales pour que la Banque nationale prenne des mesures, sans relancer l'inflation de manière majeure mais en regard du renchérissement considérable du franc suisse, afin de permettre à notre économie de faire face en lui donnant un ballon d'oxygène en relâchant quelque peu notre monnaie. En effet, malheureusement, aujourd'hui, rien ne nous dit que le dollar va se raffermir sérieusement et durablement. Par conséquent, les efforts fournis par nos industriels sont fortement battus en brèche par ce très fort affaiblissement du dollar.
Face à ces difficultés, notre économie ne saurait supporter encore une aggravation de ses charges. La charge fiscale n'est d'ailleurs pas la seule charge de notre économie qui rend difficile cette lutte contre la concurrence.
Comment donc, à Genève, concilier la compétitivité de notre économie, la création d'emplois et la solidarité, par rapport aux nombreuses victimes de cette situation ?
Le gouvernement ne pense pas que cela puisse se faire en augmentant la fiscalité de nos sociétés, ce d'autant - comme d'aucuns l'ont rappelé - que votre Grand Conseil, en septembre de l'année dernière, dans le cadre de l'application cantonale de la loi d'harmonisation fiscale en matière de personnes morales, a déjà accepté l'augmentation du taux minimum à 6% avec une réduction du taux maximum de 15 à 14%, cela dès le 1er janvier de cette année. Je vous le dis clairement, c'est un taux de base auquel il convient, bien entendu, d'ajouter les centimes additionnels cantonaux et communaux, qu'il ne faut plus toucher. Le coefficient de multiplication admis est dès lors de 2,34, portant ainsi le taux minimum effectif à 18,7%.
Où se situe Genève par rapport à l'impôt sur les sociétés dans le cadre de notre compétitivité nationale ? Comme le montre le document de charge fiscale suisse, année 1993, Genève se situe à un indice de 111 pour une moyenne suisse de 100. Elle occupe le dix-septième rang des cantons; mais ce qui est important est qu'elle se trouve après Zurich, dont le taux est de 105, après Berne, dont le taux est de 94, après Fribourg, dont le taux est de 100, et après Vaud, dont le taux est de 106. Elle a, grosso modo, le même taux que Bâle-Ville et Bâle-Campagne confondus.
Face à notre lutte contre la concurrence, tant nationale qu'internationale, est-il vraiment raisonnable, au-delà du taux déjà augmenté au 1er janvier 1995, d'augmenter à nouveau ce taux par le biais de cette initiative ? Le gouvernement ne le pense pas.
En revanche - et je le confirme ici - le gouvernement et l'administration fiscale - les membres de l'administration fiscale le savent bien - sont favorables à un taux fixe. D'ailleurs, à la suite des travaux sur l'harmonisation fiscale des personnes morales, à propos desquelles nous avions déjà débattu de la problématique du taux fixe, un groupe de travail réunissant l'administration fiscale, le service cantonal de statistique et notre université travaillent sur l'analyse des effets de l'introduction d'un taux fixe. Il nous faut un peu de temps pour nous permettre de mesurer l'impact d'une nouvelle forme d'imposition des sociétés plus moderne et eurocompatible - comme d'aucuns l'ont rappelé - qui pourrait entrer en vigueur à Genève.
En l'état, il me paraît donc totalement déraisonnable, par rapport à la hausse du 1er janvier 1995 à laquelle j'ai fait allusion et par rapport à ces réformes, d'engendrer, par le biais de l'acceptation de cette initiative, une nouvelle aggravation de notre fiscalité.
Enfin, s'agissant de la nature fiscale et avant que mon collègue Jean-Philippe Maitre aborde le problème de l'emploi, j'aimerais vous rappeler - et je sais bien que nous sommes divisés sur ce point également - que le département des finances est opposé à l'affectation de l'impôt. En effet, philosophiquement, cette affectation dénature le rôle de l'Etat, en particulier en lui retirant la fixation des priorités au travers du budget voté annuellement et, notamment, de l'affectation des recettes générales de l'Etat à travers le budget. C'est la raison pour laquelle, au demeurant mais à titre subsidiaire, le gouvernement ne pouvait se rallier à cette initiative qui vise à une affectation de l'augmentation fiscale pour des travaux d'utilité publique afin de lutter contre le chômage.
Voilà pourquoi le Conseil d'Etat est opposé au premier aspect de cette initiative, comme nous l'avons écrit dans le cadre du premier rapport. Nous souhaitons, par conséquent, que vous-mêmes, d'abord, puis le peuple, ensuite, la rejettent.
M. Pierre Vanek (AdG). Je me permets d'intervenir sur un objet qui a été peu évoqué jusqu'à maintenant. Pourtant, c'est le centre même de l'initiative en matière de création d'emplois. M. Nicolas Brunschwig l'a évoqué dans son intervention préliminaire à ce débat. Il a même cru bon d'ironiser pour savoir si les emplois d'utilité publique et les emplois d'utilité écologique - j'insiste sur cet aspect qui n'a pas été repris par M. Vodoz - étaient compatibles avec l'éthique des initiants. Evidemment, tous les emplois - ou la plupart - le sont !
Il est vrai, M. Brunschwig a eu raison de le dire, que nous sommes particulièrement attachés à la création d'emplois d'utilité publique. Mon collègue Gilles Godinat a fait des propositions qu'il serait judicieux d'étudier plus à fond. Il est nécessaire, en outre, de créer des emplois à dimension écologique, particulièrement pour Genève, dans le domaine des économies d'énergie et de la production d'énergies renouvelables.
Ce sont des priorités éthiques, mais aussi des priorités politiques de ce canton. L'article 160 C de notre constitution nous fixe des objectifs ambitieux en matière de politique énergétique et exige que les collectivités publiques appliquent une politique d'investissements dans le but de permettre à ce canton de se passer du nucléaire.
Vous n'êtes pas sans savoir qu'une série d'études ont été effectuées sur ce sujet, à la demande de M. Joye, président du département des travaux publics et de l'énergie. Il est absent ce soir et c'est dommage, car un volet de ce débat concerne précisément la politique énergétique.
Ces rapports ont été rendu publics, ou semi-publics, dans des conditions un peu surprenantes. Les députés de la commission de l'énergie de votre Grand Conseil n'en ont pas encore tous eu connaissance et si certains en ont eu connaissance c'est par des chemins peu orthodoxes ! La commission se réunit pour savoir ce que fait McDonald's à Balexert, mais elle laisse de côté le sujet autrement plus important qui nous occupe ce soir !
Ces rapports - il faudrait revenir sur ce point - comportent de bonnes et de moins bonnes choses, mais ils indiquent de façon évidente la possibilité d'appliquer une politique énergétique qui se passerait du nucléaire. Cela demanderait évidemment des investissements importants dépassant ceux effectués aujourd'hui dans ce domaine, mais ils seraient créateurs d'emplois durables de haute technologie dans notre République. Les deux études soulignent ce fait.
Je voudrais citer rapidement quelques extraits de ces rapports qui ne vous sont pas connus.
L'un provient de la CERA : Cambridge Energy Research Associates. Il évoque un scénario de décrochage par rapport au nucléaire, lié, notamment, à la mise en place d'une production à l'aide du gaz. Il indique que les investissements dans ce scénario auraient toute une série d'effets positifs sur l'emploi, je cite : «Il convient d'ajouter à ces effets l'effet du multiplicateur keynésien, qui joue pour les scénarios d'option gazière. En effet, ceux-ci impliquent des investissements sur le canton et la création directe d'emplois pour exploiter les installations construites. L'effet d'investissement est donc durable. En outre, la capacité technologique acquise dans le cycle combiné peut être de nature à donner à des entreprises genevoises des références internationales.».
Cela devrait faire partie de notre débat. Quant à savoir s'il faut affecter ce type de ressources, parce que cela ôterait une certaine liberté, comme l'a dit M. Vodoz, à notre législatif, je crois qu'en matière de politique énergétique ce parlement a pris trop de libertés en n'affectant pas, précisément, de ressources dans ce domaine où elles sont absolument indispensables !
L'autre étude de l'équipe de Logilab à Genève évoque un scénario moyen de décrochage du nucléaire, je cite : «Le total annuel d'investissements par rapport à ce scénario est de 149,91 millions de francs, dont seulement 23,97 s'adresseraient à des entreprises hors du canton. La création d'une valeur ajoutée de 194 millions de francs par an, un montant qui représente un accroissement du produit intérieur brut du canton de l'ordre de 0,9%, un accroissement...
La présidente. Monsieur Vanek, revenez au coeur du sujet !
M. Pierre Vanek. Je suis au coeur du sujet, Madame !
La présidente. Non, Monsieur Vanek ! Car, à ce moment-là, on peut étendre ce débat à tous les secteurs de l'économie !
M. Pierre Vanek. Absolument pas ! Je vous signale, Madame la présidente, avec tout le respect que je vous dois, que «la présente loi - je cite le texte de l'initiative - institue un fonds - et on nous a justement reproché cette affectation - destiné à la création de postes de travail d'utilité publique dans les domaines sociaux et écologiques, notamment des économies d'énergie et de la production d'énergies renouvelables.
»En termes d'emplois, avec l'hypothèse d'une valeur ajoutée par tête de 100 000 F, cet accroissement en valeur ajoutée créerait mille neuf cent quarante emplois durables.».
Bizarrement, il n'en a pas été fait état lors de la conférence de presse de M. Joye !
Il y a donc un besoin crucial de ressources pour investir dans un certain nombre d'emplois dans le secteur énergétique, emplois qui couvrent un très large éventail de la haute technologie, avec les ouvertures que cela implique à des emplois de terrain moins qualifiés et plus immédiats. Dans le cadre de la promotion des économies d'énergie, il n'y a aucun problème à employer ces ressources, qui seraient prises pour créer des emplois dans un secteur qui correspond à une orientation prioritaire de notre canton en matière de politique énergétique et de politique écologique.
Le rapport cite la Coordination solidaritéS comme initiants, ainsi que l'Association de défense des chômeurs, qui avait soutenu cette initiative à l'époque en récoltant des signatures, et les milieux antinucléaires genevois, Contratom en tout cas. La cohérence est parfaite. Il faut des ressources et il est parfaitement logique d'opérer les modestes ponctions qui sont proposées pour permettre de lancer la dynamique nécessaire dans ce secteur.
Mme Claire Chalut (AdG). J'ai entendu évoquer la solidarité envers les victimes, mais je ne vois malheureusement pas très bien comment celle-ci pourrait se concrétiser si on persiste dans le refus de toucher à la fiscalité ! Pourtant, il faut la réviser, et les propositions de cette initiative vont dans ce sens.
D'autre part, je constate que les discours et les actes de ceux des bancs d'en face divergent. Leurs discours sont souvent flamboyants, surtout à l'occasion des élections et des votations, mais, lorsqu'il est question de passer aux actes en acceptant des propositions concrètes, alors, il n'y a plus personne !
Vous refusez obstinément de toucher à la fiscalité qui pourrait dégager des fonds pour créer des emplois durables. Vous avez l'attitude du hérisson qui se recroqueville sur lui-même. Vous vous réfugiez dans l'égoïsme, ce qui est d'autant plus intolérable que vous prétendez vouloir donner la priorité à l'emploi ! Vous feriez mieux de faire connaître franchement vos objectifs et dire que les lois ne servent à rien, puisque la seule loi qui compte pour vous est la loi de l'économie de marché débridée ! Pour vous, il n'y a qu'à laisser faire pour que tout aille bien. Vous parlez de technique, de stimulation économique, mais, jusqu'ici, vous ne faites aucune démonstration concrète. J'aimerais pourtant bien en voir une !
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. En entendant les arguments des uns et des autres, on a franchement l'impression d'assister à deux débats complètement différents qui prétendent en réalité être réunis sous un seul et même chapeau : la politique de l'emploi. On entend, par exemple, M. Godinat développer une argumentation qui ne manque pas de pertinence mais qui s'inscrit dans une politique sociale prise au sens large, à l'intérieur de laquelle on loge, notamment, ce que l'on a tendance à appeler aujourd'hui «les emplois de proximité». Le but de cette initiative est la création de certains types d'emplois. A cet égard, la seule question que l'on doit vraiment se poser, c'est de savoir ce que l'on attend de l'Etat pour favoriser la création d'emplois.
Or, vous le savez bien, pour favoriser la création d'emplois, une collectivité doit, tout d'abord, de manière concrète et répétée, avoir dans la durée une attitude généralement favorable à l'économie et qui, par conséquent, chaque fois que cela est possible, évite d'opposer à des projets de création d'entreprises et à des initiatives nouvelles des entraves ou des blocages qui s'avèrent pénalisants.
Indépendamment de cette attitude plus psychologique mais ayant une très grande importance pour la création d'emplois et le développement des entreprises, il y a des mesures pour lesquelles l'Etat, de toute évidence, est un acteur engagé. Ces mesures concernent un certain nombre de conditions-cadres, que ce soit dans le domaine de la mise à disposition de terrains, de la main-d'oeuvre - et c'est tout le problème de la formation qui est en cause - des permis pour la main-d'oeuvre étrangère là où elle n'est pas disponible, là où les qualifications ne sont pas disponibles sur le marché local de l'emploi; c'est également tout le problème des infrastructures, en particulier en matière de transports et c'est, bien entendu, le problème de la fiscalité.
Alors, venons-en à la question de la fiscalité s'agissant de la création d'emplois nouveaux. J'aimerais vous dire que, dans le domaine de la promotion économique, toute mesure ayant pour effet d'aggraver la charge fiscale est une mesure dissuasive de la création d'entreprises nouvelles ou du développement d'entreprises existantes. C'est une constatation que nous faisons constamment dans le cadre de la promotion économique. Vous savez bien que, lorsqu'il s'agit de créer des entreprises nouvelles ou de permettre le développement d'entreprises existantes, l'Etat est engagé de manière assez régulière mais dans un sens inverse à celui proposé par l'initiative, c'est-à-dire dans des mesures d'accompagnement fiscal qui sont, en réalité, un allégement programmé pendant une certaine durée de la fiscalité normalement exigible, et cela de manière parfaitement compatible, d'une part, avec les exigences légales et, d'autre part, avec le concordat.
Vous voyez donc bien que, s'agissant de création, de développement d'entreprises, de création d'emplois nouveaux, par conséquent, les seules mesures utiles tendent à tirer la fiscalité vers le bas et non pas à lui faire prendre l'ascenseur. C'est d'ailleurs assez intéressant de constater qu'au travers d'un certain nombre de débats que nous avons eus dans cette salle, et notamment à la suite d'un certain nombre de motions qui émanaient des partis de gauche, on nous demandait si nous en faisions réellement assez en matière de mesures d'accompagnement fiscales. C'est pour nous un travail et un levier extrêmement importants.
J'aimerais dire à cet égard à M. Vanek, qui est intervenu dans le domaine spécifique du développement des entreprises qui sont aptes, par leurs qualifications et la nature de leurs travaux ou des produits qu'elles mettent sur le marché, à jouer un rôle utile dans les créneaux de l'écologie, prise au sens large, que, par l'intermédiaire de la promotion économique, nous avons eu le privilège d'accompagner la création d'un certain nombre d'entreprises jouant un rôle significatif dans le domaine écologique. M. Vaudroz, directeur de l'OPI, le sait bien, parce que ce sont des entreprises qui, généralement, sont des membres très actifs de notre Office pour la promotion de l'industrie. J'aimerais vous dire que toutes ces entreprises ont pu voir le jour par des mesures d'accompagnement fiscales qui sont des allégements de leur fiscalité, condition sine qua non pour qu'elles puissent effectivement créer des emplois intéressants dans les domaines technologiques que vous avez évoqués.
J'ai l'impression que, par cette initiative, on assiste à une sorte de grand malentendu. Cette initiative, qui réclame la création d'emplois, occulte en réalité totalement un partenaire indispensable à la création des emplois, à savoir les entreprises. Les emplois ne sont pas une abstraction. Les emplois sont le fruit du travail et du développement des entreprises. J'ai le sentiment que, par votre initiative, vous vous intéressez au fruit, ce qui est légitime, mais vous ignorez totalement l'arbre, et par vos mesures vous êtes en train, en réalité, de stériliser l'arbre. Notre travail à nous, gouvernement, c'est au contraire de favoriser la croissance de ces arbres que sont les entreprises de façon à ce qu'ils puissent désormais produire davantage de fruits, parce que ces emplois sont capitaux pour notre collectivité.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). Je sais que ce n'est pas la tradition de prendre la parole après un conseiller d'Etat, mais, puisque M. Jean-Philippe Maitre se fait le chantre des entreprises nouvelles et de la création d'emplois, je tenais tout de même à lui faire remarquer que le système fiscal actuel prétérite les petites et moyennes entreprises créatrices d'emplois au profit des entreprises fortement capitalisées.
L'initiative 101 demande une augmentation du taux de base d'imposition minimum du bénéfice des personnes morales, en d'autres termes elle vise à augmenter la fiscalité des sociétés fortement capitalisées, c'est-à-dire des banques, des compagnies d'assurances, des sociétés immobilières. Ces entreprises - notamment les banques - font des bénéfices et licencient massivement. Si c'est cela la politique de l'emploi que soutient le Conseil d'Etat, alors je dois dire à mon tour que vous n'avez rien compris !
M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur de majorité. Je regrette de devoir intervenir, mais les propos de Mme Calmy-Rey sont partiellement faux et simplificateurs. En effet, une société faiblement capitalisée n'est pas forcément une nouvelle société, et une société fortement capitalisée n'est pas forcément une ancienne société.
Vous avez dit que les sociétés faiblement capitalisées ont forcément de la main-d'oeuvre, alors que les sociétés fortement capitalisées travaillent forcément avec des systèmes d'automatisation du travail en tant que tels. C'est une fois de plus un raccourci saisissant.
Je vous rappelle, en outre, que des sociétés faiblement capitalisées peuvent avoir des taux de rendement faibles et seraient, dès lors, touchées par le projet de loi qui naîtrait de votre initiative. Vous faussez le débat, vous n'en donnez qu'une partie, et l'on ne peut pas accepter cela ! L'initiative toucherait également toutes les PME ayant des taux de rentabilité inférieurs à 10,60%, comme vous avez pu le voir dans le rapport de majorité.
M. Bernard Clerc (AdG), rapporteur de première minorité ad interim. Je ne sais pas s'il est dans la coutume d'intervenir après les conseillers d'Etat...
La présidente. Je vous en prie, Monsieur le rapporteur !
M. Bernard Clerc, rapporteur de première minorité. Je trouve cette coutume un peu curieuse, d'autant plus lorsque le Conseil d'Etat s'engage si fortement contre ces initiatives. Il faut être clair ! (Rires et quolibets.)
J'aimerais relever plusieurs éléments au terme de ce débat. Tout d'abord, on nous parle de la concurrence. Mais, que je sache, la concurrence est liée au principe de base de l'économie de marché. On ne peut pas, d'un côté, louer la concurrence et, ensuite, se plaindre qu'il y a des délocalisations, parce que cela fait partie du jeu. La concurrence poussée à l'extrême consiste toujours à s'aligner sur celui qui a les coûts les plus bas. A ce jeu-là, évidemment, on sait toujours où l'on commence, on ne sait pas où l'on s'arrête, que ce soit en matière salariale, fiscale ou autre.
En ce qui concerne les délocalisations, il convient de rétablir un certain nombre de vérités, parce que l'on confond souvent des achats d'entreprises à l'étranger par des entreprises suisses avec des délocalisations. Or ce n'est pas tout à fait la même chose. Le fait que des investisseurs suisses rachètent ou créent des entreprises à l'étranger ne signifie pas forcément que l'entreprise est délocalisée de Suisse.
Par rapport aux chômeurs, le débat que nous avons entendu est essentiellement un débat de solidarité. Nous ne concevons pas la solidarité comme de la charité, comme une aide aux «pauvres chômeurs». Notre conception, c'est d'intervenir sur un certain nombre de conditions-cadres pour la création d'emplois. Les chômeurs n'en ont rien à faire de toucher des indemnités de chômage. Ce qu'ils veulent prioritairement, c'est un travail. Demandez aux chômeurs, ils vous le diront eux-mêmes !
Je terminerai sur la question des conditions-cadres. On a parlé, lors d'un précédent débat, des allégements fiscaux consentis aux entreprises. Nous avons eu un rapport du Conseil d'Etat qui montrait que ces allégements fiscaux étaient extrêmement restreints, tant en termes de nombre d'entreprises que de nombre de salariés concernés à travers ces entreprises. Cela signifie bien que ce n'est pas l'aspect essentiel des conditions d'implantation d'une entreprise à Genève, ni même de son maintien. Il y a bien d'autres conditions, vous le savez.
Il y a la question de la durée du travail. Vous savez que dans notre pays la durée du travail est bien supérieure à tout ce que l'on trouve dans les autres pays européens. Il y a des éléments comme l'absentéisme, qui est beaucoup plus faible, ou celui du coût immobilier de manière générale. Ces conditions-cadres, et je m'étonne d'entendre le président du département de l'économie publique dire le contraire, sont celles qui sont vantées dans les brochures que vous publiez à l'intention des futures entreprises. Alors vous ne pouvez pas dire, d'un côté, que les conditions-cadres à Genève sont excellentes, et venir nous dire, de l'autre, qu'avec notre projet vous allez «foutre en l'air» la seule condition-cadre qui compte, à savoir la fiscalité. Ce n'est pas sérieux !
M. Jean-philippe Maitre, conseiller d'Etat. Je n'ai jamais dit ça, c'est de la mauvaise foi ! (La présidente passe la parole à M. Maitre.)
Non, je renonce. Je ne tiens pas à prolonger dans des débats qui relèvent de la mauvaise foi !
Mise aux voix, l'initiative est rejetée.