Séance du
vendredi 20 janvier 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
3e
session -
4e
séance
I 1923
M. Bernard Lescaze (R). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, je suis désolé d'abuser encore une fois de votre patience, mais je ne me lasserai pas jusqu'à la fin de la législature de revenir sur ce problème qui me paraît important sur le rôle des députés et sur celui du Grand Conseil !
Si j'ai déposé cette interpellation, c'est que je n'ai pas été satisfait de la réponse du Conseil d'Etat à mon interpellation urgente, lors d'une précédente séance, au moment où la composition du Conseil économique et social a été divulguée. Je m'étonnais de la présence d'une députée dans ce nouveau conseil, ce qui me paraissait contraire à ce que nous a dit et répété à maintes reprises le Conseil d'Etat. Comme M. Jean-Philippe Maitre a une formation de juriste, je vais lui citer un ou deux des textes qui émanent de ce conseil. Je répète du reste qu'il s'agit bel et bien d'une question de principe.
Dans ma première interpellation, pas une seule fois je n'ai cité le nom de la députée en question. Cette règle-là, je continuerai à l'appliquer. Je tiens ici publiquement à dire que je regrette qu'à cinq reprises dans sa réponse, lors de la précédente séance, M. Maitre ait jugé bon de donner le nom de cette députée - que d'ailleurs chacun connaît - comme s'il s'agissait d'une affaire de personne alors qu'il s'agit d'une affaire de principe. C'est là un procédé bien connu qui essaye de donner une auréole de martyr, de s'attirer certaines sympathies. C'est un procédé qui fleure une petite démagogie, mais je ne l'accepterai pas, parce que le principe est pour moi beaucoup plus important.
Le règlement du Conseil économique et social, dont la création avait été annoncée lors du discours de Saint-Pierre, a été fourni en juin 1994. Le Conseil économique et social - disait le Conseil d'Etat dans son discours de Saint-Pierre - devait favoriser le dialogue : «Il sera une instance de créativité et de prospectives. Sa démarche doit répondre à la volonté du gouvernement de renforcer la coopération et de rassembler toutes les énergies.». C'est un très beau programme qui, d'ailleurs, n'a pas seulement été mis en application pour ce Conseil économique et social - soixante membres - mais également pour d'autres conseils, puisqu'il existe un Conseil de l'action sociale - quarante membres et vingt suppléants - un Conseil de la santé - quarante membres - et qu'on nous annonce un Conseil de l'environnement - également quarante membres - je ne sais malheureusement pas s'il y aura des suppléants. Cela nous fait déjà deux cents personnes ! Je ne sais pas si c'est la nouvelle formule du Conseil d'Etat pour remplacer l'absence de décorations, de hochets et de rubans, qui me paraissait excellente dans cette République ! En tout cas, c'est un moyen ingénieux de remercier certaines personnes. J'espère simplement que ce conseil sera efficace.
Dans un document distribué à ce Grand Conseil le 28 novembre 1994, sous la plume de Claude Haegi, alors président du Conseil d'Etat, on signalait que : «le Conseil économique et social, organe consultatif, indépendant du pouvoir politique et donc en main de la société civile, devait représenter un cadre de réflexion permettant d'approcher les grands problèmes, les défis à venir, etc... (Le ton de l'orateur est très ironique.) ...se substituant le cas échéant à certains organismes existants dont il peut reprendre les missions.». Alors, s'agissant de la fin de cette phrase, j'espère que ce conseil, comme les autres, n'a pas pour but de se substituer au Grand Conseil et n'a pas pour but de reprendre les missions du Grand Conseil. Quant au fait que ce Conseil économique et social, comme les autres, doit être indépendant de la société civile, j'ai déjà dit qu'il s'agissait là de balivernes, car à Genève la société civile et la société politique ne font qu'un, je ne me lasserai pas de le répéter et je crois que le Conseil d'Etat fait fausse route sur ce point. Il s'inspire de théories françaises qui n'ont rien à voir. Mais, puisque le Conseil d'Etat s'inspire de théories françaises, il aurait été bien inspiré d'interroger un représentant éminent du Conseil économique et social français qui a récemment parlé à Genève, qui, semble-t-il, a été membre de différents cabinets ministériels français et dont l'excellent «Journal de Genève» retraçait en long et en large la magistrale conférence. Or, ce membre du Conseil économique et social français - certainement mal informé - s'étonnait qu'à Genève certains aient pu imaginer que des députés siègent au Conseil économique et social, ce qu'il trouvait parfaitement absurde. Le Conseil d'Etat de Genève non seulement avait imaginé mais avait placé une députée, ce qui est inadmissible.
On constate que ce Conseil économique et social est critiqué même par les anciens amis de M. Maitre, de M. Blanc et d'autres, puisqu'un certain Tamborini...
Des voix. Aahh !
M. Bernard Lescaze. ...qui, à coups de tambour, s'indigne de ce Conseil économique et social. L'important c'est que ce Conseil économique et social peut être utile, nous n'en doutons pas, mais il ne doit pas remettre en cause le rôle du parlement. Or, nous avons déjà constaté que le Conseil d'Etat, dans la composition des commissions extraparlementaires, avait tendance à négliger le parlement. Nous constatons maintenant qu'en réalité il ne met même pas en application ses propres règles ! On nous avait dit au printemps dernier que nous ne voulions pas de cumul. Je constate à cet égard que le Conseil d'Etat est très sévère pour le cumul des autres, mais que lui-même compte en son sein un certain nombre de cumulards ! (Vifs applaudissements.)
M. Michel Balestra. Des noms !
M. Bernard Lescaze. D'autre part, je n'accepterai pas la réponse qui avait déjà été donnée consistant à dire que la représentation d'une députée dans ce Conseil économique et social avait été imposée par les partenaires sociaux. Je rappelle que même si ce Conseil est nommé avec un consensus et sur proposition, il est encore nommé par un arrêté du Conseil d'Etat, même si ce n'est qu'un règlement qui le prévoit et qu'en conséquence le Conseil d'Etat peut arrêter des nominations qui ne lui siéraient pas de cette manière.
Monsieur le chef du département de l'économie publique, le problème se pose de la manière suivante : ou bien il n'y a plus de députés dans l'ensemble de ces conseils - vous appliquez la règle que vous prétendez défendre - ou bien nous nous verrons contraints, d'une manière ou d'une autre, de vous proposer d'introduire une ou plusieurs incompatibilités entre ces conseils, parce que les rôles de ces différents organes sont différents. D'autre part, il nous paraît opportun, sans qu'il y ait une loi créant un ou plusieurs de ces conseils, de supprimer purement et simplement des commissions consultatives dont on ne nous a pas encore tout à fait prouvé qu'elles étaient superfétatoires par rapport à ces conseil simplement pour leur donner quelques moyens d'existence ou quelques jetons de présence. Ce sont deux problèmes différents. Je comprends tout à fait votre volonté - je peux la partager - de simplification, mais je crois que les choses devraient être faites dans le bon ordre, c'est-à-dire que vous devriez prévoir une loi et non seulement un règlement pour la création de ces conseils.
Vous constaterez donc, Monsieur le conseiller d'Etat, en conclusion que je n'entends pas abuser davantage, ce soir, de votre patience, mais que je reviendrai sur le sujet, chaque fois que cela sera nécessaire, parce que la question que vous avez soulevée sur l'équilibre de nos institutions - vous, le Conseil d'Etat, pas vous personnellement - est une question importante, mais à laquelle vous ne me paraissez pas du tout apporter les réponses adéquates que nous serions en droit d'attendre de vous ! (Applaudissements.)
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. M. Lescaze est un parlementaire qui connaît la musique ! Il a développé récemment, avec une émotion que nous avons pu apprécier, une interpellation urgente sur le mode presto vivace. Il réitère aujourd'hui par une interpellation sur le mode de l'adagio, plus tranquille, plus doux. En tout état de cause, quel que soit le tempo que vous choisissez, il me semble qu'à traiter plusieurs fois le même sujet vous venez d'inaugurer ce soir l'interpellation «en rafale». C'est une première et il convient simplement d'en prendre acte.
Vous avez dit, Monsieur le député, que nous avions commis cet impair, considérable à vos yeux, d'avoir cité la députée que vous aviez vous-même désignée sans la nommer. Voyez-vous, c'est une habitude du Conseil d'Etat de dire assez clairement les situations, de les décrire, et, lorsqu'il s'agit de personnes, de les appeler respectueusement par leur nom. En ce qui concerne la députée à laquelle vous avez fait allusion, cette personnalité n'a pas été imposée par les partenaires sociaux, elle a été proposée par la Communauté genevoise d'action syndicale et ses compétences professionnelles à l'origine de cette proposition n'ayant aucune raison d'être contestées nous avons retenu sa candidature. Cela non pas en raison de son mandat de députée, mais parce qu'elle était syndicaliste et qu'elle traitait un domaine spécifique dans son activité professionnelle qui était utile aux délibérations du Conseil économique et social. La qualité de parlementaire - et c'est ce qu'a voulu dire le Conseil d'Etat...
M. John Dupraz. Et Annen, pourquoi vous l'avez pas désigné, alors ? (Rires.) Il n'est pas content en tout cas !
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Monsieur Dupraz, le jour où le règlement du Conseil d'Etat imposera un barbu, vous pourrez vous prévaloir de votre attribut ! (L'assemblée s'écroule de rire.)
A partir de là, puisqu'on en revient aux qualités décidément essentielles, ce qui doit être dit tout à fait tranquillement c'est que la qualité de député dans un conseil ou une commission parlementaire ne doit pas être un motif en soi de nomination - parce que nous cherchons certaines compétences - mais ne doit pas être non plus un motif d'exclusion, parce qu'il se trouve - à moins que vous imaginiez le contraire dans un accès de modestie soudain - que ces compétences se trouvent aussi parmi les députés ! (Eclat de rire.)
Prenons l'exemple, Monsieur Lescaze - je vous rassure tout de suite, je le prends tout à fait au hasard... (Rires.) ...et comme on dit dans les bons films : «Toute ressemblance avec un personnage célèbre genevois connu serait purement fortuite...» - de la commission des archives de l'Etat... (Rires.) Imaginons - vous voyez bien que c'est un pur hasard - (Rires.) ...que nous ayons besoin d'un historien, célibataire et avec une coupe en brosse... (Les députés sont littéralement écroulés de rire. Quelques applaudissements.) Il serait tout à fait déraisonnable de ne pas le désigner au seul motif qu'il est député ! C'est la seule façon que nous avons d'essayer de régler les problèmes.
Alors, voyez-vous, Monsieur Lescaze, il ne faut pas vous troubler, vous devez prendre en considération la désignation de Mme la députée, dont je n'ose décidément plus dire le nom, c'est un fait acquis : elle travaille au Conseil économique et social et tout le monde s'en réjouit !
Une voix. Bravo !
M. Bernard Lescaze (R). Tout en remettant les point sur les i, je ne veux pas laisser passer deux choses : une que j'apprécie particulièrement et une autre que j'apprécie moins.
La première, c'est...
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. La coupe en brosse ! (Rires.)
M. Bernard Lescaze. ...c'est que, pour la première fois, un conseiller d'Etat, et en l'occurrence non des moindres, reconnaît qu'un certain nombre de compétences particulières se trouvent aussi chez les députés. Cette phrase nous fait du bien... (Rires.) ...et nous n'attendons plus maintenant qu'une réelle mise en application. Cela viendra peut-être pour la prochaine législature. A ce sujet, d'ailleurs, je tiens à rassurer tout le monde. Effectivement, j'eusse pu participer à la commission auxiliaire des archives d'Etat, mais j'ai décliné d'y participer lorsqu'une association me l'a proposé, parce que je pensais que ma qualité de député n'était pas compatible avec une participation à cette commission. Je tiens à le dire, car je pensais personnellement qu'il y avait incompatibilité. Mais je reconnais à chacun la possibilité de porter plusieurs chapeaux sur sa tête, pourquoi pas !
Par contre, je regrette que vous ayez - avec l'habileté qui sied à un homme politique rompu depuis deux décennies aux débats parlementaires - esquivé les questions de fond, à savoir :
1) La multiplication de ces conseils se justifie-t-elle ?
2) Ne faudrait-il pas une loi pour les créer ?
Sans que j'aie besoin de faire des rafales d'interpellations, nous aurons ultérieurement l'occasion d'en débattre. Je pense personnellement, pour parler clair - parce que je pense qu'un député doit aussi parler clair - qu'il nous faut une loi pour instaurer un ou peut-être plusieurs conseils. D'autre part, je pense que la multiplication de ces conseils «satellites» du Grand Conseil comporte un grand nombre d'inconvénients - même si vous ne les voyez pas encore - et cela vaudrait la peine d'examiner ce problème soigneusement avant de se lancer dans ces expériences. Voilà le fond de l'interpellation qui me paraît beaucoup plus sérieuse que des questions de chapeau ou de coiffure ! (Rires.)
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Les deux questions de M. Lescaze n'ont pas échappé au Conseil d'Etat.
1) La multiplication de ce type de conseils se justifie-t-elle ? La réponse est non ! Ce n'est pas toujours le cas, et c'est la raison pour laquelle en créant le Conseil économique et social le Conseil d'Etat a eu l'ambition d'en regrouper un certain nombre au sein de la même instance.
2) Faut-il une loi pour créer ce type de conseils ? La réponse est non, sauf si ce Grand Conseil, dans sa souveraineté, le décide ! Nous estimons que s'il est possible de travailler sur une base plus souple, simple et rapide - c'est-à-dire la base réglementaire - dans la mesure où la loi le permet, cela est préférable.
Monsieur Lescaze, vous avez dit, dans la première partie de votre intervention, quelque chose de très aimable, comme quoi la politique peut avoir quelque chose de gratifiant. Ce soir, le Conseil d'Etat est vraiment très heureux de vous avoir fait du bien ! (Rires.)
Cette interpellation est close.
La séance est levée à 23 h 30.