Séance du
jeudi 23 mars 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
5e
session -
11e
séance
I 1926
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Permettez-moi de citer quelques extraits d'un rapport, soit : «l'absence de rigueur, cas relatés de façon fort contestable, avec légèreté, de façon erronée ou incomplète, le rapport entretient l'incertitude et l'ambiguïté, méconnaissance des règles juridiques élémentaires, constatation sans pertinence, rapport dénué d'objectivité.». Enfin, sont cités les mots «dédain» et «manque de courage».
Mais qui donc peut être traité de la sorte sur cinquante-deux pages de la part du département de justice et police ? Quel affreux groupuscule gauchiste ou terroriste mérite-t-il une telle prise de position ? Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit de l'organisation Amnesty International, qui a su, au cours des années et grâce au sérieux de son travail, devenir un organisme reconnu dans le monde entier, entendu par nombre de gouvernements et accrédité auprès des grandes organisations internationales, comme l'ONU, par exemple. Alors pourquoi ce déchaînement soudain de nos autorités et ces critiques à la limite, il faut le dire, du respect ?
Revenons un petit peu en arrière. Amnesty International a enquêté, de 1990 à 1994, sur un certain nombre de cas de mauvais traitements dans lesquels des agents de la force de l'ordre avaient eu recours à la violence physique délibérée et injustifiée, à Genève, mais aussi dans d'autres cantons. Le secrétariat d'Amnesty International a envoyé son rapport, au début 1994, aux autorités fédérales, par l'intermédiaire de l'ambassadeur suisse auprès de l'ONU. Elles ont alors répondu qu'il s'agissait là pour elles d'une «profonde préoccupation» et qu'elles allaient «contacter les autorités cantonales concernées». Le rapport d'Amnesty International n'a plus fait ensuite l'objet d'autres remarques ni d'objections de la part du canton de Genève, alors que d'autres cantons ont immédiatement pris contact avec cet organisme.
Au mois de juin 1994, votre département, Monsieur Ramseyer, a contacté par téléphone Amnesty International à Londres - siège central - afin de l'inviter à venir, d'une part, donner son avis sur le projet de loi en discussion concernant la présence des avocats durant les gardes à vue et, d'autre part, sur le contenu de son rapport. Amnesty a demandé alors une invitation écrite, la secrétaire ne pouvant se prononcer sur une proposition orale. Aucune suite n'a été donnée à ce téléphone par le département de justice et police, ni par lettre ni par une nouvelle communication.
En novembre 1994, votre département organisait une conférence de presse et présentait sa réponse au rapport d'Amnesty International, sur cinquante-deux pages, contenant le genre de jugements que j'ai cités au début de mon intervention. Ni Amnesty International à Londres, ni le siège de Genève n'ont été invités à la conférence de presse, n'en ont même été avertis, et n'ont reçu ce rapport. C'est par des renseignements indirects qu'Amnesty Genève a été alertée et a pu faire suivre votre document au siège international, le département n'ayant jamais jugé utile de l'envoyer lui-même.
Sur le fond, toute cette histoire amène plusieurs remarques et questions. Tout d'abord, Amnesty International, organisation dont la crédibilité est reconnue, peut, il est vrai, se tromper et être victime de certaines désinformations pour lesquelles elle ne se donne peut-être parfois pas tous les moyens de vérifications nécessaires. Il faut être honnête et le reconnaître. D'ailleurs, et cet organisme l'admet lui-même, il évoque souvent les cas au conditionnel et précise qu'il s'agit de présenter, non pas des accusations, mais des préoccupations. J'ai appris hier du secrétariat de Londres qu'il venait de vous réécrire, car de nouvelles allégations de mauvais traitement dans notre canton continuent de lui parvenir de manière persistante.
Mais reconnaître qu'Amnesty International peut parfois se tromper et le dire n'autorise pas un gouvernement cantonal à traiter cet organisme, d'importance mondiale, comme il l'a fait, d'où le titre de mon interpellation !
Soit Amnesty International se conduit comme un bourreau maltraitant des autorités de manière agressive et mensongère, et alors le département doit être suffisamment sûr de lui pour répondre sur chaque cas, donner des preuves et oser répondre à Amnesty International autrement qu'exclusivement par voie de presse, et, dans ce cas, il devrait même aller jusqu'à déposer plainte pour diffamation, soit cette organisation est une victime subissant les «coups de gueule» du chef du département, ignorée pourtant par ce même département qui n'entend l'informer en rien sur ses réactions.
J'aimerais savoir ce que vous pouvez me dire à ce sujet.
La deuxième question est que les allégations de mauvais traitements ne sont pas toujours vérifiables. Elles sont parfois exagérées ou carrément mensongères. Mais elles sont nombreuses, vous le savez, et ne font pas toujours l'objet, pour diverses raisons, de plaintes ouvertes de la part des personnes ayant été maltraitées.
Le département croit-il choisir la bonne voie en niant systématiquement tous les cas, en se défendant bec et ongles, en affirmant que tous ces témoignages ne sont que pure imagination fleurissant dans la tête de certains ? Ne devrait-il pas plutôt admettre que parfois, peut-être, certains faits sont exacts, que les dérapages peuvent exister et qu'il entend tout mettre en oeuvre pour que cela cesse. Quel qu'en soit le nombre, ces dérapages sont de trop. Un tel discours serait mieux à même de satisfaire tout le monde et de détendre la situation plutôt que de vouloir à chaque fois tout réfuter.
La présidente. La réponse du Conseil d'Etat à cette interpellation figurera à l'ordre du jour d'une prochaine séance.