Séance du
vendredi 16 septembre 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
9e
session -
30e
séance
M 937
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le 30 juin 1993, une convention a été signée entre l'Association genevoise des institutions avec encadrement médico-social (AGIEM) et la Fédération genevoise des caisses maladie pour régler l'octroi des prestations médico-pharmaceutiques. Les établissements non membres de l'AGIEM ont pu adhérer individuellement à cette convention. Celle-ci prévoit que les caisses maladie remboursent 9 F par jour pour les soins non infirmiers aux malades chroniques. De plus, les soins infirmiers sont remboursés à l'acte sur la base de relevés mensuels et individuels de prestations. Ces relevés ont donc été introduits dans les établissements membres de l'AGIEM, ainsi que dans ceux qui ont adhéré à la convention.
Ces relevés entraînent un coût administratif important pour les éta-blissements dont une partie du temps de travail des infirmiers et infirmières est consacrée à cette tâche au détriment de la présence auprès des personnes âgées. Ainsi, un établissement de 70 lits a calculé que l'ensemble du per-sonnel infirmier consacre 46 heures par mois à ces relevés, auxquelles il faut ajouter 2 heures de travail de l'infirmière-cheffe et 7 heures de comptabilité et de secrétariat. La vérification de ces relevés dans les caisses maladie doit également entraîner des frais non négligeables.
Dans ces conditions il paraît judicieux d'introduire également un forfait pour le remboursement des prestations pour les soins infirmiers, par analogie avec le forfait hospitalier. Le nombre important de relevés effectués depuis plus d'un an et demi dans les pensions membres de l'AGIEM permet aujourd'hui de déterminer valablement le montant d'un forfait relatif aux prestations infirmières. Un tel forfait est dans l'intérêt de tous: des pensionnaires des établissements qui verront une présence accrue du personnel infirmier auprès d'eux plutôt qu'à remplir des formulaires, des établissements et des caisses maladie qui verront leurs frais administratifs allégés. Cela contribuera à la lutte contre l'augmentation des coûts de la santé sans attenter aux soins et aux prestations.
C'est pourquoi nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à adopter cette motion.
Débat
Mme Danielle Oppliger (AdG). La facturation à l'acte infirmier a été introduite le 1er janvier 1994 et s'est rapidement révélée catastrophique. Les infirmiers les plus qualifiés étant les plus sollicités, le partage de leur temps ne s'est rapidement plus fait entre les patients, mais entre les patients et le bureau.
La proposition que je vous ai soumise vise à l'établissement d'un forfait pour les soins infirmiers en fonction du nombre de jours, comme c'était le cas avant le 1er janvier 1994. Elle s'étend bien à tous les EMS. Dans ces établissements, un gaspillage du temps des infirmiers et infirmières doit être épargné, leur place étant de préférence au chevet des patients et non derrière un bureau, particulièrement au moment où la réduction du personnel est par ailleurs à l'ordre du jour.
Le forfait pour les soins infirmiers doit remplacer le remboursement à l'acte, ce dernier système nécessitant un va-et-vient improductif entre la chambre et le bureau qui occasionne un travail considérable pour les caisses maladie. La facturation au forfait a lieu une fois par mois pour chaque patient en une ligne.
Je vous demande donc de bien vouloir renvoyer la présente motion au Conseil d'Etat.
Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Je souscris au projet de cette motion et à son renvoi au Conseil d'Etat.
En effet, la question du forfait horaire dans les pensions pour personnes âgées - de la même façon que dans le secteur de l'aide à domicile - se pose depuis longtemps. Les négociations avec la Fédération des caisses maladie ont cours sans aboutir pour le moment ni dans l'un ni dans l'autre de ces domaines. Il est indispensable de regarder les choses de façon globale et de se rapporter, par exemple, au célèbre rapport que nous avons cité plusieurs fois hier, dont nous ne connaissons que le résumé. J'utiliserai ce rapport, car pour moi une idée devient juste de deux manières : soit parce qu'elle est répétée beaucoup de fois et qu'elle entre dans les moeurs, soit parce qu'elle est dite par un expert.
Je vous citerai donc le résumé de M. Gilliand, «Système de santé du canton de Genève» : «Un transfert de journée de l'hospitalier vers le médico-social s'est effectué dans le canton de Genève. Même mal maîtrisé ce transfert va dans un sens positif, mais ce processus doit devenir volontaire et nécessite des restructurations des modes de financement. Ce sont surtout des malades qui sont placés dans ces institutions.».
Au chapitre des modalités de financement, l'auteur indique que : «Le financement étatique par couverture des déficits doit impérativement changer.». Il dit :
«1) que des évaluations de la charge de soins, en fonction du degré de dépendance des pensionnaires, doivent être conduites en collaboration avec les établissements et la Fédération des caisses maladie;
2) qu'une seule association faîtière - actuellement, il y en a trois - doit être reconnue et doit passer une convention avec l'Etat et la Fédération genevoise des caisses maladie.».
En effet, comme il est inscrit dans la proposition de motion, la facturation par convention avec les caisses maladie ne concerne que certaines pensions pour personnes âgées.
Ce traitement est injuste, il devrait être homogénéisé pour le canton, mais la proposition de motion est déjà un premier pas dans l'acquisition du forfait horaire, et c'est une bonne initiative.
M. Pierre Marti (PDC). Cette proposition de motion peut, dans un premier temps, être tout à fait acceptable, parce qu'il y a un certain nombre de simplifications qui peuvent être apportées dans la facturation et au temps donné par les infirmières.
Cependant, j'ai reçu quelques téléphones de directeurs de maisons pour personnes âgées - hier encore le président actuel de l'AGIEMS m'a appelé - pour me faire part de leurs réflexions et de leurs questions. Pour tous les actes effectués par les infirmières, nous sommes obligés d'avoir un suivi médical et l'infirmière doit faire un relevé de ses actes, de façon que chaque infirmière puisse faire le passage à l'infirmière suivante qui pourra travailler auprès de ces personnes âgées et surtout pour coordonner le travail plus attentivement avec les médecins traitants. Donc, il y a déjà tout un protocole qui doit être suivi par les infirmières qui est indispensable pour la santé des patients.
D'autre part, certains directeurs craignent quelque peu une banalisation et une déresponsabilisation des personnes concernées.
En troisième lieu, du fait que le relevé des actes est quasiment obligatoire, le travail administratif est assez aisé grâce à l'utilisation par la majorité des établissements d'un modèle de facturation par ordinateur.
Quatrièmement, il semble que les forfaits sont difficilement contrôlables et engendrent, malheureusement, souvent une augmentation des coûts globaux.
Cinquièmement, il est donc plus normal qu'une individualisation des prises en charge et un meilleur contrôle se fassent dans le but de clarifier les prix.
Dernier point. Il faut savoir que la convention entre l'AGIEMS - et non pas l'AGIEM, n'est-ce pas, comme cela est noté dans l'exposé des motifs; il s'agit ici d'établissements médico-sociaux - et la Fédération des caisses maladie a été prorogée le 30 juin dernier pour une étude plus approfondie entre les divers systèmes de facturation, mais, à fin 1995 également, la modification de la loi sur les assurances sera en vigueur.
Faut-il donc, dès maintenant, changer à nouveau le type de facturation ? Je ne le pense pas ! Par contre, le groupe DC ne s'oppose pas au renvoi de cette motion en commission où l'AGIEMS, en fin de compte - qui semble ne pas avoir été contactée par les motionnaires, bien qu'elle soit la première concernée - pourra s'exprimer largement. La commission pourra étudier de façon approfondie - je l'espère - la globalité des prestations des maisons de personnes âgées et leurs divers modes de financement et de subventionnement.
Le président. Monsieur Unger, vous avez la parole !
Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Vous me confondez avec M. Unger ? (Rires.)
Je souhaiterais revenir sur les propos de M. Marti. Je ne m'oppose pas du tout au renvoi de cette motion en commission; c'est un sujet fort intéressant.
Cependant, je dois revenir sur les affirmations de M. Marti qui prétend que le travail des infirmières dans les pensions pour personnes âgées est un travail délégué sur ordre médical. Le travail des infirmières se dissocie en deux parties : un travail délégué sur ordre médical et un travail autonome. Du déplacement de l'hôpital universitaire à la pension pour personnes âgées, la proportion du travail autonome augmente. Il existe des études - vaudoises, il est vrai, mais probablement assez valables pour le canton de Genève aussi - qui estiment que, dans les pensions pour personnes âgées, le travail autonome des infirmières - c'est-à-dire le travail non prescrit par des ordres médicaux - représente 95% de leur activité. Il est donc faux de dire que l'activité infirmière dans les pensions pour personnes âgées est connue, parce qu'elle obéit à des ordres médicaux.
Quant à l'augmentation des coûts impliqués par la demande d'un forfait pour des gens qui se trouvent dans les pensions pour personnes âgées - personnes qui sont de plus en plus âgées, de plus en plus malades et de plus en plus dépendantes - 9 F constitueraient, dans le meilleur des cas, la part forfaitaire payée pour une heure trente de travail minimum. Pour une personne dépendante, le travail d'assistance aux activités journalières telles que manger, bouger, se lever, se laver, correspond au minimum à une heure trente. 9 F pour une heure trente ne me paraît vraiment pas correspondre à une explosion de coûts !
M. Dominique Hausser (S). Nous ne nous opposerons évidemment pas au renvoi en commission de cette motion.
J'aimerais simplement préciser deux aspects qui ont été soulevés par M. Marti. Relever des actes pour un dossier médical n'est pas exactement la même chose que relever des actes pour un dossier administratif ou de facturation. Les explications médicales et leur utilité impliquent d'autres types de formulation et d'information que celles de savoir si oui ou non cela va coûter tel ou tel prix.
Deuxième point - Mme Maulini-Dreyfus en a relevé certains aspects - la difficulté de contrôler les actes effectués dans des pensions pour personnes âgées n'est pas si ardue que cela, puisque la plupart des actes sont effectués de toute façon quel que soit le mode de facturation. Il est possible que certains actes exceptionnels soient suivis et contrôlés, mais ce n'est pas le cas pour la majorité des actes médicaux ou pour les soins effectués dans ces établissements.
Troisième point. A mon avis, la mobilisation du personnel n'est pas liée aux coûts des actes. La motivation première du personnel dans un tel établissement est d'abord le bien-être de la clientèle. Nous en débattrons plus largement en commission.
M. Pierre-Alain Champod (S). Je vais m'exprimer brièvement au sujet de cette motion.
Les personnes qui sont intervenues avant moi ont beaucoup insisté sur l'aspect du travail des infirmières et du temps passé à effectuer du travail administratif. Cette motion, à mon avis, pose également un autre problème - peut-être le plus intéressant - c'est celui des maisons pour personnes âgées dans lesquelles la situation actuelle n'est absolument pas satisfaisante.
L'Etat investit beaucoup d'argent pour les subventions aux personnes âgées qui, malheureusement, en raison de la dégradation de leur état de santé doivent être placées dans des établissements spécialisés. Or, sur les comptes de ces établissements, sur la manière dont se forment les prix, il y a toute une zone encore assez floue, c'est le moins que l'on puisse dire. Lorsqu'une famille place une personne âgée dans un établissement qui demande 300 F par jour et qu'en plus le moindre des soins, comme une prise de tension, est facturé en supplément, ce n'est pas normal. La motion demande que ces soins, dûment répertoriés sur une liste exhaustive des prestations, fassent partie du forfait de la journée.
Le Conseil d'Etat est, semble-t-il, en négociation pour faire passer l'idée d'un forfait journalier. L'objectif de cette motion est de montrer que le parlement est d'accord avec ce mode de faire et que les partenaires, directeurs de pension, les associations et les assurances-maladie, comprennent qu'aujourd'hui, compte tenu de la situation financière du canton, un subventionnement des personnes placées dans les pensions ne sera plus possible sans un minimum de transparence sur la composition des prix.
M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat. Le problème soulevé par les motionnaires est réel. Il m'inspire quelques observations.
Premièrement, le régime ordinaire est un régime de convention passée entre deux partenaires privés, dans notre cas la Fédération genevoise des caisses maladie et l'AGIEMS. L'autorité a un pouvoir d'influence, mais n'a pas de pouvoir hiérarchique.
Deuxièmement, l'objectif du Conseil d'Etat est toujours d'atteindre une facturation par forfait. Des négociations - comme vient d'ailleurs de le relever M. Champod - sont engagées à cet effet.
Troisièmement, pour pouvoir déterminer le montant de ce forfait, les fédérations des caisses maladie ont exigé d'avoir une période avec un relevé détaillé des prestations de façon à pouvoir examiner sur une certaine durée le montant moyen des prestations quotidiennes qui devraient permettre par la suite de fixer le forfait.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à accepter cette motion et à la renvoyer au Conseil d'Etat.
Le président. La demande de renvoi en commission de la santé est-elle maintenue ?
M. Pierre Marti (PDC). Oui, je maintiens son renvoi en commission pour que l'AGIEMS puisse s'exprimer, comme elle me l'a demandé.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de motion en commission est rejetée.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
MOTION
concernant les prestations infirmières dans les pensionspour personnes âgées
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- que la prise en charge de personnes âgées moyennement et fortement handicapées dans des pensions décharge les institutions hospitalières;
- que la participation des caisses maladie à ces placements s'élève à 9 F par jour pour les frais de soins non infirmiers;
- que le remboursement des prestations à l'acte relatives aux soins infirmiers s'effectue sur la base de relevés demandés aux établissements;
- que ces relevés ont un coût administratif important aussi bien pour les établissements que pour les caisses maladie;
- que le temps consacré par le personnel infirmier à ces travaux se fait au détriment de la présence auprès des personnes âgées,
invite le Conseil d'Etat
- à intervenir pour qu'un accord sur un forfait relatif au remboursement des soins infirmiers entre en vigueur dès le 1er janvier 1995 et qu'il soit ainsi mis fin aux relevés de prestations.