Séance du
jeudi 20 octobre 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
10e
session -
36e
séance
M 942
LE GRAND CONSEIL,
considérant l'enjeu que représente la défense de la vocation internationale de Genève,
désireux d'optimaliser les efforts entrepris,
soucieux de bien clarifier les compétences à cet égard, et que le canton se dote des meilleurs atouts,
invite le Conseil d'Etat
1. à créer une délégation aux affaires internationales, voire à charger un département des affaires internationales;
2. à favoriser toutes les interfaces entre la Genève internationale, d'une part, la société locale et régionale, d'autre part;
3. à définir les principes présidant aux conditions d'accueil de nouvelles organisations.
EXPOSÉ DES MOTIFS
La vocation internationale de notre cité est une de nos spécificités et un de nos atouts qu'il s'agit de défendre fermement. Il n'en va pas seulement des quelque 20 000 emplois du secteur international public mais très directement du rôle de Genève dans l'avenir. On le sait, une concurrence très forte existe au sujet de l'implantation d'organismes internationaux, et elle nécessite des autorités genevoises qu'elles soient très attentives. Or, la politique menée actuellement à cet égard nous semble trop empirique, pouvant notamment générer des dysfonctionnements, la non-mise en oeuvre de synergies, et l'improvisation.
Ad. 1
Il est impératif, en particulier, que les difficultés extérieures ne soient pas compliquées par des difficultés internes. Dans différentes affaires récentes relatives aux Nations Unies, nous avons pu constater des dédoublements, voire des contradictions, dans les courroies de transmission, entre Berne et Genève, d'une part, Berne, Genève et les interlocuteurs internationaux, de l'autre. Actuellement, pratiquement tous les départements du Conseil d'Etat sont concernés par de tels contacts: il est question de fiscalité, de permis de travail, de construction (FIPOI), de sécurité, de formation, etc. Dans des affaires récentes (par exemple tentative de localiser à Genève la commission du développement durable) le fait que plusieurs départements entretenaient leurs propres contacts, notamment en direction de Berne, a considérablement compliqué les choses.
Il est essentiel qu'une concentration des relations extérieures soit décidée, au même titre qu'il existe un département chargé des affaires régionales; les affaires internationales ne sont pas moins importantes... Tout au moins une délégation devrait-elle être instituée. Récemment, le Conseil d'Etat annonçait la création d'un bureau d'accueil et d'une cellule pour le logement. A court terme déjà, cependant, une concentration des compétences juridiques et factuelles est incontournable. Il est en effet important de pouvoir suivre les contacts, de s'imprégner des affaires internationales, et non seulement de désigner pour l'extérieur un interlocuteur clairement identifiable, mais aussi de comprendre au mieux les évolutions qui vont marquer l'avenir des négociations internationales, les tendances nouvelles qui se font jour, afin de détecter à temps les besoins et de pouvoir définir nos offres à temps utile.
Ad. 2
Dans l'histoire genevoise récente, les relations entre Genève et son secteur international n'ont pas toujours été au beau fixe. Trop souvent, ce sont deux mondes qui se tournent le dos, alors qu'ils auraient beaucoup à apprendre l'un de l'autre. Il importe de favoriser toutes les possibilités d'interface entre la société locale et régionale, et le milieu international. Un exemple à ce sujet était le projet d'interface dit de la Maison de l'environnement, qui, malgré les démarches tant des milieux de l'environnement et du développement que des milieux économiques (Chambre du commerce) et de deux motions du Grand Conseil n'a pas pu se réaliser à l'occasion de la rénovation du Palais Wilson. Il importe de faire l'inventaire des interfaces possibles et d'apporter systématiquement son concours. Dans ce sens, le projet du cinquantenaire de l'ONU à Genève mérite toute notre attention.
Ad. 3
La compétition engagée entre diverses villes pour l'accueil d'infrastructures internationales nécessite de faire des offres favorables. Il peut être cependant dangereux à terme d'agir de manière trop spontanée; la logique bien connue du précédent pouvant nous coûter fort cher par la suite. Ainsi, pour gagner la bataille de l'OMC, il a fallu agir et offrir vite. Il ne s'agit nullement de revenir sur ces offres ni d'élever une critique à cet égard, mais une discussion transparente et une implication du Grand Conseil s'imposent, si l'on ne veut pas que nos victoires ne soient, de sous-enchère en sous-enchère, des victoires à la Pyrrhus.
Pour ces motifs, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, afin qu'il puisse nous rendre réponse dans les meilleurs délais.
Débat
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Tout à l'heure, plusieurs d'entre vous sont intervenus pour préciser quelle était la répartition des tâches entre les uns et les autres. Les affaires internationales représentent aujourd'hui, au sein du gouvernement, une tâche plus lourde que par le passé. Mais nous avons fait la démonstration, durant cet été notamment, que nous étions à même de relever ces défis et qu'en collaboration et en harmonie avec la Confédération nous pouvions conduire notre mission à bien.
Ces problèmes ne peuvent être résolus simplement en créant une délégation aux affaires internationales. Il y a un partage des tâches au sein du gouvernement en fonction des sujets traités. C'est la raison pour laquelle nous vous invitons à refuser cette motion.
M. René Longet (S). Je suis désolé de parler après M. le conseiller d'Etat, mais j'avais levé la main. Les propos de M. Haegi nous permettent cependant de connaître la pensée du Conseil d'Etat.
Je pense, Monsieur Haegi, que vous avez lu cette motion dans un esprit différent de celui qui a présidé à sa rédaction. Il y a quelque temps a été entamée une réflexion consistant à se poser un certain nombre de questions sur la façon dont ce canton peut valoriser son rôle international. Nous sommes, je crois, tous d'accord que ce rôle international est essentiel, que nous y tenons et que ce Grand Conseil a non seulement le droit mais le devoir d'y apporter sa contribution.
Monsieur Haegi, vous soutenez que cette motion n'a pas de raison d'être et qu'il faut la refuser. Il faudrait au moins regarder plus en détail les trois points qu'elle comporte et se rappeler qu'une motion est une demande d'étude. A mon avis, il est prématuré et faux de dire d'emblée que ces trois points ne méritent pas étude. (Brouhaha.)
Je rappelle que cette motion fait suite à un certain nombre de réflexions et notamment une interpellation que j'ai développée au mois de juin. (Le brouhaha perdure et le président fait tinter sa cloche pour rétablir le calme.) Merci, Monsieur le président ! M. Haegi m'avait donné un certain nombre de réponses. Il me semblait, à partir de ces réponses, que des points demeuraient en suspens et qu'il n'était donc pas illégitime que le Grand Conseil veuille aller plus loin et soulève diverses questions et réflexions. Monsieur Haegi, vous pouvez tout à fait prétendre que cela ne vous intéresse pas, que l'apport du Grand Conseil ne vous est pas utile, que la réflexion à laquelle nous nous sommes livrés ne sert à rien, que vous vous occupez de tout, que c'est de votre ressort. Le Grand Conseil tranchera, et l'on sait que la majorité est faite !
J'aimerais néanmoins rappeler pourquoi nous nous sommes intéressés à cette question. Nous avons dans cette motion trois axes. Le premier consiste à s'imaginer que, du moment que le Conseil d'Etat agit non seulement sous la forme d'un gouvernement mais également au sein de départements, cette répartition a un sens et qu'elle répond aux priorités d'une collectivité publique. Par rapport à cette répartition, nous constatons qu'aucun département n'est véritablement responsable des affaires internationales. Comme vous le dites, Monsieur Haegi, chacun s'en occupe un peu : l'instruction publique, les finances, etc. Il n'y a aucune logique. Mais cette question est suffisamment importante pour que l'on essaie de concentrer les compétences ou, au moins, qu'on y réfléchisse.
Monsieur Haegi, nous avons eu des contacts avec différents milieux. Vous savez qu'actuellement il existe la fondation pour «un avenir pour Genève». Il y a un désir, au niveau des internationaux eux-mêmes de même qu'au niveau fédéral, d'avoir une convergence, que l'on sache qui s'occupe de quoi, que l'on ne doive pas faire la tournée de popotes pour savoir si l'on s'installe à Genève ou pas.
La première invite consiste à savoir s'il ne serait pas judicieux de concentrer les compétences juridiques et intellectuelles face à cet enjeu essentiel pour Genève. Comme vous avez su créer le département des affaires régionales, créons le département des affaires internationales. C'est la première suggestion. Vous pouvez la refuser aujourd'hui, mais inévitablement cette proposition resurgira.
La deuxième suggestion vise à resserrer les liens entre la Genève internationale et la Genève locale. Après la prise de conscience que nous avons vécue, le climat à Genève est favorable aujourd'hui. La population genevoise reçoit volontiers les internationaux. Cela n'a pas toujours été le cas et le temps où l'on s'interroge sur le bien-fondé de notre ouverture pourrait revenir. Il est fondamental, Monsieur Haegi, vous le savez, de créer des liens entre ces deux mondes qui s'ignorent encore trop souvent. Il n'est pas nécessaire de rappeler toutes les démarches entreprises autour de la Maison de l'Environnement pour en faire un lieu d'interface. Cette question de l'interface reste posée. Refuser la motion ne résoudra pas ce problème. Nous pensons qu'il est judicieux de l'étudier.
Quant au troisième point, en période de compétition entre villes internationales, ou qui espèrent le devenir, on prépare des offres dans la précipitation. Je répète mes propos du mois de juin. Nous n'adressons aucune critique au Conseil d'Etat au sujet de son action dans le cadre de l'OMC. Mais, néanmoins, un malaise a été perceptible, malaise répercuté dans divers médias. Il serait préférable d'être préparés à l'avance afin d'éviter d'être entraînés dans le circuit des sous-enchères et de savoir quels sont les principes qui président à l'accueil des internationaux dont nous souhaitons la venue.
Cette motion ne contient aucune malice. Ces trois questions doivent être posées. C'est à vous, chers collègues, de savoir si vous souhaitez que le Conseil d'Etat se pose ou non la question. Si vous lui faites confiance pour régler seul tous les problèmes, nous estimons quant à nous que le Grand Conseil a ses responsabilités à prendre. J'espère que vous les prendrez ce soir. Nous savons ce que nous devons à la Genève internationale et ce que nous voulons à cet égard.
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Nous n'avons pas manqué, au niveau du Conseil d'Etat, de vous tenir au courant, au cours des mois, des événements les plus importants touchant la vie internationale et les organisations installées dans notre canton. Nous avons pu agir avec détermination et succès dans la direction que vous connaissez parce que nous nous sentions soutenus dans notre action. Nous n'avions pas le sentiment d'être isolés du Grand Conseil. Vous vous étiez clairement exprimés sur ce point.
Quand M. Longet se demande si j'ai bien lu les trois invites. Oui, Monsieur Longet, j'ai lu non seulement les trois points mais aussi l'exposé des motifs. Ignorez-vous vraiment ce qui est entrepris ? N'avez-vous vraiment pas suivi nos discussions de cet été ? Ne vous êtes-vous pas rendu compte de ce qui était entrepris au niveau de l'accueil des internationaux à Genève ?
Nous avons eu deux délégations à New York pour étudier le fonctionnement du bureau d'accueil. Aujourd'hui, nous effectuons des sondages dans les entreprises recevant des personnes de l'extérieur. Ce dossier est continuellement ouvert. Nous ne le quittons plus.
Vous n'ignorez pas que nous travaillons beaucoup dans ce dossier. Nous nous montrons actifs et nous nous apprêtons à répondre aux questions posées. C'est la raison pour laquelle, quand vous refuserez cette motion, vous ne manifesterez pas un manque d'intérêt pour les organisations internationales. Vous la refuserez parce que ce que souhaite M. Longet est entrepris et que vous faites confiance à l'action menée par le gouvernement. (Applaudissements.)
Mise aux voix, cette motion est rejetée.
La séance est levée à 23 h 10.