Séance du
vendredi 27 mai 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
7e
session -
19e
séance
I 1888
Le président. Monsieur Lescaze, nous vous écoutons avec impatience !
M. Bernard Lescaze (R). Il y a près d'un siècle, un romancier français célèbre donnait une définition dans la bouche d'un de ses héros d'un parlement. Il disait : «Un parlement qui travaille est un parlement qui se tait.». (Applaudissements, rires, chahut.)
Des voix. Assis ! Assis ! Tais-toi !
M. Bernard Lescaze. Si je suis presque persuadé que c'est bien là la définition du parlement telle que l'envisage le Conseil d'Etat, ce n'est pas la mienne et, donc, je ne vais pas me taire pendant quelques minutes !
Je dois exprimer ma profonde surprise face à certaines décisions du Conseil d'Etat relatives aux nominations dans les commissions extraparlementaires.
En effet, si le Grand Conseil choisit librement, à l'intérieur ou à l'extérieur du Grand Conseil, ses délégués dans les commissions extraparlementaires, le Conseil d'Etat avait, jusqu'alors, l'habitude de procéder à peu près de même tout en suivant les recommandations que pouvaient lui faire, à bien plaire, soit des associations professionnelles, soit des partis politiques, soit même des associations à but idéal. Et il se trouvait parfois dans ces associations, hasard ou nécessité, des députés, voire des gens ayant exercé un mandat politique.
A la fin de l'année dernière, sans semble-t-il qu'on n'y ait beaucoup prêté garde, le Conseil d'Etat, s'appuyant sur une modification de la loi sur les commissions, a, relativement subrepticement, modifié sa politique. Il a en effet considéré - mais sans en prévenir ces associations - que les nominations politiques relevaient de la compétence du Grand Conseil et que seul celui-ci pourrait choisir les représentants ayant une couleur politique, alors que lui ne prétendait nommer que des personnes civiles, c'est-à-dire des gens n'exerçant pas de mandat politique.
Il y avait là, évidemment, une bien fâcheuse confusion qui nous montre que le Conseil d'Etat, malgré sa grande somme de travail, a encore le temps de regarder le petit écran et, notamment, les chaînes françaises pour exercer son esprit critique. En effet, si on peut admettre qu'en France on distingue, d'ailleurs d'une manière artificielle, une société politique et une société civile, parce que les parlementaires français sont des professionnels payés pour cela, chacun d'entre nous dans cette assemblée sait bien ce que veut dire le mot de milicien. Nous sommes des parlementaires de milice. Nous ne sommes pas payés, nous sommes très modestement indemnisés. Nous nous dévouons... (L'orateur insiste sur ce mot.) ...pour la chose publique... (Bravos et applaudissements de la droite.)
Une voix. Bravo, Lescaze, on est les meilleurs ! (Rires.)
M. Bernard Lescaze. Il n'y a donc pas lieu de faire cette distinction entre société civile et société politique pour ce qui concerne Genève. Je dirai même que c'est particulièrement pernicieux, parce que, dans notre démocratie, le fondement de celle-ci repose encore, et je l'espère pour longtemps, sur les partis politiques. Certains ont peut-être la nostalgie des corporations. Nous savons, par expérience, le danger que cela comporte. Si on décidait d'écarter les suggestions des partis dans les nominations faites par le Conseil d'Etat - qui sont quand même l'essentiel des nominations, parce que le Conseil d'Etat nomme bien davantage que le Grand Conseil - on aboutirait à un très mauvais système. En effet, cela priverait certaines personnes qui ont, même s'ils sont députés, même si on peut les considérer comme des citoyens de seconde classe, de l'expérience et qui peuvent apporter une contribution positive à ces commissions extraparlementaires.
Faire de la politique ne veut pas dire être incompétent, contrairement à ce que la décision du Conseil d'Etat pourrait malheureusement laisser croire. D'une certaine manière, elle saperait la démocratie.
Je rappelle que sans les partis politiques le Conseil d'Etat ne serait rien, et sans les députés, il ne serait peut-être pas grand-chose ! (Aahh d'approbation, rires et applaudissements.) Malheureusement, je dois dire que le Conseil d'Etat - qui, lorsqu'on lui en a fait la remarque, a, avec une certaine hauteur, prétendu qu'il avait agi vigoureusement - a lui-même violé les règles qu'il s'est données.
Je vais vous donner deux ou trois exemples seulement. Il a commencé par les violer en nommant le président de la Banque cantonale, puisque celui-ci exerçait un mandat politique, et quel mandat politique ! Il a continué, peut-être par mégarde, puisque nous avons découvert qu'à la commission de la circulation siégeait encore une députée blonde et jeune. Etait-ce qu'elle a échappé au couperet parce qu'elle était socialiste ? C'est particulièrement intéressant. (Rires et commentaires.)
Des voix. Ouhh !
D'autres voix. Son nom ?
M. Bernard Lescaze. Elle n'est pas dans cette salle en ce moment !
Il est curieux de voir que le Conseil d'Etat explique cette nouvelle façon de nommer par sa volonté d'éviter un certain cumul de charges et de fonctions et une volonté de mieux répartir les rôles entre tous les citoyens intéressés aux affaires publiques. Cet argument est d'autant plus étonnant qu'il est avancé par d'honorables personnes revêtues d'un mandat important, celui de conseiller d'Etat, et qui font des pieds et des mains pour rester, l'un à la tête de l'aéroport, l'autre à la tête de l'hôpital... (Rires et applaudissements.)
Il faudra vraiment m'expliquer cette curieuse schizophrénie ! (Rires et applaudissements.)
En conclusion, je souhaite qu'à l'avenir le Conseil d'Etat assouplisse sa pratique, ne procède plus par exclusives contre ceux qui acceptent d'avoir un mandat public, parce que, sinon, nous ne trouverons plus personne pour exercer le mandat de député !
M. Christian Grobet. Ça vous arrive aussi ! Eh bien !
M. Bernard Lescaze. Vous n'avez pas commis, vous le savez bien, Madame et Messieurs, en face de moi... (Hurlements de rires.) ...de crime, mais, à mon avis, vous avait fait une faute politique ! (Bravos et très vifs applaudissement de tous les bancs.)
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Vous avez raison, l'exercice n'est pas évident !
Tout d'abord, merci, Monsieur le député, Mesdames et Messieurs les députés de nous permettre d'exister ! Vous avez eu raison de nous le rappeler. Après tout, ce n'est pas vous qui l'ignorez, le génie est lié à la schizophrénie, et, grâce à vous, nous savons que nous n'en sommes pas totalement dépourvus ! (Eclat de rires.)
Examinant donc les conditions dans lesquelles notre Conseil a été appelé à désigner les membres des commissions extraparlementaires, vous en déduisez que les députés sont moins bien traités que d'autres citoyens. Tel n'est pas le cas. Votre analyse est fausse, vous le savez, au moins en partie.
Dans la plupart des commissions, les députés bénéficient d'un avantage qu'ils se sont légitimement accordés en prévoyant dans la législation que chaque parti serait représenté. Ainsi, six députés bénéficient d'un siège qui leur est réservé en fonction de leur qualité de député. Il pourrait, en effet, être occupé par quelqu'un d'autre, mais les résultats nous montrent que, généralement, ce sont des députés qui l'occupent. Il appartient au Conseil d'Etat de compléter la composition de ces commissions.
Celui-ci estime qu'il n'a pas à élargir systématiquement la prédominance des députés, mais qu'il doit aussi permettre à d'autres personnes d'assumer de telles responsabilités. Je répète, il ne doit pas le faire systématiquement. Laissons également une large place à ceux qui, sans avoir de mandat électif, acceptent de mettre à disposition de la collectivité genevoise leurs compétences et un peu de leur temps. Cela devrait même vous réjouir.
C'est l'occasion pour notre Conseil de dire à l'ensemble des partis politiques que si nous voulons dynamiser le fonctionnement de nos administrations et celui de nos institutions, il faut également savoir renouveler la composition des commissions, afin de les faire bénéficier de regards nouveaux qui compléteront l'expérience - le talent, devrais-je ajouter ! - acquise par les anciens et, notamment, par les députés qui siègent dans ces commissions.
Au cours de ces derniers mois, le Conseil d'Etat a saisi l'occasion donnée au moment de nouvelles nominations pour élargir son cercle de recrutement, sans tenir compte systématiquement des appartenances politiques, mais en s'intéressant aussi à des personnes dont les expériences et les connaissances pouvaient renforcer les équipes à constituer. Le Conseil d'Etat tente d'intéresser le plus grand nombre de citoyens à la gestion des affaires publiques et de faire un bon usage des forces dont il dispose. Il respecte le travail des députés et ne connaît pas de citoyens de deuxième classe.
Nous remercions et félicitons les députés de leur engagement et de leur disponibilité, comme M. Lescaze l'a rappelé dans son interpellation. Nous nous réjouissons de continuer à travailler efficacement avec vous.
M. Bernard Lescaze (R). En deux mots, je suis satisfait de la réponse de M. Haegi. Elle me prouve, comme à tous mes collègues, combien le Conseil d'Etat est incohérent dans sa position ! Je constate qu'il essaye de faire du neuf avec du vieux ! A mon avis, il n'y a pas tout à fait réussi.
Je le prie malgré tout de réfléchir plus sérieusement aux bases de notre démocratie. Tout le monde souhaite ouvrir le débat le plus largement possible. Il ne s'agit pas de réserver des sièges à des députés; il faut simplement que les personnes qui ont l'expérience des affaires publiques, notamment dans les partis politiques, voient se concrétiser certaines de leurs propositions. D'autre part, nous avons pu constater au cours des dernières nominations que les députés n'étaient pas les seuls à être considérés comme des citoyens de seconde classe. Mais, semble-t-il, c'était le cas de tous ceux qui exerçaient un mandat politique. Dès lors, les gens intéressés à participer à des commissions extraparlementaires ne voudront même plus être candidats, puisque cela représentera ensuite un handicap pour être choisis par le Conseil d'Etat.
Nous ne voulons pas de cette absurdité !
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Je pense, Monsieur le député, que les mots que vous venez de prononcer ont un peu dépassé votre pensée !
M. Bernard Lescaze. Je ne le crois pas !
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Vous ne pouvez pas porter un tel jugement sur les personnes qui ont été désignées dans des commissions. Ce n'est guère aimable pour eux de dire que nous faisons du neuf avec du vieux ! Je conçois, par contre, que vous attiriez notre attention sur le fait que vous ne devez pas être tenus à l'écart d'un certain nombre d'activités. Nous avons bien retenu votre message et nous n'avons imaginé que ce soit le cas. Nous vous avons expliqué dans quel esprit nous avions pris cette décision...
M. Christian Grobet. Vous avez pris combien de gens de la gauche ? (Grand chahut.)
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat, s'adressant à M. Grobet. Rappelez-moi votre nom ! (Rires et chahut.)
L'interpellation est close.