Séance du jeudi 30 mars 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 5e session - 14e séance

P 1033-A
8. Rapport de la commission de l'université chargée d'étudier la pétition sur les méthodes alternatives et substitutives à l'expérimentation animale. ( -) P1033
 Mémorial 1994 : Annoncée 1628. Commission, 2089.
Rapport de Mme Anne Briol (E), commission de l'université

La commission de l'université a examiné cette pétition lors de ses séances du 10 novembre 1994 et du 1er décembre 1994, ainsi que du26 janvier 1995, sous la présidence successive de MM. Kunz et Lombard.

Assistait égalment aux travaux M. Baier, secrétaire adjoint du département de l'instruction publique.

PÉTITION

sur les méthodes alternatives et susbstitutivesà l'expérimentation animale

Considérant que les étudiants en médecine, pharmacie, biologie et biochimie devraient pouvoir s'informer sur les méthodes alternatives et substitutives à l'expérimentation animale, les soussigné(e)s demandent au Conseil d'Etat du canton de Genève et au Conseil d'Etat du canton de Vaud d'étudier la création d'un cours portant sur ces méthodes dans les universités de Genève et Lausanne.

Introduction

Les méthodes alternatives sont définies comme étant l'ensemble des techniques, procédés et approches scientifiques qui répondent au principe des 3 R: Remplacer, Réduire, Réformer l'expérimentation animale dans tous les domaines où l'animal est utilisé, à savoir la recherche fondamentale, la recherche biomédicale appliquée, le contrôle toxicologique des substances chimiques et l'enseignement. Les principales méthodes alternatives sont:

 méthodes in vitro, au cours desquelles les cellules et les tissus sont cultivés à l'extérieur d'un organisme vivant et sont ensuite utilisés pour diverses expériences;

 techniques utilisant des organismes inférieurs;

 modèles mathématiques ou informatiques simulant les systèmes biologiques;

 méthodes basées sur des procédés chimiques et chromatographiques.

Auditions

Le 10 novembre 1994, la commission a auditionné les pétitionnaires:M. Moret, président de la Ligue suisse contre la vivisection, Mme Mayer, membre de la Ligue suisse contre la vivisection.

Les pétitionnaires précisent d'emblée que cette pétition n'est pas opposée à l'expérimentation animale, mais vise à encourager l'utilisation de méthodes alternatives par l'introduction d'un cours portant sur ces méthodes dans les universités de Genève et de Lausanne (cette pétition a également été déposée dans les canton de Vaud et de Neuchâtel).

Ils présentent ensuite un historique des méthodes alternatives:

«Durant les vingt dernières années, des centres de recherches universitaires ont été créés dans le but de développer et de valider les techniques alternatives afin de les faire reconnaître au plan mondial. On peut citer pour exemple le Centre pour les alternatives aux tests sur animaux de l'université John Hopkins à Baltimore, le Centre européen pour la validation des méthodes alternatives à l'expérimentation animale en Italie qui est financé par l'Union européenne, le Fonds pour le remplacement des animaux dans la recherche expérimentale en Angleterre et le Centre suisse pour les alternatives aux tests sur les animaux à Zurich.

Outre les questions purement techniques liées au déve-loppement de méthodes nouvelles, les alternatives à l'expéri-mentation animale touchent directement le domaine législatif. En effet, la plupart des tests toxicologiques ou de contrôle des substance pratiqués sur les animaux sont exigés par la loi ou par des directives internationales. Le principal succès de ces méthodes concerne les tests cosmétiques. Au cours de ces dernières années, grâce à la mise au point de techniques in vitro, le nombre d'animaux utilisés pour ces tests a diminué drastiquement. De fait, en 1998, les tests sur produits finis seront en principe abolis dans les pays de l'Union européenne. De plus, en regard de la loi suisse et de la majorité des lois européennes, si une technique alternative est reconnue comme fiable, l'expérience animale correspondante est en principe interdite: les qualifications des chercheurs et chercheuses dans les techniques in vitro constituent donc une exigence indirecte de la loi sur la protection des animaux. Cependant, les méthodes alternatives appartenant au domaine de la technologie de pointe, le manque de formation dans ce domaine freine leur développement. A cet égard la fondation suisse 3R a déclaré dans son rapport de 1992 avoir dû renoncer à certains projets ne disposant pas de suffisamment de scientifiques compétent(e)s dans le domaine.»

C'est pour ces diverses raisons que les pétitionnaires demandent que dans les universités de Genève et Lausanne, les étudiants en médecine, pharmacie, biologie et biochimie, futurs chercheurs pour la plupart, soient sensibilisés à cette problématique par un cours sur les méthodes alternatives et substitutives, afin de créer une dynamique à l'intérieur de l'université propice non seulement au développement des nouvelles techniques mais à leur généralisation.

Actuellement, seule l'école polytechnique de Zurich propose un tel cours.

Le 10 novembre la commission a auditionné M. Steiger, chef de la division de protection des animaux de l'office vétérinaire fédéral.

M. Steiger signale tout d'abord l'importance de l'enseignement dans l'application de la législation sur la protection des animaux.

Actuellement, au niveau fédéral, un postulat ainsi que des motions demandant l'introduction de cours sur l'expérimentation animale sont à l'étude, cependant, vu les compétences limitées de la Confédération sur les universités cantonales, ces cours ne pourraient être imposés qu'aux écoles polytechniques et aux facultés de médecine. Par contre, une ordonnance est actuellement à l'étude, dont la procédure de consultation s'ouvrira fin janvier 1995, exigeant la formation de toute personne qui travaille avec des animaux et qui en est responsable (les étudiants ne seront donc pas concernés); à ce jour seuls les gardiens d'animaux ont l'obligation de suivre ces cours. Ces cours prévus par l'ordonnance seront obligatoires et délégués aux organisations de recherche (universités, instituts, industries); ils engloberont minoritairement les méthodes substitutives.

Le 1er décembre 1994, la commission auditionne M. Fulpius, doyen de la faculté de médecine, M. Dayer et M. Morel.

M. Fulpius souligne que seuls 5% des étudiants en médecine poursuivent leur carrière dans la recherche. Actuellement, il existe un cours de formation postgradué destiné aux médecins futurs chercheurs qui englobe les méthodes substitutives. Au niveau prégradué, les étudiants en médecine suivent, en première année, un cours intitulé «l'introduction à la recherche médicale» et en deuxième année, des travaux pratiques sur le sujet.

M. Fulpius, très ouvert à l'interdisciplinarité, verrait, afin d'étendre cet enseignement à la faculté des sciences, une concertation entre les enseignants en tenant compte du fait que des cours sur les méthodes alternatives sont prévus dans la réforme des études de médecine.

M. Dayer et M. Morel apportent des informations sur le nombre décroissant d'animaux utilisés à l'université, en particulier les gros animaux, ainsi que sur les laboratoires qui utilisent les méthodes substitutives.

Le 1er décembre 1994 la commission auditionne Mme Rod, vétérinaire cantonale. Mme Rod déclare que l'idée de la création d'un cours sur les méthodes substitutives est bonne, l'information n'étant jamais inutile, mais elle le verrait destiné aux formations postgraduées plutôt qu'aux étudiants en médecine déjà surchargés.

A ce propos, une commission gouvernementale étudie une ordonnance visant à mettre en place une formation pour les postgradués, une formation continue que Mme Rod juge indispensable.

Mme Rod nous fournit les statistiques pour 1993 sur le nombre et les espèces d'animaux utilisés sur le plan genevois et suisse.

Le 26 janvier 1995, la commission auditionne M. Moeschler, doyen de la faculté des sciences, M. Spierer, président de la section de biologie, etM. Duboule, professeur de la faculté des sciences et membre de la sous-commission de contrôle de l'expérimentation animale à la faculté des sciences.

M. Duboule déclare que, selon lui, un cours ne portant que sur les méthodes alternatives et substitutives ne serait pas une solution adéquate; il verrait davantage un tel sujet inclus dans une information générale sur les expérimentations animales, afin que les étudiants aient une approche globale du problème. Il ajoute qu'à l'université de Genève, les méthodes alternatives sont déjà largement utilisées, elles sont, du reste, souvent financièrement intéressantes, et que le 80% des animaux utilisés à Genève le sont dans les entreprises privées.

M. Duboule précise que c'est à Genève que l'application de l'ordonnance fédérale sur la protection des animaux est la plus restrictive.

M. Spierer, tout comme son préopinant, n'estime pas qu'un cours formel sur les méthodes alternatives soit la solution. Il verrait ce sujet intégré dans le cours de première année de biologie fondamentale, cours suivi conjointement par les étudiants de la faculté des sciences et de médecine. Selon M. Spierer, la première année serait le moment favorable pour sensibiliser les futurs chercheurs.

M. Moeschler précise que la faculté des sciences est ouverte à un regroupement avec la faculté de médecine afin d'inclure le thème de l'expérimentation animale et des méthodes substitutives dans le cours de biologie fondamentale de première année. Il estime qu'une telle information dispensée en début d'étude aurait beaucoup plus d'impact que si elle était réservée aux étudiants postgradués; en effet, un certain nombre d'étudiants quittent l'université directement après leur licence pour le privé ou l'enseignement et, de ce fait, ne seraient pas sensibilisés si le cours n'était donné que plus tard.

Selon M. Moeschler, il serait envisageable que cet enseignement soit harmonisé avec les programmes d'enseignement du canton de Vaud. En effet, il siège dans une commission où sont présents des représentants de l'université de Lausanne et de l'école polytechnique fédérale de Lausanne; il lui serait donc possible de saisir cette commission afin qu'un tel cours soit donné conjointement dans les deux cantons, cela à condition que la faculté de médecine y soit favorable et que la différence de politique quant à l'application de la loi fédérale sur la protection des animaux entre Genève et Vaud ne pose pas de problème.

Discussions de la commission

La commission s'est interrogée s'il était de son ressort de se pencher sur un problème d'enseignement universitaire.

L'audition des universitaires concernés a révélé qu'un tel cours était dèéjà en partie en place dans la faculté de médecine et qu'ils souhaitent l'élargir à un enseignement interfacultaire en première année d'étude afin de sensibiliser les étudiants en sciences et en médecine; de plus, le doyen de la faculté des sciences envisage, dans la mesure du possible, une harmonisation avec le canton de Vaud.

La commission a ainsi pu vérifier que la préoccupation des pétitionnaires était inscrite dans la pratique de l'université.

L'audition de M. Steiger a montré qu'au niveau fédéral un enseignement destiné aux personnes travaillant avec les animaux était à l'étude.

La commission a envisagé la rédaction d'une motion, mais elle a finalement écarté cette idée puisque la pétition elle-même était accueillie favorablement par les milieux concernés.

C'est donc en partageant la préoccupation des pétitionnaires et des milieux concernés, tout en laissant l'université s'organiser tant sur l'enseignement interfacultaire que sur la collaboration entre les universités genevoise et vaudoise, et afin que Genève persiste dans sa politique de protection des animaux et serve d'exemple à d'autres cantons, voire à des pays, que la commission a décidé de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.

Conclusion

C'est à l'unanimité des membres présents que la commission vous propose le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.

Mises aux voix, les conclusions de la commission de l'université (renvoi de la pétition au Conseil d'Etat) sont adoptées.