Séance du
jeudi 16 juin 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
8e
session -
22e
séance
PL 7060-A
Le projet de loi 7060, déposé par le Conseil d'Etat, le 22 décembre 1993, a été étudié par la commission de l'enseignement et de l'éducation, présidée par M. Pierre-François Unger, lors de ses séances des 2 et 9 mars 1994.
Mme Verena Schmid, secrétaire-adjointe au département de l'instruction publique.
Introduction
Le projet de loi qui vous est soumis est rendu nécessaire par l'engagement de notre canton, en 1990, de reconnaître les diplômes extra-cantonaux des enseignants primaires dès la rentrée 1994-1995 au plus tard.
Le projet a pour but de supprimer la titularisation automatique des personnes qui obtiennent le diplôme genevois d'enseignement primaire, pratique qui constitue un protectionnisme local incompatible avec les engagements intercantonaux pris par notre canton.
Jusqu'à maintenant, la loi imposait la formation acquise à Genève pour entrer dans la carrière d'enseignant primaire.
Dès la rentrée 1994-1995, celles et ceux qui sont au bénéfice d'un diplôme de maître de l'enseignement primaire d'un autre canton peuvent être engagés au même titre que les brevetés genevois, pour autant qu'ils maîtrisent le français (voir en annexe les recommandations relatives à la «Reconnaissance réciproque des diplômes cantonaux des enseignants» du 28 octobre 1990).
Discussion générale
Ces nouvelles dispositions visent à encourager la mobilité des instituteurs et institutrices et à redonner au Conseil d'Etat le droit de choisir les futurs enseignants primaires, donc d'exercer pleinement sa responsabilité d'employeur.
Le commentaire, article par article, du projet est, pour le surplus, suffisamment explicite:
«Article 134: suppression de la titularisation automatique
Avec la reconnaissance des diplômes extra-cantonaux, il doit y avoir dorénavant deux voies d'accès dans l'enseignement primaire.
Or, les articles 133 et 134 de la loi sur l'instruction publique actuelle imposent l'obtention du brevet genevois pour accéder à une carrière dans l'enseignement primaire, d'une part, puis la titularisation automatique dès l'obtention de ce brevet, d'autre part. Ces dispositions légales sont incompatibles avec l'exigence d'une seconde voie ouvrant une carrière dans l'enseignement primaire.
L'article 133 de la loi constitue la base légale de l'institution des études pédagogiques actuelles et du mode de recrutement des candidats. Il sera modifié dès que le projet de nouvelle formation sera entièrement défini.
Article 165: dispositions transitoires
Les dispositions transitoires permettent aux candidats actuellement en formation de bénéficier de la pratique en vigueur lorsqu'ils se sont engagés dans la formation d'institutrice ou d'instituteur primaire.»
Les études pédagogiques primaires sont en phase de restructuration, et répondront, dans leur esprit même, à la volonté de décloisonnement qui ressort clairement de la présente loi.
La Société pédagogique genevoise a reconnu la nécessité de modifier l'article 134, très protectionniste, et la commission paritaire instituée par le règlement B 5 1,4 (statut du corps enseignant) l'approuve également.
Conclusion
La commission de l'enseignement et de l'éducation a accepté le projet de loi 7060 par 13 oui et 2 abstentions (alliance de gauche).
C'est pour toutes les raisons mentionnées plus haut qu'elle vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, de donner vos suffrages à ce projet de loi.
ANNEXE
Premier débat
M. Pierre Vanek (AdG). Vous avez pu constater à la lecture du rapport que nous nous sommes abstenus sur ce projet de loi.
J'émets des réserves par rapport à cette proposition qui est le démontage d'un système qui a fonctionné jusqu'à aujourd'hui de manière relativement satisfaisante. Dans la discussion générale, telle qu'elle est présentée dans le rapport rédigé par notre collègue, on peut lire : «Ces nouvelles dispositions visent à encourager la mobilité des instituteurs et institutrices et à redonner au Conseil d'Etat le droit de choisir les futurs enseignants primaires, donc d'exercer pleinement sa responsabilité d'employeur.».
Jusqu'à aujourd'hui nous avons eu un système de choix des enseignants primaires fondé essentiellement sur un concours, qui pouvait être discutable, mais qui permettait d'engager des gens compétents, et sur une formation dont l'année probatoire permettait une sélection basée sur des critères surtout pédagogiques et non politiques. Cela permettait de savoir quels étaient les enseignants primaires qui accédaient à terme à une carrière.
Je trouve cette revendication du Conseil d'Etat inquiétante, d'autant plus que les critères du choix de ces enseignants ne sont pas précisés. On parle de libéraliser l'accès à cette profession à Genève à des gens qui auraient une formation d'enseignant primaire dans d'autres cantons. Effectivement, c'est une absurdité qu'il n'y ait pas d'équivalence de diplôme et cette ouverture était nécessaire. Néanmoins, il est important que l'on forme des personnes embauchées depuis le début de la formation - on revient au débat que nous avons eu tout à l'heure sur l'apprentissage - car il serait stupide que l'emploi ne fasse pas suite à la formation.
Je suis partisan de conserver le système déjà en application qui, à mon avis, donne toute satisfaction et je ne peux pas, en toute conscience, voter un démontage de ce système. Il me semble que l'on ne va plus marier de manière aussi étroite la formation et la pratique de ce métier. Je porte un grand respect à cette formation que j'ai moi-même suivie. Il me semble extrêmement logique que le travail effectué par les candidats aux études pédagogiques durant cette période de formation soit rémunéré, puisque productif. L'engagement de la personne est logiquement antérieur à cette formation. Il n'y a aucune raison pour que certains candidats soient licenciés au moment d'achever leur formation. Le système actuel donne la possibilité de suivre cette formation à des personnes qui n'ont pas suivi le parcours classique. Si j'ai pu suivre une telle formation en commençant à l'âge de 28 ans, c'est justement parce que j'avais la perspective d'obtenir un emploi à l'issue de cette formation. Vous me direz que ça a mal fini, puisque je ne suis plus dans l'enseignement, mais c'est un autre problème !
Cette loi comporte des aspects tout à fait valables, mais aussi, malheureusement, cet aspect négatif de démontage d'un système; je le déplore. Je ne m'associerai donc pas au vote de ce projet.
Mme Liliane Charrière Urben (S). Je serai brève, car il est déjà tard. Je ne m'associerai pas aux remarques pessimistes de mon collègue, M. Vanek. Si on peut effectivement émettre quelques inquiétudes, une étude un peu plus approfondie nous montre que les enseignants eux-mêmes se sont prononcés en faveur de cette loi - et il me semble qu'ils doivent savoir de quoi ils parlent - et nous devons être prospectifs. Ce n'est pas parce qu'on s'est éclairé au gaz, jusqu'à l'année dernière, qu'il faut continuer l'année prochaine. On peut évoluer ! (Applaudissements.)
Je souscris tout à fait à la reconnaissance intercantonale des diplômes, à l'eurocompatibilité dans les zones francophones d'Europe - c'est un progrès manifeste - et à la restructuration actuelle des études pédagogiques de l'enseignement primaire dont on attend beaucoup - j'espère que nous ne serons pas déçus dans nos espoirs - et qui permettra, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, d'entamer des études pédagogiques tout de suite après l'obtention d'une maturité ou plus tard. Bien sûr, la question de l'indemnité pendant la durée des études se posera, mais c'est un autre sujet.
Dans un souci prospectif de modernité, d'échange, de collaboration et d'intercantonalité - si vous me passez ce néologisme - et d'eurocompatibilité, il faut résolument soutenir ce projet !
Des voix. Bravo !
M. Armand Lombard (L). Après les excellentes paroles de Mme Charrière Urben, je tiens simplement à dire que ce projet de loi ouvre :
1) la voie à la région. Ce parlement l'a bien rarement fait et il faut s'en réjouir.
2) des perspectives pour les personnes formées dans les écoles des cantons de Vaud, Valais, Fribourg, etc. Cela donne de l'air nouveau.
3) un enseignement à des candidats en surnombre par rapport aux besoins du département des travaux publics. Ils pourront ainsi trouver des emplois dans d'autres domaines, ce qui est une bonne chose.
La proposition de M. Vanek m'étonne à plusieurs chefs. Lorsqu'une argumentation commence par : «on a toujours fait comme ça, et c'est très bien», une sonnette d'alarme personnelle me dit de me méfier. A mon avis, on peut toujours chercher à faire mieux. M. Vanek solidifie le numerus clausus. Il voudrait que le nombre d'enseignants soit fixé au départ, ce qui me paraît une bien piètre proposition !
Ce projet donne des ouvertures intéressantes et je vous recommande de l'accepter.
M. Pierre Vanek (AdG). Quand on se trouve en période de formation, le nombre de personnes qui pourront être embauchées est limité. Les entreprises n'engagent pas quinze fois plus d'apprentis que leurs perspectives ne le permettent. Ce problème est compensé par la possibilité de faire des études pédagogiques, sans être forcément employé par le département de la fonction publique.
Comme M. Lombard l'a évoqué, des gens pouvaient être formés par le département de l'instruction publique et être employés ailleurs, dans les écoles privées notamment. Il faudrait mettre un système de formation en place pour ces établissements privés qui associerait la pratique dans ces écoles à un système de formation universitaire, à une reconnaissance d'un diplôme; ce sont des lieux où il serait possible de recevoir une formation. Ils ne seraient plus cantonnés à recevoir de l'Etat des enseignants formés. Le numerus clausus est tout à fait raisonnable si on le replace dans la perspective de l'apprentissage.
Madame Charrière Urben, vous dites qu'il faut changer les choses à tout prix. Il y a fort heureusement dans cette République quelques domaines dans lesquels on peut conserver une façon de faire. Je vous la resservirai, cette formule ! Elle me surprend de votre part.
L'ouverture à des gens qui sont formés ailleurs est un sujet différent. A l'évidence, un enseignant formé dans le canton de Vaud et, réciproquement, un formé à Genève doivent pouvoir permuter, ce qui n'empêche que les personnes engagées au départ de leur formation à Genève doivent être assurées d'obtenir un emploi.
Monsieur Lombard, vous parlez de ma proposition. Pour l'instant, je n'ai fait que m'abstenir sur ce projet de loi. Pour moi, ce n'est qu'un volet d'un ensemble de démontage d'un projet relativement avancé. Je n'ai pas de proposition alternative à faire. Nous aurons probablement l'occasion de revenir sur ce sujet plus tard.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je ne suis pas sûre que ce projet de loi nécessitait tant de passion.
Je vous rappelle qu'il a été négocié avec nos partenaires et la société pédagogique genevoise, pour la bonne raison qu'il fallait se mettre au même niveau que les autres cantons. C'était la première exigence.
Ensuite, nous avons prévu des dispositions transitoires pour toutes celles et ceux qui sont en cours de formation et, comme le disait si bien M. Vanek, nous allons entamer une nouvelle formation qui permettra de passer à d'autres phases pratiques.
Il n'y a aucun démontage. Ce projet de loi existe depuis l'année dernière; il a été déposé au mois de septembre, si je ne me trompe pas; il ne comporte aucune arrière-pensée. A mon avis, on ne peut pas faire de beaux discours sur l'Europe, sur la reconnaissance des diplômes intercantonaux et refuser toute mise à jour et tout adaptation. Il faut savoir supprimer ce qui, aux yeux des autres, est une barrière protectionniste. Les enseignants ont compris - pourtant ils exercent le même métier que le vôtre, Monsieur Vanek - le fondement de ce projet de loi.
Je vous propose donc de le voter sans plus attendre.
Ce projet est adopté en trois débats, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
LOI
modifiant la loi sur l'instruction publique
(C 1 1)
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article unique
La loi sur l'instruction publique, du 6 novembre 1940, est modifiée comme suit:
Art. 134 (nouvelle teneur)
Peuvent être engagées dans l'enseignement primaire les personnes qui ont achevé avec succès la formation professionnelle visée à l'article 133 ou, en dérogation, une formation jugée équivalente.
Art. 165 (nouveau)
Dispositions
transitoires
Les candidats entrés aux études pédagogiques avant le 1er septembre 1992 et qui obtiennent le brevet d'aptitude à l'enseignement sont alors chargés de diriger une classe.
La séance est levée à 23 h 20.