Séance du vendredi 17 juin 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 8e session - 23e séance

R 275
16. Proposition de résolution de Mmes Fabienne Bugnon, Danielle Oppliger, Anne Briol, Gabrielle Maulini-Dreyfus, Sylvia Leuenberger, Liliane Johner, Laurette Dupuis, Claire Chalut, Anita Cuénod, Sylvie Hottelier, Erica Deuber-Pauli, Evelyne Strubin, Fabienne Blanc-Kühn, Micheline Calmy-Rey, Liliane Charrière Urben, Sylvie Châtelain, Mireille Gossauer-Zurcher, Liliane Maury Pasquier, Elisabeth Reusse-Decrey, Maria Roth-Bernasconi, Christine Sayegh et Claire Torracinta-Pache concernant l'âge de la retraite des femmes. ( )R275

Considérant:

- la décision inacceptablee des Chambres fédérales d'élever l'âge de la retraite des femmes à 64 ans;

- que la procédure d'élimination des divergences reste ouverte,

LE GRAND CONSEIL

invite les Chambres fédérales

1) à revenir sur cette décision;

2) subsidiairement, à scinder la dixième révision en deux, le premier paquet concernant l'ensemble des lois non contestées, le deuxième la question de l'âge de la retraite.

Débat

Mme Micheline Calmy-Rey (S). Le thème de l'AVS devient un thème de débat public; c'est une bonne chose à un moment où certains, pour faire des économies, parlent de «moratoire social» et où, sous couvert de l'égalité des responsabilités, on veut augmenter l'âge de la retraite des femmes à 64 ans.

La majorité des femmes de ce Grand Conseil est opposée à l'élévation de l'âge de la retraite des femmes à 64 ans. Vous l'avez remarqué, vingt-deux femmes ont signé cette proposition de résolution, c'est-à-dire toutes les femmes de gauche, à l'exception des femmes qui nous font face ! Bien que j'aie demandé à chacune d'entre elles de cosigner cette proposition de résolution, croyez-le, je le regrette beaucoup !

L'élévation de l'âge de la retraite des femmes, de deux ans, procurera à l'AVS une somme de 800 millions de francs. Or, la dixième révision de l'AVS n'apporte pas en francs et en centimes des avantages aux femmes pour un montant correspondant. Les femmes payent, mais cela ne s'impose pas. Toutes les améliorations prévues au titre de la dixième révision de l'AVS, par exemple le barème amélioré, le «spleeting», les rentes pour les plus modestes ne représentent que 3% du budget global de l'AVS et sont donc parfaitement supportables par le budget actuel. De toute façon, la contribution des femmes ne réglera pas le problème du financement de l'AVS.

D'autre part, l'argumentation ne tient pas compte des ressources et des nouveaux financements possibles. 1% supplémentaire de TVA a déjà été voté et il pourra être utilisé, si nécessaire. L'argumentation ne tient pas compte, non plus, de la solution d'une retraite à la carte. Des propositions ont été faites aux Chambres fédérales par le groupe socialiste qui propose de situer l'âge de la retraite entre 62 et 67 ans. Entre ces deux âges, il y a des solutions possibles de rente totale, de rente partielle ou de continuation de travail. Nous pouvons trouver des solutions au problème de l'âge avec la 11ème révision de l'AVS.

Comme l'argument de la situation financière ne s'impose pas, on avance l'argument de l'égalité. C'est quand même un monde d'avancer un tel argument pour augmenter l'âge de la retraite des femmes, alors que l'on sait pertinemment que les femmes gagnent en moyenne 30% de moins que les hommes, qu'elles sont davantage atteintes par la chômage et que, d'une façon générale, les inégalités existent de fait et sont nombreuses dans notre société ! La proposition d'augmenter l'âge de la retraite des femmes à 64 ans devrait, pour le moins, être indexée à la suppression de toutes les inégalités qui touchent les femmes.

Enfin, dernier argument : à un moment où nous connaissons un chômage de longue durée, de type structurel qui ne doit rien à la crise, mais qui perdure, à un moment où on parle de réduction du temps de travail, d'augmenter les congés de formation, on nous propose d'augmenter l'âge de la retraite des femmes, c'est-à-dire de bloquer trente mille postes de travail et de laisser des jeunes aux portes du marché de l'emploi ! C'est pour le moins une mesure inadéquate.

Mesdames et Messieurs, la proposition de résolution que vous avez sous les yeux vous demande d'intervenir auprès des autorités fédérales pour qu'elles reviennent sur leur décision de porter l'âge de la retraite des femmes à 64 ans. C'est encore possible, puisque la procédure d'élimination des divergences est encore ouverte.

Nous demandons encore aux autorités fédérales de bien vouloir couper en deux le paquet de la dixième révision. Un premier paquet comprendrait les mesures non contestées, c'est-à-dire l'augmentation des rentes pour les plus modestes, les avantages pour les femmes divorcées, qui sont d'ores et déjà entrés en vigueur depuis près de deux ans, et le «spleeting». La dernière question portant sur l'âge de la retraite serait séparée pour éviter qu'un éventuel référendum ne fasse «capoter» la totalité de la dixième révision de l'AVS.

Enfin, je sais qu'un amendement a été déposé par M. Dupraz, comprenant l'introduction d'une invite demandant l'examen approfondi de la proposition de flexibilité de l'âge de la retraite. Comme je l'ai dit, cette proposition a d'ores et déjà été faite au parlement et n'a jamais été examinée sérieusement. Elle devra faire partie du paquet de la onzième révision. Nous acceptons évidemment cet amendement...

Une voix. Il n'a pas encore été énoncé !

Mme Micheline Calmy-Rey. Excusez-moi, mais j'en ai déjà eu connaissance ! Cela m'évitera de me lever deux fois !

Nous acceptons donc d'ores et déjà cet amendement. Je vous remercie de bien vouloir accepter cette résolution.

M. John Dupraz (R). Je tiens à dire d'emblée que je m'exprime en mon nom personnel. (Grand éclat de rires de M. Fontanet, puis de la salle.) (M. Dupraz s'adresse alors à M. Fontanet.) J'ai le droit, oui ?

M. Bénédict Fontanet. Tout à fait, tout à fait !

M. John Dupraz. Ça te dérange ? Evidemment, tu as l'habitude de parler pour les autres !

Une voix. Vas-y, vas-y !

Le président. On peut avancer, Monsieur Dupraz ?

M. John Dupraz. Vous êtes pressé, Monsieur le président ?

Le président. Oui !

M. John Dupraz. Moi, j'ai tout mon temps, jusqu'à minuit s'il le faut ! (Brouhaha.)

Ces derniers temps, j'ai été déçu, voire choqué, par certaines décisions prises par les Chambres fédérales. Je rappellerai, par exemple, le non-contrôle des loyers. C'est une très mauvaise proposition !

Une voix. Quel parti l'a prise ?

M. John Dupraz. Ecoutez, mon cher, si on parlait de ce qui a été fait par votre parti, vous devriez vous taire, parce que ce n'est pas très glorieux ! (Rires.) Ces décisions sont choquantes et dressent une partie de la population contre une autre.

En ce qui concerne l'âge de la retraite, la décision des Chambres fédérales n'est pas très heureuse. On en voit le résultat aujourd'hui, puisque seules des femmes ont déposé cette résolution. C'est un peu dommage d'en arriver à de tels combats de tranchées dans notre pays et qu'on n'arrive plus à dégager, si ce ne sont des consensus, au moins des compromis sur des sujets aussi importants. Je soutiens donc cette proposition de résolution, avec l'amendement que j'ai déposé. Il ajoute une troisième invite, qui demande à mettre en place un système de retraite à la carte entre 62 et 67 ans lors de la prochaine révision de l'AVS.

Le président. Je mets aux voix l'amendement proposé par M. Dupraz, qui consiste à ajouter un troisième paragraphe ainsi libellé :

«3) à mettre en place un système de retraite à la carte entre 62 et 67 ans pour les femmes et les hommes lors de la prochaine révision de l'AVS.»

M. Michel Halpérin (L). Le projet de loi... (Eclat de rires.) ...le projet de résolution que voici place un certain nombre d'entre nous dans un embarras croissant, car seules des femmes l'ont signé... (Oohh de toute l'assemblée.) ... et on peut se demander, par conséquent, si des hommes peuvent ou non prendre la parole sur ce sujet. A supposer qu'ils s'y autorisent - comme je me hasarde à le faire maintenant - nous voilà placés entre deux solidarités, celle des femmes qui nous font face et celle des femmes qui sont derrière nous. On ne sait plus très bien à quel saint se vouer ! (Hilarité générale, tohu-bohu, charivari. Les députés tapent sur leur bureau.)

M. John Dupraz. Une fois à gauche, une fois à droite...

Une voix. Le «saint» gauche ou le «saint» droit ?

M. Michel Halpérin. Je te donne le choix, mon cher !

Pour toutes sortes de raisons, qui ne sont pas forcément égalitaires - comme d'autres - je regrette personnellement qu'on ait ainsi porté atteinte à de vieilles règles de courtoisie qui donnaient la préséance aux femmes sur les hommes, dont les unes se manifestaient par une déférence courtoise dans les rencontres et d'autres par davantage d'égards quant aux conditions de la retraite. Cette considération m'embarrasse également parce que je ne sais pas très bien si c'est au nom du droit à l'égalité ou du droit au privilège que j'ai envie d'aller à la rencontre des proposantes.

Maintenant, je voterai la proposition d'amendement faite par M. Dupraz; une fois n'est pas coutume, mais les femmes m'inspirent !

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mise aux voix, la résolution ainsi amendée est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

RÉSOLUTION

concernant l'âge de la retraite des femmes

Considérant:

- la décision inacceptable des Chambres fédérales d'élever l'âge de la retraite des femmes à 64 ans;

- que la procédure d'élimination des divergences reste ouverte,

LE GRAND CONSEIL

invite les Chambres fédérales

1) à revenir sur cette décision;

2) subsidiairement, à scinder la dixième révision en deux, le premier paquet concernant l'ensemble des lois non contestées, le deuxième la question de l'âge de la retraite;

3) à mettre en place un système de retraite à la carte entre 62 et 67 ans pour les femmes et les hommes lors de la prochaine révision de l'AVS.

 

Le président. Je vous prie de noter la modification de l'ordre du jour des séances des 23 et 24 juin que j'ai fait retirer et distribuer sur des feuilles jaunes.

La séance est levée à 19 h 10.