Séance du
vendredi 18 novembre 1994 à
17h
53e
législature -
2e
année -
1re
session -
43e
séance
R 280
EXPOSÉ DES MOTIFS
Lorsqu'une entreprise est organisée sous forme de société de capitaux, le bénéfice qu'elle réalise est frappé deux fois par l'impôt, dans la mesure où il est distribué: une première fois auprès de la société, et une second fois auprès de l'actionnaire en tant que rendement de la fortune.
La plupart des Etats membres de l'OCDE ont pris des mesures pour atténuer ou supprimer la double imposition sur les bénéfices distribués. En 1991, seuls la Belgique, le Luxembourg, la Hollande et les Etats-Unis d'Amérique utilisaient encore le système dit «classique» qui n'atténue pas la double imposition (voir OCDE, L'imposition des bénéfices dans une économie globale, page 57, 1991). Dans l'Union européenne, où tous les pays, à l'exception de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg atténuent ou suppriment la double imposition, un rapport de 1962 recommandait un système d'atténuation basé sur la méthode du taux d'impôt différencié. En 1975, la Commission a proposé l'adoption de la méthode du crédit d'impôt. Cette proposition de 1975 a été retirée en 1990, non pas parce que l'atténuation de la double imposition n'était plus considérée comme souhaitable, mais parce que la nécessité d'une harmonisation des systèmes fiscaux des pays membres était remise en question.
Dans un rapport très approfondi de 1991 («l'imposition des bénéfices dans une économie globale: question nationale et internationale), l'OCDE fait le point de la discussion et indique que, quelle que soit la théorie qui est adoptée, la double imposition économique tend à décourager les investissements dans le capital de sociétés jeunes et en expansion. C'est seulement pour les entreprises qui ont atteint leur vitesse de croisière et qui peuvent se financer en grande partie au moyen de bénéfices accumulés, que l'effet de distorsion résultant de la double imposition économique a moins de signification (idem, page 29).
On peut considérer en conséquence que l'effet de distorsion lié à la double imposition économique se produit surtout en relation avec la création de capital risque, pour des entreprises jeunes et en pleine croissance, qui n'ont pas encore une capitalisation suffisante pour être en mesure d'éviter la double imposition économique en ayant recours à l'emprunt pour assurer leur financement. La double imposition économique frappe donc en particulier les entreprises qui devraient au contraire bénéficier, à défaut de mesure d'incitation, au moins de la neutralité et de l'absence de distorsion à leur détriment.
Pour réduire ou supprimer la double imposition économique, deux systèmes peuvent être mis en oeuvre:
a) On atténue ou supprime la double imposition par des mesures prises au niveau des actionnaires, par l'imputation partielle ou totale de l'impôt sur le bénéfice payé par la société, sur l'impôt dû par l'actionnaire sur le revenu ou sur le bénéfice; c'est le système du crédit fiscal que connaissent notamment la France, l'Angleterre, l'Autriche, l'Italie, le Japon, le Canada, le Danemark, la Finlande, l'Islande, le Portugal, la Turquie, la Grèce, la Norvège, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et en partie l'Allemagne.
b) On atténue ou supprime la double imposition en mettant en oeuvre un système qu n'affecte pas l'impôt dû par l'actionnaire, mais au contraire l'impôt dû par la société sur la partie du bénéfice qui est distribuée; les mesures prises au niveau de la société peuvent être de deux types:
- le bénéfice distribué, à concurrence d'un certain pourcentage maximum du capital de la société, pourra être porté en déduction du bénéfice net imposable;
- un taux d'imposition réduit est applicable à la partie du bénéfice qui est distribuée (système du taux différencié).
L'un ou l'autre de ces moyens d'atténuer la double imposition par des mesures prises au niveau de la société est en application dans très peu de pays, la plus grande partie des pays ayant en général préféré atténuer ou supprimer la double imposition économique par un système de crédit d'impôt en faveur de l'actionnaire. Il fonctionne cependant à satisfaction en Allemagne depuis très longtemps.
Comme l'a constaté le Conseil fédéral dans son Message du 25 mai 1983, concernant les lois fédérales sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes ainsi que sur l'impôt fédéral («Message sur l'harmonisation fiscale»): «La réalisation du système du crédit fiscal se heurterait à des difficultés absolument insurmontables en raison de notre système fiscal à trois échelons (Confédération, canton et commune). Ne seraient ainsi réalisable en pratique que des mesures au niveau de la société» (page 60).
C'est aussi l'opinion qui a été émise par la Commission d'experts mandatée par le Groupe de défense des sociétés anonymes privées, dans un rapport de 1982 (page 69). Au terme d'une analyse extrêmement fouillée, la Commission d'experts arrive à la conclusion qu'il est très souhaitable d'atténuer la double imposition économique, et que deux méthodes peuvent être envisagées en Suisse: soit la déduction sur le bénéfice imposable d'un dividende dit normal, soit l'adoption du système du taux d'impôt différencié. D'après le premier système, les sociétés de capitaux pourraient déduire fiscalement un dividende allant jusqu'à 5% du capital propre imposable, limité toutefois à 50% au plus du bénéfice net imposable. Quant au système du taux d'impôt différencié, il consiste en ce que les bénéfices distribués par les sociétés de capitaux sont imposés à un taux inférieur à celui qui frappe les bénéfices accumulés.
Dans son rapport de 1982, la Commission d'experts mandatée par le Groupe de défense des sociétés anonymes privées avait retenu le système de la déduction d'un dividende dit normal parce qu'elle pensait que ce système pouvait être intégré dans la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes. Dans son Message du 25 mai 1983, le Conseil fédéral a considéré que la proposition de la Commission d'experts porterait «une sérieuse atteinte à la souveraineté des cantons en matière de barème tel que réservé à l'article 42quinquies de la Constitution fédérale» (page 61).
Il paraît en conséquence que le système du taux d'impôt différencié, qui pourra être introduit séparément au niveau de l'impôt fédéral, par l'Assemblée fédérale, et au niveau des différents impôts cantonaux par décision des différents Parlements cantonaux, est le système qui rencontrerait le moins de difficulté en Suisse pour atténuer la double imposition économique,
Nous vous proposons en conséquence d'atténuer la double imposition économique par l'utilisation d'un taux d'impôt différencié applicable au bénéfice de sociétés de capitaux.
Débat
Mme Anne Chevalley (L). Le dicton, «On ne crée la richesse qu'une seule fois» ne saurait s'appliquer plus judicieusement qu'à l'objet de la résolution que le Conseil d'Etat nous propose.
En effet, une société crée la richesse sur laquelle elle est imposée. En règle générale, elle est ensuite distribuée à son ou à ses actionnaires qui, à leur tour, acquittent dans notre pays un impôt sur la même richesse. Elle est donc taxée deux fois. C'est totalement illogique et démotivant, particulièrement pour les sociétés de famille dont les ayants droit ne comprennent pas pour quelles raisons ils ne sont pas traités de la même façon que les propriétaires de sociétés constituées sous forme de raison individuelle, en société simple ou en société en nom collectif. C'est pourquoi la double imposition économique a un caractère discriminatoire et ne peut qu'encourager la distribution cachée de bénéfices.
Malheureusement, la proposition de résolution ne demande pas la suppression totale de cette double imposition économique - les temps sont trop difficiles pour les finances - mais son atténuation par le biais de deux systèmes différents qui figurent à la page 3 de la résolution, sous lettre a) et b) que je ne vais pas développer ici, le but de mon intervention étant simplement de soutenir la démarche du Conseil d'Etat afin que des mesures soient prises sous quelque forme que ce soit.
Toujours plus d'Etat en vient à atténuer ou à éviter la double imposition. En effet, sur les vingt-quatre Etats membres de l'OCDE, dix-sept avaient déjà, à la fin de l'année 1981, introduit des allégements au niveau de l'impôt sur les sociétés ou à celui de l'impôt sur le revenu de l'actionnaire dans leur législation.
Seuls les Pays-Bas et la Suisse, sans parler de l'Australie et des Etats-Unis, en sont restés au système dit classique. Il n'est donc pas étonnant que la double imposition soit critiquée par les milieux économiques, car elle décourage les participations au capital de sociétés nouvelles et en expansion qui devraient au contraire, comme le dit le Conseil d'Etat, bénéficier, à défaut de mesures d'incitation, au moins de la neutralité et de l'absence de distorsions à leur détriment.
Certes, tant que la Suisse ne sera pas entrée dans l'Union européenne, elle ne sera pas soumise à l'obligation d'adapter ses dispositions législatives et réglementaires au droit fiscal communautaire.
Il n'en demeure pas moins que les divergences entre les dispositions fiscales communautaires et celles de notre pays concernent directement les résidants suisses dans leurs relations d'affaires avec les Etats de l'Union européenne et sont préjudiciables pour les résidants des Etats membres qui sont économiquement liés à la Suisse.
C'est pour toutes ces raisons que le groupe libéral vous invite à accepter la proposition de résolution concernant des mesures en vue d'atténuer la double imposition économique de la société et de l'actionnaire.
M. Bernard Clerc (AdG). Je suis un peu surpris de constater qu'une proposition de résolution de notre Grand Conseil provienne du Conseil d'Etat. Je ne sais pas si c'est une pratique courante. J'imaginais qu'en général il s'agissait de l'émanation de ce parlement.
Ma seconde surprise est de constater que le Conseil d'Etat, qui clame sur tous les tons que son objectif est de réduire le déficit du canton, entreprend des démarches pour diminuer les rentrées fiscales, et donc accroît le déficit. Je trouve cette position un peu particulière.
Ce matin encore, j'écoutais M. Haegi parler à la radio de la grève du zèle de la police et dire qu'il fallait que chacun fasse sa part. En l'occurrence, on souhaiterait visiblement que certains en fassent moins que d'autres.
Faut-il rappeler qu'en 1993, à Genève, les sociétés anonymes ont payé au titre de l'impôt de base un montant de 183 millions sur le bénéfice, ce qui représente un peu plus des 10% du bénéfice imposable et les 4% des revenus de l'Etat.
Pleurer sur la double imposition de la société des actionnaires est à mon avis particulièrement indécent lorsqu'on connaît l'évolution en Suisse des dividendes distribués à ce titre. Je vous cite quelques chiffres. En 1989, c'est une somme de 4,1 milliards qui était distribuée aux actionnaires. En 1992, c'était 6,1 milliards et en 1993, 6,8 milliards, soit une progression de 66% en cinq ans, et cela en dépit de la double imposition.
Quels sont dans ce pays les salariés qui peuvent annoncer qu'ils ont connu une progression de leur salaire de 66% en cinq ans, je vous le demande ?
Il est curieux que le discours soit différent lorsque le département de l'économie publique vante les mérites de Genève en le comparant sur le plan international. On y apprend alors qu'en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés Genève arrive à l'avant-dernière place après Francfort, Milan Bruxelles, Amsterdam, Paris et Londres. Où sont les désavantages comparatifs de la double imposition ?
En Suisse, la part des impôts au produit intérieur brut, il faut le rappeler, est de 20,8%. C'est le taux le plus bas de tous les pays de l'Union européenne vers lesquels nous exportons le plus.
Le total des impôts et des charges sociales constitue 32% du produit intérieur brut et, là aussi, c'est la proportion la plus basse en comparaison des pays de l'Union européenne.
Enfin, en proportion du produit national brut, les recettes fiscales sont passées de 15% en 1950 à 20% en 1980 et cette proportion n'a pas augmenté depuis. Elle a même légèrement diminué.
Après la suppression de l'impôt sur les gains immobiliers au-delà de la vingt-cinquième année de possession qui, d'après nos renseignements, constituera une diminution de la rentrée fiscale de l'ordre de 30 millions, après l'abattement de 75% de l'impôt sur le bénéfice des sociétés immobilières lors de leur dissolution, voici le troisième cadeau, celui accordé aux sociétés anonymes.
Vous comprendrez aisément notre opposition résolue à ce projet de résolution.
Mme Christine Sayegh (S). Vouloir supprimer ou atténuer de manière généralisée la double imposition économique des sociétés de capitaux et leurs actionnaires conduirait, dans notre système fiscal, à alléger les impôts des sociétés, seule solution compatible avec nos lois, ce que les auteurs de la résolution ont bien compris.
La double imposition économique est une notion connue. C'est un système classique. Cette notion est déjà prise en considération pour alléger l'impôt dans des cas spécifiques, par exemple, les sociétés holding. En l'espèce, il s'agit d'un cas spécifique, l'extension de ce privilège fiscal à toutes les sociétés de capitaux serait choquante.
Les sociétés de capitaux peuvent déjà déduire fiscalement leurs charges d'impôt, voire leurs pertes et ceci dans la majorité des cantons. La suppression de la double imposition économique entraînerait immanquablement une diminution de la masse fiscale. Actuellement, aucun impératif ne commande de discuter ce problème. Il y aura peut-être lieu de revoir les choses dans le cadre de l'harmonisation du droit fiscal européen, mais il faudra encore comparer les taux d'impôt dans les différents pays, car notre taux maximum d'impôt est un peu plus élevé que le taux européen, mais le taux minimum est nettement en dessous.
Je rappellerai encore que l'article 42 quater de la Constitution fédérale interdit l'octroi d'allégements fiscaux dans le but d'attirer des contribuables. Ceci explique la présente résolution qui tend à faire modifier le droit fédéral et donner ensuite aux cantons la possibilité d'en faire de même.
Cette manoeuvre est déraisonnable tant sur le principe que sur les effets et nous ne soutiendrons pas cette résolution.
M. David Hiler (Ve). Notre groupe refusera également cette résolution, non pas sur le principe, car je pense que certaines choses devront changer dans la perspective de l'harmonisation aux normes européennes.
Toutefois, c'est une provocation de le faire aujourd'hui et j'imagine qu'elle doit faire la joie de l'Alliance de gauche, car au moment où on demande des sacrifices un petit peu partout, ce genre de démarches, même si on peut les justifier sur le fond, sont particulièrement inopportunes et maladroites. A moins que le Conseil d'Etat ne comprenne l'idée que la seule solution de sortir à terme de la récession actuelle est d'alléger un certain nombre de charges sur les entreprises.
A ce propos, je désire vous rappeler qu'il n'est pas certain que vous y parveniez par ce genre de démarches, car, malgré tout, une partie de ce qui est prélevé par des charges sur le travail, donc à l'intérieur des entreprises, et qui touche bel et bien la compétitivité des entreprises, est tenue à un niveau qu'on peut éventuellement qualifier de raisonnable par des contributions de l'Etat. Je pense à l'AVS et à la question du chômage.
Aujourd'hui, si vous voulez alléger les bénéfices, vous faites baisser les ressources fiscales. Il est probable que cette baisse de ressources fiscales empêchera tôt ou tard les pouvoirs publics d'intervenir dans des domaines où l'alternative est de monter les charges sociales. Je cite l'exemple typique et récent de l'assurance-chômage.
Vous me permettrez de dire que si on veut faire un effort à l'égard des entreprises, ce n'est certainement pas en fiscalisant le prélèvement des charges sociales sur le travail, ni non plus en diminuant l'impôt sur les bénéfices d'un groupe, somme toute, minoritaire, ce qui sera ressenti comme un cadeau par la majorité de la population.
Partant d'une vision topologique, il pourrait être plaisant d'abonder dans le sens du Conseil d'Etat. Toutefois, il convient de ne pas perdre un sou de recettes fiscales, mais il ne convient pas de le faire dans ces moments de crise alors que des sacrifices ont été demandés. En effet, la compréhension de ceux qui font des sacrifices a des limites. Nous vous suggérons donc de laisser ce sujet de côté pendant quelques années, soit pendant trois ans, le temps que votre gouvernement ait remis l'ordre qu'il a promis de mettre dans les finances publiques.
M. Michel Halpérin (L). Je ne suis pas tout à fait sûr d'avoir bien compris les développements de M. Hiler. Toutefois, je désire faire deux remarques.
D'abord, M. Hiler propose que nous attendions quelques années pour nous pencher sur ce sujet. Je rappelle qu'il s'agit d'une proposition de résolution qui, comme l'a souligné la députée Sayegh, est destinée ensuite aux Chambres fédérales ou au Conseil fédéral, de sorte que, même au rythme accéléré d'une décision que nous prendrions maintenant, nous attendrions de toute façon quelques années.
Ma deuxième remarque est qu'il s'agit de savoir si nous voulons favoriser le développement des emplois et la relance de notre économie par des mesures incitatives ou non, notamment sur le plan de la compétition internationale. C'est bien la question qui est posée, dès lors que nous ne faisons pas aujourd'hui de la concurrence fiscale intercantonale.
On peut répondre, comme le fait M. Hiler, en disant que ce n'est pas ainsi que l'on sauvera les emplois. Notre conviction à nous est que c'est précisément ainsi que nous donnerons un coup de fouet à nos entreprises et c'est d'autant plus important que, puisque les portes de l'Europe se ferment à nous au moins pour l'instant et pour quelques années, nous avons aussi un intérêt à nous montrer compétitifs à l'intérieur de l'Europe.
Je désirerais faire encore une remarque en réponse aux arguments développés par Mme Sayegh, c'est la justice et la justesse de cette démarche. Vous nous répondez non parce que les sociétés holding sont déjà au bénéfice d'un certain nombre d'avantages, mais vous savez bien, Madame la députée, que ces avantages consentis aux sociétés holding évitent, non pas la double, mais la triple ou la quadruple imposition.
Par conséquent, nous demandons aujourd'hui le rétablissement d'une équité fiscale en supprimant une partie des effets de la double imposition, mais cela ne changera rien aux holdings qui, elles, sont forcément au moins au troisième étage, et bien sûr vous le savez.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). M. Halpérin m'engage à intervenir, puisqu'il a parlé d'emploi et de compétitivité, et je souhaiterais faire une remarque sur ce point.
Le corps du problème est le suivant : la double imposition incite les entreprises à accumuler leur capital au lieu de le distribuer. Si vous êtes actionnaire et que vous touchez une part de dividende, vous allez être imposé à 30% sur les sommes reçues. Vous avez un autre choix qui est celui de laisser l'argent dans l'entreprise où il sera imposé au taux sur le bénéfice applicable à ce type d'entreprises.
Dans le système qui est le nôtre, si vous êtes actionnaire, vous êtes donc incité à laisser l'argent dans l'entreprise, favorisant ainsi son autofinancement. C'est ce qui, finalement, a abouti au succès des entreprises suisses qui ont pu ainsi développer leurs fonds propres.
Votre raisonnnement est inversé. Vous nous dites qu'il faut tenter de trouver un mécanisme allégeant l'imposition de la part du bénéfice redistribué. En fait, vous proposez un mécanisme allégeant le taux d'imposition du bénéfice des entreprises, et vous prétendez qu'ainsi le rendement du capital investi sera plus élevé et les investisseurs seront tentés de venir mettre leur argent dans les entreprises concernées.
Vous partez de l'idée qu'en fait le dynamisme économique vient d'un allégement des impôts. Ce n'est pas là notre avis.
Dans le cadre du problème que vous soulevez, celui de la double imposition, rien ne garantit qu'en favorisant la distribution du bénéfice aux actionnaires vous améliorerez l'investissement en particulier vers les petites et moyennes entreprises.
Il est très possible que les investisseurs soient plutôt tentés par le marché financier, beaucoup plus attractif en termes de rendement.
Mesdames, Messieurs, l'autofinancement est essentiel, pour les petites et moyennes entreprises notamment, et c'est la raison pour laquelle il convient de garder un système d'imposition qui le favorise.
Pour résumer votre démarche, vous dites : «Moins d'impôt, moins d'Etat, l'économie se portera mieux.». Franchement, et pour ne rien vous cacher, j'ai un peu de peine avec ce type de raisonnement. Par conséquent, nous n'accepterons pas votre résolution.
M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. A vrai dire, je ne suis pas très surpris de la tournure que prend ce débat. J'aimerais dire à M. Clerc que, bien entendu, j'aurais pu transmettre le travail de réflexion qui a été fait par rapport à la double imposition économique à un groupe de députés afin qu'il nous présente une résolution.
J'ai jugé qu'il était plus transparent, dès lors qu'il s'agissait d'un travail du département adopté par le Conseil d'Etat, que ce soit ce dernier, aussi curieux que cela puisse paraître, mais dans le respect de notre règlement, qui présente ce projet.
Pourquoi ce projet de résolution ? D'abord, parce que c'est vouloir, non pas, Monsieur Hiler et d'autres, prendre une position à court terme, mais une position par rapport à un futur éloigné, et dans ce domaine, Genève doit être une pionnière. Il doit permettre de réfléchir à de nouveaux systèmes visant à atténuer la double imposition économique au niveau des sociétés de capitaux, et ceci afin de permettre d'améliorer, à terme, la capacité concurrentielle de notre pays.
Au départ, ce n'est pas un problème genevois, mais national. La voie de la résolution a pour but de saisir le Parlement fédéral de ce problème. Au moment où le Parlement fédéral a conçu la loi sur l'harmonisation fiscale, il s'était déjà penché sur cette question. Il s'agit, de manière évidente, de reprendre et de faire reprendre ces travaux qui vont durer un certain nombre d'années, car, comme nous avons pris la peine de l'expliquer dans cette résolution, il y a plusieurs théories. Un certain nombre de pays européens ont choisi, et majoritairement, l'un des systèmes, d'autres sont encore à un autre système, et la Suisse se doit d'aller de l'avant dans sa réflexion.
Les finances de notre République, si l'on maintient la rigueur, seront rétablies avant que l'autorité fédérale, que ce soit le Conseil fédéral et le Parlement fédéral, ait tranché sur cette question et fait des propositions qui permettent d'assurer à notre place nationale une compétitivité qui s'écorne de jour en jour.
Par conséquent, cette résolution n'affecte en rien la situation présente, difficile, douloureuse pour certains. En revanche, il s'agit de lancer ou de relancer un débat au niveau national qui durera bon nombre d'années.
Par rapport à l'intervention de Mme Calmy-Rey, j'aimerais vous dire que, précisément, et contrairement à votre raisonnement, nous considérons, comme nous l'avons écrit d'ailleurs, que la double imposition tend à décourager les investissements dans le capital des sociétés. Nous voulons aussi essayer, par la réflexion que l'on conduirait au niveau bernois, de faciliter l'investissement dans le capital de nouvelles sociétés, afin que notre pays soit un récipient de création, d'innovation de nouvelles sociétés. Dans ce cadre, il est incontestable, et tous les fiscalistes de quelque bord qu'ils soient pourront le dire, que la double imposition pose un problème évident, aujourd'hui, en Suisse, au niveau des sociétés de capitaux. Apprenons à voir loin.
C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat, fidèle à ses engagements, entend lancer ce débat, le relancer à Berne, comme je l'ai dit. C'est la raison pour laquelle il vous propose de voter cette résolution qui sera acheminée aux Chambres fédérales, lesquelles la traiteront au moment où elles le voudront, comme les autres et nombreuses résolutions que vous avez faites dans ce parlement.
M. Bernard Clerc (AdG). Puisque ce projet de résolution nous est proposé comme une piste de réflexion et qu'il est adressé aux Chambres fédérales, il convient peut-être d'indiquer une volonté politique supplémentaire. Puisque, finalement, notre idée est d'essayer de modifier ce phénomène de double imposition, je proposerai donc de rajouter une invite qui consisterai en ceci :
« - à veiller à ce que l'imposition globale des sociétés n'en soit pas diminuée pour autant.». (Eclat de rire de M. Balestra. Applaudissements sur les bancs de la droite.)
La présidente. Monsieur Clerc, auriez-vous la gentillesse de rédiger votre amendement et de me l'apporter, car je ne peux pas faire voter sans avoir un texte formellement écrit sous les yeux.
M. Michel Halpérin (L). Pour ceux qui n'auraient pas immédiatement compris, la proposition de M. Clerc consiste à vider la résolution de son contenu. (Protestations.)
La présidente. Nous allons mettre aux voix la proposition d'amendement de M. Bernard Clerc qui consiste à rajouter une invite à cette résolution qui serait libellée comme suit :
«- à veiller à ce que l'imposition globale des sociétés n'en soit pas diminuée pour autant.».
Mis aux voix, l'amendement de M. Clerc est rejeté.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
RÉSOLUTION
concernant des mesures en vue d'atténuer la double imposition économiquede la société et de l'actionnaire
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- que la charge fiscale des entreprises a fortement augmenté en Suisse depuis les années septante;
- que cette augmentation est particulièrement importante pour les entreprises organisées sous forme de sociétés de capitaux, compte tenu de la double imposition économique de la société sur son bénéfice net et de l'actionnaire sur le dividende distribué par la société;
- que la plupart des pays qui nous entourent atténuent sous une forme ou sous une autre cette double imposition économique (Allemagne, Autriche, France, Italie, Angleterre, etc.),
invite les autorités fédérales
- à introduire dans la loi fédérale sur l'impôt direct («LIFD») un mécanisme permettant d'atténuer la double imposition économique entre la société et ses actionnaires, par exemple par la mise en oeuvre d'un taux différencié applicable aux bénéfices nets des sociétés de capitaux, de façon à ce que la partie du bénéfice net qui est distribuée aux actionnaires bénéficie d'un taux d'imposition réduit;
- à encourager les cantons à adopter des mesures semblables pour ce qui concerne les impôts cantonaux et communaux.