Séance du vendredi 27 mai 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 7e session - 18e séance

P 988-A
14. Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition concernant la récente série d'accidents militaires. ( -) P988
Rapport de Mme Liliane Johner (AG), commission des pétitions

Le 26 mars 1993 une pétition nous était adressée qui avait la teneur suivante:

PÉTITION

concernant la récente série d'accidents militaires

Nous, citoyen du canton de Genève, sommes profondément alarmés par la récente série d'accidents militaires qui ont eu des conséquences extrêmement graves, voire mortelles. Selon une interview du commandant de corps Jean-Rodolphe Christen, ces accidents étaient tous évitables. Ce commandant parle de «coïncidences», d'«erreurs humaines», de «manque ce concentration». Ces explications ne nous satisfont pas, ni ne nous rassurent. Nous constatons que les jeunes, obligés de servir le pays, encourent aujourd'hui beaucoup trop de risques d'atteinte à leur vie ou à leur intégrité corporelle. C'est inadmissible et il est grand temps d'intervenir énergiquement pour y remédier.

C'est pourquoi nous demandons au Grand Conseil:

1. d'exiger une enquête approfondie des causes de tous ces accidents, enquête à laquelle doivent être associés des civils, comme garantie d'impartialité;

2. d'intervenir auprès des autorités militaires pour qu'elles prennent toutes les mesures nécessaires, et de toute urgence, pour prévenir la répétition de pareils accidents; tout particulièrement qu'elles ordonnent le retrait immédiat de la circulation, jusqu'aux résultats de l'enquête, de la grenade HG 85;

3. d'exiger que les citoyens soient pleinement informés des résultats de l'enquête et des mesures prises;

4. de décider toute autre action qu'il jugerait utile à la poursuite du but recherché.

N.B.: 192 signatures

M. M. C. Petitpierre

17, chemin des Cyclamens

1255 Veyrier

En date du 3 mai 1993, la commission recevait M. et Mme Petitpierre, pétitionnaires. Ces derniers nous informent d'emblée que leurs propos ne seront pas antimilitaristes, mais ils sont réellement préoccupés par la série d'accidents militaires mettant notamment en cause le maniement de la nouvelle grenade HG 85.

Les pétitionnaires estimeraient normal que l'armée rende des comptes à la population civile sur la sécurité des soldats. Ils font valoir ici la différence entre le risque tolérable et le risque intolérable. Le nouveau type de grenade employé par l'armée a fait plus d'accidents que n'en ont fait, en 20 à 30 ans, les deux anciens types de grenades utilisées. Mme Petitpierre relate encore que l'on a pu entendre le commandant de corps Christen s'exprimer à la radio sur les accidents militaires survenus récemment. Le commandant Christen a notamment reconnu que les dangers sont accrus du fait de la miniaturisation de la nouvelle grenade employée, celle-ci explose après 3 secondes alors que les anciennes grenades requéraient le double de temps pour exploser.

Etant donné la technicité toujours croissante des armes employées, les pétitionnaires se demandent comment il est possible de pallier cette recrudescence de dangers. Le commandant Christen a dit que la solution consiste avant tout dans un effort de concentration et de responsabilités. Les pétitionnaires se demandent toutefois si cela est vraiment réalisable étant donné le degré de technicité des armes que les soldats sont appelés à manier. Par ailleurs, il est à noter qu'aucune distinction n'est faite actuellement entre les soldats à l'intérieur de l'armée.

En outre, les pétitionnaires aimeraient que la population soit mieux informée des affaires militaires. Pour leur part ils désireraient être mieux renseignés quant aux enquêtes menées à propos des accidents militaires et plus précisément quant aux mesures adoptées pour garantir l'objectivité de la procédure suivie.

Des commissaires font remarquer aux pétitionnaires que les questions militaires sont du ressort fédéral mais que, néanmoins, ils comprennent leurs préoccupations, préoccupations partagées par la plupart des commissaires. Mais il est difficile d'obtenir des informations car les événements ou accidents militaires tombent sous le coup du secret militaire et la justice militaire est une justice fermée.

Les seules informations aux civils ont été données par le commandant Christen; il semble que ce dernier ne soit toutefois pas opposé à un droit de regard des civils sur les affaires militaires. M. et Mme Petitpierre nous informent également qu'ils se sont adressés par courrier au colonel Pillet, responsable de l'école de recrues où leur fils effectue son école de recrues en lui demandant instamment qu'il mette tout en oeuvre pour que la «série noire» ne s'allonge pas et, le cas échéant, de suspendre l'utilisation de cette grenade.

Les commissaires ont pu prendre connaissance de la réponse de l'état-major du groupement de l'instruction. Cette réponse, qui se veut rassurante, reflète aussi les préoccupations de la population puisque de nombreuses personnes ont réagi. Mais aux dires du commandant Christen, «la mission reste inchangée, l'aptitude à la guerre demeure l'objectif principal de l'instruction militaire. Il est dans la nature d'une armée d'apprendre à manipuler ces armes sans risque. Le but d'une armée ne saurait être d'éviter le travail aux armes!».

Dans un premier temps, M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat, chef du département militaire, n'a pas jugé opportun de venir devant la commission, argumentant des compétences et des responsabilités respectives de la loi sur l'organisation militaire et que, d'autre part, l'instruction sur les causes des accidents n'était pas terminée. Par contre, M. Vodoz nous fait parvenir copie d'une lettre de l'état-major du groupement de l'instruction suite aux questions posées par le département concernant l'objet de la pétition.

Il ressort de cette lettre qu'aucune statistique concernant la répartition des accidents par canton n'est faite, donc aucun indice ne permet d'affirmer que des soldats d'un canton ou d'un autre seraient victimes d'accidents militaires plus ou moins fréquemment que la moyenne.

** *

Là se sont arrêtés les travaux de l'ancienne législature et la nouvelle commission décide d'entendre tout de même M. Vodoz et ce dernier répond à l'invitation le 14 février 1994.

M. Vodoz tient à confirmer que les départements militaires cantonaux n'ont aucune compétence dans le cadre de l'organisation et de l'instruction des cours de répétition. La direction appartient au Conseil fédéral selon l'arti-cle 146 de la loi sur l'organisation militaire.

M. Vodoz évoque les trois accidents de l'année 1993 dus à la manipulation de la grenade HG 85. Il nous informe que pour ces trois affaires une enquête militaire a été ordonnée et que les éventuels responsables passeront en justice si nécessaire.

Compte tenu des travaux de la commission des pétitions, M. Vodoz a interpellé le commandant de corps Christen et a mis sur pied un groupe de travail chargé d'examiner s'il est possible de renforcer les conditions de sécurité et les instructions au sujet des grenades d'exercice et des grenades de guerre. Des mesures complémentaires ont été prises en ce qui concerne les grenades d'exercice.

Puis suivent les questions sur les statistiques par canton; cette possibilité n'est toujours pas offerte car elles sont faites par incorporation dans l'armée.

Les propos de M. Vodoz se veulent rassurants: indépendamment de la loi des séries, il y a peu d'accidents militaires en comparaison du nombre d'hommes sous les drapeaux.

Discussion de la commission

Les réponses rassurantes de M. Vodoz et du commandant Christen sont-elles celles qu'espéraient les pétitionnaires?

«S'il est exact que la pétition vise les accidents survenus suite à la manipulation des nouvelles grenades HG 85 et qu'elle souhaite avoir des statistiques concernant les militaires genevois accidentés, il n'en demeure pas moins que cette nouvelle grenade n'est pas la seule responsable des accidents militaires. Nous avons pu constater que de trop longues marches, des prises de volant en état de fatigue, souvent dû à l'excès d'autorité de certains instructeurs, pouvaient avoir des conséquences irréversibles.» (Propos du rapporteur)

La commission est consciente que, dans l'état actuel des choses, les compétences du département militaire cantonal sont très limitées. La commission souhaite vivement une meilleure transparence entre le pouvoir militaire et les civils, surtout en ce qui concerne les accidents, et souhaite également que toutes les mesures soient prises afin d'éviter que ces armes toujours plus sophistiquées fassent des nouvelles victimes, car tout accident est un accident de trop.

La majorité de la commission, soit 12 voix pour et 3 abstentions, souhaite le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignements.

Débat

M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. Je ne voudrais pas prolonger vos débats, mais j'aimerais, concernant le rapport établi par Mme Johner et notamment à propos de ce qu'elle écrit en page 3, dire ici très clairement qu'il est faux de décrire que «les événements ou accidents tombent sous le coup du secret militaire et que la justice militaire est une justice fermée.». Il ne faut pas confondre secret médical et affaires militaires.

En effet, et vous le savez, la justice militaire est une justice ouverte, puisque ses audiences de jugement sont publiques et la procédure dite contradictoire. Cela étant, afin que tout soit clair et comme je l'ai dit à la commission, en ce qui concerne l'introduction de la grenade HG 85 qui avait motivé cette pétition, j'aimerais rappeler ici que les troupes genevoises, selon les directives du chef de l'instruction, ont toutes été instruites en 1992 à cet engin et qu'il n'y a eu aucun accident. Il y a eu en revanche, en dehors du canton de Genève, trois accidents ayant fait l'objet d'enquêtes militaires. J'ai, à ce propos, interrogé l'auditeur en chef de l'armée alors même que je n'ai pas de compétence pour le faire et j'ai pu ainsi apporté un certain nombre de précisions à la commission.

Enfin, vous devez savoir que, même s'il n'y a pas de statistiques d'accidents militaires par canton, puisque les militaires genevois, soit à l'école de recrues, soit en cours de répétion, sont répartis dans l'ensemble de la Suisse suivant l'arme qu'ils ont choisie ou dans laquelle ils ont été affectés, il n'en demeure pas moins qu'à chaque fois qu'un accident se produit mettant en cause une recrue, un soldat ou un officier genevois, et dès lors que je l'apprends, j'interviens toujours immédiatement, demandant des renseignements, prenant contact ou en faisant prendre avec la victime de l'accident. Et je puis vous dire que cela est apprécié. La politique régissant le département militaire cantonal genevois aujourd'hui est l'une des plus exemplaires de Suisse vu notre manière de procéder.

M. Luc Gilly (AdG). Je remercie M. Vodoz pour ses explications. Au sujet de cette fameuse grenade HG 85 - je ne suis pas spécialiste en explosif - j'aimerais dire, même si cela ne concerne pas les soldats genevois, qu'il a fallu quand même un certain nombre d'accidents pour que le département militaire réagisse. M. Jean-Rodolphe Christen a toujours prétendu que c'était des «bleus», à savoir des recrues, des mauvais manipulateurs de cette grenade qui étaient victimes d'accidents. Il a fallu que des spécialistes, des officiers et des sous-officiers se blessent parfois très gravement - deux sont morts - pour qu'enfin, il y a de cela un mois, l'on décide de retirer provisoirement ces grenades HG 85 pour complément d'études. Ils ont enfin trouvé un défaut à celles-ci. Il est quand même étonnant que les choses prennent autant de temps !

Je suis stupéfait, également, d'avoir lu dernièrement le rapport d'enquêtes du département militaire, dont M. Christen prétend toujours qu'il nous donnera des rapports détaillés, au sujet des cinq défenestrations survenues en 1993. On nous présente la chose comme ceci : sur cinq recrues, trois seraient somnambules, une droguée et l'autre se serait suicidée. Ça me semble un petit peu léger comme explication ! Réponse de M. Christen : «Nous prenons des mesures d'urgence, nous allons faire rehausser les bords de fenêtres et informer la troupe des dangers de ces ouvertures.». Si c'est ça l'information, si c'est ça les mesures de sécurité que l'armée compte prendre pour protéger les gens qui sont à son service, je trouve les choses un petit peu légères !

J'espère bien que M. Vodoz nous donnera dorénavant toutes les explications demandées ou que la presse puisse faire son travail d'enquête à travers le département militaire.

M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. Il faudra que M. Gilly, qui, il est vrai et je respecte cette conviction-là, est passionné par ce problème, tâche néanmoins le plus rapidement possible de faire le distinguo entre les compétences cantonales et fédérales. J'ai indiqué à la commission, et je l'ai rappelé tout à l'heure, que les cantons n'ont aucune compétence dans ce domaine, ce qui ne m'a jamais dispensé de demander des informations et de me renseigner, notamment lorsque cela touche des personnes astreintes au service militaire habitant sur le territoire du canton ou faisant du service sur le territoire cantonal genevois.

En revanche, les cantons, dans le domaine de l'instruction militaire, dépendent entièrement du département militaire fédéral. De ce point de vue, il n'est pas question pour moi de prendre le relais des services de M. Christen ni de rectifier la manière dont la presse relate ces cas. J'attire simplement votre attention sur le fait que des milliers d'hommes font chaque année leur service militaire et des jeunes leur école de recrues - plus une petite centaine de femmes - et que, statistiquement, alors même qu'un accident est toujours un accident et qu'il est à regretter, l'armée suisse, malgré une certaine loi des séries, a un des taux d'accidents les plus faibles; c'est à souligner, compte tenu du fait que nous sommes une armée de milice. Il faut aussi avoir une vision objective des choses et non pas une vision légèrement déformée en raison des passions pouvant vous animer.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.