Séance du
jeudi 16 février 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
4e
session -
5e
séance
I 1924
Mme Claire Chalut (AdG). On constate, depuis quelques années, une augmentation quasi pléthorique... (Il y a un intense brouhaha et de nombreux députés quittent la salle.) Je crois que les députés qui partent sont plus intéressés par leur faim que par ce sujet qui est pourtant très important ! Madame la présidente, je ne sais pas quelle décision vous voulez prendre, mais...
La présidente. Je suis navrée, Madame Chalut, les députés sont libres d'assister ou pas à une intervention parlementaire. Vous avez la parole, je vous prie de continuer !
Mme Claire Chalut. (L'oratrice bougonne.) Bon ! C'est dommage, parce que ce sujet les concerne !
La présidente. Ecoutez, c'est leur problème ! (Eclat de rire.)
Mme Claire Chalut. On constate depuis quelques années une augmentation quasi pléthorique d'officines de placement en tout genre à Genève. Ces dernières doivent, pour pouvoir exercer leurs talents, obtenir une autorisation dûment accordée par l'office cantonal de l'emploi. Cette autorisation n'est délivrée que «si les conditions prévues par les prescriptions fédérales et cantonales sont remplies», c'est-à-dire si les conventions collectives de travail et les tarifs paritaires sont respectés. (Les conversations vont bon train. L'oratrice fait une pause, et la présidente fait sonner sa cloche.)
Dès lors, nous pourrions dire : pourquoi en parler ?
Pourtant, il faut en parler, car de nombreuses officines ne répondent pas à ces exigences.
Dans le secteur du bâtiment, par exemple, il y a environ une centaine d'agences, toutes tailles confondues, mais qui ont toutes un point commun entre elles : il y a plus ou moins des problèmes avec tout le monde, mais certaines se distinguent plus que d'autres. En effet, dans la pratique, on a souvent de la peine à faire respecter les conventions collectives de travail, à faire respecter les tarifs paritaires (heures souvent payées en dessous des pratiques habituelles), etc. Il y en a même - et c'est une minorité, mais faut-il laisser faire sous prétexte que ce n'est qu'une minorité ? - qui ne respectent - au su et à la vue de tous - ni l'un ni l'autre. Pourtant, rien n'empêcherait ces employeurs de solliciter les permis de travail nécessaires lors d'engagement de travailleurs étrangers, puisque le chômage, particulièrement dans le gros oeuvre nécessitant une main-d'oeuvre peu ou pas qualifiée et où il y a une forte demande, y est faible.
Parmi cette minorité récalcitrante, quelques-unes - dont les noms sont sans aucun doute connus du département de l'économie publique - se comportent comme de vrais mafieux, et inspirent, de ce fait - et avec raison - de grandes inquiétudes aux syndicats qui voient, de plus, se développer dans ce climat de crise ambiante un marché important de travail clandestin, provoquant du même coup une sous-enchère salariale !
Il y a bien de temps en temps l'une ou l'autre de ces agences qui se font prendre la main dans le sac, mais ce sont les travailleurs qui trinquent ! L'entreprise, quant à elle, s'en sort avec une pirouette, dans le meilleur des cas, sinon par le paiement d'une amende !
Et l'on se trouve dans la situation suivante : d'un côté, il y a des travailleurs qui seraient en droit d'avoir un permis de travail, de l'autre, l'on trouve des entreprises qui ne respectent pas les règles ou qui renâclent à les respecter et, enfin, au bout du compte, des personnes qui, elles, n'ont pas le choix, travaillent sans permis et deviennent des «clandestins».
C'est l'histoire du serpent qui se mord la queue !
L'Etat qui est aussi maître d'oeuvre de nombreux chantiers, par son mutisme - ou son laxisme - par sa non-intervention d'obliger ces entreprises à respecter la loi, porte une grande responsabilité en laissant se développer un tel marché d'emplois !
Les entreprises du bâtiment qui font appel à ces agences de travail temporaire - alors qu'elles pourraient parfaitement engager elles-mêmes le personnel nécessaire, mais ne le font pas sous prétexte d'économies - portent également une lourde responsabilité en acceptant cette forme de marché.
L'un et les autres, par leur attitude, instaurent dans les faits la précarité de l'emploi qui touche une catégorie de personnes extrêmement fragiles et qui, de surcroît, ne bénéficient d'aucune citoyenneté. Ce n'est à l'évidence pas cela qui est une politique de l'emploi, dont certains se prévalent tellement dans cette enceinte !
Est-ce en instituant la précarisation de l'emploi - qui renforce d'ailleurs le chômage, paradoxalement - que l'on veut relancer l'économie, lutter contre celui-ci ? Ce n'est pas, Mesdames et Messieurs les députés, avec de tels emplois que l'on se forge des projets de société, que l'on se forge une stabilité de vie tout court, bref, que l'on respecte la dignité des travailleurs.
Aujourd'hui, ça touche quelques secteurs du bâtiment. Demain, à qui le tour : la vente ? D'autres secteurs du tertiaire ?
En conséquence, je demande au Conseil d'Etat de veiller avec plus de rigueur que jusqu'à maintenant à ce que des permis de travail soient délivrés quand rien ne s'y oppose et de tout mettre en oeuvre pour que les législations tant fédérale que cantonale soient respectées.
Mes questions subsidiaires sont les suivantes :
1) Votre politique de l'emploi consiste-t-elle plutôt à encourager la prolifération des emplois précaires ?
2) A quel rythme se font actuellement les contrôles exigés par la loi ? En effet, celle-ci dit : «L'office cantonal de l'emploi se réserve le droit de contrôler périodiquement si l'entreprise remplit toujours les conditions d'autorisation.» (Art. 5 - J 4 2).
On le voit, cette mesure n'est à l'évidence pas très contraignante pour ces entreprises qui ne bénéficient déjà pas, de manière générale, d'une très bonne réputation.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. L'interpellatrice a posé un certain nombre de questions en relation avec les agences de travail temporaire et les bureaux de placement. Ces préoccupations sont pour l'essentiel les suivantes : d'une part, le respect des usages et des conventions collectives là où il y en a et, d'autre part, à propos de la main-d'oeuvre étrangère.
Permettez-moi, Madame la députée, de vous dire qu'en ce qui concerne le respect des usages, je suis non seulement d'accord avec vous, mais je me suis battu pour que la loi cantonale impose aux entreprises de travail temporaire l'obligation de respecter les usages pour le personnel temporaire qu'elle met à disposition d'entreprises tierces. Vous savez que le Tribunal fédéral a cassé la disposition de notre loi cantonale sur le service de l'emploi après le recours de l'Association des entreprises de travail temporaire. Nous n'avons plus de possibilité d'imposer aux entreprises de travail temporaire le respect des usages en matière de convention collective ou en matière de travail. Je le regrette, mais je suis impuissant à corriger cette situation, puisqu'un arrêt du Tribunal fédéral a annulé l'article 8 de la loi sur le service de l'emploi que nous avions élaboré.
S'agissant de la main-d'oeuvre étrangère, je puis vous assurer que les commissions du marché de l'emploi et l'office cantonal de l'emploi n'accordent pas de permis de travail étranger aux entreprises de travail temporaire. La situation d'une entreprise de travail temporaire qui, connaissant une personne sans emploi au bénéfice d'un permis, pourrait le placer régulièrement dans une entreprise est une autre possibilité. Mais nous n'accordons pas de permis de travail étranger à des entreprises de travail temporaire.
Pour ce qui est des dénonciations pénales, un certain nombre d'entreprises de travail temporaire ont été effectivement «pincées» - parce que nous accentuons les contrôles - à employer de la main-d'oeuvre sans autorisation et à placer auprès de loueurs de services de la main-d'oeuvre sans autorisation. Ces cas sont jugés graves, et nous les dénonçons systématiquement au Procureur général. Le patron d'une des entreprises de travail temporaire a même été condamné à des peines privatives de liberté. C'est vous dire la gravité de ces dossiers que nous suivons donc avec intérêt.
Mme Claire Chalut (AdG). Je souhaiterais répliquer à l'occasion de la prochaine séance.
La présidente. Nous en prenons bonne note.