Séance du
jeudi 26 mai 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
7e
session -
17e
séance
M 904
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- qu'il existe une multiplicité de responsabilités institutionnelles dans le domaine du préapprentissage ou de la formation préprofessionnelle;
- que nombre de ces institutions ont été créées à l'initiative de privés, puis reconnues d'utilité publique, mais sans être coordonnées;
- que le nombre de jeunes non intégrés dans les filières existantes ne cesse d'augmenter,
invite le Conseil d'Etat
- à rendre compte au Grand Conseil des différentes institutions publiques ou subventionnées qui prennent en charge le domaine du préapprentissage ou de la formation préprofessionnelle;
- à étudier l'évolution des besoins en la matière au vue du resserrement du marché de l'emploi et des apprentissages;
- à présenter les moyens que le département de l'instruction publique entend mettre en oeuvre pour répondre à l'augmentation des besoins;
- à présenter un projet de coordination à partir des institutions existantes.
EXPOSÉ DES MOTIFS
1. Population concernée
En dix ans, Genève a perdu plus de 1500 places d'apprentissage. Comme conséquence directe, de nombreux jeunes libérés de la scolarité obligatoire et recherchant une formation professionnelle se retrouvent sans solution et souvent dans la rue.
Ces jeunes proviennent de la 8e ou de la 9e du CO (en échec) (cycle d'orientation), des classes ateliers du CO, des EFP (écoles de formation pré-professionnelles), des classes d'accueil pour élèves non francophones (CO + CASPO (classes d'accueil du post-obligatoire), etc.
Cette catégorie représente actuellement quelques 200 jeunes.
A ceux-ci s'ajoutent ceux qui, ayant commencé un dixième degré (ECG (école de culture générale) ou apprentissage), abandonnent ou échouent, faute de motivation ou de bagage scolaire suffisants.
Cette seconde catégorie représente elle aussi plus de 200 jeunes.
Enfin, un troisième groupe est constitué par des jeunes sans statut officiel, ainsi que de requérants d'asile, à qui Genève n'offre aucune formation au-delà de la scolarité obligatoire.
2. Situation actuelle
En ce qui concerne la formation des jeunes, Genève a fait énormément dans le secteur gymnasial, notamment par la création de l'ECG.
La formation préprofessionnelle n'a pour l'instant pas représenté une priorité du département. Elle a souvent été introduite à l'initiative de milieux privés, d'où l'existence d'une multiplicité d'institutions, non coordonnées:
- ateliers divers: atelier ABC, atelier X, atelier de la FOJ (Fondation officielle de la jeunesse), ASTURAL;
- SGIPA (Société genevoise d'intégration professionnelle d'adolescents et d'adultes);
- au DIP: les classes de formation pratique et d'encouragement à la formation professionnelle des CASPO.
Même si ces offres de formation sont précieuses, elles restent insuffisantes (comme démontré ci-dessus) et ne s'inscrivent pas dans un concept de formation coordonné et cohérent.
3. Mission de l'instruction publique
Suivant le modèle de certains cantons, nous souhaitons que le département de l'instruction publique crée une structure de coordination cohérente.
De plus, au vu des besoins existants, il est urgent d'étendre les possibilités d'accueil des jeunes concernés et ceci pour la rentrée 1994 déjà.
Au bénéfice de ces explications, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, d'appuyer la proposition de motion que nous formulons.
Débat
Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Permettez-moi de présenter brièvement les propos de cette motion. Depuis dix ans, mille cinq cents places d'apprentissage ont disparu à Genève. Je me réfère à un article du «CO-Information» d'avril 1994 que je cite : «De nombreux jeunes gens et jeunes filles souhaitent entreprendre un apprentissage dès la fin de la 9ème année du cycle d'orientation et ce n'est pas seulement lorsqu'ils ont échoué à un examen qu'ils doivent s'inscrire dans une école de la scolarité postobligatoire, mais parce que les places d'apprentissage manquent.
»Année après année, le processus se répète et ce sont les aînés - 16 ans et plus - qui quittent le collège, l'école supérieure de commerce ou d'autres écoles et qui occupent les places disponibles.»
La pression quantitative et qualitative de la demande sur les places d'apprentissage augmente de telle façon qu'elle marginalise ceux et celles dont le niveau de scolarité est le moins élevé. De ce fait, les jeunes provenant des 8èmes du CO, des classes d'atelier du CO ou de 9èmes du CO mais non promus, ceux des écoles de formation préprofessionnelle de l'instruction primaire, ceux des classes d'accueil pour enfants non francophones sont en situation difficile dans la compétition à la place d'apprentissage. Ce manque de places d'apprentissage ainsi que l'insuffisance de formation de certains candidats nécessitent des solutions multiples, notamment une augmentation des places d'apprentissage, une redéfinition des classes préparatoires de l'école d'ingénieurs et de l'école de commerce, ainsi que de l'école de culture générale, enfin une prise en compte élargie des besoins en matière de classes de préparation à l'entrée dans les formations professionnelles.
Tel est le propos de cette motion. Les classes préprofessionnelles ne constituent pas, et ne doivent pas constituer, une voie d'exclusion. Au contraire, elles sont une autre chance sur la base d'une pédagogie libérée des exigences strictement académiques pour atteindre des objectifs de formation scolaire et de motivation à l'apprentissage au sens large. Elles doivent aussi être en prise directe avec les milieux professionnels. Or, à Genève, s'il existe une ouverture totale des degrés du postobligatoire, ce n'est pas le cas pour les structures publiques ou privées de formation préprofessionnelle.
Dans le premier cas, le nombre de classes suit le nombre d'élèves inscrits, alors que pour les classes ou ateliers de préapprentissage le nombre de places est relativement fixe. Que l'on apprécie ou non d'entendre parler de numerus clausus, le fait est que nombre de jeunes gens sans place d'apprentissage et sans possibilité scolaire d'entrer dans un dixième degré gymnasial ne trouveront pas, pour la rentrée, de place dans ces structures préprofessionnelles.
D'autres jeunes choisiront de faire un dixième degré à l'ECG, faute d'avoir trouvé une orientation professionnelle. Malheureusement, ils feront vite partie des élèves obligés de quitter cette école en raison d'un manque de motivation et de mauvais résultats scolaires. La SGIPA - Société genevoise pour l'intégration professionnelle d'adolescents et d'adultes - et les autres structures préprofessionnelles offrent quelque cent quatre-vingts places de préapprentissage au prorata des subventions ou des financements qui leur sont accordés.
Etant donné l'absence de coordination, il n'existe pas de centralisation de la demande. Cependant, le recoupement des informations permet d'affirmer que les places manquent. Tous ces jeunes dans la rue ne manqueront pas d'inquiéter le service de la protection de la jeunesse.
Différentes discussions ont été lancées dans les milieux concernés en relation avec le département. La motion invite à une coordination pour répondre à la demande, d'une part, sur le plan qualitatif pour l'orientation et l'accueil et, d'autre part, sur le plan quantitatif en nombre de places. Les réflexions à plus long terme sont évidemment nécessaires devant les modifications des structures de populations concernées par les apprentissages et les classes préparatoires des écoles secondaires. Les réflexions porteront évidemment sur l'alternative de l'intégration et de l'exclusion.
A côté de ce travail de réflexion à moyen terme, qui ne pourra avoir de réalisation concrète avant 1996 ou 1997, il devrait être possible de répondre rapidement, dans le cadre des structures existantes, à des demandes en augmentation. Toute réponse ne doit pas forcément se transformer en institution taillée dans le marbre, mais doit être, au contraire, souple, concertée et coordonnée.
Il ne s'agit pas de créer une nouvelle école, mais de coordonner ce qui existe, de répondre à l'ensemble des besoins et de réfléchir à un concept global de formation préprofessionnelle qui prenne en compte les offres actuelles et qui puisse s'adapter à l'évolution économique et scolaire.
M. Gilles Godinat (AdG). Il me paraît important de souligner quelques points. Tout d'abord, la motion part du constat d'une césure entre l'enseignement obligatoire et l'enseignement postobligatoire. Cette césure a été confirmée par différents rapports, notamment le rapport établi sur mandat du DIP.
Deuxièmement, il existe actuellement des «filières-passerelles» avec la filière pour les études et la filière pour la formation professionnelle. Or il s'avère que ces filières ne remplissent pas leurs fonctions et n'atteignent pas vraiment leurs buts, puisqu'elles font office de salles d'attente dans certaines situations. On a estimé actuellement à plus de cinq cents les élèves qui attendent une formation plus adéquate dans les différents secteurs de l'enseignement obligatoire avant le passage en postobligatoire.
Sans entrer dans les détails, j'aimerais souligner que ces élèves manquent d'un bagage en mathématiques et en français et d'une structure qui soit adaptée à leur contexte social et familial, le plus souvent défaillant. Je pense qu'il faudrait, comme l'a dit Mme Maulini-Dreyfus, adapter les structures aux besoins de ces élèves dans une perspective à plus long terme.
Mais, par contre, on constate une urgence dans la mesure où l'estimation des besoins qui a été faite - les chiffres dont nous disposons ne sont évidemment pas encore très précis - permet de dire que pour la prochaine rentrée, uniquement dans les classes d'accueil des dix-sept cycles d'orientation, il y a soixante élèves en plus. Actuellement, soixante élèves sont donc en difficulté. Il n'est en effet prévu pour la rentrée qu'une classe de douze élèves.
Il faut donc résoudre d'urgence ce problème, puisque la seule classe proposée en supplément est une classe d'accueil du secondaire postobligatoire, alors que la commission mandatée en proposait trois.
La motion invite donc le département à prendre des mesures urgentes pour la rentrée 1994.
M. Bernard Annen (L). Cette motion soulève un certain nombre de problèmes qui, de notre point de vue, ne peuvent pas rester au stade d'une séance plénière. Nous vous proposons donc de renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement et de l'éducation.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je crois qu'il faut effectivement renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement et de l'éducation. Je constate que ce n'est pas la seule motion déposée sur la base de rapports incomplets qui circulent dans certains milieux et qui finissent sur les tables des députés, alors que ces rapports traitent de travaux en cours.
En l'occurrence, cette agitation autour du préapprentissage et de l'entrée en apprentissage a des raisons d'être dans la mesure où il faut se saisir des problèmes. Je signale que ces problèmes ont été saisis et sont en voie de résolution pour une bonne part. Par ailleurs, je suggère que la commission de l'enseignement reçoive les toutes dernières informations concernant ces travaux, étant donné qu'il y a eu récemment une séance avec les partenaires de l'enseignement qui traitait justement de ce sujet.
Le rapport dont vous faites état, de façon fort incomplète, ne traitait même pas de ce qui concerne l'offre dans les institutions. Les partenaires qui participaient à la séance de hier ont découvert avec quelque surprise la multitude de possibilités qui peuvent exister. Multitude est un terme un peu exagéré, mais la variété des offres est bien réelle. Lorsque l'on veut traiter un problème, on commence effectivement par faire l'inventaire des besoins, mais aussi l'inventaire de l'offre. Cela a été fait et une réponse sera apportée.
Il n'y a donc pas lieu de savoir s'il y aura une ou deux classes d'accueil du secondaire postobligatoire ou encore d'autres systèmes. Je souhaite qu'on ne mélange pas tout, car, dans les demandes de ces différents milieux, il y a effectivement une demande pour des solutions dites de «préapprentissage». Mais, à part cela, on trouve aussi d'autres souhaits que vous traiterez à la commission de l'enseignement et qui vont beaucoup plus loin qu'il n'est souhaitable. En effet, si l'objectif à moyen terme est de créer un intermédiaire entre le cycle d'orientation et la voie professionnelle qui devient, malheureusement, une voie dépotoir, ce n'est pas la solution. Il faut faire en sorte que les élèves, qu'ils passent par une structure ou une autre, aient de meilleures chances d'intégration, ce qui est en cours et sera prêt pour la rentrée. La commission de l'enseignement en sera très largement informée, sans qu'il ne soit nécessaire de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
Mise aux voix, cette motion est renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation.