Séance du
vendredi 4 novembre 1994 à
17h
53e
législature -
2e
année -
1re
session -
40e
séance
I 1916
M. Daniel Ducommun (R). Mon interpellation s'adresse, bien sûr, au président Jean-Philippe Maitre et concerne la gestion de la FIPA en général. Notre groupe regrette que ce sujet ne puisse pas être formellement traité en commission de l'économie à l'appui d'une motion, mais, soyons réalistes, le climat qui s'est dégagé dans cette assemblée la semaine dernière n'est, semble-t-il, pas tellement propice à une remise en question fondamentale de certaines prestations de l'Etat et nous le regrettons.
Il n'est pas honnête de considérer que la conjoncture ou autre remède sorcier arrangera naturellement la situation des finances publiques, d'autant plus que toute augmentation de recettes fiscales rencontre, nous le savons bien, l'opposition populaire. Si nous ne venons pas contre vent, marée et, pourquoi pas, sarcasmes avec des pistes de réflexion telles que celles relatives à la FIPA, nous n'aurons pour marge de manoeuvre que de poursuivre les actions de réduction de la masse salariale et des postes de travail. 370 millions, c'est 3 700 postes de travail supplémentaires à supprimer. Nous ne voulons pas être les acteurs de ce jeu de massacre.
Monsieur Maitre, après ce préambule, dans nos sujets de préoccupation et notre volonté de recherche de nouveaux moyens financiers se trouve la gestion de la Fondation des terrains industriels Praille-Acacias dont vous êtes l'honoré président. Il n'est pas question d'affaiblir le tissu industriel de notre canton. Un secteur secondaire fort et performant constitue un socle de richesses fondamentales pour l'équilibre économique de Genève et sa région. Il ne faut donc pas supprimer quoi que ce soit mais mieux utiliser nos moyens et gérer plus efficacement le patrimoine de la FIPA.
Fort de ces considérations générales, nous vous remercions, Monsieur le président, d'apporter une réponse à nos diverses interrogations. Le rendement net réel des biens n'excède pas 3% et il est donc considéré comme insuffisant. Certaines rentes du droit de superficie ne sont plus en adéquation avec les conditions économiques actuelles. Une indexation tous les quinze ans est insuffisante. Des entreprises payeraient 9,50 F par m2 et par an de loyer, d'autres 100 F ! Est-ce normal ? Une politique de mixité, secteur secondaire, secteur tertiaire et autres activités, existe-t-elle ?
Autre réflexion. Un développement immobilier par voie verticale tel que le pratique le secteur tertiaire rentabilise, bien entendu, mieux le sol qu'une structure horizontale. De plus, lors de la révision du loyer, s'il nous paraît normal que pour moitié la référence soit à l'indexation à l'indice suisse des prix à la consommation, il n'est pas normal que pour l'autre moitié on tienne compte de la variation du taux hypothécaire, compte tenu de sa stabilité ces dernières années. En théorie, certains loyers pourraient donc baisser lors de la révision. Pourquoi ne pas envisager, également, la vente par la fondation aux superficiaires qui le souhaitent, en adaptant la loi sur la FIPA avec la haute autorité de notre Grand Conseil. Certaines entreprises le souhaiteraient.
Proposer la vente du terrain lorsqu'il y a changement de propriété de l'immeuble devrait être une des options à développer. Il n'apparaît pas qu'une socialisation du sol soit une saine politique dans le climat économique actuel. Une telle solution satisferait et l'entreprise et l'Etat dans le cadre d'un apport de trésorerie salutaire lorsque l'on doit emprunter auprès des banques 3 millions par jour pour faire tourner la machine. Enfin, et pour nous rassurer sur l'efficacité de cette gestion, un audit de la FIPA est recommandé, soit par un organisme spécialisé, soit par notre commission de contrôle de gestion, d'autant plus que certaines critiques sont formulées sur la qualité du management.
Nous serions heureux, Monsieur le président, que vous puissiez partager certaines de nos préoccupations, étant entendu que nous restons en tout temps à votre disposition pour tout complément d'information.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Nous regrettons que cette motion ait été retirée, parce qu'elle aurait sans doute permis un débat sur la politique industrielle et d'opposer à votre débat de politique financière un vrai débat de politique industrielle. Vous l'avez retirée et vous souhaitez poser, en quelque sorte, les mêmes questions que par le biais d'une interpellation, raison pour laquelle nous vous répondons très volontiers.
Avant qu'elle soit retirée, le Conseil d'Etat estimait devoir dire qu'il ne pouvait pas approuver cette motion mais qu'elle avait son mérite malgré ce que l'on entend dire parfois sur la politique industrielle. Elle aurait permis de donner un certain nombre de renseignements, de recadrer la politique industrielle de ce canton et d'attirer l'attention du Grand Conseil, ou de certains députés qui semblent les méconnaître, sur une des conditions-cadres performantes que nous avons à Genève. Par votre interpellation, vous engagez un pur débat de politique financière et budgétaire. Nous souhaitons vous répondre et délibérer sur le vrai débat, qui est un débat de politique industrielle.
Le premier point par lequel vous souhaitez attirer l'attention du parlement est celui des loyers et de la réadaptation de ceux-ci, respectivement des rentes de droit de superficie. Permettez-moi de vous dire que la FIPA est parfaitement bien gérée et tous les loyers, toutes les rentes de droit de superficie, sont régulièrement réadaptés aux échéances statuaires et contractuelles. Du fait que la FIPA est bien gérée, il arrive parfois que certaines adaptations de droit de superficie portent sur des montants relativement réduits. C'est la raison pour laquelle le conseil d'administration de la FIPA, afin d'éviter des frais inutiles et notamment des frais notariés et autres frais administratifs, a estimé ne pas devoir les notifier mais les stocker de façon à les notifier à une autre échéance de réadaptation. C'est une gestion rigoureuse, ce qui évite d'engager des frais administratifs qui, à un moment donné, vont au-delà du montant en jeu. La FIPA est tellement bien gérée qu'elle a pu constituer des réserves. Ces réserves sont d'une telle importance que nous venons de prendre la décision, dans le cadre du budget 1995, de démobiliser une partie d'entre elles de façon à les apporter en supplément de recettes à l'Etat. Si ça, ce n'est pas de la bonne gestion, alors je ne sais pas ce qu'il faut entendre par bonne gestion !
Vous souhaitez, et là on entre dans un débat qui est plutôt celui de la politique industrielle, que les rentes de droit de superficie soient réadaptées, parce qu'elles correspondraient à une situation foncière qui ne serait pas en phase, si je puis dire, avec le marché. En d'autres termes, vous souhaitez - c'était notamment exprimé dans votre motion mais vous l'avez dit de manière un peu différente maintenant - que le prix du terrain à partir duquel le droit de superficie est calculé soit réadapté.
Très catégoriquement et en tout respect pour vos préoccupations, la réponse est non. Cela mettrait en péril un des aspects essentiels de la politique industrielle de ce canton qui consiste à pouvoir mettre des terrains bon marché à disposition des entreprises performantes qui nous honorent de leur présence et de leurs activités. Vous savez que dans l'industrie, en règle générale - il y a évidemment toujours des exceptions - on ne dégage pas des marges comparables à celles que l'on obtient dans un certain nombre d'activités de service. Dans ce contexte-là, il est de toute première importance que les charges foncières, qui font partie du prix de revient d'un produit industriel, restent les plus basses possibles, car c'est la seule façon de permettre aux industries de continuer à dégager des profits, de les réinvestir dans des produits nouveaux et d'innover dans des technologies nouvelles.
Très clairement, nous devons vous dire, Monsieur le député, qu'il n'est pas question de réadapter le prix des terrains et nous avons la fierté, à Genève - alors que nous avons par ailleurs un marché foncier qui n'est pas réputé par la modicité de ses prix - d'avoir des terrains industriels bon marché dans la zone industrielle Praille-Acacias, gérée par la FIPA, ainsi que dans d'autres zones de développement industriel, et des prix supportables pour les industries qui permettent véritablement à notre canton d'avoir une ambition industrielle grâce à cet outil de travail.
En outre, il y a la conjoncture actuelle et ses difficultés. Je voudrais vous donner, si je le pouvais - mais le secret de fonction, la loyauté et la discrétion que nous devons avoir à l'égard des entreprises nous en empêchent - une liste d'entreprises qui, en raison de la conjoncture actuelle, alors qu'elles sont en zone FIPA ou dans les autres zones de développement industriel, sur des terrains mis à disposition par l'Etat, nous demandent des moratoires sur les rentes de droit de superficie qu'elles doivent nous verser, des délais, parce qu'aujourd'hui elles sont dans des situations difficiles. Ce sont des délais auxquels nous consentons, car nous estimons que, sur le front de l'emploi, il est évidemment préférable de faire un effort de ce côté-là plutôt que de contraindre les entreprises à dégraisser leur effectif simplement pour leur permettre de payer les rentes de droit de superficie que l'Etat est en droit de recevoir.
C'est, Monsieur le député, une volonté politique industrielle et il n'est pas question d'y renoncer. Je voudrais, à cet égard, mettre le doigt sur ce qui me semble être une contradiction, connaissant, par ailleurs, les opinions légitimes auxquelles vous vous référez en termes de liberté de marché. Voudrait-on augmenter les rentes de droit de superficie au-delà de ce qu'exige la politique industrielle que nous voulons conduire, voudrait-on rehausser le prix des terrains pour le mettre en phase sur le marché que nous devrions, à ce moment-là, en tirer les conclusions nécessaires et supprimer purement et simplement la FIPA, car ce que vous nous demandez, Monsieur le député, c'est la négation de la FIPA. La considérer comme n'importe quel opérateur foncier dans ce canton serait la mettre en concurrence avec des opérateurs du privé, et nous n'avons pas cette ambition pour la FIPA. Ce n'est pas son rôle.
Si la FIPA devait opérer dans les mêmes conditions que celles du marché, elle se comporterait alors comme un promoteur ou comme une régie et elle n'aurait pas de justification. Laissons faire les opérateurs du secteur privé.
C'est parce que la FIPA est au service d'une politique industrielle dont l'un des aspects essentiels est d'avoir des terrains bon marché qu'elle a sa raison d'être. Alors, loin de diminuer son rôle, nous entendons au contraire le renforcer. Voilà la réponse que je voulais vous donner. Je vous remercie, Monsieur le député, au travers de cette motion transformée en interpellation, de nous avoir permis de préciser l'un des aspects essentiels de la politique industrielle de ce canton, aspect auquel nous n'entendons nullement renoncer. (Applaudissements.)
M. Daniel Ducommun (R). Je remercie M. Maitre de ses propos. Je ne peux évidemment pas partager tous ses arguments. Monsieur Maitre, la volonté politique industrielle que vous développez maintenant est louable. Vous subventionnez des entreprises situées dans les zones de vos fondations. Mais il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas que celles-ci, il y a d'autres entreprises dans le canton qui ont besoin d'avoir cette volonté de politique industrielle et qui ont besoin de bénéficier également de conditions-cadres qu'elles n'ont pas forcément. Monsieur Maitre, le débat n'est pas clos mais, à mon avis, ne fait que commencer, et c'est avec plaisir que nous pourrons y revenir.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Un mot, Monsieur le député, pour dire que nous ne subventionnons pas les entreprises. Nous leur mettons à disposition les éléments de base leur permettant de développer leur activité et, parmi ces éléments de base, il y a des terrains équipés mis à disposition, à des prix compatibles avec l'activité industrielle et les marges que l'on peut dégager de cette activité.
Deuxième point. Toutes les entreprises industrielles qui se trouvent soit en zone industrielle Praille-Acacias, soit dans les zones industrielles de développement, sont logées à la même enseigne. Nous appliquons la loi générale sur les zones de développement industriel et c'est une loi qui, précisément, est un des instruments de politique industrielle. Il n'y a donc pas d'inégalité de traitement. Il pourrait y avoir inégalité de traitement - si c'est ce que vous vouliez dire - avec d'autres entreprises non industrielles. Mais vous savez, Monsieur le député, que l'inégalité de traitement consiste à apporter des réponses différentes à des situations identiques. La situation d'une entreprise du secteur tertiaire n'est pas identique à celle d'une entreprise industrielle, que ce soit en termes de charges foncières, d'équipements nécessaires, de dévestiture, ou autres.
Je puis donc vous dire que l'ensemble des industries exerçant leur activité dans les zones industrielles de développement ou stricto sensu dans la zone industrielle de Praille-Acacias, sont logées à la même enseigne avec des différences d'approche, puisque, dans la zone industrielle Praille-Acacias, la FIPA a pour mission de gérer cela directement et, à teneur de la loi, ne peut voter que des droits de superficie. J'aimerais vous dire que s'il y a plus de trente ans nos prédécesseurs au gouvernement - dont certains étaient d'ailleurs de votre parti - n'avaient pas eu un certain courage, malgré quelques avis qui, à l'époque, contestaient la mise en place d'un régime FIPA, il n'y aurait probablement plus d'industries dans ce canton. C'est dire qu'aujourd'hui, non seulement nous ne devons pas avoir l'ambition de détruire ce qui a été incontestablement utile mais de réfléchir à améliorer le système dans le sens d'une vraie politique industrielle et non pas d'une politique financière. Nous avons un devoir, si nous voulons maintenir une industrie dans ce canton, de ne pas alourdir les charges foncières qui sont un des points importants du prix de revient des entreprises.
Cette interpellation est close.
Le président. J'ai le plaisir de saluer à la tribune du public la classe de troisième année de Mme Châtelain, de l'école de culture générale Jean-Piaget. (Applaudissements.)