Séance du
vendredi 20 janvier 1995 à
17h
53e
législature -
2e
année -
3e
session -
4e
séance
I 1918
Une voix. Arrête, Lyon !
M. Jean-Pierre Lyon (AdG). Je ne pensais pas intervenir au sujet des relations entre l'Etat et la Ville. Mais, à la suite d'un certain nombre de problèmes qui sont apparus au niveau de l'aménagement, je me vois dans l'obligation d'interpeller M. Joye, chef du département des travaux publics et de l'énergie. Depuis un certain nombre d'années, les communes, et spécialement la Ville de Genève dont je suis un membre du législatif, ont toujours eu avec le département des travaux publics des relations privilégiées qui aboutissaient à une vue d'ensemble de l'aménagement d'une commune, telle que la Ville de Genève. L'aménagement et la répartition entre les habitations, les zones de verdure et les zones sportives posent des problèmes importants pour une telle commune. Il y a eu entre-temps la mise en place du plan d'utilisation du sol qui représente une compétence pour une commune et donne une prérogative pour ses relations avec le Conseil d'Etat.
Je vais donc rappeler la liste des problèmes qui sont apparus entre le département des travaux publics et le service de l'aménagement de la Ville de Genève.
Un règlement régit le plan d'utilisation du sol pour le réaménagement. Les anciens bâtiments Naville, en bas de Chantepoulet, ont été rachetés par une société commerciale. Il est dit dans ce plan que les locaux situés au rez-de-chaussée doivent être ouverts au public. Nous nous sommes rendu compte, suite à une modification et à l'accord du département des travaux publics, que des bureaux ont été installés au rez-de-chaussée. Il n'y a donc plus de locaux, plus de vitrines. C'est donc un non-respect évident du règlement du plan d'utilisation du sol.
Le plan localisé des Charmilles comprendra environ neuf cents logements, un centre commercial, des locaux artisanaux. C'est donc un secteur relativement important et il est primordial que la Ville de Genève puisse donner un certain nombre de directives et être entendue à ce sujet. Après de longs débats, après des modifications du plan localisé de quartier, il y a eu un arrangement avec l'Etat. Or, qu'a-t-on appris lors de l'autorisation de construire ? Qu'il y avait des modifications apportées à ce plan sans consultation de la Ville de Genève et sans que le parlement puisse se prononcer sur ces dernières ! Nous avions prévu une arborisation assez importante, avec un mail piétonnier. Et que se passe-t-il ? On le supprime pour en faire un passage couvert qui faciliterait les accès du centre commercial ! Voilà encore une modification importante sur laquelle le législatif communal ne peut pas se prononcer.
Pour le projet 93298, s'agissant de la rue de Carouge et la rue Marcossay, il y a eu un plan localisé de quartier. La Ville de Genève a demandé que le taux d'utilisation soit diminué et que l'indice soit ramené à des proportions que nous estimons plus agréables pour la population. Nous n'avons pas obtenu de réponse !
Un autre point. Le plan localisé de Frontenex a été adopté il y a une quinzaine d'années. Il a été concrétisé dans sa partie inférieure avec la construction de plusieurs immeubles. Lorsque le DTP a été saisi, il y a cinq ans, d'un projet dans la partie supérieure du périmètre, la Ville de Genève a demandé une modification du plan afin de sauver la villa Bordier. Le DTP a proposé une modification du plan portant sur ce sous-périmètre non bâti afin de maintenir la villa Blanc ainsi qu'une seconde villa, propriété des consorts Frommel. Du fait que l'implantation des nouveaux bâtiments dans ce sous-périmètre entraînait la démolition de deux villas, les deux propriétaires fonciers ont déclaré qu'ils n'étaient pas opposés au maintien des deux villas pour autant qu'ils ne perdent pas les droits à bâtir par rapport au taux d'utilisation du sol prévu dans le plan d'origine, taux qui était proche de 1,2 m2 de plancher pour un mètre de terrain. Il fallait donc qu'ils cèdent gratuitement à l'Etat ou à la Ville de Genève les deux villas pour ne pas bénéficier des droits à bâtir supplémentaires correspondant à la surface de plancher des deux villas, ce qu'ils ont admis. Le plan localisé de quartier a été modifié en conséquence et adopté par le Conseil d'Etat. Le nouveau plan prévoyait que M. Bordier devait céder gratuitement à l'Etat, ou à la Ville de Genève, non seulement sa villa mais également le terrain aux abords de celle-ci, prévu comme devant devenir un parc public. M. Bordier a recouru au Tribunal fédéral et a invoqué qu'on ne pouvait pas lui imposer une cession gratuite de terrain pour un parc public et il a eu gain de cause. Les consorts Frommel n'ayant pas recouru, la partie du nouveau plan applicable à leur terrain est entrée en force. Seule devait être modifiée la partie du plan applicable aux parcelles propriété de M. Bordier, afin de tenir compte de l'arrêt du Tribunal fédéral.
La solution préconisée par le plan soumis au préavis du Conseil municipal est littéralement ahurissante. Elle part d'une interprétation erronée de l'arrêt du Tribunal fédéral. Le projet du plan prévoit en effet que M. Bordier pourra rester propriétaire de sa villa - la légende du plan indiquant que sa cession est facultative - des dépendances et du terrain entouré du liseré pointillé sur les plans qui sont à disposition à l'aménagement, soit près du sous-périmètre en cause, tout en bénéficiant des droits à bâtir calculés sur la totalité de ces parcelles. Dans la mesure où M. Bordier veut rester propriétaire d'une partie de ses terrains, les droits à bâtir doivent être calculés uniquement sur la partie constructive de ces derniers et non sur la totalité des terrains, sur la base d'un taux de 1,2, ce qui, évidemment, réduirait très sensiblement l'importance des constructions projetées. Mais il serait scandaleux que M. Bordier tire un pareil profit de ses terrains qui sont situés en zone de développement et dont le prix est soumis au contrôle de l'Etat !
Si je suis entré dans le détail de cette affaire c'est que les services de Mme Burnand, conseillère administrative de la Ville de Genève et responsable de l'aménagement, sont intervenus auprès du département des travaux publics pour s'opposer à ce mode de faire. Nous ne comprenons pas que M. Joye ait accepté une chose pareille. Cela revient à dire que vous dérogez aux règles élémentaires et que tout propriétaire qui voudrait construire aurait le droit de doubler ses droits à bâtir ! Il n'est pas normal d'accorder ce genre d'avantages à certaines personnes.
La présidente. Monsieur Lyon, il vous reste une minute ! Votre temps est pratiquement écoulé !
M. Jean-Pierre Lyon. Merci, Madame la présidente !
Je rappelle, sans revenir davantage sur le sujet, puisque je n'en ai plus le temps, l'affaire de La Jonction, les anciens terrains du Palais des expositions. J'ai eu la possibilité d'interpeller M. Joye sur ce problème.
La liste pourrait être encore plus longue, mais la présidente me coupe la parole ! Je me permettrai donc, Madame la présidente, de redéposer une interpellation sur ce sujet pour aborder les problèmes qui n'ont pas pu l'être ce soir.
En résumé, je demande à M. Joye s'il a l'intention de revoir ses relations avec la Ville de Genève, ou s'il veut continuer sur le terrain de la confrontation !
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Monsieur Lyon, je vais vous répondre, mais si vous ne prenez pas la peine de m'écouter, comme tout à l'heure, cela ne vaut peut-être pas la peine !
Une voix. Jean-Pierre, on te parle !
Une voix. Ecoute !
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Voilà, Monsieur Lyon, vous arriverez à m'écouter ? Bon !
1) Je m'entends très bien avec Mme Burnand.
2) Les relations entre la Ville et l'Etat, du point de vue de l'aménagement du territoire et des constructions, sont marquées par une collaboration bimensuelle. Nous avons des relations privilégiées, Monsieur Lyon, contrairement à ce que vous pensez. Nous continuons à traiter avec la Ville de Genève selon des modes de discussion qui mettent en avant les grandes capacités de cette dernière dans son service d'aménagement et dans son service d'architecture, grâce à deux services qui sont extrêmement bien outillés. Il y a cependant une très forte évolution... (Intense brouhaha. M. Joye s'arrête, agacé.) Madame, vous pouvez demander que les gens se taisent, s'il vous plaît ! (La présidente fait sonner sa cloche.) L'évolution est très forte dans les doctrines d'aménagement et, de ce côté, nous avons des divergences avec la Ville de Genève. Voulez-vous dire combien de zones villa vous voulez conserver ? Lorsque je demande à mes interlocuteurs de la Ville de Genève combien de villas il y a sur le territoire genevois, personne n'est capable de me répondre ! Moi, je prétends qu'il y en a neuf cents pour huitante-huit mille appartements, soit 1,07%. Il me semble que nous sommes en train de faire fausse route. En effet, la Ville de Genève a fait un plan directeur 2001 intéressant en soi, mais son grave défaut est d'être partie de données dont l'expérience montre qu'elles sont maintenant totalement dépassées. Les réactions du Mervelet, à La Forêt, ainsi que dans tous les différents secteurs en sont la preuve. Ces données reposaient sur des idées urbanistiques datant des années 50 à 60, et c'est pour cela que nous avons quelques difficultés avec la Ville de Genève.
Je tiens à préciser que ce sont des difficultés qui ne relèvent pas d'un manque d'entente, mais d'un agiornamento que la Ville de Genève doit effectuer dans des domaines délicats :
1) Une rigueur inutile dans l'application des PUS. Ce n'est plus possible de prescrire des pourcentages à l'unité et au centième près.
2) Une appréciation totalement nouvelle de la manière d'urbaniser les zones villa.
3) Une appréciation totalement nouvelle de la destinée des friches industrielles qui quittent Genève à une vitesse extrêmement rapide et qui font que les Tavaro, les SIP et autres zones industrielles devront connaître une révolution du point de vue de leur affectation qui ne fait pas plaisir à la Ville, mais à laquelle elle devra bien se résoudre.
4) Tout cela rentre dans le chapitre de la mixité.
5) Puisque nous avons des bâtiments existants, par exemple des friches industrielles, il faudra expliquer aussi, ce qui engendrera une modification supplémentaire pour les Charmilles, qu'il est possible de construire un cycle ou de l'aménager dans des friches industrielles existantes comme Tavaro. Cela coûte beaucoup moins cher et cela laisse des surfaces plus intéressantes à disposition aux Charmilles.
En ce qui concerne les locaux situés au rez-de-chaussée, toutes les villes du monde essayent de trouver des solutions au lancinant problème de la réaffectation des rez-de-chaussée qui restent vides parce qu'ils étaient destinés à des affectations commerciales. Lorsqu'il n'y a plus de demande pendant plusieurs années, il faut trouver des solutions.
S'agissant de la modification de l'arborisation et du mail piétonnier, Monsieur Lyon, cette zone relève plutôt de la préhistoire, en tout cas elle ne me concerne guère, puisque tout le plan localisé des Charmilles, qui est un «raté» monumental, n'a certainement pas été édifié cette année passée !
Pour ce qui est de Frontenex, les mandataires ont déposé quatorze projets en dix ans environ. La solution qui a été obtenue est exactement ce que la Ville voulait, mais présentée d'une autre manière. C'est moi qui m'en suis occupé :
Premièrement, les deux villas sont à disposition de la collectivité, ce que la Ville souhaitait et, deuxièmement, la surface qui se trouve devant les villas est dégagée pour permettre une urbanisation de ce quartier qui préserve la qualité incomparable du site tout en respectant les densités.
Enfin, du point de vue de la densité, contrairement à ce que vous dites, Monsieur Lyon, les densités actuelles ne divergent pas du tout des premières densités. La disposition urbanistique choisie est une disposition de grande qualité.
Pour finir, nous pensons que la Ville de Genève est une commune-phare. Vous oubliez que beaucoup de compétences de par la loi n'incombent pas à la commune et que, lorsque la commission d'urbanisme cantonal et la commission d'architecture cantonale préavisent différemment, c'est encore au pouvoir cantonal de procéder à la pesée générale des intérêts. Mais, comme vous le savez, c'est un des buts de ce Conseil de tenter de déléguer des compétences avec la Ville de Genève. Nous nous y attachons et nous arriverons à des solutions intéressantes.
Je me propose de vous remettre, si vous le désirez, un échange de correspondance que j'ai eu avec Mme Burnand et qui vous montrera que nous avons traité avec beaucoup d'attention les problèmes posés par la Ville de Genève. Mais une mise à jour doit absolument être faite au niveau politique et au niveau de la planification dans le cadre de la Ville.
La présidente. Monsieur Jean-Pierre Lyon, désirez-vous répliquer à cette séance ou à une séance ultérieure ?
M. Jean-Pierre Lyon (AdG). Madame la présidente, si je veux aborder d'autres sujets, ce sera dans une autre séance, je n'ai pas le temps de traîner... (Rires.)
M. Joye a prétendu avoir de très bonnes relations avec Mme Burnand. Je ne sais pas si j'ai discuté avec la même Mme Burnand. Je lui ai écrit à propos de ces problèmes pour savoir si le Conseil administratif avait examiné ce point. Alors, je vais vous lire deux paragraphes de cette lettre. Je pense qu'ensuite vous devrez réviser votre déclaration :
«Monsieur le conseiller municipal,
Le Conseil administratif a déjà répondu longuement à vos préoccupations concernant le centre commercial des Charmilles. Il n'entend pas revenir sur ce courrier du 9 novembre 1994.
Il tient toutefois à rappeler qu'il ne peut pas y avoir de véritable autonomie communale tant que le Conseil d'Etat peut légalement passer outre le préavis communal, notamment en ce qui concerne les plans localisés de quartier. C'est le cas pour le projet des Charmilles qui a été réalisé contre l'avis de la Ville de Genève.».
Je ne vous lis pas le reste, parce qu'il y en a autant pour tous les points que j'ai développés. Madame la présidente, vous pouvez considérer mon interpellation comme close. J'aborderai les autres sujets ultérieurement.
Cette interpellation est close.