Séance du
vendredi 4 novembre 1994 à
17h
53e
législature -
2e
année -
1re
session -
40e
séance
M 945
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- l'effort en cours de redressement des finances publiques du canton, conformément au plan financier quadriennal 1993-96;
- la volonté populaire qui s'est maintes fois manifestée contre tout accroissement de la fiscalité;
- le taux d'amortissement moyen des biens de l'Etat réduit depuis 1992 de 10 à 6%;
- l'indispensable poursuite des efforts d'économies à réaliser,
invite le Conseil d'Etat
- à déclarer avec effet immédiat, au sein des départements et des régies en dépendant, l'obligation de justifier par leur nécessité impérieuse toutes les acquisitions de matériels, appareils, véhicules, machines, mobiliers et équipements divers, le cas de la recherche scientifique demeurant réservé.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Dans sa présentation des comptes 1993, le chef du département des finances indiquait qu'il éprouvait une satisfaction certaine en constatant que «l'Etat a pu maintenir un volume d'investissement brut de 562 millions de francs assurant ainsi un appui anticyclique, facteur de relance».
Les motionnaires partagent dans une certaine mesure la satisfaction du chef du département des finances. Il est en effet utile que l'Etat, en période de crise, contribue à l'effort de relance économique et de maintien de l'emploi par un volume d'investissements aussi important que possible dans le tissu productif local.
On doit cependant constater, d'une manière générale, que ces efforts devraient être mieux mesurés à l'aune des moyens financiers dont dispose le canton. Contrairement, en effet, aux nations, l'Etat de Genève ne dispose pas du privilège de battre monnaie, ce qui l'oblige à emprunter les capitaux destinés à cette relance et du même coup à alourdir une dette publique dont le poids deviendra vite insupportable pour les générations futures.
Jusqu'au rétablissement d'un équilibre durable des finances publiques, il faut donc réduire le volume des investissements de l'Etat, une mesure qui se justifie d'autant plus que, fort heureusement, la reprise économique est désormais engagée.
Par ailleurs, les motionnaires s'étonnent que figure dans la liste des investissements réalisés une multitude d'achats qui ne présentent aucun intérêt en termes de relance et d'emploi. Par exemple, en 1993, ce sont des dizaines de millions de francs qui ont été dépensés en matériel informatique, en véhicules, en centraux téléphoniques, en instruments de mesure, en matériel hospitalier, en appareils médicaux, en matériel pédagogique, en mobilier, en parcomètres, etc. Tous ces matériels proviennent, en effet, dans la très large majorité des cas, au mieux des cantons voisins, très généralement plutôt d'Allemagne, de France, du Japon ou des Etats-Unis.
Pourquoi ces acquisitions? Très généralement parce que ces équipements ont pour vertu d'être plus modernes, technologiquement plus évolués que les équipements remplacés, ceux-ci étant le plus souvent en bon, voire en excellent état. Mais leurs utilisateurs font valoir qu'ils sont «technologiquement usés, dépassés» ou encore que «les contrats de maintenance arrivent à échéance».
Cette approche, dans l'état actuel des finances genevoises, est anachronique et il convient de geler avec effet immédiat ce type de dépenses qui, répétons-le, n'apportent rien sur le plan de la relance et de l'emploi mais qui, par contre, contribuent à creuser les déficits budgétaires et à grossir les problèmes de trésorerie du canton.
Le gel que demandent les motionnaires s'avère d'autant plus nécessaire que dès 1992 le Parlement genevois a accepté de diminuer de 10 à 6% le taux moyen des amortissements. Une telle diminution, si l'on ne veut pas qu'elle ne reste qu'une mascarade comptable et si l'on veut éviter qu'elle se traduise à terme par un renforcement des difficultés financières du canton, impose en effet un ralentissement des investissements. Elle impose que les Genevois acceptent d'utiliser plus longtemps, de renouveler moins rapidement les équipements des services publics et qu'ils se fassent à l'idée que, pour un temps au moins, ils devront parfois se passer des équipements les plus sophistiqués.
Demeurent bien entendu réservés, s'agissant du gel susmentionné, les cas de nécessité impérieuse. Les motionnaires laissent au Conseil d'Etat le soin de définir précisément ce qu'on doit entendre par ces termes. Sommairement, on peut dire que la nécessité impérieuse concerne tous les cas dans lesquels les matériels, appareils, véhicules, machines et équipements divers sont physiquement usés à un point tel que leur maintenance et leur réparation ne sont plus possibles.
Demeurent aussi réservées les exigences formulées par les institutions publiques se livrant à la recherche scientifique.
En conclusion, on relèvera que le gel proposé ne peut avoir qu'un effet positif sur l'emploi dans les secteurs de l'entretien et de la maintenance qui regroupent de nombreuses PME et entreprises artisanales locales. Une fois la volonté de l'Etat clairement exprimée de faire durer ces équipements, on assistera d'ailleurs à une multitude de propositions et de solutions intelligentes en provenance des artisans et des PME concernés, propositions et suggestions qui permettront à l'Etat de réaliser aisément les économies attendues, économies qui, répétons-le, portent sur des dizaines de millions de francs chaque année.
On notera que cette motion reprend dans une certaine mesure, mais de manière plus pressante vu la situation, les objectifs et les motifs exprimés par la motion 863 adoptée par le Grand Conseil le 11 juin 1993 mais dont il apparaît que le Conseil d'Etat n'a guère tenu compte. Les motionnaires relevaient alors déjà que «le profit vient de l'entretien, de la longévité dubien (...). Créer des emplois dans cette perspective de maintenance, des emplois qualifiés et décentralisés, voilà une formule d'avenir pour une société moderne».
En vertu de ce qui précède, les motionnaires vous remercient, Mesdames et Messieurs les députés, de soutenir cette proposition de motion.
Débat
M. Bernard Lescaze (R). Je pense que les invites de la motion sont suffisamment claires pour montrer qu'il s'agit d'un problème relativement complexe mais susceptible d'offrir un certain nombre de pistes possibles d'économies. L'exposé des motifs donne en détail quelques-unes de ces pistes et il en existe certainement d'autres. Je propose donc que cette motion soit renvoyée pour examen à la commission des finances.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Voilà une motion que nous soutiendrons, car elle respecte trois principes nous tenant à coeur. Premièrement, la durabilité des objets, ceux qui orientent les achats vers des objets de qualité et ceux qui encouragent la fabrication d'objets durables, d'où, à long terme, diminution des déchets. Deuxièmement, la volonté d'imposer ce principe au Conseil d'Etat, et, enfin, la création d'emplois dans la perspective de maintenance du matériel, ce qui, de plus, favorise des emplois qualifiés et décentralisés. Nous ajouterons simplement, car les motionnaires n'en parlent pas mais cela était peut-être sous-jacent, qu'il faut absolument se soucier également, lors des achats, de porter le choix sur des appareils respectueux de l'environnement et peu gourmands en énergie.
M. Jean-Pierre Lyon (AdG). La proposition de motion de nos collègues est intéressante. Ce n'est pas une nouveauté, puisque la Ville de Genève a déjà appliqué ce système il y a quelques années sur les postes 314 à 318 qui correspondent à l'achat de biens et de matériels.
Je rappellerai à nos collègues motionnaires qu'il aurait été plus intéressant - comme la commission des finances de la Ville de Genève l'avait d'ailleurs fait pour cette dernière - dans la rédaction de cette motion, d'indiquer le pourcentage des postes. Je demanderai à nos collègues motionnaires quel est le pourcentage qu'ils prévoient. Est-ce 10 à 15% d'un poste, au maximum ? Si tel était le cas, cela voudrait dire que le Conseil d'Etat devra venir avec des propositions plusieurs fois par année pour compléter les biens, services et marchandises. J'aimerais que l'un des motionnaires nous renseigne sur ce point.
M. Bernard Lescaze (R). Je regrette, malheureusement, de ne pas pouvoir satisfaire M. Lyon à ce stade. Si je propose le renvoi en commission, c'est précisément pour que, face à l'ensemble de ces problèmes, les députés - et les collègues de son parti y seront, je l'espère, associés - puissent en étudier les pourcentages et les modalités. Je ne peux pas aller plus loin ce soir. M. Lyon a bien fait de rappeler l'exemple de la Ville de Genève, mais il est possible que pour l'Etat les choses ne puissent pas être appliquées exactement de la même manière.
M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. J'indique tout d'abord à ce Grand Conseil que le Conseil d'Etat ne s'oppose pas à ce que cette motion soit renvoyée à la commission des finances. Mais j'entends néanmoins, au nom du gouvernement, vous dire deux choses.
La première, c'est que l'exposé des motifs propose la réduction des investissements et je cite : «jusqu'au rétablissement d'un équilibre durable des finances publiques.». Permettez-moi de vous rappeler que le gouvernement a déjà pris les devants, puisque, à charge du budget, les investissements nets fixés dans le cadre directeur du plan de redressement doivent se situer à hauteur de 250 millions, et que pour le projet de budget 1995 les investissements nets à sa charge représentent 264,2 millions. Nous sommes donc virtuellement dans la cible pour un montant total brut d'investissements de 419,5 millions.
Je rappelle aussi qu'un certain nombre de milieux de ce Grand Conseil nous ont instamment demandé, l'an dernier déjà, de maintenir un volume certain d'investissements afin de permettre d'assurer la reprise de l'économie. C'est ce que nous avons fait et ce que nous continuerons à faire. Mais il est vrai que, si les investissements privés reprennent et que la tendance à la reprise se confirme, le gouvernement essaiera d'avoir une politique anticyclique et, par conséquent, de freiner quelque peu les investissements publics pour laisser se développer les investissements privés.
La deuxième mesure proposée est celle du gel, avec effet immédiat, d'un certain nombre d'équipements. Les membres de la commission des finances le savent bien, les équipements font l'objet d'un plan de renouvellement, tant au niveau de l'Etat qu'au niveau des établissements publics autonomes et il est présenté régulièrement à la commission les plans décennaux, par exemple de l'hôpital cantonal, en matière de renouvellement d'équipements.
J'ajoute au surplus que, depuis un certain nombre d'années, le Conseil d'Etat présente à votre Conseil, avec le projet de budget de l'année, le train de lois d'investissement enregistrant essentiellement, à part celle des rubriques budgétaires, les biens d'équipement auxquels la motion fait allusion. Je vous signale que, par cet instrument du train de lois d'investissement, les membres de la commission des finances, tout d'abord, et le Grand Conseil, ensuite, peuvent se déterminer sur les besoins en équipements, que ce soit en matière informatique ou de renouvellement de matériels de tout genre tels qu'évoqués dans la motion.
Vous avez donc, par ce biais et par la volonté de transparence du gouvernement, le moyen de vous déterminer. C'est si vrai que le train de lois d'investissement du projet de budget 1995 a fait l'objet de débats à la commission des finances et que l'ensemble des projets de lois qui vous ont été présentés en matière d'équipements ont été acceptés. J'entendais vous dire cela pour signifier ici que ce qui est demandé nous le réalisons déjà. Je suis parfaitement d'accord, comme indiqué au début de ma réponse, que nous allions plus loin dans la discussion à la commission des finances et que nous examinions, au niveau quantitatif, ce en quoi pourrait consister, non pas un gel immédiat, ce à quoi je m'oppose, mais une réduction encore complémentaire des équipements.
Sachez enfin que dans les domaines du parc des véhicules, informatique et des équipements médicaux, on va largement, depuis deux ans, au-delà des planifications de renouvellement pour, précisément, répondre à une des préoccupations des motionnaires.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). J'ai bien écouté les propos de M. Vodoz, conseiller d'Etat, mais je voudrais tout de même ajouter une petite chose en tant que membre de la commission des finances. J'ai remarqué que la marge de manoeuvre pour modifier les lignes budgétaires est toujours très faible, car les départements ont toujours d'excellentes raisons pour présenter et maintenir leurs demandes de crédits. Cette motion a pour nous toute sa raison d'être et c'est pour cela que nous souhaitons son renvoi en commission.
M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. Mais, Madame la députée, le Conseil d'Etat, par rapport aux demandes formulées par les services, fait déjà toute une série d'arbitrages avant de vous présenter ce qui lui paraît indispensable. Ce choix, nous le faisons, il vous incombe ensuite à vous, et vous en avez le pouvoir, de déterminer si vous l'acceptez ou pas.
Nous aurons toujours de bonnes raisons de maintenir ce que nous considérons comme indispensable. A vous, à votre tour, d'avoir le courage de dire non si tel est votre sentiment et ne pas se retrancher derrière le fait que nos arguments sont bons.
Mise aux voix, la proposition de renvoi de cette proposition de motion à la commission des finances est adoptée.