Séance du vendredi 21 octobre 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 10e session - 37e séance

M 943
6. Proposition de motion de Mme et MM. Jean-Pierre Gardiol, Thomas Büchi, Claude Blanc, Olivier Vaucher, Geneviève Mottet-Durand, Pierre Kunz et Jean Opériol pour faciliter l'accueil des personnes âgées au sein de familles bénéficiant de logement HBM ou HLM ou souhaitant accéder à de tels logements. ( )M943

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que, d'une part, le coût pour loger des personnes âgées dans des institutions d'hébergement, des pensions, des foyers ou d'autres immeubles est extrêmement élevé à Genève tant pour ces personnes ou leur famille que pour la collectivité publique et que, d'autre part, un tel logement n'offre pas un cadre médical familial pourtant nécessaire au bien-être de ces personnes;

- que certains couples souhaiteraient partager leur logement avec un proche parent âgé, qui ne bénéficie souvent que d'une rente AVS pour vivre, laquelle serait, toutefois, ajoutée au revenu du locataire qui sollicite ou occupe déjà un logement dans des immeubles HLM ou HBM afin de déterminer son taux d'effort;

- qu'ainsi le revenu global obtenu ne permettra pas au couple et à la personne âgée de bénéficier de logements HBM ou HLM ou alors impliquera une surtaxe ou l'augmentation de celle-ci pour les locataires, manifestement disproportionnée avec le revenu effectif du couple,

invite le Conseil d'Etat

- à préparer un projet de loi modifiant la loi générale sur le logement et la protection des locataires, du 4 décembre 1977, visant à soustraire du revenu pris en compte dans le calcul du taux d'effort la rente AVS de la personne âgée constituant la principale ressource de son bénéficiaire;

- à modifier en conséquence le règlement d'exécution de la loi générale sur le logement et la protection des locataires, du 24 août 1992.

EXPOSÉ DES MOTIFS

A l'heure actuelle, un nombre croissant de personnes ont des revenus leur permettant de bénéficier de logements subventionnés, catégories HBM ou HLM, parmi lesquelles il existe certains couples qui n'ont souvent plus d'enfants à charge, mais qui souhaiteraient accueillir un proche parent dont le principal revenu est une rente AVS très modeste.

Mais l'article 31 de la loi générale sur le logement et la protection des locataires (ci-après LGL) définit le revenu du locataire comme l'ensemble des ressources du titulaire du bail, au sens de la loi sur les contributions, auquel s'ajoute le revenu des personnes faisant ménage commun avec lui.

De ce fait, malgré les déductions forfaitaires comprises dans cet article, il arrive que certains locataires accueillant une personne âgée ne puissent bénéficier d'un logement social ou alors que leur taux d'effort soit dépassé en cours de bail, leur imposant, par conséquent, le barème de sortie ou une surtaxe.

Or, il faut relever que l'accueil de personnes âgées par leur famille permettra d'éviter des placements en institutions, dont une partie des frais est inévitablement prise en charge par l'Etat, ce qui a donc l'avantage de réduire les charges budgétaires de l'Etat en ce domaine.

Il apparaît dès lors qu'il faudrait éviter de pénaliser les couples désirant héberger un proche âgé alors que, parfois, le revenu de la personne âgée accueillie, composé principalement d'une rente AVS, ne lui permet nullement de subvenir seule à ses propres besoins sans l'aide de sa famille.

C'est pour ces raisons que nous demandons à l'exécutif de préparer un projet de modification de la LGL ou un projet de modification du règlement d'application, en ce sens que le revenu AVS de la personne âgée ne soit pas compté dans le revenu du titulaire du bail, en fixant toutefois le revenu maximum du parent accueilli afin de ne favoriser que les personnes âgées disposant de moyens limités.

Débat

M. Jean-Pierre Gardiol (L). Cette motion a été déposée dans le but d'essayer de solutionner certains cas rencontrés pratiquement. Nous avons constaté, lorsque des personnes habitant en HLM font l'effort de garder avec eux une personne âgée, qu'elles peuvent éventuellement payer une surtaxe HLM du fait du rajout du revenu de celle-ci au leur alors que la personne âgée ne bénéficie que du revenu AVS pour vivre.

Nous demandons donc au Conseil d'Etat d'étudier, en regard de cette motion, le cas de plus près et de modifier la LGL dans ce sens. Ainsi, au cas où des gens voudraient obtenir des HLM, même s'ils sont hors barème en raison du montant AVS de cette personne, ils pourront obtenir l'appartement et ne pas payer de surtaxe. Je vous remercie d'accueillir favorablement cette motion et de la renvoyer à la commission du logement pour discussion.

M. Pierre-Alain Champod (S). J'interviendrai à la fois sur les motions 943 et 944 puisqu'elles posent le même type de problèmes, c'est-à-dire des modifications de la loi générale sur le logement pour tenir compte de quelques situations particulières.

J'ai été un peu surpris en lisant ces deux motions, car nous avions discuté, il y a deux ans, des modifications de la LGL. Nous avions essayé de rendre attentif l'ensemble de ce parlement sur les problèmes concrets que pouvait poser l'adoption des nouveaux taux d'effort. Nous avons toujours dit être favorables au principe de la surtaxe, mais, au niveau des montants de cette dernière, nous pensons que cela pourrait poser certains problèmes dans son application concrète.

Nous avions visiblement raison puisqu'il y a, aujourd'hui, deux motions nous demandant de modifier la loi pour tenir compte de cas particuliers. Nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission de ces deux motions, nous pensons que l'on peut étudier ces questions. Par rapport aux personnes âgées, je ne pense pas que cela pose trop de problèmes de modifier la loi dans ce sens. Il est vrai que c'est un réel problème. Quant aux couples qui aimeraient avoir un appartement auquel ils n'ont pas droit, eu égard à leurs revenus, mais en tenant compte du fait qu'ils auront plus tard un enfant, cela me semble plus difficile dans la pratique. En effet, si le couple n'a pas d'enfant dans les trois ans, que se passera-t-il ? Est-ce que l'administration enverra une lettre aux gens en leur disant : «Il ne vous reste que huit mois ou une année pour avoir un enfant, faute de quoi vous recevrez une procédure d'évacuation.» ? (Rires et quolibets.)

Le procureur général a déjà de la peine à exécuter les jugements pour non-paiement de loyer, je le vois mal exécuter des jugements pour ne pas avoir eu un enfant dans les délais prévus ! En choisissant des taux d'effort trop élevés, on va multiplier ce type de motions et la loi n'en sera que plus compliquée. On pourrait, par exemple, modifier aussi la loi pour tenir compte des familles ayant des enfants adolescents ou jeunes adultes partant une année à l'étranger suivre des cours. A ce moment-là, ils risqueraient d'être en «suroccupation» et le taux d'effort varierait car ils ne seraient plus quatre dans un appartement, mais seulement trois. La même chose, au cas où un adolescent de dix-neuf ans déciderait d'arrêter ses études une année pour gagner sa vie. Le revenu de la famille augmenterait et cela créerait une surtaxe. L'application de cette loi pose aussi ce genre de problèmes. Ces problèmes seraient bien moins graves si les taux n'étaient pas ceux que l'on connaît.

Pour conclure, nous sommes d'accord de renvoyer ces motions en commission pour en discuter mais pensons qu'un choix de taux plus réalistes aurait évité de compliquer la loi par une multitude d'exceptions.

Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Comme M. Champod, je traiterai la motion 943 en même temps que la motion 944, puisqu'elles procèdent de la même logique.

La droite parlementaire vient d'avoir la révélation de l'utilité des activités non lucratives. Elle n'a pas encore eu l'idée de l'utilité de leur généralisation pour un meilleur partage du travail, pour un partage des activités non rémunérées dans leur ensemble et pour un meilleur partage du temps libre de tous. Mais, patience ! Les motionnaires de l'une et l'autre motion, non contents de s'apercevoir de l'utilité des activités non lucratives, telles qu'assister et héberger un parent âgé ou se consacrer à l'éducation des enfants, réalisent en même temps que cette attitude fait potentiellement économiser à l'Etat des frais de prise en charge.

Les motionnaires proposent alors des compensations financières ou des aménagements de la loi générale sur le logement et la protection des locataires en faveur des ménages faisant l'effort de consacrer une partie de leurs disponibilités à des tâches épargnant à l'Etat des dépenses supplémentaires. L'intention est louable, mais de deux choses l'une. Ou l'on entre en matière sur la prise en compte générale des compensations à accorder à ceux, et surtout à celles, qui se consacrent à des activités d'utilité publique non rémunérées, à l'exemple du «spliting» prévu par la révision de l'AVS, ou, par exemple, par des projets concernant la fiscalité familiale, ou l'on s'abstient d'entrer en matière.

La loi sur le logement et la protection des locataires n'est probablement pas le meilleur lieu de la prise en compte des charges qui peuvent peser sur les familles. Les cas particuliers à l'origine des présentes motions sont respectables, mais on pourrait en considérer d'autres. Il est, dès lors, préférable de considérer la loi sur le logement et la protection des locataires dans son ensemble.

Concernant les personnes âgées et le fait que leurs revenus, même modestes, s'ajoutent aux revenus du ménage - tout comme, par exemple, le cas des premiers revenus d'un jeune logeant chez ses parents qui voit ainsi les droits du ménage réduit en proportion - il faut cependant noter que les uns et les autres de ces revenus existent bien concrètement. En ce qui concerne maintenant les couples de jeunes ou leur future baisse de revenu à l'arrivée d'un premier enfant, sauf à considérer qu'il y a pléthore de logements HLM ou HBM, la proposition de les faire bénéficier de tels logements avec surtaxe dans l'attente qu'ils répondent aux critères prévus par la loi constitue de nouveau un cas particulier. Quant au contrôle, on l'imagine problématique.

La démarche des motionnaires est donc louable, sympathique, mais elle propose des bricolages casuels, et nous espérons que la commission du logement ou, mieux encore, la commission des affaires sociales, saura placer la discussion sur un plan général de cohérence et d'égalité de traitement. Je vous rappelle notamment que la loi sur l'aide à domicile incite les services à rechercher et à soutenir la participation du voisinage et des familles. Il faut examiner si les incitations souhaitées doivent, en priorité, concerner la loi sur le logement.

M. Pierre Kunz (R). En cette année dite de la famille, encore moins qu'en d'autres temps, je ne vois pas comment on pourrait s'opposer à la réforme proposée. Comment ne pas être sensible, en effet, à ses conséquences bénéfiques pour les personnes âgées dont l'isolement sera retardé, dont l'intégration familiale sera prolongée au plan familial par le renforcement du tissu familial que la réforme induit, au plan du logement par la libération de certains logements que la réforme favorise et enfin pour les finances publiques dont les charges d'hébergement et de mise en institution des personnes âgées devraient se trouver réduites. C'est pour toutes ces raisons que les radicaux sont, bien entendu, en faveur du renvoi de cette motion en commission.

M. Claude Blanc (PDC). J'aimerais ajouter à ce que vient de dire M. Champod au sujet de la loi générale sur le logement et ses aménagements que cette loi, effectivement, a pris quelques rides. C'est pour cela qu'il y a deux ans, nous l'avons modifiée pour en rendre les critères beaucoup plus précis de manière à éviter que des abus puissent se manifester et que des gens n'ayant pas fondamentalement droit à une aide de l'Etat puissent tout de même l'avoir.

Vous en connaissez les résultats, certaines personnes ont été les «victimes» de surtaxes et nous avions eu, d'ailleurs, un débat dans ce Grand Conseil, car certains cherchaient à protéger les personnes qui abusaient. On s'aperçoit maintenant que cette loi, que nous avons voulue plus dure, doit être aménagée cas par cas. Je ne crois pas qu'il y ait de honte à vouloir le faire, car c'est à l'usage que nous voyons les difficultés rencontrées. Si nous n'apportons pas à cette loi, au fur et à mesure, les modifications qui s'imposent, nous nous exposerons à des mesures extrémistes comme celles dont nous parlerons tout à l'heure.

Ce n'est vraiment pas ce que nous voulons, c'est pour cela que nous sommes partisans de modifier la loi de cas en cas, de manière à répondre à toutes les possibilités pouvant s'offrir, soit pour les personnes âgées, soit pour les familles avec ou en attente d'enfants.

M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Je vous invite à accepter, comme vos collègues vous l'ont suggéré, ces deux motions et de les renvoyer à la commission du logement. Nous pourrons, à ce moment-là, examiner un certain nombre de cas particuliers et avoir la discussion plus générale qui est souhaitée.

Lorsque vous avez adopté la modification de la LGL, vous avez également, je vous le rappelle, adopté des articles qui nous permettent, d'une manière ponctuelle, de faire des exceptions afin de régler des problèmes particuliers au plan social, ce que nous ne manquons pas de faire. Je suis témoin du bien-fondé des textes qui nous sont soumis maintenant. Par contre, je réinterviendrai tout à l'heure sur la motion touchant le subventionnement des logements d'utilité publique pour faire des remarques plus générales au sujet de la LGL.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission du logement est adoptée.