Séance du
vendredi 17 février 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
4e
session -
8e
séance
PL 7210
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article unique
1 Une subvention de 150 000 F est allouée à la Croix-Rouge suisse pour la continuation de son programme d'aide alimentaire et matérielle en faveur des 565 000 personnes vivant dans des conditions extrêmement précaires dans la région du Caucase, à la suite des divers conflits qui affectent cette partie du monde.
2 Le Conseil d'Etat est autorisé à prélever cette somme sur la part du droit des pauvres attribuée à l'Etat.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le Caucase, qui se compose de trois pays, la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan, vit des heures particulièrement difficiles. Depuis leur indé-pendance, ces trois républiques doivent faire face à des problèmes écono-mique graves et à plusieurs conflits internes. Ceux-ci affectent lourdement cette région. Les quatre conflits les plus importants sont ceux:
- entre la Géorgie et la République autonome d'Abkhazie;
- entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan concernant le Nagorny-Karabakh;
- entre les Tchétchènes et les Ingouches;
- entre les Ossètes et les Géorgiens.
Les victimes des conflits et les personnes déplacées par dizaines de milliers disputent aux résidents le peu de ressources encore disponibles. Cette situation touche au minimum 565 000 personnes, soit 225 000 réfugiés et personnes déplacées, 120 000 personnes en situation sociale précaire et 220 000 enfants.
La Croix-Rouge est doublement opérationnelle. D'une part, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est actif dans les zones de conflits et, d'autre part, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge mène son action dans les régions directement touchées par les conflits, mais accueillant les réfugiés et les personnes déplacées.
Depuis 1993, avec d'autres organismes internationaux, la Croix-Rouge suisse s'efforce de secourir ces populations avec l'aide financière de la Confédération. Le budget global pour 1995 avoisine 34 millions de francs. Cette organisation humanitaire a besoin de 200 tonnes d'aliments par jour pour assurer ce programme nutritionnel. Les paquets alimentaires distribués comprennent de la farine, du riz, des haricots, de l'huile, du sucre, de la viande et du poisson en conserve, de la levure, ainsi que du savon et de la lessive en poudre. Des vêtements chauds et des couvertures sont également donnés aux réfugiés qui doivent passer l'hiver sous tente. 1995 s'annonce comme une année tout aussi difficile, même si un règlement politico-diplomatique est intervenu pour l'Abkhazie. Cependant, les séquelles du conflit demeurent. En outre, les conflits du Nagorny-Karabakh et celui de Tchétchénie sont loin d'être résolus. De surcroît, les difficultés économiques s'accentuent. Une aide accrue de la communauté internationale est indispensable.
Dès lors, une contribution du canton de Genève permettra la poursuite et le renforcement de cette aide humanitaire.
Préconsultation
Une voix. Accélère !
Mme Claire Chalut (AdG). Non, non, non, je n'accélérerai pas !
M. John Dupraz. Tu parles au nom du groupe ? (Rires.)
Mme Claire Chalut. Ouais, on peut appeler ça comme ça ! (L'oratrice éclate de rire. La présidente la ramène à l'ordre en faisant sonner sa cloche.) (S'adressant aux députés qui rient.) Vous n'êtes pas drôles, je trouve ! (Les rires redoublent.)
La présidente. Je vous en prie, Madame la députée, vous avez la parole ! Monsieur Dupraz, du calme, du calme !
Mme Claire Chalut. Nous sommes en présence de deux projets de lois qui traitent absolument du même objet et je voulais concentrer mon intervention. Est-ce possible ?
La présidente. Mais je vous en prie, Madame !
Mme Claire Chalut. En effet, ils proposent tous les deux une subvention à la Croix-Rouge suisse.
Notre groupe acceptera ces demandes, mais il y a dans la forme quelque chose qui me chiffonne : je me demande si nous ne sommes pas en train de retomber dans l'ère caritative, telle que nous la connaissions au XIXème siècle !
Certes, il est nécessaire de soutenir, par le biais de subventions s'il le faut, des programmes alimentaires ou matériels en faveur des populations les plus exposées aux événements politiques. Il ne suffit cependant pas de verser son obole en se disant qu'on a fait sa «B.A.» ! Cette attitude, un peu hypocrite, sert juste à nous donner bonne conscience. Il convient aussi de se poser des questions face à une telle demande, et c'est l'objet de cette intervention.
En faisant miroiter «la liberté», entre guillemets, à des populations qui en ont été privées, on n'a fait, depuis quelques années, qu'accélérer les inégalités économiques et sociales qui produisent deux classes distinctes : l'une qui s'est enrichie de manière scandaleuse et l'autre dont la paupérisation s'accroît de jour en jour. Cette situation, vous en conviendrez, n'est pas faite pour promouvoir des relations internationales pacifiques !
Notez qu'il y a peut-être des gens qui ont intérêt à ce que cela soit ainsi ! Dans de telles situations de tension, le bruit des armes a cédé le pas au dialogue pour régler les problèmes de tous ordres. Et l'on constate qu'en fin de compte les faits d'armes n'ont rien résolu. Des voix de plus en plus nombreuses au sein même du CICR s'élèvent pour protester contre cet état de fait : les gouvernements trouvent bien commode que la Croix-Rouge leur serve de «service après-vente» ! Quoi qu'il en soit, les perdants sont toujours les mêmes, c'est-à-dire les populations les plus défavorisées, et les gagnants, à coup sûr, sont en définitive les marchands de canons et ceux qui les servent !
En marge de la demande du Conseil d'Etat, Genève, qui aimerait tant pouvoir jouer dans la cour internationale des grands, ne devrait-elle pas s'engager plus en faveur de la paix, contre la prolifération de toutes les armes et pour l'égalité des droits des citoyens ?
Il faudrait faire nôtre la réflexion d'Albert Einstein, je cite : «Seule la suppression définitive du risque universel de la guerre donne un sens et une chance de survie au monde.». Cela reste plus que jamais d'actualité !
Tel devrait être le message à transmettre à la Croix-Rouge suisse !
M. Claude Blanc (PDC). J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les propos de Mme Chalut qui exposent une certaine réalité. Mais il est vrai aussi que nous ne pouvons pas nous contenter de philosopher; nous devons agir lorsque cela est nécessaire. La Croix-Rouge, comme le disait un ministre sud-américain, est le plus beau cadeau que la Suisse ait fait au monde; elle nous représente partout où nous ne pouvons pas être, et nous devons continuer à l'aider dans son action qu'elle fait en notre nom !
Je vous propose donc de voter ces deux projets de lois en discussion immédiate.
M. Chaïm Nissim (Ve). J'ai également été interpellé par deux choses, notamment pour le projet 7210. A-t-il été rédigé il y a longtemps ? En effet, s'agissant de la Tchétchénie il n'est pas du tout fait mention de la guerre qui oppose actuellement les Tchétchènes et les Russes ! On a l'impression qu'il s'agit d'une guerre interne entre Tchétchènes et Ingouches. J'en suis un peu interloqué. J'espère que M. Haegi pourra nous expliquer s'il s'agit d'un oubli volontaire ou non. En tout cas, j'ai été choqué que ce projet de loi omette ce qui fait la une de tous nos journaux.
Une question récurrente m'inquiète aussi : comment pouvons-nous nous regarder dans la glace en nous rasant le matin, alors que nous donnons 150 000 F à la Croix-Rouge et que, dans la même soirée, nous votons des centaines de millions de francs, je pense par exemple à Uni III ? Cela me gêne toujours un peu ! Comme M. Blanc, je suis d'accord d'octroyer ces 150 000 F à la Croix-Rouge, mais j'éprouve un certain malaise.
Alors, contrairement à lui, je préférerais que ce projet soit renvoyé en commission, si cela est possible !
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. La Croix-Rouge a donné la primauté à une aide humanitaire qui ne tient pas compte des problèmes politiques, pensant que l'essentiel était d'intervenir là où des femmes, des enfants et des hommes souffraient, sans porter de jugement. Je comprends les remarques qui ont été exprimées tout à l'heure. On aimerait pouvoir influencer les drames de ce monde, mais il faut raison garder et prendre la mesure de nos possibilités. Ce soir, il s'agit de voter un petit crédit, certes, mais qui est complémentaire à d'autres, et qui permet d'intervenir dans l'esprit de la Croix-Rouge là où cela est nécessaire.
Monsieur Nissim, en ce qui concerne le problème de la Russie, les notes d'informations que nous avons de la Croix-Rouge suisse datent du début décembre 1994. La situation s'est largement détériorée dans cette région depuis, et c'est la raison pour laquelle vous n'avez pas les références exactes de la situation actuelle.
C'est justement parce que cette situation est devenue dramatique que je vous invite à accepter ces deux projets de lois en discussion immédiate.
Mise aux voix, la proposition de discussion immédiate est adoptée.
Premier débat
Ce projet est adopté en premier débat.
Deuxième débat
M. Dominique Hausser (S). Vous vous rappellerez que, dans la séance du 8 décembre, nous avons déjà voté un crédit pour la Croix-Rouge. Nous avions amendé le projet de loi proposé par le Conseil d'Etat, suite à une proposition de notre collègue Max Schneider, qui visait à ajouter un troisième alinéa demandant une information sur la manière d'utiliser ces fonds.
Je vous propose donc également d'ajouter un troisième alinéa, libellé de la même manière que celui qui avait été accepté par ce Grand Conseil :
«Dans un délai de 2 ans, une information sera fournie au Grand Conseil par la Croix-Rouge suisse sur l'utilisation de ces fonds.».
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Les comptes rendus sont faits pour vous donner les informations relatives à ce genre de dépenses. Je ne vois aucun inconvénient à ce que vous ajoutiez cet amendement.
C'est vraisemblablement dans le cadre du compte rendu que nous vous donnerons ces informations, comme nous le faisons régulièrement.
La présidente. Il s'agit donc d'ajouter un alinéa 3, dont la teneur est la suivante :
«Dans un délai de 2 ans, une information sera fournie au Grand Conseil par la Croix-Rouge suisse sur l'utilisation de ces fonds.».
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
Mis aux voix, l'article unique ainsi amendé est adopté.
Troisième débat
Ce projet est adopté en troisième débat, dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
LOI
allouant une subvention à la Croix-Rouge suisse pour son activité sanitairedans la région du Caucase (Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan)
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article unique
1 Une subvention de 150 000 F est allouée à la Croix-Rouge suisse pour la continuation de son programme d'aide alimentaire et matérielle en faveur des 565 000 personnes vivant dans des conditions extrêmement précaires dans la région du Caucase, à la suite des divers conflits qui affectent cette partie du monde.
2 Le Conseil d'Etat est autorisé à prélever cette somme sur la part du droit des pauvres attribuée à l'Etat.
3 Dans un délai de 2 ans, une information sera fournie au Grand Conseil par la Croix-Rouge suisse sur l'utilisation de ces fonds.