Séance du jeudi 8 décembre 1994 à 17h
53e législature - 2e année - 2e session - 45e séance

M 956
26. Proposition de motion de Mmes Fabienne Blanc-Kühn, Micheline Calmy-Rey, Liliane Charrière Urben et Christine Sayegh concernant la clinique dentaire de la jeunesse. ( )M956

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

 la décision du Conseil d'Etat de regrouper les activités de la Section de médecine dentaire, de la Policlinique universitaire de médecine dentaire et de la Clinique dentaire de la jeunesse;

 la fermeture de la Clinique dentaire de la jeunesse prévue dans le projet de budget 1995;

 la compression, les réductions importantes de prestations de la Clinique dentaire de la jeunesse annoncées dans ce même projet;

 l'absence de soins qui pourrait en découler pour des jeunes dont les parents ont des revenus modestes;

 l'inquiétude, les informations contradictoires, qui se font jour dans les familles, dans le corps enseignant et parmi le personnel de la Clinique dentaire de la jeunesse,

invite le Conseil d'Etat

 à présenter au Grand Conseil le rapport du groupe de travail mandaté par le Conseil d'Etat pour étudier les conditions de regroupement des trois centres mentionnés et leurs conséquences;

 à informer dans les plus brefs délais tant le personnel de la Clinique dentaire de la jeunesse quant au sort qui l'attend, que les familles, respectivement le corps enseignant primaire (dans les classes de qui ont lieu les animations d'information), sur ses intentions réelles et l'avancement des études entreprises à propos du regroupement des établissements mentionnés ci-dessus;

 à faire connaître de manière précise ses intentions quant au maintien des prestations d'aujourd'hui dispensées par la Clinique dentaire de la jeunesse, à savoir prévention, soins et orthodontie;

 au cas où des diminutions, des suppressions ou des privatisations de prestations seraient envisagées, à présenter au Grand Conseil un projet de loi afin que le parlement puisse se prononcer.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Aussi bien le projet de budget général pour 1995 (pages 117 et 118), que la version plus détaillée concernant le département de l'instruction publique (pages 5 et 81) font état de la décision du gouvernement de regrouper3 entités qui, principalement ou subsidiairement, dispensent des soins dentaires à la population: la Section de médecine dentaire, la Policlinique universitaire de médecine dentaire et la Clinique dentaire de la jeunesse.

Pour ce qui est de la Clinique dentaire de la jeunesse qui fait l'objet de la présente motion, on sait qu'elle exerce à la fois une action d'information et de prévention, de dépistage et de soins. Ces objectifs ont été remplis à satisfaction puisque, selon des sources dignes de foi, l'état bucco-dentaire de la jeunesse genevoise est particulièrement bon. Cela tient pour beaucoup à la prévention faite régulièrement dans les écoles et aux soins dispensés par la clinique. On ne peut imaginer que le Conseil d'Etat envisagerait de supprimer d'un trait de plume ce qui depuis plus de 20 ans est une réussite en matière de santé. Est-il besoin de souligner que, sans la Clinique dentaire de la jeunesse, nombre d'enfants et de jeunes ne seraient tout simplement pas soignés, du moins pas à temps, que parmi les plus petits souvent, certains ignoreraient longtemps encore les principes élémentaires de l'hygiène dentaire?

Quant à penser que les jeunes qui ne pourraient plus bénéficier des soins de la Clinique dentaire de la jeunesse se tourneraient, ou plutôt leurs parents, vers le secteur privé, c'est une illusion. La démarche même de consulter un dentiste n'est déjà pas facile pour un adulte. On voit mal un enfant d'école enfantine, ou plus jeune, solliciter ses parents de le conduire à une consultation dentaire. S'y ajoute que ces soins ne sont pas couverts par les assurances-maladie, ce qui retardera encore la démarche, quand elle ne l'annulera pas définitivement, parfois sous le prétexte, pour ce qui est des petits, que, de toute façon, «ces dents-là elles tomberont quand même».

Les bruits circulent sur l'avenir ou le non-avenir de la Clinique dentaire de la jeunesse, des rumeurs de toute sorte alimentent l'inquiétude et l'amplifient, nous l'espérons sans raison. Par exemple on cite le chiffre de 80% de prestations qui seraient supprimées. Il faut bien reconnaître que les textes dont nous disposons évoquent explicitement des perspectives «compression» «réduction» «abandon» de prestations et de personnel. Dès lors on peut comprendre que les employés de la Clinique dentaire de la jeunesse se demandent à quelle sauce ils seront mangés. Mais seront-ils seulement mangés?

Lors de divers échanges à propos des lignes budgétaires et de celle de la Clinique dentaire de la jeunesse en particulier, la cheffe du département de l'instruction publique a donné un certain nombre de renseignements et a notamment cité un groupe de travail chargé par le Conseil d'Etat d'étudier le regroupement des établissements dont il s'agit. Mme M. Brunschwig Graf s'est engagée à faire connaître le résultat de ces travaux. Nous l'en remercions mais estimons que, dans l'intervalle de cette communication, il est indispensable que toutes les parties concernées, personnel de la Clinique dentaire de la jeunesse, parents et enseignants, soient informés, voire rassurés, de même que ce Grand Conseil, ne serait-ce que pour rétablir un climat de sérénité et de confiance.

Débat

Mme Liliane Charrière Urben (S). Permettez-moi, à propos de cette motion, de resituer la clinique dentaire de la jeunesse, car il n'est peut-être pas évident pour tout le monde de se souvenir de quoi il retourne, resituer la clinique dentaire de la jeunesse et son avenir, car je crois de tout coeur qu'elle en a encore un, dans les objectifs de la politique genevoise en matière de santé, de prévention et de soins.

La CDJ est présente dans les textes légaux. On la trouve dans la loi sur l'office de la jeunesse à l'article 8, relatif au service de santé de la jeunesse, je cite : «Le service de santé de la jeunesse, sous la direction du médecin chef, est compétent dans toutes les questions concernant l'hygiène et la santé des mineurs, en particulier de ceux qui fréquentent les écoles publiques et privées. Ils ne pratiquent pas de traitement à l'exception de sa section clinique dentaire de la jeunesse dirigée par un médecin-dentiste.».

La CDJ a trois missions :

1) La prophylaxie, c'est-à-dire informer, sensibiliser les enfants à l'hygiène dentaire, les informer sur une alimentation saine et sur l'entretien des dents, ce que l'on appelle le brossage des dents dans les écoles.

2) Le dépistage. Dès le début de la scolarité, tous les enfants passent une visite de dépistage avec leur classe. Le but est évident : dépister précocement toute atteinte à la santé bucco-dentaire. On sait que la population scolaire genevoise a un excellent état de santé dans ce domaine.

(Chahut, la présidente frappe sur sa cloche, l'oratrice est agacée.) La buvette est ouverte !

Le dépistage de la CDJ est pour beaucoup dans la santé de nos enfants. Elle effectue à peu près vingt-six mille cinq cents contrôles par an. Les soins sont la suite logique du dépistage : dix mille jeunes patients sont soignés chaque année.

3) L'orthodontie concerne les soins et les appareillages nécessaires, lorsqu'il y a malformation de la mâchoire ou mauvaise disposition des dents.

Ces trois activités de la CDJ sont mises en place, pour la majeure partie d'entre elles, avec la collaboration des enseignants, puisque c'est par les écoles que l'on atteint les enfants. Souvent l'implantation, dans les bâtiments scolaires, de bâtiments décentralisés facilitent les choses, puisque c'est là que les enfants sont soignés.

Où se trouve précisément la CDJ ? Certains d'entre vous ont peut-être le souvenir d'un bâtiment assez peu sympathique qui se trouvait dans le quartier de l'hôpital. C'est fini. Un cabinet principal existe aux Acacias conjointement avec la direction et l'administration. Mais la CDJ comporte aussi des cabinets décentralisés installés dans les bâtiments scolaires, trois en Ville de Genève, aux Eaux-Vives, aux Franchises et aux Pâquis et huit en communes suburbaines à Bernex/Lully, Lancy en Sauvy, Vernier/Avanchets et Libellules, Meyrin/La Prulay, Onex/Bosson, Grand-Saconnex/La Tour, Thônex, Adrien-Jeandin. Il existe également deux cabinets ambulants circulant dans les communes éloignées du centre.

Ces cabinets décentralisés évitent les déplacements, les accompagnements obligatoires si un enfant doit se rendre loin de son quartier, les pertes de temps, puisque, dorénavant, le cabinet est sur place à l'école ou, le cas échéant, dans l'école du quartier, pas très loin de l'école fréquentée par chaque enfant. Les conditions psychologiques sont ainsi certainement meilleures. Les soins dentaires dispensés à l'école dans un milieu connu suscitent moins d'appréhension que dans un cabinet médical habituel. Les résultats de l'activité de la CDJ sont bien connus, puisque - je le répète encore une fois - la santé bucco-dentaire de nos jeunes est excellente. Je vous signale à ce sujet que dans le canton de Zurich, où on a réduit sinon supprimé ce même type d'activité, on s'aperçoit au bout de deux ans que l'état bucco-dentaire des enfants se dégrade.

Alors, pourquoi déposer une motion ? En plein coeur de l'été, le 27 juillet, le Conseil d'Etat décide de regrouper en un seul service les trois établissements genevois qui dispensent les soins dentaires. Il s'agit donc de la section de médecine dentaire de l'université, de la policlinique universitaire de médecine dentaire et de la clinique dentaire de la jeunesse. Regroupement de services : c'est le terme «version douce» ! En réalité, après le 27 juillet, on ne tardera pas à comprendre, dès la rentrée, et à entendre parler de fermeture de la clinique dentaire de la jeunesse - cela a un relent peu sympathique - et ce plan drastique ne tardera pas à être confirmé dans diverses rubriques budgétaires du projet de 1995. Evidemment, les réactions sont fortes et on entend de tout côté : «clinique dentaire : on ferme !», bis, repetita ! Beaucoup de questions et de doutes à ce propos.

Pour en avoir le coeur net, tenons-nous en au texte disponible à ce jour. Dans la brochure bleue du budget, on trouve à la page 105, sous la rubrique prévention, l'explication suivante : «Resserrement, voire abandon, des prestations qui peuvent être assurées par d'autres organismes. L'office de la jeunesse a engagé une réorganisation de l'ensemble de ses services, donnant priorité à la prévention auprès des jeunes enfants et adolescents.». Conséquences : cela conduira progressivement au transfert de prestations pour adultes au département d'action sociale et de la santé, au resserrement, voire à l'abandon, des prestations qui peuvent être assurées par d'autres organismes ou confiées au secteur privé.

La fermeture de la clinique dentaire de la jeunesse et la reprise des prestations indispensables par la section de médecine dentaire de l'université vont dans ce sens. On retrouve les mêmes informations dans le budget sous d'autres rubriques, notamment celles relatives à l'université, à la page 119, on voit qu'on fait une économie de 1,5 million. Dans le budget du DIP, on constate effectivement qu'il y a une diminution de postes à la clinique dentaire de la jeunesse, mais cette différence n'ascende même pas à deux postes, il s'agirait exactement de 1,9 poste. Un million et demi ne représente sûrement pas deux postes; cela m'étonnerait !

Il s'agit donc bien de diminution des prestations dispensées aux enfants. Vous trouverez, à la page 4, dans la brochure jaune du DIP, les mêmes explications que dans la brochure bleue, dans laquelle on répète qu'il s'agit bien de «reprise de prestations indispensables». Mais que veut dire «indispensables» lorsqu'une telle somme est supprimée. C'est peut-être le moment de s'interroger pour savoir qui dispense quelles prestations. En effet, pour regrouper - sans même encore évoquer une éventuelle fermeture - encore faut-il que les éléments à regrouper présentent des convergences et des compatibilités. Sans dire qu'il n'y a rien de commun entre ces trois établissements, leur compatibilité comporte de telles limites qu'elle fait sérieusement douter de l'intérêt de l'entreprise !

La section de médecine dentaire de l'université a pour buts principaux d'enseigner, de former des médecins-dentistes et de se consacrer à la recherche. Les soins dispensés, notamment à des patients hospitalisés à l'hôpital cantonal, ne sont pas l'essentiel de ces objectifs. La section de médecine dentaire intervient auprès d'adultes et non pas auprès d'enfants. Les intervenants sont des étudiants, des gens en fin de formation qui, sous la responsabilité de médecins diplômés, traitent ces patients. Cette section de médecine dentaire a-t-elle les moyens, des structures, le personnel pour accueillir ambulatoirement des enfants comme le fait la CDJ ? On peut en douter !

Soigner des enfants requiert une autre approche. Il faut les apprivoiser, les tranquilliser, prendre du temps autant qu'accomplir un acte technique et médical. En médecine générale, on a bien compris la différence, puisque les soins aux enfants font l'objet d'une spécialisation : la pédiatrie.

La policlinique universitaire de médecine dentaire, elle, traite ambulatoirement et principalement toujours des adultes - pas des enfants - des adultes démunis, qui ont peu de moyens et qui ne peuvent consulter un dentiste privé. Elle soigne également des gens mal insérés dans la société qu'on dirige là parce qu'il faut bien qu'ils se fassent soigner. A ma connaissance, la policlinique n'a pas la pratique du travail avec des enfants. On peut également sincèrement se demander s'il serait très judicieux de mélanger des publics adultes, parfois un peu particuliers, avec des enfants. Et si même, par impossible ou par miracle, ces deux établissements se convertissaient rapidement...

La présidente. Madame Charrière Urben, il vous reste une minute !

Mme Liliane Charrière Urben. Alors, je vais faire vite !

...se recyclaient dans les soins aux enfants, comment résoudrait-on la question de la capacité d'accueil en matière de nombre : je vous le rappelle, dix mille traitements par an ! La policlinique et la section de médecine dentaire sont-elles prêtes à absorber seulement la moitié de ces patients ? Que deviendront les installations existantes dans les dix ou douze cabinets décentralisés et les cabinets ambulants ? Va-t-on les vendre aux enchères ?

Je ne parle pas du personnel qui est très inquiet et dont les statuts sont parfois précaires. Il est important que nous soyons informés sur ce qui se trame; il est important que l'on maintienne à tout prix les prestations qui sont dues et qui sont actuellement dispensées aux enfants. (Le brouhaha est toujours intense.)

Afin de pouvoir en discuter avec sérénité, je vous propose de renvoyer cette motion à la commission de l'éducation.

M. Chaïm Nissim (Ve). Ma préopinante vous a parlé de dépistage et de décentralisation des soins.

Mes deux filles, Sylvia et Yael, ont bénéficié toutes les deux des soins dispensés dans un camion dans la cour de leur école primaire. On leur a examiné les dents et on a soigné deux caries à la plus grande, pour un prix tout à fait modique. Elle a payé une fois 16 F et l'autre fois 25 F.

Je ne sais pas ce que vous allez faire au niveau du regroupement de vos trois organismes. A priori, je ne suis pas contre, mais j'aimerais que l'aspect social et préventif soit maintenu dans votre réorganisation.

M. Gilles Godinat (AdG). Beaucoup de choses ont déjà été dites par Mme Liliane Charrière Urben.

J'aimerais toutefois insister sur deux aspects. Nous soutenons évidemment cette motion, mais il fallait à mon avis développer aussi la problématique par rapport à la policlinique dentaire. En effet, je vais citer deux extraits des documents que nous avons reçus concernant, d'une part, la clinique dentaire de la jeunesse et, d'autre part, la policlinique.

Dans la lettre du 14 septembre, la direction de la clinique dentaire indique, en page 5 : «Il paraît opportun de préciser que si la clinique devait se voir imposer de nouvelles mesures restrictives en supplément à celles qui ont déjà été planifiées, cela compromettrait gravement son activité, ce qui serait tout particulièrement préoccupant compte tenu de sa vocation sociale.».

Dans le rapport demandé à M. Jaccard, en 1992, pour évaluer les soins de la policlinique dentaire universitaire, ce dernier conclut : «Les dotations actuelles en médecins-dentistes, fixes auxiliaires, à savoir 5,8 postes, sont juste suffisantes. Les dotations en réceptionnistes médicales, 1,5 poste, et en aides dentaires, 3,1 postes, sont raisonnables. Il est probable que les médecins-dentistes détachés dans les cabinets dentaires extérieurs voient le volume de leurs soins augmenter à l'avenir, ainsi que leurs responsabilités dans la prévention. On peut également estimer que l'unité mobile jouera de plus en plus un rôle important pour les soins bucco-dentaires à domicile des personnes âgées, malades ou handicapées.». Or, la présidente du DIP a récemment confirmé que des licenciements étaient envisagés. (Mme Brunschwig Graf fronce les sourcils.)

M. Gilles Godinat. Vous l'avez confirmé !

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Quand ça ?

M. Gilles Godinat. Récemment !

Vous avez dit, Madame...

La présidente. Je vous en prie, Monsieur Godinat, Mme la conseillère d'Etat répondra en temps voulu.

M. Gilles Godinat. Il a été répondu au personnel des établissements concernés qu'il n'y aurait pas de licenciements massifs, mais qu'il y en aurait toutefois. Nous pensons que l'objectif de réduction de 1,5 million sur ces trois établissements met en péril les prestations concernées.

M. Roger Beer (R). Après le très long exposé de Mme Charrière Urben, on se rend compte qu'effectivement il vaut la peine d'étudier l'objet de cette motion en commission.

Lors de la pétition dont vous avez parlé, nous avons déjà évoqué ce problème à la commission de l'enseignement et de l'éducation. Nous avons déjà obtenu un certain nombre de réponses et surtout l'information que le regroupement allait être effectué. Nous n'allons pas en débattre maintenant, mais chaque fois que le gouvernement essaie de regrouper et de décloisonner les différents départements, car il se rend compte que parfois les mêmes choses sont faites à des endroits différents, tout de suite une levée de boucliers se manifeste. Les fonctionnaires, les parlementaires et, bien sûr, les parents expriment alors leurs inquiétudes.

Monsieur Nissim, mes enfants vont également se faire soigner dans le bus prévu à cet effet et tout se passe bien, mais cela ne m'empêche pas d'avoir envie d'entendre les propositions de Mme Brunschwig Graf ! Si certaines prestations devaient être touchées, je ne pense pas que ce sera le cas de celle-ci. Nous devons accorder un certain crédit, voire une certaine confiance, à la responsable du département pour réaménager des secteurs qui nécessitent une certaine rationalisation. Evidemment, cela peut déranger, mais le but final est de faire des économies sans toucher aux prestations.

Le groupe radical, dans cette optique, se réjouit d'entendre les différentes réponses à la commission de l'enseignement et de l'éducation.

M. Bernard Clerc (AdG). Nous soutiendrons cette motion, mais nous regrettons qu'elle porte seulement sur la clinique dentaire de la jeunesse.

La policlinique de médecine dentaire joue un rôle très important pour toute une série de personnes marginalisées dans notre société, qu'il s'agisse de toxicomanes, de personnes assistées, ou d'un certain nombre de personnes âgées. Je voudrais rendre ce parlement attentif au fait que tout le monde a salué la sortie du rapport sur la toxicomanie, qui est en discussion actuellement à la commission des affaires sociales et à la commission de la santé, et que l'on y a fait état du rôle important de la santé buccale chez les toxicomanes et de la place importante prise par la policlinique de médecine dentaire à ce niveau.

Je trouverais un peu contradictoire que l'on développe une politique en matière de toxicomanie dans laquelle s'insère la policlinique de médecine dentaire et que, par ailleurs, on remette en question un certain nombre de prestations. On nous a dit que les prestations seront maintenues. Moi, je veux bien. J'applaudis des deux mains ! Mais si les prestations sont maintenues et que l'on dit que rien n'a été décidé, comment, alors, peut-on avoir déjà décidé qu'il fallait supprimer 1,5 million ! Il y a là une logique que je ne comprends pas.

Je vous invite donc à renvoyer cette motion en commission, afin que nous ayons une discussion approfondie et sérieuse. Quant à la question budgétaire, nous nous réservons évidemment d'y revenir lors du débat sur le budget.

Mme Micheline Calmy-Rey (S). Je ne tiens pas à me prononcer sur l'opportunité de la réorganisation à envisager, mais sur la manière de faire.

Madame la présidente du département, vous voulez nous faire adopter, au travers d'un vote général sur le budget de l'Etat, une restructuration qui se traduit en termes budgétaires par une forte baisse de la dotation de la rubrique concernant la clinique dentaire de la jeunesse, la policlinique universitaire de médecine dentaire et la section de médecine dentaire de l'université. Cette restructuration se traduit aussi en termes de services publics par un resserrement, voire par l'abandon de prestations, si l'on en croit les commentaires explicatifs figurant aux pages 105 et 119 du projet de budget 1995.

Or, je prétends que vous ne pouvez pas faire les choses de la façon dont vous l'envisagez. En effet, vous ne pouvez pas dessaisir le Grand Conseil d'une affaire qu'il a traitée. Une pétition intitulée «Pour une médecine dentaire plus juste» a été renvoyée à la commission des affaires sociales qui a rendu son rapport en septembre 1993. A ce rapport a été associée une motion acheminée à l'unanimité au Conseil d'Etat par le Grand Conseil.

Cette motion demandait au Conseil d'Etat de réfléchir aux moyens de simplifier l'organisation de la médecine dentaire publique, d'informer sur les prestations fournies et sur les tarifs appliqués et de veiller à ce que le personnel indispensable à l'exécution des buts fixés dans la loi soit maintenu. Nous attendons la réponse du Conseil d'Etat à cette motion. Tant que le rapport du Conseil d'Etat n'a pas été transmis au Grand Conseil, tant que ses conclusions n'ont pas été adoptées, tant qu'un projet de loi modifiant la loi actuelle n'a pas été voté, si tant est que des prestations prévues par la loi devaient être supprimées, comme l'envisage ouvertement le Conseil d'Etat, alors on ne peut pas faire voter des réductions drastiques de rubriques avant que le débat sur l'opportunité de la restructuration et de ses conséquences sur les prestations ait pu avoir lieu !

Certains d'entre vous penseront peut-être qu'après tout, foin du rapport du Grand Conseil, foin de la motion qui a été renvoyée au Conseil d'Etat, puisque l'article 80 de la constitution genevoise assure la souveraineté du Grand Conseil en matière budgétaire et que le Grand Conseil est libre de voter des diminutions même importantes de rubriques budgétaires. Désolée, mais cela ne fonctionne pas tout à fait de cette façon !

Le budget est au service de la mise en oeuvre des lois édictées par le législateur et ces lois s'appliquent au parlement lui-même. En l'occurrence, et pour ce qui concerne la clinique dentaire de la jeunesse, par exemple, c'est l'article 8 de la loi sur l'office de la jeunesse et l'article 61 du règlement de l'enseignement primaire qui s'appliquent. Ils stipulent que la clinique dentaire de la jeunesse est compétente dans le domaine de la santé bucco-dentaire des mineurs, qu'elle a la charge des mesures préventives et de dépistage et que, sur demande, elle fournit des soins aux enfants. Cet article sera-t-il encore appliqué après la restructuration envisagée ? Bien malin qui pourrait le dire aujourd'hui, puisque même vous, Madame la conseillère d'Etat, vous avez déclaré que vous n'aviez pas encore décidé des mesures à prendre, ni même s'il était légitime d'en prendre !

Dans ces conditions, le Conseil d'Etat ne peut pas proposer au parlement de réduire une dotation budgétaire mettant en cause l'exécution d'une tâche publique prévue par la loi, et le parlement ne devrait pas la voter, parce qu'ainsi il renoncerait à l'application de la loi elle-même !

En conséquence de quoi, Madame la présidente, vous devriez logiquement suspendre les réductions budgétaires envisagées pour 1995 concernant la clinique dentaire de la jeunesse, la policlinique de médecine dentaire et la section de médecine dentaire de l'université. Vous devriez répondre à la motion de la commission sociale et à celle que nous vous présentons ce soir et qui vous sera éventuellement renvoyée par le Grand Conseil. Vous devriez, le moment venu et les décisions prises, saisir le Grand Conseil avec un projet de loi ad hoc si des prestations étaient touchées, après quoi il serait temps de traduire tout cela en termes budgétaires.

Mais vous nous proposez la démarche inverse : des réductions budgétaires avant la réflexion et les décisions. Cette manière de procéder a été tentée il n'y a pas si longtemps avec la clinique de Montana et, vous le savez, elle a été sanctionnée par le peuple !

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Il y a de cela un mois, je répondais à une interpellation urgente de M. Godinat. Il posait un certain nombre de questions sur nos objectifs s'agissant des différentes entités qui procèdent à des soins dentaires et sur l'éventuelle réalité d'une réduction de 1,5 million de francs au budget 1995.

A cette occasion, j'ai donné des chiffres précis que je vais donc vous redonner. Il n'y a pas de réduction de 1,5 million sur le budget de la clinique dentaire. Le libellé de la rubrique figurant au budget bleu comprend un certain nombre de réductions dont vous aurez le détail au budget si vous le souhaitez. Les réductions exactes au budget 1995 sont de 500 000 F pour la clinique dentaire, de 600 000 F pour la clinique universitaire et de 400 000 F pour la policlinique.

J'ai confirmé par écrit au Syndicat interprofessionnel de travailleuses et de travailleurs, en accord avec les entités concernées, que les économies pouvaient être faites sur des budgets plus globaux que les cliniques dentaires. Des économies peuvent être faites, l'objectif est réalisable, cela m'a été confirmé.

La procédure suivie est la suivante. Le Conseil d'Etat, comme il en a le droit, a pris une décision de regroupement de type administratif, avec mission de rechercher les synergies et quelles éventuelles économies induites il serait possible de faire, les entités en présence collaborant et ne refaisant pas les même choses séparément. Nous avons chargé un groupe de travail, dans lequel les trois entités sont représentées, de nous présenter un rapport et des scénarios. Un rapport préliminaire m'a été remis et j'ai demandé, conformément à ce qui avait été décidé, de bien vouloir étudier plusieurs scénarios qui tiennent compte des responsabilités sociales de l'Etat, des problèmes qui pourraient être liés à l'emploi et des égards que nous devions avoir vis-à-vis d'un certain nombre de personnes, sans oublier les réalités politiques.

Ce rapport me sera remis à la fin du mois de janvier. J'ai dit en commission des finances - certains députés pourraient en témoigner - que ce rapport serait remis aux députés lorsqu'il serait terminé, afin qu'ils puissent en prendre connaissance. Ces explications ont été données au mois d'octobre, conformément aux invites de la motion :

1) présenter au Grand Conseil le rapport du groupe de travail : je m'y suis engagée, et je vous le répète;

2) informer dans les plus brefs délais le personnel de la clinique : j'ai passé deux heures et quart hier soir avec l'ensemble du personnel de la clinique à répondre aux questions et à l'informer.

Parenthèse, Monsieur Godinat. J'ai dit hier soir qu'aucune prestation, aucune activité, ne serait modifiée en quoi que ce soit d'ici la fin août 1995, que l'année scolaire se poursuivait normalement et que personne n'avait eu la mission de modifier en quoi que ce soit son activité.

J'ai demandé, et cela a été fait, que les contrats de droit privé à durée limitée soient renouvelés jusqu'à fin septembre 1995.

En outre, j'ai dit que l'on tiendrait compte des contrats de droit privé à durée limitée renouvelés maintes fois comme s'il s'agissait de contrats illimités, quelles que soient les décisions qui pourraient être prises après discussion des scénarios. Les syndicats qui ont reçu ma lettre savent que des séances sont prévues au mois de février avec le personnel de la clinique et que celui-ci sera consulté.

Je ne sais pas, à l'heure actuelle, à quoi aboutiront les scénarios. J'ai tout de même à rappeler une notion de vocabulaire. Un contrat à durée limitée qui n'est pas renouvelé n'est pas un licenciement.

Madame Calmy-Rey, vous ferez les amendements que vous souhaitez concernant l'office de la jeunesse et vous trouverez les économies ailleurs si vous le pouvez ! Pour ma part, je garantis que les obligations de l'Etat seront respectées. Je crois avoir ainsi répondu, déjà maintenant, aux invites de cette motion et je peux m'engager ici - la loi m'en fait obligation - que toute modification sera soumise au Grand Conseil.

A l'heure actuelle, je suis incapable, au vu des préliminaires que je vous ai donnés sur le plan du personnel, sur le plan social, sur le plan politique et sur le plan financier, de vous dire quel sera le scénario retenu. Dans le cas contraire, il ne serait pas nécessaire d'organiser une concertation, de faire un rapport, ni de faire analyser des données qui serviront également à répondre aux pétitions et motions déposées en leur temps.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'enseignement et de l'éducation est adoptée.