Séance du
vendredi 16 septembre 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
9e
session -
31e
séance
M 936
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- que la mondialisation de l'économie et l'accroissement de la concurrence provoquent des craquements dans le tissu économique et social;
- que sous l'influence des facteurs conjugués de l'augmentation des performances en productivité et des réserves de capacité de production des entreprises, les besoins en main-d'oeuvre diminuent à un rythme angoissant et que même une reprise nous laissera une situation difficile du point de vue de l'emploi;
- que les économies qui créeront des emplois seront celles qui sauront s'orienter vers l'avenir et qu'il convient en conséquence de mener une politique économique active pour aider les entreprises à se moderniser et à affronter les mutations,
invite le Conseil d'Etat
- à réaliser une étude prospective sur la structure et l'avenir des secteurs économiques genevois ainsi que sur les conditions de leur maintien et de leur développement;
- à étudier la création d'une garantie cantonale pour les risques à l'innovation en particulier pour les petites et moyennes entreprises;
- à mettre sur pied un Conseil cantonal de la productivité et de l'innovation dans le cadre du Conseil économique et social pour permettre une articulation entre les acteurs sociaux et économiques et déterminer les zones d'intervention pour favoriser l'innovation, la recherche de capital risque, la commercialisation et l'exportation;
- à définir des mesures en faveur de l'investissement dans la production et la reconversion industrielles et des services ainsi que pour l'introduction de nouvelles technologies et de nouveaux produits dans les PME.
EXPOSÉ DES MOTIFS
La crise que nous subissons est la plus longue du siècle. Elle dure depuis 3 ans. Elle est d'abord conjoncturelle mais, la mondialisation de l'économie et la guerre économique provoquent des craquements dans le tissu économique et social ce qui détermine de profondes transformations structurelles dont les effets ne sont pas négligeables sur l'ampleur et la durée de la crise. La concurrence, exacerbée par le rétrécissement des marchés oblige les entreprises à rationaliser et innover dans tous les domaines. Les performances en productivité globale explosent et font imploser les besoins de main-d'oeuvre à un rythme angoissant. En période normale, ce processus de développement de la productivité permettrait un partage des résultats entre le capital et le travail sous forme pour les travailleurs, d'améliorations des conditions générales de vie et de travail et pour les patrons, d'investissements pour l'avenir et de rémunération du capital exposé au risque.
Hélas, en raison de la crise et de la guerre économique toutes ces améliorations de productivité ainsi qu'une partie des marges sont utilisées pour contrer la concurrence. Si bien que l'équilibre financier des entreprises qui sont en mesure d'investir est souvent rendu aléatoire par un fort endettement. Et surtout, il se crée des capacités productrices non employées. En cas de retour de conjoncture, ces capacités peuvent être mobilisées sans faire appel à l'embauche de main-d'oeuvre. Il n'y aura presque pas de création de nouvelles places de travail.
Ainsi, les effets conjugués de la dépression conjoncturelle ajoutés à la formidable augmentation des capacités de production nous préparent un avenir proche difficile. Même en cas de reprise des affaires.
Face à cette situation, la passivité ne convient pas. Une stratégie de politique économique audacieuse, un peu volontariste mais pas tout-à-fait chimérique peut être définie et mise en place. Elle devrait selon nous reposer sur 4 plans précis d'action:
1. Productivité et innovation (tant dans le domaine technique que social). Un modèle de partage du travail appliqué pourrait constituer une innovation sociale.
2. Capital risque: l'affaire de la «Suisse» a démontré que le type d'entreprise nouvelle ou assainie comme celle de la coopérative sont des entités économiques dépourvues de fonds propres et n'offrant ainsi aucune des garanties ordinaires pour recevoir des prêts bancaires. Ce n'est pas de financement dont elles ont besoin, mais d'un apport de fonds propres sous forme de capital risque.
3. Commercialisation, exportation, financement et marketing.
4. Formation professionnelle, recyclage, formation continue et réinsertion.
Les auteurs de la présente motion n'entendent pas aborder la totalité de ces pistes. Les invites adressées au Conseil d'Etat traitent de productivité et d'innovation. La première demande concerne la réalisation d'une étude prospective sur la structure et l'avenir des secteurs économiques genevois ainsi que sur les conditions de leur maintien et de leur développement. L'état des lieux engloberait en outre les ressources technologiques de la région genevoise ainsi que son potentiel d'innovation. Il s'agit de déterminer les conditions d'adaptation de notre économie au contexte de la concurrence internationale. Avec la progression de l'intégration des marchés, la mobilité des capitaux, de la technologie et des connaissances, la vocation de la politique économique est plus que jamais de favoriser l'attrait de notre place économique.
Pas de commentaires particuliers sur la question de la garantie des risques à l'innovation, sauf pour remarquer que la demande est une demande d'étude et que l'objectif pour les pouvoirs publics est de contribuer par sa politique à créer un climat propice aux investissements «innovateurs». Le financement de l'innovation par les banques reste en effet problématique car ces dernières sont tenues de respecter des règles de sécurité souvent incompatibles avec les caractères d'un projet innovateur présenté par une nouvelle PME.
Avec la mise sur pied d'un Conseil cantonal de la productivité et de l'innovation, nous recherchons le développement de lieux de rencontre et une articulation entre divers acteurs sociaux économiques pour déterminer des zones d'interventions dans lesquelles il serait bon d'agir pour susciter l'intérêt, chercher des partenaires, provoquer des croisements ou des convergences de fertilisation et d'innovation.
Enfin, la définition de mesures en faveur de l'investissement comprend des mesures fiscales, d'encouragement de la recherche, voire des aides plus directes. L'Etat ne doit pas se contenter de garantir des projets innovateurs, mais prendre des mesures actives favorisant la reconversion de secteurs économiques en mutation.
Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vient de désigner les membres d'un tout nouveau Conseil économique et social. Il s'est donc donné un moyen de réfléchir à une stratégie de politique économique. La présente motion se veut une contribution concernant la productivité et l'innovation et au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous engageons à l'accepter.
Débat
Mme Micheline Calmy-Rey (S). Monsieur le président, une seconde ! J'ai oublié mon chocolat sur la table du milieu... (Rires.) et, pour tout vous avouer, j'ai de la peine à quitter le débat sur l'ouverture prolongée des magasins et à me concentrer sur la motion que nous avons l'honneur, mon collègue Pierre-Alain Champod et moi, de vous présenter.
Pour les raisons évoquées dans l'exposé des motifs et sur lesquelles je ne reviendrai pas ici, une politique économique audacieuse et un peu volontariste est tout à fait possible et peut être mise en place. Elle devrait reposer, selon nous, sur quatre plans d'action : la productivité et l'innovation, le capital-risque, la commercialisation, la formation professionnelle, le recyclage et la formation continue.
La présente motion se veut une contribution sur le premier point et n'entend pas englober tous les autres. Nous proposons, premièrement, la réalisation d'une étude prospective, une sorte d'état des lieux dynamique dans le but de déterminer les conditions d'acceptation de notre économie au contexte de la concurrence internationale. (Brouhaha.)
Monsieur le président, je pourrais vous demander de faire fermer la porte de la buvette.
Une voix. A clef !
Le président. La buvette ?
Mme Micheline Calmy-Rey. A clef !
Le président. Je vous signale que ce n'est pas de la buvette que vient le bruit. Il vient de là ! (Montrant du doigt un groupe de députés sous la tribune.)
Mme Micheline Calmy-Rey. Ah bon, moi j'entends qu'il vient de là-bas !
Le président. Je prie les personnes que le sujet n'intéresse pas de sortir de la salle, et les autres d'écouter silencieusement.
Mme Micheline Calmy-Rey. Merci, Monsieur le président. Je constate que l'on a parlé tout à l'heure de compétitivité, d'économie, bla-bla-bla, bla-bla-bla... mais, quand le sujet vous est présenté concrètement, personne ne s'y intéresse !
Je disais que cette motion se veut une contribution dans le domaine de la productivité et de l'innovation, qu'elle propose, premièrement, une étude prospective dans le but de déterminer les conditions d'adaptation de l'économie genevoise au contexte de la concurrence internationale. La deuxième demande est une demande d'étude portant sur la création d'une garantie cantonale pour les risques à l'innovation, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. La garantie des risques à l'innovation a été, à l'époque, vous vous en souvenez, soumise à votation populaire et avait été largement acceptée dans le canton de Genève. Donc, ce que nous demandons, ce n'est pas la mise en place d'une garantie des risques à l'innovation, mais une étude portant sur la possibilité de mettre en place une telle garantie.
Troisièmement, nous cédons finalement à la mode des conseils, dont le conseil économique et social, et nous demandons la mise sur pied d'un conseil cantonal de la productivité et de l'innovation qui pourrait prendre place dans le contexte du conseil économique et social. Enfin, nous proposons au Conseil d'Etat d'être plus actif dans la définition de mesures concrètes en faveur de l'innovation. Je vous demande de bien vouloir renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
M. Armand Lombard (L). L'aspect positif de la motion qui nous est soumise est de parler de reprise et d'envisager le développement industriel et technologique genevois. J'aimerais vous rappeler les principaux objectifs du groupe libéral dans ce domaine.
Tout d'abord, augmentation de l'emploi, meilleure flexibilité dans le temps et dans l'âge des travailleurs. Deuxièmement, augmentation de l'esprit d'entreprise avec moins de directives, moins de contrôles, davantage d'instruments financiers aussi. Troisièmement, un partenariat, mais le développement réel d'un partenariat entre l'Etat, le privé et la société civile, et pas des actions dirigées par l'un ou par l'autre. Quatrièmement, l'aspect de la reprise que nous souhaitons le plus, c'est la réorganisation des services de l'Etat qu'il nécessite.
Si j'en viens à la motion qui nous est soumise, elle ne répond pas véritablement à ces quatre priorités, et oserais-je susurrer, sans être vulgaire, qu'elle est cette fois-là faite avec la tête, mais sans grand coeur. Elle paraît dénoter de la sécheresse et de la technocratie sans dynamique économique. Pour nous, c'est insuffisant.
Le conseil qui nous est proposé, il est discutable, puisque nous avons devant nous la création du conseil économique et social, que nous avons, par ailleurs, toute une action du Conseil d'Etat par les commissions de l'emploi, par le conseil de surveillance de l'emploi, par des échanges avec les entreprises en difficulté. Il en était récemment question à la commission de l'économie en ce qui concerne Tavaro, et nous avons pu constater un grand effort des services du département de l'économie publique pour être en contact avec les entreprises. Par conséquent, il ne nous paraît pas souhaitable, ni nécessaire, d'ajouter encore un autre conseil, avec d'autres gens qui palabrent. Le conseil économique et social suffit, et il n'est pas bon, à notre avis, de recréer un second organe.
Garantie de risque à l'innovation, certainement pas ! Nous chercherons à stimuler le goût du risque.
Zone d'intervention pour les investissements, certainement pas ! Nous recherchons plus de libertés, nous ne considérons pas l'Etat comme un deus ex machina en ce qui concerne le développement économique de Genève. Enfin, l'Etat a déjà fait part de ses priorités dans ce domaine.
Des mesures en faveur de l'investissement. A l'évidence, il en faut, mais pas créées par l'Etat seul, mais par l'Etat en partenariat, et ces développements doivent être opérés dans le domaine financier par la création d'un deuxième marché boursier, de pépinières d'entreprises, par un fonds régional d'investissements ou par d'autres solutions. Ainsi donc, cette motion ne correspond pas à notre projet, mais nous acceptons pourtant de la renvoyer en commission. Je propose la commission de l'économie, pour en discuter. Non pas avec l'espoir d'en sortir grand-chose, mais au moins pour tenter un consensus, une discussion qui, peut-être, une fois - et une fois n'est pas coutume - permettra à la commission de sortir avec quelque chose de positif, plutôt qu'un combat amer.
M. Pierre Kunz (R). Je crains, Madame et Monsieur les motionnaires, que vous soyez tombés dans le travers des peuples méditerranéens dont Malraux disait que : «...depuis la Grèce Antique, ils prennent les discours pour des actions.». (Rires.) Par ailleurs, dans votre texte, il me semble que vous confondez un peu trop rapidement bureaucratisme et efficacité. Mais enfin, puisqu'il faut concerter, concertons, et renvoyons la motion en commission !
M. Claude Blanc (PDC). Pour continuer sur le même ton, j'avais lu quelque part - c'était des Français qui le disaient, mais je ne sais plus lesquels - qu'à Genève quand on avait renvoyé un projet en commission, on pensait que le problème était résolu. Je crois que c'est ce que nous allons faire, nous allons renvoyer ce machin... (Rires.) comme disait un autre Français célèbre, en commission, en espérant qu'il se résoudra...
M. Claude Blanc. Serait-ce que je n'ai pas assez de voix, Monsieur le président ?
Le président. C'est exactement ça !
M. Claude Blanc. Alors, je vais m'efforcer d'en avoir plus. Nous allons donc renvoyer ce machin en commission pour essayer d'en faire quelque chose, bien qu'il soit l'illustration parfaite de ce que je disais tout à l'heure à Mme Torracinta. Vous n'arrêtez pas de pleurnicher sur les mauvaises conditions de l'économie, d'inventer des commissions, des structures, des études prospectives, et chaque fois qu'il s'agit de faire un geste concret pour améliorer les conditions de travail de l'économie, vous refusez de le faire. C'est ce que j'appelle de l'hypocrisie, je maintiens et je signe.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). Je n'interviendrai pas sur le fond de la motion que nous avons proposée puisqu'elle va être renvoyée en commission et nous sommes tout à fait d'accord avec ce renvoi.
Je souhaiterais revenir sur le discours de M. Blanc. Depuis quelque temps, il intervient dans ce Grand Conseil en usant de propos tout à fait vulgaires, il nous traite de pleurnichards, de machins. Monsieur Blanc, je vous rends la monnaie de votre pièce, vous êtes un vieux machin macho ! (L'assemblée s'écroule de rire.)
Cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'économie.