Séance du
jeudi 8 décembre 1994 à
17h
53e
législature -
2e
année -
2e
session -
46e
séance
I 1920
Mme Sylvie Hottelier (AdG). Monsieur Ramseyer, j'aimerais aborder ce soir un sujet qui nous agace tous deux, mais pas pour les mêmes raisons ! C'est le respect de la démocratie directe. Plusieurs députés vous ont, cette année, interpellé sur l'attitude de la police au cours des manifestations, occupations et actions de rue non violentes. Vous y avez chaque fois répondu ironiquement et n'avez pas hésité à rajouter de fausses informations pour pimenter vos réponses et amuser le public. C'est indigne du rôle d'un conseiller d'Etat et insultant pour celles et ceux qui, Dieu merci, ne partagent pas forcément votre idéal de vie !
Quels moyens efficaces y a-t-il à disposition d'une population pour se faire entendre ? Descendre dans la rue pour y exprimer son mécontentement, son soutien ou ses revendications, ou occuper pacifiquement certains lieux stratégiques. Le droit et la participation aux manifestations de rue sont un devoir légitime de quiconque est en désaccord avec la politique d'un gouvernement. Que cela vous plaise ou non, le peuple a droit à la liberté d'expression. Votre «boulot» consiste à gérer intelligemment le département de justice et police dans l'intérêt de la population genevoise et non à utiliser ce poste pour réaliser vos petits fantasmes de pouvoir ou servir vos intérêts personnels.
Vous ne l'ignorez pas, les actions, occupations ou manifestations visent à exprimer publiquement une opinion, à réagir à certaines absurdités ou injustices et également à diffuser largement une information, d'où la présence indispensable de la presse. Je me permets cependant de le préciser, car j'ai constaté à plusieurs reprises que le DJP s'obstine à autoriser des parcours dans les rues les moins passantes. Soyons logiques, une manifestation n'a d'impact que lorsqu'elle se déroule dans des lieux fréquentés ! Personne n'est assez idiot pour accepter de crier son indignation dans des rues désertes !
D'autre part, pourquoi essayer d'épargner les citoyens automobilistes ? Certains sujets les concernent aussi et je ne vois pas pourquoi ils seraient dispensés de s'arrêter un peu pour y réfléchir. Ces dernières années, toutes les expressions de démocratie directe se déroulaient dans une atmosphère plutôt paisible, sans heurts avec les forces de l'ordre. Mais les choses ont changé et on se «paie» actuellement un flash-back années 70 ! On voit réapparaître les policiers en surnombre avec tout l'attirail de choc, casques, masques à gaz, matraques et boucliers. On ferme les quartiers et quand on évacue, ça barde !
Un exemple récent, c'est la cathédrale Saint-Pierre d'où les occupants ont été évacués sans ménagement par une brigade d'intervention masquée. Les manifestants n'ont opposé aucune résistance, cependant, certains d'entre eux ont été jetés à terre à demi étouffés, la tête écrasée par les bottes des policiers, les doigts enfoncés dans les orbites... (Grand brouhaha, l'oratrice s'énerve.)
Mais vous vous la coincez cinq minutes ! C'est pas possible ! J'en ai pas pour très longtemps. (Commentaires.)
La présidente. Cette interpellation concerne le Conseil d'Etat, si elle ne vous intéresse pas, vous pouvez quitter la salle.
Mme Sylvie Hottelier. Ouais, faut qu'ils se tirent !
...même le militant infirme n'a pas été épargné ! Il a retrouvé sa chaise roulante avec un pneu crevé ! (Rires.) Miraculeusement, les sévices ont immédiatement cessé au bas de l'escalier de la cathédrale où attendaient des journalistes. Légère démesure pour une action pacifique. C'est à se demander dans quel pays nous vivons exactement !
L'autre exemple concerne Contratom, bien connue pour son engagement dans la lutte contre Superphénix et contre les absurdités pro-nucléaires galopantes dans nos régions. Depuis quelques mois, vous et certains de vos collègues du parti radical ont tenté de faire mauvaise publicité à cette association. Je ne m'arrêterai pas sur un article récent du journal radical «Le Genevois», particulièrement malveillant, mais je reviendrai sur le fait que je vous ai déjà entendu au moins quatre fois vous plaindre du coût de la manifestation de Contratom du 12 avril 1994. Les fameux 10 000 F. Entre parenthèses, 10 000 F pour un nettoyage de costumes... Vous avez certainement dû vous faire rouler, parce que ce n'est jamais aussi cher que ça !
Qui a vraiment dérapé dans cette affaire ? Il faut remettre les pendules à l'heure. Cette association a, depuis 1986, organisé de multiples actions, occupations et manifestations sans dégâts, toujours avec humour et non-violence. Revenons à cette manifestation-là, où j'ai moi-même sollicité une autorisation du DJP pour une marche de la zone piétonne du Mont-Blanc au consulat de France. Le parcours a été précisément défini par le chef d'état-major, et surtout - ce qui est chose rare, je l'admets - scrupuleusement respecté par les quatre mille personnes présentes. Il avait été convenu - j'ai l'autorisation ici signée de votre main - que la manifestation emprunterait, à la fin du parcours, la rue Saint-Léger, la rue Sénebier et la rue J.-Imbert-Galloix se trouvant aux abords du consulat de France, que les manifestants s'y arrêteraient un quart d'heure pour les discours et que la manifestation se terminerait dans le parc des Bastions par un concert autorisé par la Ville de Genève.
Or, la police change le parcours à la dernière minute et le cortège se retrouve coincé dans une petite rue sans issue, le cul-de-sac étant provoqué par une impressionnante rangée de policiers, les grilles du parc des Bastions verrouillées. Impossibilité d'avancer ou de reculer et le chef de l'état-major qui propose alors que les manifestants fassent demi-tour. Devant une telle provocation, certains se fâchent, d'où les jets de peinture rapidement maîtrisés par le service d'ordre interne. Cependant, la tension continue de monter, car la police maintient le barrage. Afin de calmer la foule, des orateurs montent sur le toit d'un bus garé dans la rue et parviennent, après moult discussions, à obtenir l'enlèvement des barrières et l'ouverture de la grille des Bastions.
Contratom n'est pas venue se plaindre au DJP du coût des factures de nettoyage des vêtements de ses militants et de la remise en état du bus. Alors, Monsieur Ramseyer, ne soyez pas mauvais perdant ! Ce jour-là, vos services ont fait une «boulette» ! Quatre mille personnes en sont témoins. S'il vous reste un peu de dignité, ayez au moins la franchise de l'admettre et cessez ces attaques infantiles contre une association d'utilité publique qui défend la Constitution et l'avenir des générations futures avec le soutien de la population genevoise, moins quelques radicaux, sans ménager ses forces.
Je connais votre devise : «Il faut pruner !». Choisissez bien où vous balancez les prunes ! (Eclats de rires sur les bancs de l'Entente.) Car vous le savez - je vous le répète, car vous semblez l'oublier - la répression et la mauvaise foi engendrent la violence. Si Genève en a été préservée cette dernière décennie, c'est bien grâce à un DJP qui avait compris que la liberté d'expression ça se respecte. Peut-être vaudrait-il mieux mettre en sourdine vos méthodes de pression, à moins que vous ne préfériez l'affrontement direct. Je ne suis pas certaine que les nouvelles générations adopteront la non-violence face à des méthodes commençant à ressembler à celles des pays totalitaires.
Ma question est simple. Que choisissez-vous, la «prune» ou la plume ? (Rires.)
La présidente. M. Ramseyer répliquera à une séance ultérieure. (Sifflets des députés de l'Alliance de gauche.)
Mme Sylvie Hottelier. Alors là, c'est n'importe quoi ! C'est nul !