Séance du jeudi 26 mai 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 7e session - 17e séance

M 905
7. Proposition de motion de Mmes et MM. Fabienne Bugnon, Elisabeth Reusse-Decrey, Philippe Schaller et Dominique Belli concernant la violence en milieu scolaire. ( )M905

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que la violence en milieu scolaire se développe de manière inquiétante;

- qu'en France, notamment, la violence et le racket ont déjà fait des victimes dans les écoles;

- que notre pays n'est pas épargné et qu'une aggravation est constatée;

- qu'un séminaire sur la violence a été organisé à Genève, en décembredernier;

- qu'il faut agir avant que le problème ne s'aggrave encore,

invite le Conseil d'Etat

- à l'informer sur ce qui se fait actuellement à Genève, en matière de prévention de la violence dans les écoles;

- à étudier la possibilité d'intégrer au programme actuel, au niveau enfantin, primaire et secondaire, une information régulière sur la violence à l'école et sur ses conséquences;

- à promouvoir, d'entente avec les enseignants, des colloques sur ce sujet.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Une grande part de l'enfance, puis de l'adolescence se déroule dans les milieux scolaires.

L'école est chargée de l'instruction de nos enfants, mais elle prend également une part non négligeable à leur éducation. Certains parents estiment même que l'école «change» leurs enfants. Cela fait partie de la réalité de la vie et doit être vécu comme une évolution normale et positive.

Par contre, si l'on doit absolument admettre qu'un enfant est confronté à une situation nouvelle, on ne doit pas tout accepter.

Il n'est pas admissible qu'un enfant refuse d'aller à l'école par peur d'aller en récréation par exemple.

Or, les préaux de récréation sont de plus en plus souvent le théâtre de violences inouïes.

En France, en Angleterre et ailleurs, la violence a déjà fait de nombreuses victimes dans les écoles tous degrés confondus; notre pays n'est pas épargné par cette violence qui s'exprime de plusieurs manières:

- violences verbales,

- violences physiques,

- déprédation du matériel, etc.

On peut, bien entendu, réfléchir au monde dans lequel nous vivons et en tirer la conclusion que nos enfants sont si souvent confrontés à la violence (télévisuelle, par exemple) qu'il n'est pas étonnant qu'elle entre dans leur comportement quotidien.

On peut aussi se dire qu'à force de réfléchir, la violence s'installe tranquillement et qu'il arrivera un moment où nous ne pourrons plus faire face.

Certaines villes de Suisse ont pris le problème à bras-le-corps.

A Berne, un psychologue du service de la jeunesse a été mandaté pour intervenir directement dans les écoles, quand la violence surgit. Son travail n'est pas basé sur la prévention, mais plutôt sur une «thérapie de choc» consistant à raconter des scènes violentes aux enfants et à solliciter leur réaction.

Les cantons de Zurich et de Saint-Gall proposent, quant à eux, des cours de formation continue pour les enseignants, afin de leur apprendre à comprendre la violence et à mieux la contrôler.

Le canton de Neuchâtel a également créé, par le biais de son université, pour les enseignants, un cycle de cours sur la non-violence.

A Fribourg et à Genève, des séminaires sont organisés afin de réfléchir aux raisons de cette aggravation de la violence en milieu scolaire.

Dans certaines communes, à Meyrin par exemple, une quinzaine a été organisée avec comme thème la violence dans la rue, mais aussi dans les divers lieux de rencontre de la commune. Elle s'est également penchée sur la violence et le racket dans les écoles.

Tous ces exemples montrent que le problème n'est pas ignoré et que le but de cette motion est plutôt de donner un élan et une cohérence à des actions qui sont encore trop discrètes par rapport à l'acuité du problème.

Rien ne pourra être entrepris sans une très large collaboration des enseignants et des parents, c'est pourquoi les invites de cette motion devront faire l'objet d'une consultation auprès de leurs associations respectives.

Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir réserver un accueil favorable à notre proposition de motion.

Débat

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Lors de notre dernière séance, alors que cette proposition devait être débattue, je me demandais comment j'allais vous la présenter sans avoir l'air de dramatiser la situation.

Malheureusement, les faits m'ont donné le fil conducteur de mon intervention, puisque, en amenant mes enfants à l'école l'après-midi même, je me suis retrouvée face à un attroupement de cent à deux cents enfants qui attendaient l'un d'eux pour le «buter», selon leurs propres termes, car il venait de casser à coups de poing le nez de l'un de leurs camarades.

M. John Dupraz. C'est la Bosnie ton école !

Mme Fabienne Bugnon. Il y a quelques semaines, une ambulance emmenait un enfant victime de plusieurs fractures suite à une bagarre. Voilà les incidents les plus récents mais aussi les plus graves pour une seule école.

J'ai donc eu la confirmation que je ne dramatisais pas, que les préaux étaient souvent - comme cela est souligné dans l'exposé des motifs - le théâtre de violence inouïes, et pas seulement dans l'école de mon quartier. Ce ne sont pas des cas isolés. M. Belli, mon collègue radical qui a cosigné cette motion en tant que pédiatre à l'hôpital des enfants, vous apportera quelques témoignages supplémentaires.

J'ai pu observer cette violence entre les enfants tant par mon activité professionnelle qu'en parlant avec des enseignants, des parents et surtout des enfants qui redoutent le moment de la récréation par peur de se faire taper, insulter ou même racketter, puisqu'il semble également que cette pratique est en train de s'installer.

D'ailleurs, la commune de Meyrin, très récemment, a mis sur pied une quinzaine sur la violence. Plusieurs débats ont eu lieu au cours desquels les parents, les enseignants et les enfants ont amené des témoignages. Des questions ont été posées, des pistes de réflexion lancées. Tout cela a permis l'édition d'une brochure très intéressante. Mais cela ne suffit pas.

On s'aperçoit bien que, s'il y a des prises de conscience, que ce soit au niveau enfantin, primaire ou secondaire, tout le monde aimerait bien remédier à des situations difficiles, mais qu'il n'y a aucune concertation ni démarche commune.

J'ai fait une petite recherche et je me suis aperçue que d'autres cantons s'étaient davantage préoccupés du problème de la violence à l'école et qu'ils avaient intégré dans leurs programmes des cours de non-violence, des séminaires ou d'autres actions comme relaté dans l'exposé des motifs.

A Genève, exception faite de petites actions isolées, nous n'avons pas trouvé de mesures générales de prévention. Le but de cette motion est, d'une part, de demander à Mme Brunschwig Graf de bien vouloir nous renseigner sur ce qui se fait actuellement ou s'est fait au département de l'instruction publique et, d'autre part, d'étudier la possibilité d'intégrer aux programmes actuels une information sur la violence à l'école et les conséquences qu'elle peut avoir. Enfin, nous demandons que des colloques à l'intention des enseignants soient organisés, car certains profs nous ont avoué être démunis devant des situations qu'ils n'arrivaient pas à maîtriser. Une attitude inadaptée pouvait en effet amener un surcroît de tension plutôt que l'apaisement recherché.

J'ai parlé principalement de violences physiques, mais je crois que la violence verbale, avec son cortège d'insultes, est plus grave encore. Elle est souvent empreinte de racisme, de xénophobie et d'exclusion sociale. A cet égard, les enfants ont besoin de recevoir une information sur le droit à la différence : droit d'être étranger, droit d'avoir une situation sociale différente, etc. Sur ce point, le rôle de l'école nous semble essentiel, d'autant plus que le message reçu par les enfants est ensuite véhiculé dans les familles.

Voilà les quelques informations supplémentaires que je souhaitais apporter à cette proposition de motion que je vous demande de bien vouloir renvoyer, soit directement au Conseil d'Etat, soit à la commission de l'enseignement.

M. Dominique Belli (R). Le problème de la violence à laquelle l'enfant doit faire face est un des problèmes majeurs de la population infantile : violence de tiers adultes, violence intrafamiliale, parentale ou fraternelle, dont on aura l'occasion de reparler plus tard au sujet de la motion 914. Ce phénomène est à considérer dans un ensemble de violences présenté au monde de l'enfance : images de guerre souvent impitoyables des informations télévisées, séries télévisées et bandes dessinées souvent violentes, etc. Tout ces éléments ont fait, petit à petit, de la violence un phénomène devenu - je le déplore vivement - acceptable aux yeux d'une grande majorité de la population en général.

Cela est un volet partiel de la problématique et la violence scolaire en est un autre. En effet, depuis longtemps déjà, dans d'autres pays que la Suisse, la violence a fait son apparition dans les collèges, puis les écoles, touchant ainsi des enfants de plus en plus jeunes. Dès lors, il n'y avait absolument aucune raison que la Suisse et Genève en particulier soient épargnés. Les phénomènes sont malheureusement de plus en plus fréquents.

Les pédiatres et chirurgiens-pédiatres ont à traiter des entorses, des fractures ou des commotions cérébrales dues à des actes de violence pratiqués dans le cadre de l'école ou dans des préaux d'école. Des exemples d'enfants attachés pendant des heures à des grilles de préau ou victimes d'un climat de terreur instauré par des groupes d'enfants vis-à-vis d'autres enfants sont devenus monnaie courante et fréquemment rapportés aux associations de parents d'élève dont je fais partie d'ailleurs.

Tout cela m'inquiète, car, à mon avis, ces exemples ne sont que le sommet de l'iceberg. Par conséquent, sans faire preuve d'un esprit négatif et pessimiste, je pense qu'il serait approprié de s'occuper de ce problème pendant qu'il en est encore temps, car essayer de promouvoir la prévention sera toujours plus rentable que de payer tardivement les pots cassés. Dans cette optique, je vous demande de renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement pour analyser en profondeur ce phénomène et proposer des mesures préventives adéquates.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je ne reviendrai pas sur ce qui s'est dit, notre groupe ayant souhaité cosigner cette motion vu l'urgence et la gravité de la situation.

Cependant, nous souhaiterions aller un peu plus loin. En effet, nous affirmons qu'il ne suffit pas de faire une heure de formation à la non-violence, puis une heure de maths, une heure de français, une heure d'instruction civique, comme cela est proposé. Il s'agit d'un tout dans l'éducation, dans la pédagogie. Nous reviendrons d'ailleurs prochainement avec une motion pour essayer d'instaurer - cela prendra plus de temps - une pédagogie des valeurs au sein de l'école afin d'assurer un suivi. On peut faire de l'initiation à la paix aussi à travers un cours de mathématiques.

M. Pierre Vanek (AdG). Si cette motion révèle un problème réel, je pense qu'il faut être relativement prudent et, malgré ce qui a été dit, ne pas dramatiser les incidents qui se produisent. Il faut essayer d'avoir un tableau général. L'exposé des motifs, en décrivant des violences inouïes et très fréquentes dans les préaux, dresse un tableau un peu noir de la situation.

Sur le fond, je pense qu'il y a effectivement un problème à prendre en main. La motion invite à intégrer dans les programmes scolaires cet aspect des choses, à diffuser une information sur la violence, à organiser des colloques avec les enseignants. Or je crois que pour l'essentiel - même si toutes ces propositions sont positives, et je soutiendrai cette motion - la violence, comme d'autres domaines de l'éducation, ne se règle pas à coup de programmes, d'information ou de colloques d'enseignants seulement. Il y aurait un risque à traiter les choses de manière purement cosmétique. Je rejoins là ce que vient de dire Mme Reusse-Decrey.

L'élément essentiel pour traiter le problème de la violence et trouver des solutions satisfaisantes dans tous les cas concrets reste l'enseignant dans son travail quotidien et non dans un créneau particulier, dans une tranche du programme consacrée à la violence. Le travail de l'enseignant doit s'exercer d'une manière constante, dans tous les domaines de son activité. Pour aller même un peu plus loin, je dirais que, dans une certaine mesure, il est normal qu'un certain nombre de situations conflictuelles, y compris violentes, se posent dans des cadres scolaires et qu'il appartient au pédagogue de les prendre en main et de les résoudre de manière positive, d'arriver à les traiter pédagogiquement de manière intelligente. Si on donne aux enseignants le moyen de faire cela, une mauvaise chose peut se transformer en une bonne chose et avoir un sens éducatif. Cela peut permettre à l'ensemble d'une classe d'aller de l'avant, de se développer sur le plan des relations sociales et sur la manière dont les élèves les vivent et les vivront à l'avenir.

Je parlais d'une crainte de voir le problème traité de manière cosmétique pour la raison suivante : il y a un «os» par rapport à cette question et «l'os» c'est qu'il faut donner les moyens aux enseignants de faire ce travail. A mon avis, la question de fond est le problème des effectifs des élèves dans le primaire.

Nous avons eu quelques informations qui se voulaient rassurantes sur la question. Mais nous savons qu'il est prévu un afflux de six cent cinquante élèves à l'école primaire pour la prochaine rentrée scolaire et d'environ neuf cents élèves pour les deux années suivantes, ce qui représente une augmentation considérable. Pour ces six cent cinquante élèves, seules douze classes vont être ouvertes, alors que l'effectif total des enseignants des classes primaires sera diminué de douze postes. Donc, douze classes en plus et seize postes en moins. Une trentaine de postes d'appoint, de GNT, de maîtres spécialisés, de sport, etc. vont être supprimés. A mon avis, là réside un problème concret en rapport direct avec ceci : si on ne donne pas aux enseignants les moyens - notamment sur le plan des effectifs - de faire leur travail dans de bonnes conditions, nous allons vers une situation qui peut favoriser une non-résolution de la violence.

Donc je soutiendrai cette motion, mais j'estime que le problème de fond est ailleurs et qu'il ne faut pas mettre ce problème de la violence dans une case particulière et ne pas l'envisager dans le contexte global de l'enseignement. En matière d'enseignement, peut-être plus qu'ailleurs, une vision globale des problèmes est indispensable.

M. Max Schneider (Ve). Je ne suis pas du même avis que M. Vanek. Je pense qu'il faut recentrer la violence dans son juste débat et ne pas forcément tout mélanger. Bien des enfants sont éduqués à la violence, simplement par la télévision, par tout ce qu'ils voient depuis leur plus jeune âge. Les enseignants ont plusieurs manières d'y répondre. Ils peuvent y répondre par une violence verbale, ils peuvent aussi être doux et trouver des solutions à l'amiable. Les enseignants sont face à un défi très important. Ils ont un travail très difficile à faire puisque les enfants, en sortant de l'école, sont, au moyen de leur poste de télévision, devant la violence la plus virulente.

Etre enseignant n'est certainement pas très facile. Mais il existe tout de même des solutions pour répondre à ce que demande cette motion, tout de même très limitée. On peut aller un peu plus loin. Je souhaite que le problème soit traité au département ou en commission. On appelle «techniques de non-violence active» les théories mises en pratique notamment par Martin Luther King ou par le prix Nobel Perez Estivel. Il y a là un travail formidable à faire parce que, si nous savons répondre à la violence par la violence, nous n'avons jamais été éduqués à la non-violence active. Il y a différentes étapes dans la non-violence active : étudier les divergences avec l'autre, écouter et être ouvert à l'autre pour ensuite exprimer son point de vue sans forcément l'offenser, essayer de trouver des solutions sans chercher à humilier l'autre ou à vouloir être le «gagnant». Ces étapes sont souvent méconnues du public et même des enseignants et, bien évidemment, des élèves.

Pour terminer, j'aimerais souligner que, vendredi passé, au cycle du Foron, les parents d'élève se sont réunis avec des enseignants parce qu'ils avaient des difficultés face à des problèmes - cela me paraissait incroyable, mais c'est vrai - de racket dans cette école. Les enfants n'osent plus aller à l'école avec quelques francs en poche de peur que les plus forts les leur prennent. Il y a donc un problème profond et je ne pense pas, Monsieur Vanek, que seul l'effectif des classes soit en cause. On devrait aussi introduire à Genève cette non-violence active, et je souhaite que Mme Brunschwig Graf nous donne une réponse positive à ce sujet.

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Vais-je résister à l'appel de M. Max Schneider ? (Rires.) J'ai cru pendant un instant que j'allais être d'accord avec M. Vanek lorsque, dans sa première partie, il a parlé du rôle des enseignants, de ce que cela impliquait par rapport à la gestion de la violence, des conflits et de ce que l'on peut transmettre aux élèves.

Mais M. Vanek n'a pas dit que, derrière la gestion des conflits et pour faire face à la violence, il faut peut-être commencer à former les enseignants. Cela n'a pas été reconnu comme tel et n'est pas nécessairement inclus dans la formation initiale ou continue que l'on donne aux enseignants. Les enseignants se trouvent fort démunis, que ce soit face à la violence scolaire, face à la violence du monde extérieur ou face à la violence verbale telle qu'ils peuvent la rencontrer dans le monde des adultes. Le problème est réel. Je me réjouis que ces problèmes soient traités à la commission de l'enseignement. Pour pouvoir véritablement transmettre, il faut avoir la connaissance, la formation et la force nécessaires pour gérer ces problèmes.

J'ajouterai pour M. Pierre Vanek que le département de l'instruction publique n'est pas encore formé seulement d'enseignants. En l'occurrence, les seize postes dont il parle ne touchent pas l'enseignement primaire, enseignants stricto sensu, mais concernent l'organisation administrative. Lorsqu'on parle d'enseignement, d'instruction publique, on a parfois l'impression que cette maison ne fonctionne qu'avec des enseignants. Je tiens tout de même à dire que nous faisons des efforts qui ne portent pas sur le front mais sur des structurations utiles.

Je referme la parenthèse et je souhaite vraiment que la commission de l'enseignement échappe pour une fois au débat budgétaire, au débat sur la rentrée - elle a l'occasion de le soulever quand elle veut - et qu'elle traite vraiment du fond du problème, y compris de la formation des enseignants dans ce domaine. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Mise aux voix, cette motion est renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation.