Séance du
vendredi 18 novembre 1994 à
17h
53e
législature -
2e
année -
1re
session -
43e
séance
I 1915
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). A la fin juillet dernier, le Conseil fédéral publiait dans la Feuille fédérale son projet de loi sur les hautes écoles spécialisées, les fameuses HES, accompagné d'un message expliquant ses intentions.
Ce projet de loi propose une réforme en profondeur de la formation professionnelle supérieure, réforme qui ne manquera pas d'avoir des répercussions importantes sur la formation professionnelle, tant en Suisse qu'à Genève.
Récemment, nous avons très brièvement débattu de la question des HES dans le cadre de l'examen d'une pétition des enseignants de l'école d'ingénieurs, pétition qui a eu pour suite le dépôt d'une motion. Lors de ces débats, nous ignorions tous quel serait le contenu du projet définitif que proposerait le Conseil fédéral.
Aujourd'hui, nous connaissons la teneur des propositions du Conseil fédéral et nous voyons que celles-ci s'écartent sur plusieurs points essentiels des avant-projets qui avaient fait l'objet d'une consultation large.
Trois points frappent immédiatement à la lecture du projet.
Premièrement, la Confédération s'arroge la part essentielle des prérogatives en matière de formation professionnelle supérieure, alors que, jusqu'à présent, elle ne disposait que de compétences de reconnaissance des formations.
Deuxièmement, bien que ne finançant qu'une faible part de ces nouveaux établissements d'enseignement professionnel supérieur, la Confédération entend exercer l'essentiel du pouvoir dans ceux-ci.
Le corollaire étant l'exigence pour les cantons d'accroître fortement leur financement des établissements concernés.
Troisièmement, l'exécutif fédéral se voit octroyer de larges pouvoir de décision sur la base de délégations législatives contenant des notions imprécises, notamment le nombre et l'implantation des HES.
Je ne ferai pas une analyse de ce projet, mais j'aimerais exprimer ici quelques craintes et donc des questions.
Madame la conseillère d'Etat, vous avez été entendue pendant la pause estivale par la commission de l'éducation du Conseil des Etats et vous participerez bientôt à une réunion des chefs de départements de l'instruction publique et de l'économie publique romands pour débattre de ce projet au début du mois de décembre, sauf erreur de ma part.
L'instruction publique, fût-elle formation professionnelle, concerne toute la population et il est donc extrêmement important que celle-ci, par ses représentants d'abord, soit largement associée aux éventuelles réformes envisagées. Il n'en reste pas moins que les positions des représentants de notre gouvernement, exposées lors d'auditions du type de celle à laquelle vous avez participé cet été auprès de la commission chargée des questions de l'éducation du Conseil des Etats, ainsi que les positions que vous ferez valoir dans la rencontre que vous aurez prochainement avec vos collègues des départements de l'économie publique, doivent être connues, me semble-t-il, de notre parlement.
L'importance des transformations envisagées au niveau fédéral me fait même penser que de telles positions devraient être débattues au Grand Conseil avant d'être exposées à l'extérieur du canton.
Sans attendre le rapport complet du Conseil d'Etat sur la motion 931 que je viens d'évoquer concernant l'école d'ingénieurs, rapport qui, je l'espère, ne tardera pas, je souhaiterais déjà, vu la rapidité avec laquelle le projet de loi fédéral sur les HES est traité, obtenir quelques réponses.
Au surplus, l'article paru avant-hier dans la presse faisant état de la position du canton du Valais sur les HES me conforte dans ma demande d'avoir quelques réponses publiques.
Premièrement, quelles sont les démarches que vous avez entreprises ou que vous envisagez d'entreprendre afin de préserver les spécificités genevoises et de conserver à notre canton la maîtrise de sa politique dans le domaine de la formation professionnelle supérieure ?
Deuxièmement, considérant, d'une part, l'importance pour notre canton et son environnement régional, voire international, de la localisation d'une HES à Genève, et sachant, d'autre part, que l'école d'ingénieurs posséderait le profil d'une HES, ainsi que d'autres filières de formation dans les domaines commercial, artistique et agricole notamment, quelles sont, à l'heure actuelle, vos options relatives à une HES à Genève ?
En dernier point, entendez-vous engager le débat au Grand Conseil et, parallèlement, vous concerter avec les milieux concernés, et, si oui, de quelle manière et à quel moment ?
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. C'est bien volontiers que je réponds aux questions en rappelant une première chose. Comme l'a dit très justement Mme Reusse-Decrey, une loi existe au Parlement fédéral. Toutefois, je modifierai quelque peu son estimation sur la rapidité qu'elle a cru voir dans le traitement du débat fédéral. En fait, ils sont plus en retard qu'en avance sur le programme prévu.
D'ailleurs, ce problème pourrait entraver l'application et la mise en place de la loi. En effet, à partir du moment où un certain nombre de décisions importantes doivent être prises sur la forme ou plutôt sur la liberté de forme que pourraient prendre les hautes écoles spécialisées, le financement peut cesser définitivement ainsi que les décisions concernant, notamment, le pouvoir ou le non-pouvoir de la Confédération. Tant que ces éléments ne seront pas connus, il est évident que le modèle définitif des écoles et, par conséquent, les démarches qui aboutiraient à la reconnaissance de ces écoles ne peuvent pas être formellement mis en place, ni même lancés.
J'aimerais vous parler de deux éléments concernant l'audition au Conseil des Etats et de l'impression que l'on peut en retenir. Tout d'abord, j'ai très fermement défendu, tout comme je l'avais fait au mois de juin dans un colloque à Sion, le fait que, lorsque les cantons assument pour deux tiers des dépenses, ils ont aussi à assumer pour deux tiers des décisions.
Or, il ne pouvait être question de mettre sur pied un modèle où la Confédération, à un tiers de ces dépenses, s'arrogeait les deux tiers de ces décisions. Il était fort probable, selon les informations de nature fédérale dont nous disposions, qu'il n'y ait pas grand espoir d'aboutir à une solution financière meilleure que celle qui est annoncée.
En effet, au total, un tiers des dépenses prévues serait assumé par la Confédération. Mais alors je vous le dis très clairement, il n'est pas possible d'envisager plus. Malheureusement, je crains que, tout au plus, on pourrait arriver à un résultat moindre que celui que nous connaissons.
J'ai affirmé à la commission du Conseil des Etats que tous nos efforts dans ce domaine allaient au moins dans le sens d'obtenir des garanties de financement à long terme permettant d'assurer la pérennité de ces écoles et leur mise à l'abri des velléités d'économie saccadées auxquelles nous ont habitués le gouvernement et le Parlement fédéral.
S'agissant des positions qui seront défendues à la séance du 2 décembre 1994, j'ai eu l'occasion de l'affirmer à la commission et à l'école d'ingénieurs qui est la première concernée, l'école d'ingénieurs ne peut pas ne pas devenir une haute école spécialisée. La question qui peut encore se poser, et c'est l'application de la loi qui nous permettra in fine d'y répondre, mais cela ne nous empêche pas d'en discuter auparavant, est de savoir comment elle s'insérera et dans quel réseau. Il s'agira de savoir, sur le nombre de hautes écoles spécialisées qui seront reconnues, celles qui pourront l'être sur le plan, je dirais romand, et de quelle façon nous pourrons collaborer sur un arc régional, j'insiste, et non pas nécessairement sur un plan romand centralisé.
Le modèle du Valais, tel qu'il a été mis sur pied, ne repose à l'heure actuelle sur aucun modèle agréé pour l'instant par aucune commission. Deux versions s'opposent, celle consistant à dire qu'une HES est l'addition de différents enseignements qui peuvent aller du tourisme à la technique en passant par l'économie et les cadres de l'administration publique sous une forme globale, et l'autre qui fait état de HES formant un réseau commun et partageant ensemble un certain nombre d'intérêts, notamment en matière de recherche ou de mise en commun de moyens.
Ces deux modèles ne sont pas nécessairement compatibles et sont pour l'instant soumis à interrogation, car ni le Conseil des Etats, et encore moins le Conseil national qui n'en a pas été saisi, n'ont tranché sur la simple possibilité d'existence de ces deux modèles.
A l'heure actuelle, le principal danger vis-à-vis des HES, et non pas simplement de l'école d'ingénieurs, ne réside pas dans le fait de savoir ce que va devenir l'école d'ingénieurs. Pour l'instant, les spécificités de cette école ne posent pas de problèmes dans la loi. Le principal danger est de savoir si, à l'arrivée, une loi sur les HES sera véritablement constituée, car, à ce sujet, l'atmosphère de la commission du Conseil des Etats n'était pas nécessairement encourageante. Mon énergie conjuguée à celle d'autres a consisté, tout d'abord, à plaider pour que cette loi soit acceptée et qu'il y ait des HES.
Le 2 décembre, nous discuterons avec nos collègues du département de l'instruction publique et de l'économie publique sur la base d'un rapport qui nous sera donné et qui fera l'analyse, sur le plan romand, des dispositifs des HES actuelles, soit de ce que font les écoles d'ingénieurs, quels sont leurs clients étudiants, de quels blancs-seings elles disposent, quel est leur enseignement pour pouvoir décider quelles seront les collaborations possibles.
A l'heure actuelle, toute soumission au parlement, toute décision du parlement qui nous permettrait ensuite de négocier, serait totalement prématurée et ne nous laisserait aucune marge de manoeuvre par rapport à une loi que l'on ne connaît pas, et d'un rapport dont je ne dispose pas encore. Mais je puis vous assurer que les versions définitives seront communiquées au parlement et discutées en concertation avec l'association professionnelle concernée, que je vois très attentive à la tribune.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je reviendrai peut-être sur ce sujet lors de la séance du mois de décembre après la rencontre du 2 décembre dont Mme Brunschwig Graf a fait état.
La réplique de cette interpellation figurera à l'ordre du jour d'une prochaine séance.