Séance du
jeudi 16 février 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
4e
session -
5e
séance
R 284
LE GRAND CONSEIL,
- considérant les difficultés financières de M. Gaon et de certaines de ses sociétés;
- vu les conséquences possibles d'une déconfiture du groupe Gaon sur divers dossiers particulièrement chauds tels que, par exemple, la maison Europa ou Sécheron;
- vu les imbrications très étroites des intérêts privés de M. Gaon avec certains intérêts publics ainsi que les risques de confusion qui en découlent;
- attendu qu'il convient de distinguer le juste rôle économique de l'Etat en faveur d'entreprises en difficulté de toutes faveurs personnelles ou autres passe-droits;
charge une commission parlementaire ad hoc de 15 membres d'enquêter sur les rapports du groupe Gaon avec l'Etat, la Ville de Genève, la Banque cantonale de Genève et toutes autres entités de droit public et de présenter ses observations à propos des responsabilités qui peuvent être engagées;
attribue à ladite commission les pouvoirs d'investigation nécessaires pour mener à bien son mandat.
Débat
M. Laurent Moutinot (S). Le parti socialiste ne tire pas sur les ambulances. Toutefois, ni le parti socialiste ni le parlement ne peuvent rester indifférents aux difficultés d'un groupe économique de l'importance de celui de M. Gaon.
Les enjeux économiques sont certains. L'impact sur l'emploi est évident. Les conséquences sur des dossiers publics chauds, tels que Sécheron ou la Maison Europa, ne sont pas contestables et, par conséquent, il en va du fonctionnement de nos institutions. L'imbrication des intérêts économiques et politiques est révélatrice d'un certain nombre d'interdépendances et de liens qu'il nous appartient de connaître.
Pourquoi une commission parlementaire d'enquête sur le groupe Gaon en particulier ? Parce qu'il y a urgence ! Au-delà de ce cas doivent se poser, de manière plus générale, des questions sur notre politique économique et sur le fonctionnement de nos institutions.
Trois étapes sont nécessaires. La première est de se renseigner pour connaître la situation. En effet, la population ne comprendrait pas que notre parlement se lave les mains dans ce dossier. La deuxième consiste à déterminer les interventions positives que nous pouvons faire, notamment dans la direction de l'emploi s'il apparaît menacé. La troisième étape consiste à traiter les dysfonctionnements et les responsabilités des uns et des autres.
Tout d'abord, il nous faut savoir quelle est la situation exacte du groupe de M. Gaon. Comme je l'ai rappelé, ses intérêts privés ne sont pas seuls en jeu, mais les conséquences de l'affaire atteindront la Cité tout entière.
Par conséquent, il importe de connaître la situation financière, ses implications fiscales et bancaires ainsi que le nombre d'emplois dépendant du groupe Gaon. Par conséquent, quelle est, le cas échéant, la menace qui peut peser sur ces emplois ?
En matière d'aménagement du territoire, il est nécessaire que nous sachions si, lors de difficultés, le groupe Gaon serait en mesure de réaliser un certain nombre de projets en cours. La puissance économique de ce groupe a fait qu'une partie de l'aménagement d'un quartier lui est quasiment confiée.
Enfin, il en va de la réputation de Genève. Nous ne pouvons pas admettre que ce casino et cet hôtel, que le touriste voit lorsqu'il se promène au bord du lac, deviennent le symbole d'un échec, d'une catastrophe, d'une politique que nous n'aurions pas su mener.
Après cet état des lieux, il convient d'examiner en quoi l'Etat peut intervenir par une politique économique autre que le laisser-faire et le laisser-aller. Il s'agit, en particulier, de voir quelles mesures nous pouvons prendre en faveur de l'emploi avant de nous retrouver dans un débat comme celui que nous avons eu à propos du journal «La Suisse». Nous devons examiner les mesures à prendre pour assurer les intérêts publics touchant aux intérêts privés de M. Gaon, afin qu'ils ne soient pas, le cas échéant, atteints par une éventuelle déconfiture de ce groupe.
D'un point de vue institutionnel, nous définirons les précautions à prendre dans les rapports entre l'Etat et les groupes économiques surpuissants. On a beaucoup parlé des dangers relatifs à ce type de rapports. Selon certaines hypothèses, ce groupe pourrait, comme on le voit en Italie, influer sur la politique de l'Etat. On peut dire que, dans ce cas, nous sommes dans une situation inverse dans la mesure où ce groupe surpuissant semble devenir surfaible. Cette situation ne manque pas d'être inquiétante, car, si un groupe surpuissant influe sur l'Etat, la faiblesse de ce groupe peut aussi avoir des répercussions sur l'Etat.
Ensuite, l'état des lieux étant fait, si les interventions envisagées laissent apparaître un certain dysfonctionnement, nous devrons établir les responsabilités des uns et des autres, sans complaisance, aussi bien dans le secteur de l'Etat que dans le secteur privé. Cette affaire pose des questions de principe délicates, soit de savoir jusqu'où l'aide économique de l'Etat doit aller sans qu'elle ait l'air de faveurs. Elle pose la délicate question de la distinction des intérêts publics et privés et, enfin, un problème de morale politique, celui de séparer le bon grain de l'ivraie.
Le parti socialiste réclame la définition d'une politique économique autre que le laisser-faire libéral. Ainsi, parce qu'il vaut mieux prévenir que guérir, nous espérons que le stade des soins palliatifs n'est pas encore atteint.
M. Bénédict Fontanet. Nous n'avons aucune sympathie ou antipathie particulière pour M. Nessim Gaon et son groupe. La première de nos réactions a été de se demander ce que le groupe socialiste avait pu trouver de nouveau pour faire parler de lui dans une affaire où l'Alliance de gauche occupe le terrain avec la véhémence, et parfois l'excès, qui la caractérise.
En premier lieu, nous nous sommes demandé en quoi le problème de M. Gaon et de son groupe regardait, à ce stade, le Grand Conseil. Allons-nous devoir constituer une commission d'enquête pour chaque société en difficulté ? Hélas, Genève en compte un certain nombre, tout comme les cantons et les pays qui nous entourent. A mon sens, nous n'en avons ni le temps ni les pouvoirs, sauf à devenir tous des députés professionnels, ce qui réjouirait certains d'entre nous. Pour le surplus, les résultats auxquels les commissions d'enquête aboutissent ne sont guère probants, même lorsqu'il s'agit d'affaires purement internes à l'Etat, comme ses affaires Gelli ou Médénica.
Même s'il est permis de rêver, comme le disait Kennedy : «Faire de la politique, c'est savoir rêver l'avenir.», nous ne sommes pas le Sénat américain ni encore la Chambre des représentants américaine avec les pouvoirs considérables qui sont les leurs. Notre petit canton ne saurait souffrir la comparaison.
Pourquoi donc constituer une commission d'enquête ? Pourquoi se saisir d'une affaire qui, à ce stade, regarde d'abord la justice civile, et si par hypothèse il devait y avoir une faillite ou d'autres difficultés, des malversations, par exemple, la justice pénale.
Ce n'est pas à notre Grand Conseil de débrouiller une affaire qui en est au stade des hypothèses. A lire votre résolution, si des responsabilités sont engagées, le principe de la séparation des pouvoirs dans ce canton ne doit pas rester un vain mot, et il n'est pas de notre compétence de départager, le cas échéant, ces responsabilités.
Les difficultés dont on fait état dans l'affaire Gaon ont trait, pour l'essentiel, à des difficultés commerciales avec la Russie. A en lire la presse, elles sont fort éloignées de notre petite République.
La seconde de nos réactions concerne la méthode, qui est détestable, car elle sous-entend que d'aucuns auraient donné des passe-droits, fait des faveurs, auraient eu des liens particuliers avec ce groupe dont d'autres administrés n'auraient pas bénéficié. A mots couverts, même si M. Moutinot essaie d'élargir le débat à la politique économique générale, ce n'est ni plus ni moins de corruption dont vous semblez accuser certains qui, comme par hasard, seraient susceptibles de siéger sur nos bancs. Or, il n'en est bien sûr rien.
Nous estimons qu'il n'y a rien à cacher dans cette affaire, que l'Etat, dans ses rapports avec un groupe privé, se doit d'être transparent et que le public a le droit d'être informé. Souffrez que je ne sois pas d'accord avec vous, Monsieur Moutinot, en ce qui concerne les relations entre M. Gaon et la Banque cantonale. Le débat se pose en des termes différents, la Banque cantonale, telle que nous l'avons voulue et votée, est soumise, non pas à la surveillance du Conseil d'Etat ou du Grand Conseil, comme c'est le cas dans d'autres cantons, mais à celle, bien plus vigilante et efficace, me semble-t-il, de la Commission fédérale des banques. Le secret bancaire n'est pas non plus encore un vain mot dans ce pays et les rapports de droit privé entre un client et une banque ne sont manifestement pas une affaire dont nous avons à nous saisir.
C'est parce que nous estimons que le Conseil d'Etat, respectivement la Ville de Genève, n'a rien à cacher que nous sommes d'avis que cette résolution ne saurait être votée telle quelle. Nous souhaitons qu'elle soit renvoyée en commission pour être travaillée et suggérons, afin de la traiter rapidement, qu'elle le soit par le biais d'une commission ad hoc à laquelle le Conseil d'Etat, respectivement la Ville, pourrait d'ores et déjà donner un certain nombre d'informations.
Nous serions d'avis, mais cela mérite d'être examiné, que cette résolution soit transformée en motion demandant au Conseil d'Etat de rapporter rapidement, en tout cas plus rapidement que ne sauraient l'être les travaux de la commission d'enquête que vous appelez de vos voeux, de façon que le Conseil d'Etat fasse rapidement un rapport sur les relations entre le groupe en question, l'Etat et, respectivement, la Ville. Ainsi, le Conseil d'Etat pourrait, dans le même élan, très certainement répondre aux questions du député Grobet, dont à lire la presse il doit d'ailleurs connaître un certain nombre de réponses.
Notre attitude qui consiste à vouloir renvoyer cette affaire en commission n'est nullement une mesure de défiance vis-à-vis du gouvernement issu de nos rangs. Les faits évoqués et l'état de fait qui soutient cette affaire proviennent du précédent gouvernement. Ainsi, nous sommes tout à fait à l'aise en ce qui concerne cette situation. Nous souhaitons simplement, eu égard aux informations parues récemment dans la presse, qu'au travers d'un rapport transmis rapidement au Conseil d'Etat par le Grand Conseil, la lumière soit faite sur cette affaire et que le public soit informé comme il se doit. Nous appelons donc de nos voeux la constitution d'une commission ad hoc à laquelle cette affaire serait renvoyée.
M. John Dupraz (R). Le groupe radical a pris connaissance de cette résolution avec une certaine perplexité. Nous n'approuvons pas le fond de cette démarche, car elle tend à jeter le discrédit sur les autorités politiques de ce canton et sur la Banque cantonale qui vient d'être fondée à Genève.
Pour qu'une banque puisse fonctionner, elle a besoin d'un capital de confiance. Nous estimons que cette résolution donne suite aux attaques successives relatives à cette affaire que nous lisons dans la presse depuis quelques semaines. Cette démarche nous apparaît comme détestable et, loin de la soutenir, nous la désapprouvons totalement.
Toutefois, nous comprenons l'inquiétude de l'opinion publique suite aux informations distillées ici et là. Il appartient à l'autorité de ce canton d'apporter une clarification dans les rapports que le Conseil d'Etat ou la Ville de Genève ont entretenus avec M. Gaon, ses sociétés ou les groupes qu'il contrôle. Cette démarche est nécessaire et, à ce sujet, nous avons une pleine confiance dans le Conseil d'Etat.
Notre démarche n'est pas une démarche de suspicion, comme l'a dit tout à l'heure M. Fontanet. Nous demandons que cette résolution soit renvoyée à une commission ad hoc afin d'être réécrite pour la purger de tout ce qu'elle contient de caractère bancaire, car le texte actuel du parti socialiste est inacceptable. En effet, la banque est soumise au secret bancaire et l'autorité de surveillance est la Commission fédérale des banques, donc nous n'avons rien à dire dans la gestion de cette banque cantonale.
D'autre part, nous nous opposons à la commission d'enquête parlementaire. Durant ma fonction de député, j'ai connu deux commissions d'enquête, l'une concernant l'affaire Médénica qui consistait à savoir comment un médecin travaillant à l'hôpital avait pu abuser des clients et «tricher» et la deuxième l'affaire de l'évasion Gelli pour laquelle on voulait savoir ce qui n'avait pas fonctionné à la prison.
Nous sommes dans un cas de figure tout à fait différent et nous souhaitons que, suite au travail en commission, nous rédigions un nouveau texte en le purgeant de tout ce qui concerne la banque. Nous supprimerons l'histoire de la commission d'enquête parlementaire afin que nous puissions clairement poser une question au Conseil d'Etat et qu'il puisse s'exprimer par un rapport sur l'historique politico-économique des relations entre les autorités de ce canton et le groupe Gaon. Dans cet esprit de clarification, nous demandons le renvoi de la résolution à une commission ad hoc pour une nouvelle rédaction du texte, et seulement dans ce but.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). Les difficultés du groupe Gaon pourraient n'être qu'un effet de la vague spéculative qui a secoué Genève dans les années 80 et du reflux qui a suivi. La mésaventure consistant à acheter des terrains ou autres immeubles à des prix élevés pour se retrouver ensuite avec des biens dévalués a touché plus d'un promoteur et a posé des problèmes à plus d'une banque.
A ce titre, elles n'intéressent cependant pas le Grand Conseil. Et je le dis clairement ici, il n'est pas dans nos intentions de nous poser en juges des risques pris par la Banque cantonale, ni dans cette affaire ni dans aucune autre. Il existe des organes désignés par la loi et des statuts pour cela. Notre préoccupation est autre. Elle est de savoir quels sont les engagements des autorités politiques dans ces affaires et ce qu'il en adviendra si le pire s'avère. Cela est bien de notre responsabilité.
Quels que soient les totaux des montants engagés auprès des banques suisses par les sociétés affiliées au groupe Gaon pour ce qui concerne Sécheron - et ces montants devraient être sensiblement plus élevés que les 135 millions de francs nécessaires à l'achat des terrains - si l'irréparable devait arriver pour le groupe Gaon, la Banque cantonale, dont les actionnaires majoritaires sont les collectivités publiques, le canton et les communes, se retrouverait avec un nombre non négligeable de mètres carrés de terrain en pleine ville. Qu'en ferions-nous ?
Quelles que soient les sommes engagées auprès des banques étrangères à Genève et à l'étranger, les réseaux de crédits, tout comme les liens entre les différentes entreprises du groupe Gaon, ne permettent pas d'exclure des effets dominos avec des conséquences sur l'emploi et sur l'immobilier genevois d'ores et déjà éprouvés. Comment et dans quelle proportion ?
Dans cette histoire, des intérêts publics importants sont en jeu. Mais il y a surtout une extraordinaire confusion d'intérêts publics et privés, alors que nous ignorons tout des engagements pris par le Conseil d'Etat autour des terrains de Sécheron, mais aussi peut-être dans d'autres affaires conduites par des sociétés du groupe Gaon. Par exemple, pour les promoteurs de Sécheron, soit la société Noga Invest appartenant à M. Gaon, la rentabilisation des investissements de départ passait par la création de zones affectées au tertiaire, une densité forte, la construction de logements relativement chers, nécessitant des subventions importantes de l'Etat, mais aussi par la reconstruction de l'usine de Sécheron sur des terrains de l'Etat afin de dégager du terrain pour le projet immobilier.
Le Conseil d'Etat avait jusqu'ici, semble-t-il, soutenu la vision des promoteurs. Dans quelles mesures les difficultés du groupe Gaon changent-elles ces données ? De quelles capacités d'actions disposons-nous, et comment le Conseil d'Etat entend-il faire pour ce qui concerne les terrains, l'aménagement du quartier, mais aussi à l'égard de Sécheron SA, dont trois cents emplois seraient menacés par une faillite, puisque nous savons que les actions de Sécheron SA servent de gage pour les crédits ouverts pour les achats de terrains ?
Mesdames et Messieurs de l'Entente bourgeoise, je comprends fort bien que la résolution du groupe socialiste vous mette dans l'embarras. Les propos de M. Fontanet sur ce point étaient significatifs. Toutefois, je vous demande d'accepter notre résolution, car l'importance des intérêts publics en jeu justifie que le Grand Conseil soit informé complètement et que le Conseil d'Etat s'explique sur ses engagements et ses intentions.
Si vous la refusez ou si vous trouvez des moyens de substitution comme le renvoi dans une commission dans le seul but d'en remanier le texte, vous laissez planer le doute...
M. John Dupraz. Absolument pas !
Mme Micheline Calmy-Rey. Vous laissez planer le doute sur la nature des liens existants entre le groupe de Nessim Gaon et certains de vos politiciens les plus en vue. (Désapprobation de la droite.) Je vous le dis sincèrement, je ne souhaite pas que le doute puisse planer, car, dans cette hypothèse, c'est toute la classe politique qui perdrait de son crédit.
Or, si l'on comprend qu'un promoteur privé défende ses intérêts propres et cherche à rentabiliser des terrains qu'il a achetés à des prix élevés, on a de la peine à comprendre qu'un conseiller d'Etat, M. Haegi en l'occurrence, ait, en 1991, présidé un groupe de travail d'Aprofim, société de M. Gaon, pour élaborer un projet d'urbanisation des terrains de Sécheron, concurrent de celui de l'Etat et de la Ville, qu'il en ait ensuite informé le Grand Conseil et qu'il soit apparu lors de la présentation publique de ce projet par Aprofim.
On ne comprend pas plus que, conseiller administratif, il ait négocié le contrat entre la Ville de Genève et la société anonyme d'exploitation du Grand Casino, société contrôlée par M. Gaon, un contrat si défavorable à la Ville que le Conseil d'Etat a refusé de l'avaliser, et vous savez ce qu'en pense le Tribunal fédéral. De plus, Mesdames et Messieurs, nous n'avons pas la prétention de penser que M. Haegi puisse être seul en cause.
Enfin et à titre de conclusion, une dernière remarque. Ce n'est pas parce que les socialistes demandent des éclaircissements qu'ils méritent le vocabulaire utilisé publiquement à leur encontre par le directeur de l'une des sociétés du groupe Gaon.
Mesdames et Messieurs des partis de l'Entente bourgeoise, dire que nous aurions pu contribuer à l'affaiblissement de l'économie genevoise tient de l'anathème... (Rumeur de désapprobation.) ...quand on sait que le département de l'économie publique est entre vos mains depuis bientôt douze ans et que la vague spéculative dont nous subissons aujourd'hui encore les effets est largement due à son inertie.
Il est possible que la confusion des intérêts publics et privés que l'on trouve ici ne soit qu'un cas particulier. Pour le moment, nous avons encore la naïveté de croire que les choses ne se passent pas dans notre pays comme elles se passent ailleurs. C'est la raison pour laquelle je vous demande de bien réfléchir et, finalement, de vous résigner à renvoyer cette résolution en commission, qu'elle soit commission d'enquête ou ad hoc, je n'en ferai pas une querelle de termes.
La présidente. J'ai le grand plaisir de saluer à la tribune du public notre ancien collègue Jean Montessuit. (Applaudissements.)
M. Michel Balestra (L). Le groupe socialiste nous propose dans sa résolution de mettre sur pied une commission d'enquête parlementaire chargée de rapporter sur les «troubles amitiés». C'est le sous-entendu de Mme Calmy-Rey au sujet des relations entre le groupe Gaon avec l'Etat, la Ville de Genève, la Banque cantonale Genevoise et toutes les autres entités de droit public. Ces députés pensent que tout va mal chez nous et que le pouvoir politique, tout comme Zorro, doit remettre de l'ordre.
Le canton de Genève vient pourtant d'obtenir le label de la meilleure ville du monde...
M. Christian Grobet. Y en n'a point comme nous !
M. Michel Balestra. ...suite à une enquête internationale qui, parmi les quarante-cinq critères de sélection, prend en compte la situation sociale, économique et politique.
Nous pouvons comprendre leurs doutes. Les journaux affirment que Christian Grobet, ex-conseiller d'Etat, est certain que la Maison Europa n'a pas d'avenir, pas de clients et pas de réalité internationale.
De leur côté, René Felber, pas tout à fait libéral, et Arthur Dunkel viennent pourtant de confirmer que la Maison Europa sera un élément déterminant de la politique de promotion du secteur international de Genève. Mais qui croire ? René Felber, ancien président socialiste de la Confédération et Arthur Dunkel, ancien patron du GATT ou Christian Grobet qui, pendant toutes ces années passées au gouvernement, a toujours cru que Genève n'avait pas d'avenir, pas de clients, pas de réalité internationale ?
Les auteurs de la résolution pensent peut-être que, dans un Etat de droit, démocratique comme le nôtre, la séparation des pouvoirs est un élément déterminant pour l'équilibre de nos institutions et se demandent peut-être si le pouvoir judiciaire fonctionne correctement.
Ils se demandent si, à Genève, les juges ont le droit d'exercer leur mission de manière autonome sans pression politique. Mais, bien sûr, la preuve en est qu'en lisant l'AGEFI on constate que, pour faire toute la lumière sur les difficultés du groupe Gaon, le président Michel Criblet a nommé quatre experts afin de déterminer si un assainissement de la société est possible.
Dans cette République, les choses se passent plutôt bien. Nous n'avons sans doute pas été désignés «meilleure ville du monde» pour rien, n'en déplaise à M. Laurent Moutinot. Une interrogation demeure sur l'avenir de la Banque cantonale, établissement autonome de droit public au conseil d'administration et au comité de banque desquels des représentants de toutes les tendances économiques et sociales de notre canton sont représentés, vous y compris, Madame Calmy-Rey. M. Zyziadis disait hier soir à la télévision que nous avions beaucoup de chance à Genève de pouvoir participer aussi largement à la direction de notre banque cantonale.
De plus, pour surveiller la qualité de ces résultats, le Conseil d'Etat a voulu et obtenu le concours de la Commission fédérale des banques. Cela avait provoqué, si vous vous en souvenez, une petite révolution à Genève. Souvenez-vous, nous avons voulu faire de cette banque l'élément déterminant du soutien à l'économie genevoise. Elle y réussit parfaitement.
Et vous qui la critiquez implicitement aujourd'hui pour sa détermination dans le dossier Sécheron vous désirez demain lui faire garantir la pluralité de la presse par une initiative dite «La Suisse». Quelle cohérence ! Quelle suite dans les idées ! Vous rendez-vous compte de ce coup de génie ? Economiser aujourd'hui de l'argent déjà dépensé suite à des blocages et des tracasseries mis en place par Christian Grobet et le redépenser demain comme garantie pour une banque cantonale, patron de presse. Quel beau programme, beaucoup plus sûr que celui que vous critiquez !
Pour vous rassurer, vous mettrez sur pied une commission d'enquête parlementaire, afin de découvrir la vérité là où un peu de bon sens suffirait largement, comme j'espère vous l'avoir démontré.
Mme Micheline Calmy-Rey. Ah non !
M. Michel Balestra. Franchement, de quoi s'agit-il en fait ? D'une manoeuvre de déstabilisation pour prouver qu'un gouvernement homogène n'est pas capable de répondre aux attentes de Genève et des Genevois. De la mise à mort en bonne et due forme, par le pouvoir législatif, d'un entrepreneur dans la tourmente, d'un signe au président Eltsine pour lui dire qu'il n'aura pas besoin de payer sa facture ou alors, mais je me refuse à le croire, d'un sentiment inavouable dont l'aveu serait susceptible d'entraîner des sanctions depuis que nous avons voté la nouvelle loi dite antiraciste. (Désapprobation de la gauche.)
Peut-être, beaucoup plus simplement, ne s'agit-il que d'une manoeuvre électorale ? Vous avez, comme nous tous, prêté le serment de faire servir vos travaux à la prospérité de la patrie qui nous a confié ses destinées. Or, pour la prospérité de la patrie, votre résolution, franchement, Mesdames et Messieurs des bancs d'en face, c'est de la grande politique qui va à contresens !
Notre groupe trouve cette résolution inutile, mesquine, petite. Il voulait vous proposer de la rejeter tout de suite en discussion immédiate, mais, puisque nous ne serons pas suivis, vu la dramatisation politique de ce dossier, nous vous proposons un amendement. Nous vous proposons d'amender cette résolution en ajoutant après «peuvent être engagées;», le texte suivant :
«charge cette commission d'enquêter en particulier sur le fonctionnement du DTP entre 1981 et 1993 et notamment sur les méthodes de son chef; sur les engagements de ce dernier en faveur ou contre l'aboutissement du dossier de Sécheron; sur les rapports qu'a encore aujourd'hui l'ancien chef du DTP avec les employés du département; sur l'origine et la nature des démarches entreprises pour bloquer le développement de Sécheron, en particulier la Maison de l'Europe.».
Ainsi, cette commission aura enfin un peu de travail intéressant à faire. J'espère que, transportés par votre honnêteté et votre désir de transparence, vous allez la voter. J'attends votre soutien. (Applaudissements de l'Entente.) (Ouhh sur les bancs de gauche.)
M. Andreas Saurer (Ve). Dans l'ensemble, le groupe des «verts» accueille tout à fait favorablement cette résolution. En préliminaire, j'aimerais cependant faire deux remarques : une première concerne l'intervention de M. Dupraz et une deuxième celle de M. Balestra.
A M. Dupraz, j'aimerais dire que la confiance... (M. John Dupraz se promène dans la salle.) Monsieur Dupraz, je vous cause ! J'aimerais communiquer avec vous !
M. John Dupraz. Tu dois t'adresser à la présidente !
M. Andreas Saurer. A l'intention de M. Dupraz, j'aimerais dire que la confiance ne se décrète pas, elle se gagne. Et, à l'intention de M. Balestra, le bonheur ne s'ordonne pas, il se crée lentement et souvent assez discrètement.
Ceci dit, le groupe écologiste se pose les questions soulevées par la résolution socialiste depuis fort longtemps. Vous vous rappelez peut-être les interventions répétées de notre collègue November concernant Sécheron, et des réponses, pas particulièrement délicates, qui lui ont été faites par les personnes sur les bancs d'en face.
Par rapport à la situation actuelle - je ne suis ni juriste ni économiste et je n'ai pas non plus un esprit de procureur et de justicier - je suis frappé de lire un certain nombre d'articles dans la «Tribune de Genève». Ces articles sont gravement accusateurs du triangle composé par l'Etat, la Banque cantonale et M. Gaon. Visiblement, il ne s'agit pas d'un triangle d'or, mais plutôt d'un triangle sentant le souffre.
Nous venons de recevoir un communiqué de presse du groupe Noga qui menace d'agir juridiquement, comme il dit, contre les articles de la «Tribune de Genève». Mais, je vous le rappelle, ces articles existent depuis 1993 et Noga n'a toujours pas jugé utile d'agir juridiquement. Je commence donc à avoir l'impression que les accusations qu'on peut lire dans la «Tribune de Genève» depuis bientôt deux ans sont tout à fait véridiques. C'est vrai, ces articles créent un climat de suspicion, un climat qui inquiète la population dont c'est le droit le plus élémentaire d'être informée correctement.
Bien que n'étant pas spécialiste en la matière, j'aimerais quand même poser quelques questions concernant ce communiqué de Noga qui fait allusion à des promesses au sujet de Sécheron qui ont été faites à cette société et qui n'ont pas été tenues. J'aimerais savoir de quel genre de promesses il s'agit.
Ensuite, dans la «Tribune de Genève», on apprend que des membres du gouvernement seraient impliqués dans cette histoire. De nouveau, on n'en sait rien. L'accusation est extrêmement grave. Si elle est vraie, il faut remédier à cette situation, si elle est fausse, pourquoi ne mettez-vous pas en marche l'appareil judiciaire? La population ne peut que s'inquiéter de cette affaire.
Enfin, il semble que M. Gaon soit un des plus grands débiteurs de la Banque cantonale. Etant donné la déconfiture de l'empire Gaon, la population s'inquiète, à juste titre, du devenir de la BCG. Que se passera-t-il avec la Banque cantonale si la société Gaon s'écroule ? Quel prix la population devra-t-elle payer ?
Il est indispensable que le pouvoir politique réponde à l'inquiétude légitime de la population. En ce sens, nous soutenons la résolution du parti socialiste.
M. Christian Grobet (AdG). Mme Micheline Calmy-Rey a dit tout à l'heure, en s'adressant aux députés sur les bancs d'en face : «Résignez-vous, Mesdames et Messieurs, à voter cette résolution !». Ces collègues s'y étaient déjà résignés, bien que MM. Fontanet et Dupraz aient dit tout le mal possible de cette résolution et de l'idée saugrenue, selon eux, de désigner une commission d'enquête, ce qui ne les a pas empêchés d'accepter le renvoi en commission afin de l'examiner. Donc, vous vous y êtes bel et bien résignés...
M. John Dupraz. Absolument pas !
M. Christian Grobet. C'est le début de la voix de la sagesse. Toutefois, il me semble que vous n'avez toujours pas complètement saisi de quoi il s'agit. (M. Dupraz continue à invectiver l'orateur.)
La présidente. Monsieur Dupraz, personne ne vous a interrompu, alors, s'il vous plaît, demandez la parole et je vous la donnerai !
(S'adressant à M. Grobet.) Veuillez m'excuser, Monsieur Grobet !
M. Christian Grobet. Il est possible que cette résolution arrive un petit peu tôt, quoiqu'il n'est jamais trop tôt pour bien faire, car l'heure de vérité arrivera dans quelques semaines. Alors soyons bien au clair ! De notre côté, nous espérons qu'il n'y aura pas de faillite du groupe Noga, car, si cela se produit, ce sera extrêmement grave vu la somme astronomique des dettes. A ce point, il faudra rechercher les responsabilités. Je ne citerai qu'un seul montant, les 650 millions de dollars que M. Gaon annonce comme créance à l'égard de la Russie pour ne pas payer ses débiteurs genevois.
M. Balestra, pour une fois, nous a lu un texte ce soir. Ce n'est pas dans votre style habituel, Monsieur Balestra, mais enfin, je ne doute pas que vous l'ayez préparé vous-même. Vous insistez sur le fait que M. Eltsine doit cet argent. Pour vous, c'est un acquis. Eh bien, M. Eltsine et son gouvernement disent le contraire : Non seulement ils disent ne pas devoir d'argent, mais c'est M. Gaon qui leur en doit.
M. Gaon a engagé une procédure arbitrale à Stockholm pour faire valoir sa créance. Oui, c'est un fait public notoire, Monsieur ! Figurez-vous que M. Gaon a suspendu cette procédure.
Une voix libérale. Ça vous regarde ?
M. Christian Grobet. Ne trouvez-vous pas très curieux qu'après s'être proclamé créancier de 650 millions de dollars et avoir demandé que le Tribunal fasse droit à sa demande, il suspende cette procédure ? En tout cas, cela laisse supposer qu'il n'est peut-être pas si sûr de son bon droit. Mais toujours est-il que, si un trou de 650 millions de dollars subsiste, je vous laisse imaginer, Mesdames et Messieurs, les conséquences de cette affaire !
Les affaires de Genève, évoquées tout à l'heure et que nous ne voulons pas sous-estimer, seront ce que l'on appelle en anglais «peanuts», des cacahuètes, par rapport au véritable problème du groupe Noga. En effet, il n'est pas seulement question des 650 millions de dollars évoqués dans l'affaire de Russie, mais, à ce que l'on dit, une cessation d'activités au Nigeria, un projet à Lisbonne pour lequel la société Noga n'a rien fait, sauf d'avoir tout de même emprunté 100 millions, semble-t-il, sur le terrain mis en droit de superficie par la Ville de Lisbonne. J'ose espérer qu'il n'en est pas de même pour le terrain de l'Etat à Sécheron ! Bien vite, on s'apercevra que M. Gaon s'est engagé dans des affaires à très hauts risques.
Pour en revenir à Genève, modestement, il faut bien dire que l'opération de Sécheron était à très hauts risques, puisque M. Gaon a acheté des terrains pour une somme extrêmement élevée qui rendait, du reste, toute opération immobilière impossible, alors que ces terrains n'étaient pas déclassés et qu'il savait prendre le risque du refus du déclassement.
Nous en venons donc à nous poser la question de savoir comment ce monsieur a pu acheter des terrains sans sortir un sou vaillant de son porte-monnaie, puisque ces terrains ont été achetés contre la somme de 135 millions obtenue sur prêt des banques, soit 175 millions. Non seulement les banques lui ont versé la somme de 135 millions pour acheter le terrain, mais, en plus, la somme de 40 millions. On ne sait pas très bien pourquoi. Vous avouerez que c'est assez extraordinaire.
Ici apparaît notre seul point de désaccord avec Mme Calmy-Rey qui prétend que l'on ne devrait pas se préoccuper de la Banque cantonale. A ce sujet, l'Alliance de gauche a écrit une lettre à la Banque cantonale pour lui poser une série de questions précises dont les réponses sont très difficiles à obtenir. Lorsque M. Gaon payait les intérêt dus sur les emprunts, le Conseil d'Etat nous répondait qu'il payait les intérêts. Plus tard, quand Mme Deuber-Pauli et M. Jean Spielmann lui ont reposé la même question, le Conseil d'Etat s'est réfugié derrière le secret bancaire.
Or, en matière de prêts des banques aux particuliers, il n'y a pas de secret bancaire, et vous le savez ! (Protestations.) Lorsqu'une banque vous fait un prêt hypothécaire pour votre villa qui est ensuite inscrit au registre foncier, pensez-vous qu'il y a un secret bancaire, Monsieur Lombard ? Vous êtes un piètre banquier, vous me permettrez de le dire ! (Rires.)
Les prêts bancaires ne sont pas couverts par le secret bancaire, mais les dépôts faits par les clients le sont et, comme banquier, vous le savez fort bien. Mais tel n'est pas le propos aujourd'hui. Nous parlons des engagements des banques. Depuis le 1er février, la Commission fédérale des banques est compétente en la matière, raison pour laquelle nous avons envoyé le double de notre demande d'explication à la Commission fédérale des banques pour qu'elle s'occupe de cette affaire.
Monsieur Dupraz, vous avez dit tout à l'heure que cette résolution était tout à fait déplaisante, tout comme ces attaques de la presse à l'égard de la Banque cantonale. Tout cela ne serait pas arrivé si cette transparence, évoquée tout à l'heure par M. Fontanet, existait et si la Banque cantonale avait donné un certain nombre d'explications. En effet, ces ragots ne seraient pas colportés. On saurait ce qu'il en est au juste.
Pour ma part, j'estime que la population a le droit d'être informée sur les engagements qu'a pris la Banque cantonale qui, rappelons-le tout de même, est non seulement un établissement public mais les dépôts d'épargne sont garantis par l'Etat et les contribuables. Il est donc parfaitement légitime d'obtenir des explications à ce sujet.
Pour en finir avec l'affaire de Sécheron, Monsieur Balestra, je n'en attendais pas moins de votre part ! On sait que M. Grobet est responsable de tout ce qui va mal dans cette République ! (Applaudissements de l'Entente.) C'est une litanie, c'est formidable ! Même quand je ne suis plus au gouvernement, je suis encore responsable de ce qui s'y passe !
Toutefois, j'aimerais vous dire une ou deux choses. Oui, j'ai gardé d'excellentes relations avec certains amis au département des travaux publics, (Aaaahhh !) mais, voyez-vous, vous continuez à répandre l'injure qui, du reste, a été publiée dans un journal - je sais que, hélas, c'est une obsession pour M. Joye - à savoir que des collaborateurs de son département m'informeraient. C'est tout simplement une injure, non pas à mon égard mais à l'égard des collaborateurs du département des travaux publics.
On prétend que j'aurais bloqué des projets et que je continue à le faire. A propos de la Maison de l'Europe, nous en sommes au quatrième projet. Ce nouveau projet, déposé par M. Gaon au mois de novembre et que personne n'a eu le temps de bloquer, est totalement différent de celui qui fut autorisé six mois auparavant. Bien entendu, M. Gaon affirme sa volonté de réaliser ce projet de la Maison de l'Europe. Dans le cas contraire, il ne déposerait pas des projets réalisés par les meilleurs architectes de Grande-Bretagne, cautionnés par la présence enthousiaste du chef du département des travaux publics.
Maintenant, on se demande si un cinquième projet ne va pas voir le jour, encore plus mirifique, encore plus beau. En attendant, rien ne se fait ! Et vous nous permettrez tout de même d'avoir les plus sérieux doutes à cet égard. C'est la raison pour laquelle il faut une commission d'enquête, car il sera très intéressant, Monsieur Balestra, de connaître quels sont les pays qui ont pris un engagement pour venir s'installer dans ce bâtiment qui, comme vous le savez, n'est plus un projet communautaire. A ce moment, vous verrez qui a raison de MM. Felber et Grobet. Je ne prétends pas détenir la vérité, je demande un minimum de transparence. Qu'on nous dise la vérité sur ce dossier !
La présidente. Monsieur le député, il vous reste une minute !
M. Christian Grobet. Oui, mais j'ai été quelque peu interrompu. (Grands éclats de rires de l'assemblée.) Je ne demanderai même pas, Madame la présidente du Grand Conseil, que vous me fassiez la rallonge que vous avez accordée à d'autres députés.
Nous soutenons la résolution, mais nous n'accepterons pas le subterfuge de la transformer en motion pour demander au Conseil d'Etat de donner les explications qu'il voudra bien donner. Au contraire, le but d'une commission d'enquête est précisément que nous puissions enfin obtenir des informations - que l'on refuse de nous donner et que l'on n'a pas pu obtenir - et avoir la transparence que vous prétendez désirer par la voix de M. Fontanet. Voilà pourquoi nous votons cette affaire. (Applaudissements épars.)
M. Nicolas Brunschwig (L). Le groupe libéral ne peut que regretter le fait que le député Grobet ose évoquer et commenter des opérations commerciales strictement privées qui n'impliquent en rien la collectivité publique.
M. Chaïm Nissim. Mais, c'est notre argent, Monsieur Brunschwig !
M. Nicolas Brunschwig. Si M. Grobet estime qu'il sait mieux que tout le monde ce qui se passe chez M. Eltsine, ou l'existence de transactions très particulières, eh bien, certes, mais il peut garder ses propos pour lui-même ou les évoquer dans des cercles privés si cela lui sied, mais je ne vois pas du tout en quoi cela concerne le parlement de notre République.
Le deuxième élément dommageable pour notre République est le fait que le député Grobet, en particulier, met la suspicion sur la Banque cantonale de Genève. Comme tous les partis représentés au sein de ce gouvernement, l'Alliance de gauche a un représentant au sein du conseil d'administration de cette banque. Faites confiance à votre représentante au conseil d'administration, à la banque et, finalement, à la Commission fédérale des banques !
Mais si vous ne pouvez faire confiance à aucune de ces instances, alors votre cas est psychiatrique et non plus politique.
Mme Micheline Calmy-Rey. On ne fait pas confiance aux libéraux !
M. Nicolas Brunschwig. Enfin, je ne suis pas étonné que M. Grobet soit opposé aux amendements que propose le groupe libéral, mais je pensais qu'il aurait l'intelligence tactique de faire prononcer l'opposition du groupe de l'Alliance de gauche par un autre député plutôt que par l'ex-conseiller d'Etat Grobet.
M. Christian Grobet (AdG). Ayant été directement mis en cause...
La présidente. Mais nous ne sommes pas en préconsultation, Monsieur le conseiller d'Etat... (La présidente se trompe de titre.) (Rires.) ...vous pouvez prendre trois fois la parole comme tous les députés.
M. Christian Grobet. Rassurez-vous, Madame la présidente, je ne souhaitais pas prendre trois fois la parole, mais je m'en réserve le droit. Toutefois, veuillez considérer cette intervention comme une réponse à un député qui me met en cause.
Je ne sais pas pourquoi, Monsieur Brunschwig, vous vous en prenez à moi au sujet d'un certain nombre de choses dites tout à l'heure.
Nous ne sommes pas ici pour jeter la suspicion sur la Banque cantonale. M. Dupraz s'est plaint, à juste titre, d'un certain nombre d'accusations publiées. Forts de cette résolution, nous demandons simplement que la transparence soit rendue sur cette affaire. Pour ce faire, nous estimons indispensable que ces banques s'expliquent sur l'ampleur de leurs engagements.
Ensuite, vous nous demandez de faire confiance, comme tout le monde, à la Banque cantonale. Malheureusement, nous ne pouvons pas faire confiance les yeux fermés à la Banque cantonale. Il est notoire que cette banque, au même titre que d'autres, a fait de graves erreurs d'appréciation dans les affaires immobilières à Genève. D'ailleurs, ni la Banque cantonale, ni les autres banques n'ont contesté ces erreurs.
En effet, au moment de la fusion de la Caisse d'épargne et de la Banque hypothécaire, il a été déclaré que la banque avait provisionné jusqu'à concurrence de 700 à 800 millions de francs pour faire face aux opérations à risques dans lesquelles elle s'était engagée. Ne voulant pas remuer le couteau dans la plaie, je ne vous rappellerai pas le nombre d'affaires de faillites immobilières publiées dans la presse depuis deux ou trois ans, et dans lesquelles il s'est avéré qu'un certain nombre de banques, dont malheureusement la Banque cantonale, avaient pris des engagements totalement inconsidérés.
A partir d'erreurs pareilles, vous nous permettrez, Monsieur Brunschwig, de ne pas faire confiance à la Banque cantonale les yeux fermés et de demander un minimum d'explications auxquelles le public a droit.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. La proposition de résolution qui vous a été transmise touche en réalité à de nombreux aspects d'un dossier qui est complexe. On peut dire qu'il est formé de trois volets essentiels, soit le premier, aménagement du territoire, le deuxième, bancaire, et le troisième, industriel. Voilà en gros les enjeux.
Au nom du Conseil d'Etat, je suis chargé de faire une synthèse de ces trois volets, de vous apporter un certain nombre d'informations que vous pourriez souhaiter et de faire le point sur l'état actuel de ce dossier.
En ce qui concerne le premier volet, soit l'aménagement du territoire, force est d'admettre qu'il est un assez fidèle miroir, hélas, de la Genève conflictuelle qui ne parvient pas à réaliser parce que la politique nourrit un certain nombre de blocages. Il suffit de se souvenir qu'au départ l'opération consistait à réaliser des logements, des activités industrielles et commerciales sur l'ensemble du périmètre, bref, à créer - cela avait été évoqué - un véritable nouveau quartier.
Pour des raisons qui lui sont propres et font partie de la discussion qu'il ne convient pas a priori de rejeter ou de mépriser, la Ville de Genève a souhaité, comme commune de site, que ce périmètre reste en totalité industriel, la Maison le Foyer étant réservée. L'ensemble des plans et des perspectives d'aménagement mis en place, réfléchis et négociés à l'époque, a donc été remis en cause. Nous observons simplement que le Conseil d'Etat a accepté de suivre ce que la Ville de Genève demandait et d'envisager, sous réserve d'une emprise destinée à des organisations internationales qui a fait l'objet depuis d'un déclassement voté par votre parlement, que l'ensemble du périmètre à droite de la route de France reste en zone industrielle. Nous constatons simplement qu'aujourd'hui rien ne s'est fait et que le dossier reste bien bloqué.
Le deuxième point de cette problématique d'aménagement est relatif à la Maison Europa. Nous disons et confirmons que ce dossier a une importance considérable pour notre pays et pour Genève, car c'est celui de l'Union européenne - contrairement à ce que l'on dit en parlant de pays qui ne voudraient pas rejoindre cet établissement - de la création d'une ambassade, d'une mission de l'Union européenne auprès de l'ensemble des organisations internationales de notre canton. Il a donc un double aspect politique majeur. C'est un ancrage de l'Union européenne dans notre canton et auprès des organisations internationales de Genève. Il me semble élémentaire de constater que la haute compétition dans laquelle nous vivons nous montre qu'il y a un intérêt évident à satisfaire l'Union européenne, telle que cela a été demandé par ses ambassadeurs successifs et, en l'occurrence, à l'époque, par l'ambassadeur Van Tran. Ces éléments du dossier ont d'ailleurs été rappelés, il n'y a pas si longtemps, par l'ancien ministre des affaires étrangères du pays, M. Felber lui-même, et je ne vois pas l'utilité de mettre sa parole en doute.
Le deuxième volet, soit bancaire, a déjà été traité de manière extrêmement approfondie devant ce Grand Conseil. D'une part, à l'occasion de la fusion des deux établissements, Banque hypothécaire et Caisse d'épargne qui a donné lieu à la Banque cantonale et, d'autre part, à l'occasion de la réponse de notre collègue Olivier Vodoz, président de notre Conseil, à différentes interpellations, en particulier celle de Mme Deuber-Pauli.
Il faut se souvenir, car il n'est tout de même pas convenable de cibler ces interventions sur la Banque cantonale, que le crédit a été accordé à l'époque à un consortium de quatre banques. La Banque cantonale n'est que l'une de ces quatre. En ce qui concerne la Banque cantonale, comme M. Vodoz l'avait très clairement détaillé à l'époque - ayant obtenu de la part de la banque et de la part de l'intéressé, M. Gaon, le relief du secret bancaire - ses engagements bénéficient de garanties absolument usuelles en pratique bancaire.
Les risques font l'objet de provisions et la Commission fédérale des banques a confirmé par écrit qu'à cet égard tout était en ordre et que, du point de vue des pratiques bancaires - car la question s'était posée avant la fusion, souvenez-vous en - les prêts octroyés par la Banque cantonale bénéficiaient de garanties usuelles; cela sous la double surveillance non seulement de l'organe de révision mais aussi de la Commission fédérale des banques.
Vous savez que la loi que vous avez votée le 18 novembre 1994 confère à la Commission fédérale des banques la responsabilité totale de la surveillance de la Banque cantonale, depuis le 1er février, sur la base d'une décision de la Commission fédérale des banques. Celle-ci exerce la surveillance effective complète de la Banque cantonale.
A cet égard, il n'y a donc pas lieu de développer des inquiétudes, sauf à vouloir nourrir un climat qui, le sachant, le voulant ou, au contraire, malgré soi, serait en définitive préjudiciable à la Banque cantonale elle-même dans le cadre de la relation de confiance que celle-ci doit entretenir avec l'ensemble de sa clientèle.
A ce sujet, je voudrais vous dire qu'il n'est simplement pas permis, qu'on n'a pas le droit de «faire joujou» avec un établissement bancaire, a fortiori dont les collectivités publiques sont l'actionnaire principal. Je vous demande, dans le souci que vous avez d'obtenir un certain nombre d'informations, de veiller à ce que celles-ci ne le soient pas par des démarches qui pourraient avoir pour effet d'altérer le rapport de confiance entre la Banque cantonale et sa clientèle, parce que cela serait irresponsable.
J'en viens au troisième volet ou volet industriel. A cet égard, j'aurai quelques informations importantes à vous donner.
Il faudrait peut-être se souvenir de quelques données sur le volet industriel. En 1988, ABB a décidé, dans le cadre de la réorganisation de ce groupe, de se séparer de Sécheron. Au tout début de l'année 1989, Sécheron SA, comme entreprise juridiquement indépendante, a été créée et enregistrée. Au printemps 1989, ABB a vendu le capital de Sécheron SA au groupe Noga. On oublie que cette vente a permis à ABB de reconstruire l'un des centres de production les plus modernes et les plus performants du groupe, au bénéfice d'une opération à laquelle votre Conseil a été associé, puisqu'à l'époque il y a eu un échange de terrains.
A l'époque, un certain nombre de beaux esprits, qui ne sont pas très loin des signataires de la résolution, disaient que Sécheron était un canard boiteux dont ABB avait voulu se séparer. En réalité, vous savez parfaitement que Sécheron SA est une entreprise performante en croissance régulière et soutenue. Sécheron a pu prendre un certain nombre de participations dans d'autres entreprises; elle a pu racheter l'entreprise Hasler et se trouve être aujourd'hui l'un des leaders européens de la branche.
Le malheur est que Sécheron s'est trouvée prisonnière d'enjeux politiques liés à l'aménagement du périmètre concerné. A ce sujet, des discussions ont eu lieu; elles avaient pour but de permettre que Sécheron dispose assez naturellement d'un outil de travail renouvelé là où la Ville de Genève souhaitait que l'on développe des activités industrielles, soit sur l'ensemble de ce périmètre. Nous avons procédé à un échange de terrains et avons fait en sorte que - moyennant l'échange de terrains, une parcelle de l'Etat cédée à ABB dans la zone industrielle de Meyrin-Satigny - nous puissions récupérer pour l'Etat de Genève une parcelle de l'entreprise ABB pour que Sécheron puisse y construire sa nouvelle usine.
On parle de passe-droit. Qu'il me soit simplement permis de vous dire que le terrain industriel sur lequel l'entreprise Sécheron cherche à construire son usine a été récupéré par l'Etat dans l'acte d'échange pour une valeur de 80 F le m2, alors que le contrat de superficie accordé par l'Etat de Genève au groupe Noga pour la même parcelle repose sur une valeur foncière de 200 F le m2. Ce n'est pas une si mauvaise affaire pour l'Etat.
A l'époque, notre collègue Grobet estimait que cette valeur était insuffisante, et nous en avions discuté au Conseil d'Etat. Il est permis d'en faire état aujourd'hui, puisque notre collègue Grobet n'ayant pas été d'accord avec notre décision avait fait noter son opposition au procès-verbal. 200 F le m2, c'est tout simplement la limite supérieure de ce qui est aujourd'hui pratiqué de manière usuelle dans les zones industrielles. Allait-on traiter une entreprise telle que Sécheron SA de manière différente que le sort réservé aux autres entreprises industrielles dans les autres zones industrielles ? Allait-on, alors que nous avions récupéré ce terrain pour 80 F le m2, le mettre à disposition sur des valeurs foncières qui n'avaient plus rien à voir avec les valeurs foncières de terrains industriels ? En l'occurrence, 200 F le m2 était une valeur foncière importante.
Le département des travaux publics a été amené à délivrer les autorisations de construire nécessaires, compte tenu du contrat de superficie. Je voudrais vous dire ici que le département des travaux publics a été chargé de veiller à ce que l'ouverture du chantier se fasse conformément à ce qui était prévu et à ce que le droit de superficie soit respecté dans toutes ses clauses. Le 13 décembre 1994, le chef du département des travaux publics a été amené à écrire à Noga Invest qu'il considérait que le chantier n'avait pas été valablement ouvert et que, en d'autres termes, le droit de superficie était caduc, conformément aux clauses contractuelles prévues à l'époque. Alors que l'on ne vienne pas parler ici de passe-droit ! Pour être complet, je dirai que cette position du département des travaux publics est contestée par le groupe Noga qui estime, lui, que le chantier a été valablement ouvert et qui, par conséquent, conteste que le contrat de droit de superficie soit devenu caduc.
Des enjeux politique, Sécheron, entreprise performante - je le rappelle - en a été lamentablement prisonnière. Mais elle s'est aussi trouvée prisonnière d'enjeux liés à l'ensemble des intérêts, aujourd'hui soumis à difficulté, de son actionnaire principal. C'est une préoccupation importante du gouvernement et nous travaillons d'arrache-pied pour trouver des solutions.
A ce sujet, je puis vous donner des informations importantes. Notre objectif a été de sortir Sécheron SA de la zone de turbulences dans laquelle se trouvait son actionnaire principal. Je tiens à vous dire que les négociations ont abouti et que, par une décision de ce jour prise par le conseil d'administration de la Banque cantonale de Genève, le groupe Noga ne contrôle plus Sécheron SA.
En d'autres termes, cette entreprise est aujourd'hui propriété de la Banque cantonale. Comme elle n'a pas vocation industrielle, elle réalise donc une opération de portage et cherchera des partenaires industriels avec le vrai projet industriel d'augmenter encore l'impact industriel de cette entreprise. Je voudrais rendre hommage à la Banque cantonale qui a fait preuve d'un sens remarquable des responsabilités. Le Conseil d'Etat a pris ses responsabilités dans cette opération en mettant à disposition de Sécheron un terrain qui devait être celui sur lequel elle pouvait reconstruire son outil de travail. Nous examinerons encore d'autres solutions, compte tenu de ce que nous estimons être la caducité du contrat de superficie. La Banque cantonale a pris ses responsabilités en prenant le contrôle de cette entreprise performante. Nous avons pris nos responsabilités et nous souhaiterions que ceux qui ont signé la résolution en fasse autant.
Puisque nous parlons de prise de responsabilités, nous pouvons évoquer un autre domaine au passage. La Ville de Genève a approuvé une convention en ce qui concerne le casino, soit une convention de cessions d'actions de la société d'exploitation du Casino de Genève à un nouveau consortium d'actionnaires, convention de cession d'actions que le Conseil d'Etat a refusé d'approuver. La Ville de Genève, dont je n'ai pas besoin de vous rappeler quelle est la majorité de son conseil administratif, a recouru jusqu'au Tribunal fédéral contre cette décision du Conseil d'Etat. Le Tribunal fédéral a donné raison au Conseil d'Etat. La convention de cession d'actions n'est pas approuvée. Qui parle ici de complaisance en cherchant à jeter une suspicion sur le gouvernement ?
Je crois vous avoir, d'ores et déjà, donné un certain nombre d'indications qui, en ce qui concerne Sécheron, le volet immobilier, le volet bancaire, le volet Grand Casino montrent que le gouvernement a pris ses responsabilités sans complaisance avec un seul objectif, celui de la vitalité économique de notre canton, celui des emplois.
M. Christian Grobet (AdG). Nous avons entendu avec beaucoup d'intérêt la déclaration faite par M. Jean-Philippe Maitre, et j'aimerais le remercier pour un certain nombre d'éléments d'information qui ont été donnés. Vous me permettrez de vous dire, Monsieur le conseiller d'Etat, puisque certains termes de la résolution vous déplaisent, que si des informations précises avaient été régulièrement données, certains ne demanderaient peut-être pas la création d'une commission d'enquête. Vous avez dit quelque chose d'important, à savoir que l'entreprise Sécheron SA n'était plus en mesure de survivre économiquement du fait de son actionnaire principal...
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Je n'ai jamais dit ça !
M. Christian Grobet. Si la Banque cantonale - vous venez de l'indiquer - s'est engagée sur le plan économique pour soutenir, même provisoirement, cette entreprise, c'est bien évidemment en raison des problèmes avec l'actionnaire principal ! Dans le cas contraire, elle ne le ferait pas. Cela nous interpelle tout de même. L'intervention de la Banque cantonale était probablement souhaitable dans le cas de Sécheron SA. D'ailleurs, nous avons précisément souhaité une telle intervention dans le cadre de l'initiative «La Suisse», si décriée par certains. Vous avez souligné le courage de la Banque cantonale, mais il n'en demeure pas moins que nous ne voudrions pas que cette dernière s'engage dans une fuite en avant pour reprendre d'autres opérations de M. Gaon qui pourraient mal tourner.
Je le rappelle, l'affaire de l'usine de Sécheron SA a fait l'objet de quatre projets successifs dont un, Monsieur Balestra, empiétait sur la parcelle de l'OMM. Or, vous avez dit tout à l'heure que je ne me souciais pas des organisations internationales, ce qui est parfaitement malvenu ! En effet, si ce projet avait été autorisé, le siège de l'OMM n'aurait pas pu être réalisé.
Je clos cette parenthèse avec cette dernière remarque. Il y avait une stratégie évidente de la part de Noga Invest de récupérer la parcelle de l'Etat, qui, du reste, l'a rachetée à 100 F le m2 en tenant compte de ce qui a été payé à Satigny - mais cela est un autre sujet. Vous avez raison de dire qu'un terrain industriel ne devrait pas être mis en droit de superficie à plus de 200 F, mais le problème n'est pas là. En réalité, M. Gaon ne voulait pas utiliser ses propres terrains industriels d'une superficie de 43 000 m2 pour construire son usine, et on lui a mis à disposition un terrain où il paraissait très douteux qu'il ait véritablement envie de construire.
Pendant un certain temps j'ai eu des échos - car, malgré tout, j'ai cru qu'il ferait quelque chose - que la direction de Sécheron SA ne souhaitait pas du tout la construction de ce bâtiment en raison des charges financières énormes qu'il allait entraîner pour cette entreprise ! Toujours est-il que, indépendamment de ce qui est la vérité - peut-être l'apprendra-t-on un jour - le bâtiment autorisé depuis plus de deux ans et demi n'a jamais été construit, et, aujourd'hui, on apprend que Noga Invest ne veut même pas se délier du contrat de droit de superficie, ce qui démontre, finalement, que, hélas, le Conseil d'Etat, à l'époque, avait fait trop facilement confiance à M. Gaon en ce qui concerne ce terrain qui, effectivement, a été un enjeu immobilier. J'espère que l'Etat arrivera à récupérer son bien !
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Qu'il me soit permis d'exprimer ma déception à l'égard de ce que vient de dire M. Grobet !
En effet, j'espérais au moins que vous vous abstiendriez d'en rajouter sur Sécheron et sur la Banque cantonale, compte tenu de l'importance des informations qui ont été données et de l'importance des enjeux et des responsabilités prises par le gouvernement dans cette affaire. Parlant de la Banque cantonale, vous dites : «J'espère que ce n'est pas le début d'une fuite en avant.». Qu'aurait-on entendu si le conseil d'administration de la Banque cantonale n'avait pas pris la décision qui a été la sienne aujourd'hui !
La Banque cantonale n'a aucune raison de s'engager dans une fuite en avant, parce qu'elle ne s'est pas engagée sur les affaires du groupe Noga qui, aujourd'hui, sont l'objet de la tourmente, notamment les affaires russes, etc. Elle s'est engagée comme banque cantonale, parce que sa mission est de soutenir le tissu économique de ce canton et de soutenir les industries valables. Elle ne doit certainement pas soutenir les canards boiteux ! Sécheron est une industrie valable, performante, en pleine croissance; il était de la responsabilité de la Banque cantonale d'aller de l'avant. Elle a pris ses responsabilités, et je trouve très regrettable que l'on ternisse la portée de son action en tenant de tels propos. Ce n'est pas convenable !
De même il n'est pas convenable de tenter de porter le soupçon sur la qualité de l'entreprise Sécheron SA en disant qu'elle ne pourrait pas survivre aux difficultés de son propre actionnaire. Monsieur Grobet, les choses sont complètement différentes ! Vous pouvez bien imaginer, les actions de Sécheron étant dans le patrimoine d'un actionnaire qui se trouve en difficulté - cela se sait, c'est sur la place publique - que ce type de fait est de nature à perturber la clientèle de Sécheron. Au contraire, nous devons rassurer et garantir la clientèle de Sécheron qui peut espérer des contrats de production sur le long terme et qui a besoin d'engagement de cette entreprise pour ne pas risquer de voir les actions de cette dernière faire l'objet d'une discussion dans le cadre d'une procédure concordataire ou autre où elles seraient bloquées.
C'est la raison pour laquelle nous avons voulu que ces actions soient en sécurité. Elles le sont et, de cette manière, ce sont les emplois de Sécheron qui sont en sécurité. Vous n'avez donc pas le droit de jeter le discrédit sur la banque, surtout après ce qu'elle a fait ! (Le ton de M. Maitre est véhément et indigné.) Vous n'avez pas le droit de jeter le discrédit sur Sécheron, parce que c'est un des fleurons de notre industrie ! (Vifs et longs applaudissements. Des bravos fusent.)
(M. Christian Grobet demande la parole avec force.)
La présidente. Je regrette, Monsieur Grobet, je vous ai déjà donné la parole ! (Très vive contestation et sifflets.) Monsieur Grobet, tout a été dit !
M. Christian Grobet. (L'orateur crie pour se faire entendre, car son micro n'est pas ouvert.) On a dit que je jetais le discrédit sur la Banque cantonale... (Grand chahut.) ...je n'accepte pas ces termes ! Je n'accepte pas que l'on dise que je jette le discrédit sur la Banque cantonale !
La présidente. Monsieur Grobet, je considère que le débat est clos. Je suis navrée, je crois que j'ai été assez objective dans mes temps de parole ! (Applaudissements.)
Nous passons à la procédure que nous allons suivre. Une demande de renvoi à une commission ad hoc ayant été formulée, nous allons voter sur cette proposition. Au cas où cette proposition serait refusée, nous voterons sur l'amendement de M. Michel Balestra et, ensuite, sur la résolution.
M. Michel Balestra (L). Notre groupe votera contre le renvoi en commission, parce que nous aimerions voter le projet de résolution amendé. Nous trouvons le débat que nous avons eu aujourd'hui tout à fait lamentable, mais ce sera l'occasion de faire la lumière sur ce qu'ont coûté douze ans de «pouvoir Grobet» au DTP... (Vive contestation.)
La présidente. (Coupant la parole à l'orateur.) Je suis navrée, Monsieur Balestra, cette fois je dois donner la parole à M. Christian Grobet ! (Applaudissements.)
M. Christian Grobet (AdG). Madame la présidente, je tiens à vous rassurer, les amendements de M. Balestra sont si ridicules que, personnellement, je ne m'oppose pas du tout à ce que vous les rajoutiez. Ce sera l'occasion de s'expliquer !
Je profite de l'occasion pour dire clairement que je n'accepte pas d'être accusé de jeter le discrédit sur la Banque cantonale. (Remarques.) J'ai uniquement demandé qu'il y ait un minimum de transparence dans l'intérêt de la population. M. Dupraz a déploré tout à l'heure que des attaques soient publiées dans la presse contre la Banque cantonale. Nous avons simplement dit que, face à ces attaques, la meilleure des ripostes était que celle-ci s'explique clairement.
D'autre part, Monsieur Maitre, je n'ai pas reproché à la Banque cantonale de venir au secours de Sécheron SA. Je ne l'ai pas dit, et d'ailleurs vous pourrez relire le Mémorial pour vérifier. Au contraire, j'ai souligné que c'était probablement favorable dans ces circonstances. J'ai simplement dit que je ne souhaitais pas que cette démarche de la Banque cantonale devienne une fuite en avant pour d'autres opérations effectuées par Noga à Genève.
Mise aux voix, cette proposition de résolution est renvoyée à une commission ad hoc.
La présidente. Cette commission sera composée de Mmes et MM. : Bernard Annen, Jean-Pierre Gardiol, Nicolas Brunschwig, René Koechlin, Geneviève Mottet-Durand pour le parti libéral, Christian Grobet, Jean-Pierre Lyon, Pierre Vanek pour l'Alliance de gauche, Micheline Calmy-Rey, Elisabeth Reusse-Decrey pour le parti socialiste, Pierre Kunz, Françoise Saudan pour le parti radical, Bénédict Fontanet, Claude Blanc pour le parti démocrate-chrétien et Max Schneider pour le parti écologiste.
La présidente. Je vous prie d'être attentifs, nous allons terminer les deux points concernant le département de l'économie publique, et ensuite j'aurai une communication à vous faire.