Séance du vendredi 24 juin 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 8e session - 28e séance

P 1028-A
10. a) Rapport de la commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'étudier la pétition : «Genève doit défendre son école d'ingénieurs». ( -)P1028
Rapport de Mme Yvonne Humbert (L), commission de l'enseignement et de l'éducation
M 931
b) Proposition de motion de Mmes et MM. Pierre-François Unger, Claude Howald, Yvonne Humbert, Pierre Vanek, Roger Beer, Elisabeth Reusse-Decrey et Gabrielle Maulini-Dreyfus concernant l'avenir de l'école d'ingénieurs de Genève. ( )M931

Lors de ses séances des 4, 18 et 25 mai 1994, la commission de l'enseignement, présidée par M. Pierre-François Unger, a examiné la pétition ci-dessus mentionnée.

Audition des pétitionnaires

Notre commission reçut MM. S. Mouhanna, J.-F. Rochat, L. Heanny, L. Zaffalon et D. Devaud représentant l'Association genevoise des enseignants de l'école d'ingénieurs et des écoles techniques (AGEEIT).

La pétition émane de l'ensemble des enseignants de l'école d'ingénieurs (EIG) inquiets de l'évolution du projet sur les hautes écoles spécialisées (HES).

L'EIG, quasi centenaire, fait partie du patrimoine genevois. En effet, le 22 juin 1901, notre Grand Conseil votait une loi créant une institution d'instruction professionnelle appelée Technicum. Au début des années cinquante, l'appellation de l'école se transforme en école supérieure technique pour évoluer en 1963 en école technique supérieure. Le 1er septembre 1977, l'école devenait l'école d'ingénieurs (EIG) conformément à la nouvelle loi fédérale sur la formation professionnelle. En 1983, les nouvelles ordonnances fédérales obligèrent l'école du jour de porter la durée des études à 5 ans.

L'école à plein temps possède une entrée privilégiée pour les élèves provenant directement du cycle d'orientation. Ils peuvent suivre une formation dans neuf sections différentes, cela en 5 ans. L'effectif s'élève actuellement à environ 1 030 étudiants provenant dans une grande proportion des classes modeste et moyenne de notre population et dont 15% à 20% des étudiants ne résident pas à Genève.

L'EIG possède deux divisions: une de jour citée ci-dessus et une du soir, à temps partiel, pour les porteurs d'un CFC qui sont en emploi. Cette division reçoit une centaine d'étudiants, ce qui porte à un peu plus de 1 100 l'effectif total.

L'EIG compte environ 10% des étudiants de l'ensemble des écoles d'ingénieurs de Suisse.

Les pétitionnaires souhaiteraient que l'établissement d'une HES à Genève soit étudiée en priorité tout en gardant l'actuelle filière de formation de 5 ans. Ils aimeraient obtenir de nos autorités une déclaration d'intention à l'égard de leur école.

Ils pensent que le fait d'intégrer les maturités professionnelles et d'envisager des études en trois ans, engendrerait des modifications de structures importantes pour leur école et qu'il serait, dès lors, difficile de maintenir le niveau actuel. Néanmoins, l'AGEEIT est disposée à participer à toute discussion et souhaite vivement que l'EIG soit reconnue comme HES.

Quel sera le rôle d'une HES?

Donner un nouveau souffle à l'apprentissage et ainsi revaloriser la filière professionnelle, tel est l'un des buts de la création de hautes écoles spécialisées (HES). Elles seront «équivalentes mais différentes» des universités et des écoles polytechniques et auront pour tâche de diffuser «les connaissances les plus récentes de la science, de la technique et de l'économie». Pour notre pays, elles seront au nombre de dix.

La nouvelle loi s'appliquera aux écoles d'ingénieurs et aux écoles supérieures d'administration et de cadres pour l'économie et d'arts appliqués. Elle concernera les 29 écoles d'ingénieurs actuelles dont 11 se situent en Suisse romande. Le choix ne sera pas aisé et les négociations entre cantons risquent d'être ardues ! Il semblerait que les directeurs des écoles d'ingénieurs de Suisse romande soient favorables à la création d'une seule HES pour toute la Suisse romande. Toutefois, ne perdons pas de vue qu'en finalité, c'est le Conseil fédéral qui donnera son aval à la création de ces futures HES.

A qui seront destinées ces HES?

Les apprentis, après avoir obtenu leur CFC, pourront après une année supplémentaire obtenir leur maturité professionnelle et ainsi accéder aux HES tout en étant conscients que les autres voies de «formation, notamment celles des écoles polytechniques et des universités, garderont toutes leurs valeurs intrinsèques. Toutefois, des passerelles devront exister entre «ces deux mondes» appelés à devenir complémentaires.

Quant à Genève et à son école d'ingénieurs plus particulièrement, la filière scolaire de 5 ans dès la sortie du cycle d'orientation pour l'obtention d'un diplôme d'ingénieur ou d'architecte permet l'accès aux écoles polytechniques fédérales et à l'école d'architecture de l'université. D'autres filières devront être imaginées pour les porteurs d'une maturité professionnelle.

L'une d'elles pourrait être la suivante: le titulaire de la maturité professionnelle aurait la possibilité d'accéder à la 2e ou 3e année du cycle d'étude pratiqué actuellement à l'EIG et d'obtenir le diplôme en 4 ou 3 ans d'études pour ensuite pouvoir suivre les écoles polytechniques fédérales.

Une autre interviendrait au niveau des HES, c'est-à-dire le porteur d'une maturité professionnelle pourrait accéder à une HES puis, comme relaté plus haut, des passerelles devraient être imaginées afin de pouvoir suivre les écoles polytechniques fédérales.

Quant aux chances de l'EIG de parvenir à l'acquisition d'une HES, elles sont là. «C'est l'une des écoles les plus fortes de Suisse romande», toutefois on ne peut pas préjuger de l'organisation future; si l'EIG veut garder ses chances, elle devra concourir à un projet romand, ce qui l'obligera à une plus grande ouverture.

Qu'en est-il du financement?

Selon les informations recueillies récemment à la suite des déclarations du Conseil fédéral, l'opération serait neutre pour les cantons. On ose à peine y croire! Tandis que pour la Confédération, les HES coûteront 5,4 milliards de francs pour la période allant jusqu'en 2003. Par rapport au maintien de la situation actuelle, la dépense s'élèverait à 600 millions de francs de plus par an. Par la suite, la Confédération distribuerait sa manne selon les prestations offertes par chaque école.

Discussion de la commission

Après avoir rencontré les enseignants de l'EIG en avril dernier pour préciser sa position, ces derniers ont relevé avec satisfaction queMme M. Brunschwig Graf, conseillère d'Etat et cheffe du département de l'instruction publique, «avait mesuré l'inquiétude suscitée par l'évolution du dossier HES» et qu'il n'était «pas question de 'brader' l'EIG et de la laisser en dehors du dispositif HES». Mme M. Brunschwig Graf assure qu'elle suit la situation avec une certaine énergie.

Plusieurs commissaires estiment que les problèmes traités présentent une certaine importance et qu'il serait utile d'en informer le parlement afin que les députés puissent aussi émettre leur avis tout en n'oubliant pas que la loi qui donne la possibilité de demander la reconnaissance sera présentée au Parlement fédéral lors de la session de septembre. Il serait actuellement inopportun et prématuré de formuler une demande de reconnaissance, ce serait aller à fin contraire.

Finalement, chaque commissaire estime qu'une motion envoyée directement au Conseil d'Etat permettrait, par un rapport, d'informer notre parlement et la population sur l'avenir de l'EIG.

La commission décide donc de déposer la pétition pour information sur le bureau du Grand Conseil, cela par 11 oui et 2 abstentions (All. de gauche et soc.) et de présenter une motion dont la décision de la renvoyer au Conseil d'Etat est prise à l'unanimité. Le rapport ci-dessus servant de considérant.

Débat

Mme Liliane Charrière Urben (S). Le rapport que nous a présenté Mme Humbert rencontre notre assentiment. J'aimerais simplement exprimer une certaine inquiétude. Il est vrai que l'on parle beaucoup d'écoles spécialisées, mais nous savons tous très bien - c'est d'ailleurs dans le texte - qu'il n'y en aura que dix en Suisse, dont probablement trois en Suisse romande. Après ce que vient de nous dire M. Vodoz et la manière dont le canton de Genève est parfois traité au niveau fédéral, il est vrai qu'il y a peut-être de quoi se faire du souci à propos de l'éventualité que notre actuelle EIG devienne une HES.

En tout cas, on peut imaginer sans trop se tromper que, s'il n'y a que trois HES en Suisse romande, dans le meilleur des cas Genève en aura une, mais en aura-t-elle une ? J'aimerais souligner l'intérêt des travaux qu'il y a eu dans cette commission, les nombreux renseignements que nous a donnés Mme Brunschwig Graf, le souci qu'elle a finalement montré d'aller dans le sens de la pétition, c'est-à-dire de défendre l'EIG. J'espère que d'ici la rentrée les autorités fédérales auront donné des informations plus précises concernant la création de ces HES et j'espère vivement que nos représentants, toutes sources, tous partis confondus, pourront se faire entendre à Berne parce que, évidemment, aurions-nous même toutes les qualités requises pour que l'EIG ou une autre institution soit reconnue comme HES chez nous, le fait que notre position géographique soit particulièrement excentrée va nous porter préjudice.

Espérons que cette ancienne école d'ingénieurs, ayant de profondes racines et distribuant des brevets de haut niveau, pourra continuer à exister et qu'en matière de HES elle aura une chance d'obtenir quelque chose.

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. J'aimerais très brièvement dire que nous aurons, Madame, au moins une chance d'être entendus puisque pendant mes vacances - le bien de l'école d'ingénieurs n'a pas de prix - je serai auditionnée par la commission du Conseil des Etats sur le projet de loi concernant les HES. Cela nous permettra de faire un premier tour d'horizon. Mais j'aimerais vous rendre attentive sur le fait que le projet de loi, tel qu'il est et tel que l'on en connaît maintenant la structure, prévoit très clairement deux choses.

La première, c'est que le financement ne sera pas attribué sous forme d'un tiers pour chaque école mais que la part est en fonction de la globalité des frais des différentes écoles. Cela veut dire que le Conseil fédéral nous a expliqué qu'il étudierait les projets d'école en fonction des réflexions élaborées sur le plan régional recherchant les articulations, les collaborations, les mises en commun possibles. Cela sera l'un des critères qui permettra ensuite d'obtenir la reconnaissance. C'est un élément très important que l'école d'ingénieurs doit prendre en compte, parce que plaider une forme de «cantonalisme» rigide ne ferait alors que nous marginaliser. Je ne suis pas disposée à laisser l'école d'ingénieurs rester en dehors du concept HES, et je crois que personne ici ne le souhaite.

Quant à la forme que prendra cette intégration, elle est le fruit justement d'un certain nombre de discussions. Cela apparaît très clairement. Nous devons savoir faire preuve de notre capacité de discuter et de collaborer et nous devons, dans ces domaines-là, être capables de trouver éventuellement des synergies. Pour l'heure, j'ignore à quelles discussions et quels résultats nous arriverons, mais s'il y a une chose qui est sûre et certaine au niveau fédéral, c'est que les projets qui seront regardés à la loupe le seront aussi sous cet angle-là. Cela nous a été précisé et répété et, Madame, dans ce cadre-là, je veillerai lors de mon audition à préserver les intérêts que nous défendons ici.

P 1028-A

Mises aux voix, les conclusions de la commission (dépôt sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.

M 931

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

MOTION

concernant l'avenir de l'école d'ingénieurs de Genève

LE GRAND CONSEIL,

invite le Conseil d'Etat

- à définir clairement ses objectifs concernant la localisation de hautes écoles spécialisées à Genève et l'avenir de l'école d'ingénieurs de Genève.