Séance du jeudi 17 novembre 1994 à 17h
53e législature - 2e année - 1re session - 42e séance

PL 7181
6. a) Projet de loi du Conseil d'Etat modifiant le code de procédure pénale. (Motivation des arrêts de la Cour d'assises et de la Cour correctionnelle) (E 3 5). ( )PL7181
M 817-A
b) Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Christine Sayegh, Claire Torracinta-Pache, Monique Vali, Françoise Saudan, Anne Chevalley, Michel Jacquet, Bénédict Fontanet, Bernard Lusti et Nicolas Brunschwig concernant l'institution du jury. ( -) M817
Mémorial 1992 : Annoncée, 4971. Développée, 5124. Motion, 5155.

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

Le code de procédure pénale, du 29 septembre 1977, est modifié comme suit:

Art. 200, al. 2 (nouveau)

2 Les réquisitions du procureur général contiennent:

a) l'identité de l'accusé;

b) la description des faits constitutifs des infractions reprochées à l'accusé;

c) les dispositions légales réprimant ces faits.

Art. 210, al. 1 (nouvelle teneur)

Contenu de l'ordonnance de renvoi

1 L'ordonnance de renvoi doit indiquer dans son dispositif la description des faits constitutifs des infractions reprochées à l'accusé, avec leurs caractéristiques légales, ainsi que les dispositions légales justifiant le renvoi.

Art. 249 (nouvelle teneur)

Tirage au sort des jurés

1 Au moins 21 jours avant l'ouverture d'une session, le président tire au sort, en audience publique, les noms de 35 jurés pris sur la liste des jurés choisis par le Grand Conseil.

2 Il communique au procureur général les noms des jurés désignés par le tirage au sort.

Art. 256 (nouvelle teneur)

Dépôt des listesde témoins

1 Les listes des témoins que les parties désirent faire entendre doivent être déposées au greffe de la cour dans les 15 jours de la notification de l'ordonnance de renvoi par la Chambre d'accusation, en autant d'exemplaires qu'il y a de parties.

2 Le président cite les témoins par huissier, par un agent de la force publique ou par voie postale.

Art. 258 (nouvelle teneur)

Tirage au sort des jurés

1 Au moins 21 jours avant l'ouverture d'une session, le président tire au sort, en audience publique, les noms de 70 jurés pris sur la liste des jurés choisis par le Grand Conseil.

2 Pour l'élaboration de la liste des jurés appelés à siéger, il procède selon les règles des articles 249, alinéa 2, à 253.

Art. 296, al. 3 (nouvelle teneur)

3 Le président ne prononce la clôture des débats qu'après avoir demandé à l'accusé s'il a quelque chose à ajouter.

Art. 297 à 302 (abrogés)

Art. 303 (nouvelle teneur)

Remise du dossier au jury

Le président remet la procédure écrite au chef du jury et fait retirer l'accusé de la salle des débats.

Art. 304 (nouvelle teneur)

Entrée en délibération

1 Le jury se retire immédiatement pour délibérer.

2 Le président et, sur demande de ce dernier, le greffier assistent à cette délibération; ils n'y participent que pour renseigner le jury, sans formuler d'appréciation sur la culpabilité.

Art. 305, al. 1 (nouvelle teneur)

Mode de délibération et vote

1 Le jury décide successivement, par vote, de la culpabilité et des circonstances s'y rapportant pour chaque fait constitutif d'infraction, contenu dans l'ordonnance de renvoi ou évoqué à l'audience.

Art. 306 à 308 (abrogés)

Art. 313 (nouvelle teneur)

Signature et lecture du verdict

1 Le président communique aux parties en séance publique le verdict du jury sur les faits indiqués dans l'ordonnance de renvoi ou évoqués à l'audience conformément à l'article 283. Ces faits peuvent recevoir une autre qualification juridique que celle prévue par l'ordonnance de renvoi pour autant que cela n'aggrave pas la situation de l'accusé. Le président expose les considérants essentiels.

2 Le greffier prend note du verdict du jury.

Art. 318, al. 1 et 4 (nouvelle teneur)

Délibération sur l'application de la peine

1 La cour et le jury se retirent pour délibérer. Le greffier assiste à cette délibération si la cour le lui demande.

4 La cour et le jury statuent sur les peines accessoires, mesures de sûreté et autres mesures.

Art. 319 à 323 (abrogés)

Art. 325 (abrogé)

Art. 326 (nouvelle teneur)

Prononcé de l'arrêt

1 En présence de l'accusé, le président, en se référant aux articles de loi sur lesquels l'arrêt est fondé, prononce celui-ci en audience publique.

2 Il expose sommairement les circonstances qui ont déterminé la quotité de la peine, le prononcé de toute mesure, l'octroi ou le refus du sursis.

3 Si le condamné est mis au bénéfice du sursis, le président l'avertit des conséquences qu'entraînerait pour lui une nouvelle condamnation ou l'inobservation des conditions mises à l'octroi du sursis.

Art. 327 (nouvelle teneur)

Forme et contenu de l'arrêt

1 L'arrêt est rendu en la forme écrite. Il contient:

a) les infractions retenues par l'accusation et les conclusions des parties;

b) les motifs en fait et en droit du verdict du jury et de la décision de la cour et du jury relative à la peine ou au prononcé d'une mesure;

c) l'indication des voies de recours, y compris le recours en grâce auprès du Grand Conseil.

2 Dans les limites de l'article 69 du code pénal, la cour et le jury déduisent la détention préventive de la peine prononcée et déterminent la durée de la peine qui reste à subir.

3 La cour ordonne que les biens enlevés ou saisis soient restitués à leur propriétaire lorsque l'arrêt est devenu définitif.

4 Lorsque des actes authentiques ont été déclarés faux, en tout ou en partie, la cour ordonne qu'ils soient rétablis, rayés ou réformés. Elle ordonne également que les pièces de comparaison soient sur-le-champ renvoyées d'où elles ont été tirées ou qu'elles soient remises aux personnes qui en ont fait la communication.

5 La cour statue sur les dommages-intérêts réclamés par la partie civile, s'il y a condamnation ou constatation de l'irresponsabilité, après que les parties ont fait valoir leurs moyens et que le procureur général a été entendu. La cour peut, si elle le juge convenable, renvoyer l'examen de la demande à une audience ultérieure pour prendre connaissance des pièces, recevoir les observations des parties et entendre le procureur général. Il est procédé alors conformément aux règles de la procédure civile.

6 La cour, dans son arrêt, statue sur les frais et les dépens, ainsi que sur le sort des biens saisis en garantie du paiement des frais qui ne sont ni confisqués, ni dévolus à l'Etat. La saisie peut être levée nonobstant condamnation, si l'équité l'exige, notamment pour tenir compte de la situation des personnes lésées.

Art. 328 (abrogé)

Art. 329 (nouvelle teneur)

Procès-verbal,communication à l'autorité fédérale et publication

1 Le greffier rédige le procès-verbal de l'audience pour constater que les formalités prescrites ont été observées.

2 Le procès-verbal est signé par le président et le greffier.

3 L'arrêt est notifié aux parties par le greffier au plus tard 15 jours après l'audience. En cas de jugement par défaut, l'avis de jugement mentionne le délai de l'opposition, la forme et la juridiction compétente.

4 Le greffier communique à l'autorité fédérale compétente toute décision prise en application du droit fédéral lorsque cette communication est obligatoire.

5 Un extrait de tout arrêté définitif comportant confiscation d'objets de valeur dont la destruction n'est pas ordonnée est publiée dans la Feuille d'avis officielle.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Introduction

Les présentes modifications de la loi, élaborées en collaboration avec le Pouvoir judiciaire, ont pour but de permettre à la Cour d'assises et à la Cour correctionnelle de rendre des arrêts qui soient conformes à la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de motivation. Elles répondent à la motion 817 renvoyée au Conseil d'Etat à l'issue du vote relatif à la dernière modification de l'article 308 du code de procédure pénale sur la forme des réponses du jury. Cette motion invitait le Conseil d'Etat à étudier de quelle manière il serait possible de réformer l'institution du jury de façon à ce qu'elle soit conforme aux exigences de motivation du Tribunal fédéral et à présenter, le cas échéant, un projet de loi à cet effet (Mémorial du 25 septembre 1992, p. 5155).

Dans un arrêt du 12 juin 1992, le Tribunal fédéral a relevé en particulier:

«Ces considérations ont amené le jury depuis quelques années à ajouter de brèves motivations dans la mesure jugée nécessaire après la réponse par oui ou par non. Il en résulte souvent une impression de morcellement artificiel de la décision et il n'est pas rare qu'une explication nécessaire ne se trouve pas à l'endroit où on l'attendait mais qu'elle soit plutôt formulée à l'occasion d'une question ou encore dans le cadre de la motivation de la peine.

Il semblerait plus simple et plus logique que les arrêts de la Cour d'assises comme toute autre décision judiciaire exposent d'une part les faits retenus et d'autre part le raisonnement en droit en indiquant à chacun de ces stades les motifs qui dictent les choix sur les questions délicates ou contestées.»

Les juges de la Cour de justice qui président les Cours correctionnelles et les Cours d'assises partagent le point de vue du Tribunal fédéral. Au surplus, ils soulignent que, dans tous les cas où la cause présente une certaine complexité, il est difficile de rendre sitôt après la délibération du jury un arrêt correctement motivé en fait et en droit. Un délai minimum doit être concédé au président pour motiver les décisions du jury ainsi que l'arrêt final prononçant une peine ou ordonnant une mesure.

Le système proposé ne s'écarte que très peu du système actuel sur le fond. Par contre, il s'en écarte considérablement quant à la forme. En effet, tout le système des questions ou des questions subsidiaires posées au jury disparaît.

Ces propositions reposent sur l'idée que la thèse de l'accusation est contenue dans l'ordonnance de renvoi de l'accusé devant la Cour correctionnelle ou devant la Cour d'assises et que le jury se prononce sur les infractions qui y sont décrites. C'est l'arrêt rédigé et motivé qui constituera la réponse du jury aux questions soulevées par les parties pendant les débats.

Il y a lieu de souligner que ce système n'a rien de révolutionnaire dès lors qu'il est appliqué dans les autres cantons suisses, il est vrai souvent par des juridictions siégeant sans le concours du jury. Toutefois, la réglementation proposée est adaptée à l'institution du jury, ce dernier gardant toutes ses prérogatives; elle constitue en fait une contribution à la survie de cette institution, menacée par les contraintes que la loi actuelle fait peser sur elle en matière de motivation.

** *

Il vous est en outre proposé de faciliter la convocation et l'organisation des audiences de la Cour d'assises et de la Cour correctionnelle, au travers de modifications apportées aux articles relatifs au tirage au sort des jurés (249 et 258), et au dépôt des listes de témoins (256).

Commentaire article par article

Il s'agit d'une précision, la loi actuelle étant muette sur le contenu des réquisitions.

Cet alinéa est reformulé en termes plus exacts.

Les commentaires se rapportant à ces articles sont regroupés ci-après, à la fin de l'exposé des motifs.

La référence à l'article 301 est supprimée, vu l'abrogation de ce dernier (cf. ci-dessous).

Le système des questions et des réponses par «oui» ou «non» du jury, le cas échéant assorties d'une motivation succincte (art. 308), source des difficultés rencontrées actuellement en matière de motivation des verdicts, disparaît.

Désormais, c'est l'arrêt rédigé et motivé (cf. ci-dessous, ad art. 327, nouvelle teneur) qui constitue la réponse du jury à la thèse de l'accusation contenue dans l'ordonnance de renvoi (art. 210) et aux questions soulevées par les parties dans le cadre des débats (art. 283).

Il n'est plus fait référence aux questions.

Al. 1: il n'est plus fait référence aux questions.

Al. 2: cette disposition est à mettre en parallèle avec l'article 318, alinéa 1 nouvelle teneur. Le président, qui a la tâche de rédiger la motivation des verdicts et des décisions relatives à la peine ou au prononcé d'une mesure (art. 327 nouvelle teneur) peut, s'il l'estime souhaitable, recourir à la collaboration du greffier. C'est pourquoi la loi lui permet de demander au greffier d'être présent lors des délibérations sur le verdict et sur la peine, au cours desquelles la motivation de ces décisions est exprimée.

Dans la pratique, le président ne fera usage de cette faculté que pour les causes d'une certaine importance ou complexité, afin d'éviter d'immobiliser inutilement un greffier juriste pouvant être affecté à d'autres tâches.

Par souci d'économie, le Pouvoir judiciaire et le Conseil d'Etat ont en effet renoncé à prévoir la présence systématique du greffier lors des délibérations, ce qui aurait impliqué l'engagement d'un greffier juriste supplémentaire par la Cour de justice. Le président de la Cour de justice est néanmoins d'avis que, dans la situation actuelle et prévisible du volume de travail des tribunaux, la collaboration nécessaire du greffier, plus particulièrement dans les affaires complexes, nécessitera, à vues humaines, de prévoir un demi-poste supplémentaire de juriste au sein de cette juridiction.

A noter que la rédaction de projets d'arrêts par des greffiers juristes n'est pas une nouveauté, mais existe depuis de nombreuses années tant à Genève que dans les autres cantons et au Tribunal fédéral. L'engagement de ces collaborateurs a notamment permis de ne pas augmenter le nombre des juges nonobstant l'accroissement de celui des causes.

La référence aux questions est supprimée. Les faits sur lesquels le jury prononce son verdict sont ceux indiqués dans l'ordonnance de renvoi ou évoqués à l'audience, conformément à l'article 283 (cf. ci-dessous, ad art. 313, al.1 nouvelle teneur).

L'abrogation de ces dispositions, relatives aux réponses aux questions, découle de celle des articles 297 à 302, relatifs aux questions elles-mêmes.

Al. 1: la communication du verdict et de ses considérants essentiels est faite par le président et non plus par le chef du jury. Le verdict se rapporte aux faits retenus dans l'ordonnance de renvoi ou évoqués au cours des débats, comme c'est le cas avec le système actuel des questions (art. 297 à 300). La possibilité de retenir une qualification juridique autre que celle prévue par l'ordonnance de renvoi si cette qualification n'aggrave pas la situation de l'accusé existe déjà actuellement (art. 283, al. 2 et 300).

Al. 2: sans commentaire.

Al. 1: cf. ci-dessus, ad art. 304, al. 2 nouvelle teneur.

Al. 4: les termes «à l'exception de celles qui sont de la compétence de la Cour» sont supprimés, afin de permettre au jury de statuer avec le président sur toutes les mesures, fondées sur un texte légal, sans exception. Actuellement, au nombre des mesures de la compétence exclusive de la Cour on trouve, par exemple, celles visées aux articles 316 (confiscation) et 319 (traitement, internement ou hospitalisation en cas de responsabilité restreinte). Il n'y a en effet pas de raison de tenir les jurés à l'écart de telles décisions et il arrive déjà en fait que le président les consulte à ce sujet même si, formellement, il est seul à statuer.

Les mesures évoquées par cette disposition sont prévues par le code pénal (art. 11, in fine). La seule utilité de cet article est de conférer à la Cour seule le pouvoir de les ordonner. Vu la modification apportée à l'article 318, alinéa 4, l'article 319 peut être purement et simplement abrogé.

Le contenu de ces dispositions est repris à l'article 327, alinéas 2 à 6.

Al. 1: sans changement.

Al. 2: la référence à la motivation proprement dite de l'arrêt disparaît, cette dernière étant désormais réglée par l'article 327, alinéa 1, nouvelle teneur.

Al. 3: il s'agit de la reprise de l'article 328.

L'alinéa 3 actuel disparaît, vu l'article 327, alinéa 1, nouvelle teneur. L'alinéa 4 fait de même, car il est inutile vu l'article 104 de la loi sur l'organisation judiciaire. Les alinéas 5 et 6 sont remplacés par l'article 329, alinéa 3 nouvelle teneur.

Al. 1, lettres a) et b): un arrêt contenant une motivation en bonne et due forme tant du verdict du jury que de la peine ou des mesures prononcées remplace un arrêt contenant une motivation succincte, voire inexistante, du verdict (art. 308) et sommaire de la peine. Le risque, inhérent au système actuel, d'annulation de l'arrêt par la Cour de cassation ou le Tribunal fédéral pour défaut de motivation disparaît en même temps que le paradoxe qui veut qu'en droit genevois les décisions judiciaires les plus graves pour l'individu, puisqu'elles touchent à sa liberté., soient les moins motivées. Rappelons en effet, à titre de comparaison, que les jugements du Tribunal de police infligeant une amende ou une peine d'arrêts doivent, eux, être motivés en fait et en droit (art. 229, al. 1) et peuvent de surcroît être librement revus en fait et en droit par la Cour de justice (art. 239), alors que le pouvoir de cognition de la Cour de cassation est beaucoup plus restreint (art. 340).

Al. 1, lettre c): il s'agit de la reprise de l'article 327, reformulé. Cependant, le condamné est désormais informé des voies de recours par la notification de l'arrêt qui interviendra au plus tard dans les 15 jours après l'audience (art. 329, al. 3 nouvelle teneur), alors qu'actuellement cette indication est donnée lors de l'audience, ce qui fait immédiatement courir les délais pour la déclaration du pourvoi en cassation.

Al. 2 à 6: il s'agit de la reprise des articles 320 à 323 et 325.

Le texte de cette disposition figure désormais à l'article 326, alinéa 3.

Al.1 et 2: sans changement.

Al. 3: 15 jours est un délai approprié pour la rédaction de l'arrêt. Pour le surplus, cet alinéa reprend le texte de l'article 326, alinéa 6 en cas de défaut de l'accusé.

Al. 4 et 5: il s'agit de la reprise des alinéas 3 et 4 actuels.

** *

Le nombre des jurés tirés au sort pour les sessions correctionnelles (25, conformément à l'article 249) et de la Cour d'assises (35, conformément à l'article 258) s'avère dans la pratique insuffisant. En effet, les jurés s'excusent très fréquemment pour des raisons diverses et variées et le président est de ce fait contraint d'en compléter la liste au dernier moment, ce qui provoque des perturbations dans l'organisation des audiences. Pour y remédier, il vous est proposé de porter à 35 et 70 le nombre des jurés tirés au sort pour les sessions correctionnelles, respectivement criminelles.

Actuellement, les parties peuvent déposer des listes de témoins jusqu'à 3 jours avant le début de la session correctionnelle ou criminelle. Dans les faits, une certaine pratique semble s'être instaurée selon laquelle les listes sont déposées 3 jours avant l'ouverture de l'audience.

Une telle manière de faire n'est plus possible. Le greffe de la Cour correctionnelle et de la Cour d'assises reçoit très fréquemment des listes de plusieurs dizaines de témoins, dont certains sont domiciliés à l'étranger et devraient être convoqués par voie diplomatique, 3 ou 4 jours avant l'ouverture des débats.

Outre que cela provoque un gros travail en pleine session, il se révèle le plus souvent que ce travail est inutile car les témoins ne sont évidemment pas atteints en raison de la brièveté des délais. Au surplus, le système contraint le président de la Cour à faire le planning de ses audiences sans avoir connaissance du nombre de témoins qui devront être entendus. Cela provoque souvent des problèmes d'horaire très difficiles à maîtriser.

Pour éviter que de telles situations se présentent à l'avenir, il convient d'exiger des parties qu'elles déposent la liste des témoins qu'elles souhaitent faire entendre à l'audience de jugement, 15 jours au plus tard après que leur a été notifiée l'ordonnance de renvoi de la Chambre d'accusation. A ce stade, il ne fait aucun doute que l'accusé sait exactement de quoi il devra répondre devant la juridiction de jugement. Il établira alors sa liste de témoins et la communiquera à la Cour. Cela permettra à cette dernière de mieux planifier les audiences.

Au cas où un témoin essentiel serait découvert après ce délai, rien n'empêcherait la Cour d'ordonner son audition en vertu de son pouvoir discrétionnaire.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à approuver le projet de loi qui vous est soumis.

Préconsultation

M. Bernard Lescaze (R). Il est évident que le groupe radical est favorable au renvoi en commission de ce projet de loi modifiant le code de procédure pénale. Toutefois, il me paraît important de dire que cette mesure, qui est conforme notamment à la jurisprudence du Tribunal fédéral et qui nous semble bonne en soi, n'est pas exclusive - ou ne devrait pas l'être - d'une réflexion de la commission sur le rôle du jury, de façon à ne pas être pris au dépourvu le jour où il faudrait le supprimer. Cela dit, je tiens à souligner que la grande majorité de mon groupe est favorable au maintien du jury en Cour d'assises et, dans certains cas, en Cour correctionnelle.

A l'heure actuelle, une partie importante de la justice pénale a tendance à être administrée par ordonnances. Cette situation, probablement adaptée à l'évolution de notre société, n'est pas forcément une bonne situation, et nous pensons qu'il faut rester très prudents face à cette évolution. A notre avis, le jury a encore son rôle à jouer.

En revanche, il serait judicieux d'examiner de manière plus approfondie en commission l'avenir du jury, peut-être dans son mode de recrutement, qui devrait être laissé moins au hasard qu'il ne l'est actuellement. Peut-être aussi devrait-on limiter la compétence d'appréciation du jury à la culpabilité et non plus à la fixation de la peine, même si celle-ci se fait désormais en accord avec la Cour. Nous souhaiterions que la commission examine également ces propositions. Cette évolution, malheureusement souhaitée par de nombreux pénalistes, tend à la suppression du jury. Pourtant, je le rappelle, le jury est une des grandes conquêtes de la justice de la fin du XVIIIème siècle et du XIXème siècle, et je pense qu'il faudrait le maintenir.

M. Christian Ferrazino (AdG). J'ai été très heureux d'entendre M. Lescaze nous indiquer que le groupe radical était très attaché à l'institution du jury. Notre groupe l'est aussi, pour les mêmes raisons qu'il a évoquées.

Mais je rappelle que le projet qui nous est soumis ce soir vise avant tout à donner la compétence au président de la Cour de motiver le verdict du jury en lieu et place, précisément, du jury lui-même et à supprimer le système des questions posées par le jury. Dès lors, il est légitime de se demander si ce projet ne vise pas, en réalité, à vider de sa substance l'institution que représente aujourd'hui le système du jury.

Il faut savoir que, déjà actuellement, dans le système que nous connaissons, le rôle du président de la Cour est énorme puisqu'il participe aux délibérations du jury. Avec ce projet de loi, tel qu'il nous est proposé, le rôle du président serait encore plus important, puisque le président de la Cour pourrait, avec l'aide du greffier - puisque le projet de loi permet, sur demande du président, au greffier d'assister également aux délibérations - motiver la décision du jury. Nous savons que l'institution du jury populaire ne rencontre pas forcément un grand enthousiasme au Palais de justice, mais il s'agit - M. Lescaze l'a rappelé tout à l'heure - d'une conquête importante des droits de la justice dont nous pouvons être fiers aujourd'hui et qui permet à des juges laïques de rendre sereinement la justice.

Dans le projet de loi qui nous est soumis, le président de la Cour pourra substituer sa propre motivation à la motivation qui aura été retenue par les membres du jury, puisque le président de la Cour aura un délai de quinze jours pour rendre sa décision par écrit. C'est dire qu'il n'y a absolument aucune garantie que la motivation retenue par les membres du jury soit celle qui, en définitive, sera donnée par le président du jury. Alors, accepter ce projet de loi tel qu'il est libellé reviendrait à réduire considérablement le rôle du jury et risquerait probablement - M. Lescaze l'a laissé entendre tout à l'heure - d'amener le pouvoir judiciaire à proposer, dans un second temps, tout simplement la suppression du système du jury. En effet, finalement, l'application de cette loi, si elle devait entrer en vigueur, ne laisserait plus un grand rôle au jury, puisqu'elle lui enlèverait une de ses compétences importantes.

Cela étant, nous n'ignorons pas les décisions du Tribunal fédéral concernant l'exigence de motivations des jugements rendus par la Cour correctionnelle et par la Cour d'assises. Pour cette raison, et bien que nous ne soyons pas d'accord avec la solution proposée par ce projet de loi, notre groupe ne s'opposera pas au renvoi en commission, afin d'étudier une solution plus adéquate.

M. Michel Halpérin (L). Il est bien trop tôt, aujourd'hui, pour prendre une position définitive sur le projet de loi qui nous est soumis. Nous devons donc en débattre en commission, parce qu'il pose, en somme, en face à face, deux problèmes assez fondamentaux auxquels, les uns et les autres, nous sommes vraisemblablement attachés de manière égale.

D'une part, il y a l'institution du jury qui est, en quelque sorte, pour le pouvoir judiciaire, l'incarnation de la souveraineté populaire dans son expression, puisque finalement le jury est la forme supérieure de la justice. Un jury, par définition, tranche, en intime conviction dans notre système, de la culpabilité ou de l'innocence d'un accusé.

D'autre part, nous avons, à l'opposé de ce principe de la souveraineté populaire, un deuxième principe, né du développement des droits de l'homme dans nos consciences et sous nos latitudes, je veux parler de la motivation des décisions judiciaires. Il ne s'agit pas ici d'un caprice de juriste, mais bien d'une nécessité réputée fondamentale. L'homme ou la femme que l'on condamne a le droit de savoir pourquoi ! Or, dans le système du jury qui tranche par sa propre compétence suprême, en âme et en conscience et sans explication, celui que l'on condamne n'en connaît pas les raisons. Mais, depuis plusieurs années, le Tribunal fédéral casse régulièrement des arrêts de la Cour d'assises ou de la Cour correctionnelle qui ne sont pas suffisamment motivés.

Nous devons donc essayer de faire cohabiter cette exigence de justice et cette exigence de souveraineté, et ce n'est pas le moindre des exercices que nous aurons à faire au cours de la législature. Y parviendrons-nous ? C'est la question que la commission judiciaire s'efforcera de résoudre !

M. Laurent Moutinot (S). Le principe de toute souveraineté réside dans le peuple. Cela est déjà dans la déclaration universelle de 1789, et c'est certainement la raison pour laquelle le jury prend une place à laquelle nous attachons une extrême importance au sein du pouvoir judiciaire.

Le jury populaire représente le contrepoids du peuple à ce que j'appellerai un pouvoir peut-être trop technocratique. C'est, paraît-il, en tout cas en théorie, la garantie du bon sens et de l'indépendance. A l'heure des médias, vous me permettrez d'en douter ! C'est en tout cas la garantie d'une proximité entre la justice et les citoyens, ce qui est primordial. Par conséquent, le projet de loi qui nous est soumis doit être compris comme visant à protéger le jury et à lui permettre d'exercer son rôle, tout en respectant les exigences posées aujourd'hui par le Tribunal fédéral.

Si nous n'améliorons pas le fonctionnement de la justice avec jury, nous courons le risque de la mort de ce dernier, parce que le Tribunal fédéral, en imposant que les décisions de justice soient motivées, oblige à ce qu'elles soient bien motivées. Et nous courons le risque, si nous ne répondons pas à cette injonction, que l'institution même du jury soit finalement remise en cause. Il est vrai qu'il n'est plus admissible, de nos jours, qu'un individu soit envoyé en prison pour quinze ou dix-huit ans sur la seule base du mot «oui», après dix ou quinze jours de débats et des heures de plaidoiries et de réquisitoires : il a le droit d'en connaître les raisons !

Le problème est de savoir comment il doit connaître le motif de la décision. De ce point de vue, je ne suis pas absolument certain que la solution proposée par ce projet de loi soit la seule possible. Il faut en trouver une qui respecte cette nécessité de motiver et qui, tout à la fois, garantisse la pérennité du jury. Cette pérennité est d'autant plus difficile à garantir que - vous le savez - c'est une exception dans le système juridique des cantons suisses. Il importe donc de le conserver.

Nous sommes bien entendu pour le renvoi de ce projet de loi en commission afin de l'améliorer, de le discuter et - je l'espère - de trouver une solution qui permette de maintenir le système du jury.

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Les remarques qui viennent d'être formulées montrent, à satisfaction, que la justice n'est pas sur la voie de la simplification.

Pendant longtemps, les jurys devaient répondre par oui ou par non. Puis le Tribunal fédéral a estimé que, le justiciable devant savoir pourquoi il était condamné, on devait motiver ces décisions. Le projet qui nous est soumis va plus loin, puisqu'il propose non seulement que les décisions soient motivées mais encore que le jury se prononce sur l'état de fait et que le président fournisse une première motivation suivie d'un second texte plus complet. Je fais observer que chacun des préopinants pense protéger, à divers titres, l'institution du jury, ce qui nous promet des débats intéressants en commission.

Bien entendu, nous sommes ravis de débattre de ce projet de loi en commission et je vous remercie de bien vouloir l'y renvoyer.

PL 7181

Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire.

M 817-A

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.