Séance du
jeudi 26 mai 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
7e
session -
17e
séance
M 907
EXPOSÉ DES MOTIFS
Actuellement, la situation en matière d'éducation civique se présente de manière différente suivant le type d'établissement scolaire dans lequel l'on se trouve. En effet, dans les écoles professionnelles telles que le CEPIA et l'école de commerce pour les apprentis, une heure d'éducation civique par semaine est dispensée aux élèves de deuxième année, ce qui correspond à une exigence de l'OFIAMT. Par contre, le collège, l'école de commerce et l'école d'ingénieurs ne donnent pas ce type d'enseignement de manière obligatoire. Celui-ci est intégré au cours de géographie à l'école de commerce, au cours d'histoire au collège et dans une option de sciences humaines à l'école d'ingénieurs. Les professeurs chargés des cours précités ne sont pas obligés de donner cette formation politique à leurs élèves : le choix est laissé à leur bon vouloir. Par conséquent, de nombreux élèves arrivent à la fin de leur scolarité sans aucune connaissance du fonctionnement étatique suisse, ce qui débouche logiquement sur un manque d'intérêt de leur part pour la vie publique et un taux d'abstentionnisme important qui constitue un danger pour notre démocratie.
Au vu de ce qui précède, il apparaît donc indispensable d'introduire un cours obligatoire d'éducation civique du type de celui dispensé aux apprentis de l'école de commerce (voir annexe) pour les jeunes suivant une formation post-obligatoire. Cependant, il conviendrait d'adopter une formulation plus moderne et dynamique que celle d'éducation civique, et d'appeler cet enseignement «cours de droits politiques».
En ce qui concerne les détails concrets de cet enseignement, il serait souhaitable qu'il soit dispensé une trentaine d'heures, si possible dans l'année qui précède la majorité civique des élèves. Pour éviter d'augmenter le nombre total d'heures de cours et avoir à engager de nouveaux professeurs, ce qui serait irréalisable compte tenu des restrictions budgétaires, il semblerait logique d'intégrer ces cours dans ceux d'histoire ou de géographie, mais de manière obligatoire et avec notation. Il serait également souhaitable que les professeurs concernés reçoivent un complément de formation qui permettrait d'assurer un enseignement de qualité et au cours duquel on insisterait notamment sur la nécessaire objectivité devant guider l'enseignement afin d'éviter que l'école devienne le théâtre de la propagande politique, quelle qu'elle soit. Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de donner bonne suite à cette motion.
ANNEXE
Débat
Mme Martine Roset (PDC). Les jeunes démocrates-chrétiens et les motionnaires sont préoccupés de motiver les jeunes à participer en connaissance de cause aux décisions de notre pays.
Personnellement, ce qui me frappe, c'est que trop souvent les jeunes confondent, par exemple, Conseil national et Conseil fédéral, ou bien ignorent le rôle du Grand Conseil. Il y aurait de multiples exemples à citer.
Quand on demande aux jeunes, qui ont suivi un cours d'éducation civique, comment ils ont perçu ce cours, il nous est souvent répondu qu'apprendre par coeur - comme, par exemple, calculer un quorum - n'est pas très concret et que les connaissances ne dépassent pas le stade de l'examen.
Nous pensons que l'intérêt des élèves pour ce sujet est réel et va au-delà de la notation. En rendant obligatoire ce cours, tous les jeunes en formation postobligatoire, c'est-à-dire juste avant leur majorité, auront au moins des bases communes dans ce domaine. Nous leur devons cette égalité.
Pourquoi nous proposons-nous d'intituler ce cours : «Droits politiques» ? Simplement parce que les jeunes apprennent beaucoup de devoirs envers la société et que d'enseigner un «droit» est plus motivant. Je vous remercie de bien vouloir accepter cette motion.
M. Armand Lombard (L). Nous recevons avec intérêt cette motion sur l'éducation civique des jeunes et nous serions d'avis de la renvoyer en commission avec un certain nombre de dièses. Je remarque que le président du parti démocrate-chrétien suisse a axé sa campagne et son nouveau mandat sur deux thèmes : la formation et l'Helvétie. Je remercie donc les motionnaires démocrates-chrétiens d'avoir déposé cette motion qui va dans le sens de leur président.
Je souhaiterais, dans la discussion qui suivra, que cet enseignement soit fait d'écoute, de dialogue et de consensus. Je souhaiterais aussi que les deux termes mentionnés - droits politiques - soient élargis de façon à recouper un plus large éventail. Pour nous, les droits politiques sont bien entendu importants. Mais on s'aperçoit que l'on a beaucoup parlé de droits, notamment des droits de l'homme, alors que ce sont les devoirs qui semblent manquer aujourd'hui. A côté des droits, il est nécessaire de parler des devoirs, surtout s'il s'agit d'un enseignement prévu dans l'instruction publique.
Au niveau politique, au-delà du décompte des voix et des votes, des problèmes techniques, de la différence entre Conseil national et Conseil des Etats, il nous semble que le terme «politique» a des acceptions plus larges. Il y a notamment les institutions politiques qui regroupent un éventail plus vaste. Dans le terme «politique», on trouve aussi des entités comme la Cité, la vie de la société, les communautés qui vivent ensemble.
Je crois qu'il serait très intéressant d'élargir les cours ou l'enseignement à des droits et devoirs politiques - ce dernier terme pris dans le plus petit et le plus large sens possible.
Au niveau des moyens, il nous semble qu'il n'y a pas que le département de l'instruction publique qui doive être chargé de ce type de travail. D'autres institutions peuvent y travailler. Il a été, par exemple, proposé aux députés de présenter leur travail auprès de certaines classes d'histoire. Des institutions ou associations privées subventionnées par l'Etat ont un caractère civique et pourraient participer à un tel enseignement, sous forme d'enseignement, de démonstration, de travaux, de conférences.
Je souhaite donc que cette motion puisse être considérée sous une forme plus large, et nous la verrons renvoyée avec plaisir soit au Conseil d'Etat, soit à la commission de l'enseignement, en fonction de ce qui paraît le plus rationnel.
M. Roger Beer (R). Je partage les propos de M. Lombard. Quant à cette motion concernant l'éducation civique, présentée par nos amis du parti démocrate-chrétien, je crois qu'ils ont raison de poser le problème. Ce n'est évidemment pas la première fois que nous évoquons cette question au parlement. Je peux comprendre que le fait que nos jeunes mélangent le Conseil national et le Conseil des Etats soit dramatique, mais je ne suis malgré tout pas persuadé que cela les empêchera de trouver une place de travail, une place d'apprentissage ou même de fonder une famille ! (Brouhaha.) Mais enfin, sans vouloir ironiser davantage, je crois qu'il y a effectivement un problème. Ceux qui font de la politique ici le savent parfaitement. La motivation des jeunes et de nos différentes troupes apparaît extrêmement difficile. Je pense que, dans ce domaine, l'enseignement peut éventuellement améliorer la situation.
Je ne suis pas persuadé que l'instauration d'un cours obligatoire soit la solution. Mais je pense qu'il y a moyen de trouver des solutions pour intéresser davantage notre jeunesse au monde politique. Le parti radical est tout à fait d'accord de renvoyer cette motion soit au Conseil d'Etat, soit en commission.
Mme Liliane Charrière Urben (S). Je ne suis pas suffisamment bonne musicienne pour savoir comment on appelle une note qui porte un double dièse, par allusion à ce qu'a dit M. Lombard. Tout simplement pour vous dire que, si nous comprenons la motion déposée par Mme Roset et MM. Barthassat et Lorenzini, nous aimerions qu'elle soit plus large dans sa conception. Je ne crois pas que ce soit au cours de la dernière année de la scolarité obligatoire que l'on doive commencer à comprendre ce que sont les droits civiques, ni d'ailleurs les devoirs. Il faut commencer bien avant. On peut très bien adapter à l'âge des enfants la manière de pratiquer. Des enfants d'école primaire déjà peuvent comprendre ce que sont les droits, les devoirs, ce que signifie prendre une décision en commun, ce que veut dire accepter d'être dans la minorité - là on pourra leur donner quelques leçons ! On peut aussi apprendre à de très jeunes enfants qu'une fois que l'on a accepté une règle on s'y plie, qu'elle nous plaise ou pas.
A quinze ans, il est trop tard pour comprendre ce que signifient les droits et les devoirs civiques et politiques, de se voir asséner un cours obligatoire, quel que soit le nombre d'heures. Il me semble que les choses doivent être vécues dans le concret. J'en veux pour témoignage le récent séminaire - dont une partie s'est déroulée dans ce lieu même - auquel a participé un groupe de l'école de commerce de Genève. Ce groupe a renoncé à une classe verte pour participer à des travaux sur les droits civiques et la démocratie. Nous avons effectivement constaté que les jeunes ne sont pas très au courant de ce qui se passe ici et des décisions prises, de la manière dont elles sont appliquées, des droits qui existent pour chacun.
Cela prouve donc bien qu'il faut faire quelque chose, mais, j'insiste encore, en adaptant les choses à l'âge des enfants. On doit commencer plus tôt, et surtout, il faut le vivre dans le concret. Il ne sert à rien d'apprendre par coeur des notions comme le nombre de députés siégeant au Grand Conseil. Finalement, ce n'est pas très important. Il est essentiel pour les enfants de tout âge de comprendre que, lorsque l'on prend un engagement, on le respecte même si l'on n'est pas d'accord et que la démocratie peut se pratiquer dès le plus jeune âge, y compris à l'école.
Mme Claire Chalut (AdG). Mme Charrière Urben a déjà évoqué bon nombre de mes préoccupations. Je me demandais également pourquoi il fallait attendre que les élèves soit au collège ou à l'école d'ingénieurs pour commencer à recevoir des cours d'instruction civique.
Par ailleurs, la motion, avec raison, soulève le problème de l'abstentionnisme qui prend des proportions inquiétantes. Il est vrai aussi que des enfants vivant avec des parents n'allant jamais voter ignorent tout de la vie politique et du simple fait de voter. Je trouve donc essentiel de sensibiliser les enfants le plus tôt possible en leur donnant des cours d'instruction civique.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je constate avec plaisir que l'instruction civique fait des adeptes dans tous les rangs. Je vous signale que le département de l'instruction publique avait dans ses tiroirs quelques motions fort bien tournées, que le rapport est presque terminé et que nous avons fait quelques recherches supplémentaires. Je vous suggère donc de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat afin qu'elle soit jointe au rapport dont le dépôt est prévu pour la fin juin. Sur la base de ces éléments et d'expériences faites depuis le dépôt des dernières motions, qui vont dans le même sens que Mme Charrière Urben, il sera possible de montrer que des voies existent et qu'elles sont intéressantes pour les jeunes.
Il semble qu'il y ait une évolution depuis le dépôt des motions précédentes. En effet, les jeunes eux-mêmes, partout où j'ai pu les rencontrer, ont demandé davantage d'instruction civique, de droits politiques, sous une forme adéquate, parce qu'ils regrettent de ne pas être munis d'outils suffisants. C'est un élément qui plaide en faveur de mesures intéressantes et qui pourraient être mises en place et encouragées. Elles sont multiples et, très souvent, peuvent être diversifiées de façon relativement aisée.
Je vous engage donc à renvoyer la motion au Conseil d'Etat et un rapport sera déposé d'ici fin juin.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
MOTION
concernant l'éducation civique des jeunes
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
que les jeunes manquent cruellement de connaissances en matière de droits politiques;
que l'abstentionnisme prend des proportions inquiétantes;
que la formation politique des jeunes constitue une condition indispensable à l'intérêt de ceux-ci pour la vie publique ainsi qu'au bon fonctionnement d'une démocratie;
que l'éducation civique des jeunes n'est actuellement pas assurée de façon obligatoire dans les collèges, les écoles de commerce et l'école d'ingénieurs
invite le Conseil d'Etat
à instaurer un cours obligatoire de «droits politiques» pour tous les jeunes suivant une formation post-obligatoire.