Séance du
jeudi 26 mai 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
7e
session -
16e
séance
I 1896
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Un des arguments principaux évoqués durant la campagne sur la levée des interdictions des grands jeux, en mars 1993, était l'intérêt de procurer des rentrées financières aux communes, aux cantons et dans les caisses fédérales.
A Genève, l'envolée du produit des machines à sous du Grand Casino, qui se poursuit depuis un peu plus de deux ans maintenant, n'a généré que des recettes négligeables pour le canton et, surtout, pour la Ville.
En effet, en 1992, sur un produit d'environ 12 millions, le prélèvement perçu par le canton n'a été que de 1,6 million et le bénéfice net de la Ville, de 300 000 F seulement.
Dans le même temps, la société anonyme du Grand Casino, celle de M. Gaon, prélevait respectivement 6,1 millions et 1,6 million pour financer la salle de spectacle, soit au total presque 8 millions.
Pour 1993, on parle d'une rentrée totale de l'ordre de 16 millions de francs. Flagrante est donc l'inéquité de cette répartition qui ressort de la convention dite «Convention d'actionnaires», conclue entre la Ville de Genève et la société anonyme du Grand Casino.
Cette convention faisait suite au refus du Conseil d'Etat de voir la Ville procéder à une cession pure et simple du capital-action de la société d'exploitation du Casino, la SECSA, à M. Gaon. Cependant, ce dernier a retrouvé dans cette convention d'actionnaires un résultat comparable à une privatisation qui n'en porterait pas le nom.
En effet, la Ville détient 99% des actions. La société de M. Gaon, avec le pour-cent restant, se met 60% des bénéfices dans la poche. Voilà qui s'appelle un contrat intéressant !
En outre, il apparaît qu'au terme de l'article 1 de cette dite convention la société de M. Gaon devait réaliser, à ses frais et à ses risques, une salle de machines à sous et assurer lui-même la totalité de l'investissement.
Or, il apparut ultérieurement que cet article n'avait pas été respecté puisque la société de M. Gaon se borne à louer les machines à sous à la société Tivolino. Les salaires du personnel sont d'ailleurs aussi à la charge de cette société. M. Gaon n'a donc pas tenu son engagement contractuel en se déchargeant totalement du poids de la fourniture des machines, de l'exploitation et de la formation du personnel. Ne restent pour lui que les fructueux bénéfices.
Le Conseil d'Etat, en faisant procéder comme il lui en incombe à une inspection des comptes de la SECSA par le contrôle financier cantonal, a découvert, d'une part, le décalage de la répartition financière et, d'autre part, ce non-respect de la convention. Il a donc refusé d'agréer les comptes de la SECSA. La Ville de Genève et la SECSA ont alors interjeté un recours auprès du Tribunal fédéral.
Dès lors, mes questions sont les suivantes : comment se fait-il que l'accord entre acheteurs et fournisseurs, à savoir entre M. Gaon et la Maison Tivolino, accord qui viole la convention d'actionnaires, n'ait jamais été déclaré et a donc été caché au Conseil d'Etat ? Pourquoi la Ville s'oppose-t-elle à l'Etat et défend-elle ainsi la société de M. Gaon ? Que contient ce rapport du contrôle financier cantonal ? Où en est la procédure qui est pendante devant le Tribunal fédéral ? L'Etat envisage-t-il d'intervenir auprès de la Ville pour qu'elle renégocie la convention d'actionnaires en vue d'obtenir une part équitable de l'important profit obtenu par l'exploitation des machines à sous ?
Enfin, ma dernière question. Comment l'Etat envisage-t-il d'intervenir dans le cadre d'une éventuelle implantation des grands jeux à Genève ? Sur ce dernier point, je pense qu'une telle exploitation doit être prise en main par un groupe financièrement solide et fiable, afin d'éviter, tout particulièrement, les risques élevés dans ce milieu de blanchiment d'argent.
Or, le groupe Gaon n'est pas vraiment ce que l'on peut appeler un groupe financièrement solide. Il suffit de constater ses problèmes avec le blocage d'une prétendue créance sur la Russie portant sur 280 millions de dollars, ses difficultés à assurer ses nombreuses obligations envers la banque Paribas, la Banque cantonale de Genève, la banque Barclès en France, ainsi qu'envers le Crédit National. Quant à son casino de Cannes, inauguré en la présence de son invitée personnelle, Mme Rossi, il serait toujours dans les chiffres rouges. Enfin, les terrains de Sécheron semblent commencer à être bien encombrants, puisque, de source assez sûre, il semble que M. Gaon chercherait à les revendre. Avis aux amateurs !
Merci au Conseil d'Etat s'il peut répondre à toutes ces questions.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Je vous fais mes compliments, Madame la députée. En effet, vous me demandez ce qu'est la SECSA, et vous faites un exposé brillant qui démontre, à satisfaction de tout un chacun, que vous connaissez parfaitement bien le sujet, de sorte que je peux tout aussi bien m'abstenir de vous renseigner sur un sujet que vous maîtrisez au moins aussi bien que moi.
Je reprends donc uniquement les questions finales que vous avez articulées. Vous avez demandé où en était l'état de la procédure. Tout d'abord, je tiens à rappeler que le Conseil d'Etat a toujours refusé la cession par la Ville de Genève du capital-action de la SECSA à la société anonyme du Grand Casino, la SACG. Nous avons refusé une première et une deuxième fois et nous avons confirmé notre refus de la convention d'actionnaires - c'était le 15 mars 1993 - estimant qu'un contrat plus favorable à la Ville de Genève devait être négocié.
Concernant les grands jeux, j'aimerais rappeler que le Conseil d'Etat a, d'ores et déjà, fait acte de candidature auprès du Département fédéral de justice et police, en vue de l'exploitation dans notre canton d'un casino avec des grands jeux. Cet acte de candidature, qui ne nous engage à pas grand-chose, si ce n'est de nous manifester, date du 26 avril 1993.
Vous devez savoir, Madame la députée, que le Conseil administratif de la Ville de Genève et la SECSA ont recouru au Tribunal fédéral contre la décision du Conseil d'Etat du 15 mars 1993, et que ces recours sont pendants devant le Tribunal fédéral.
Le Conseil d'Etat exige toujours une renégociation de la convention d'actionnaires et a menacé de retirer l'autorisation d'exploiter le jeu de boules et des machines à sous à la SECSA. Récemment, cela remonte au tout début de l'année, la Ville de Genève, la SECSA et la SACG ont demandé l'ouverture d'une négociation tripartite, Etat-Ville-SACG. Ces négociations sont en cours.
Vous comprendrez que, par souci de conservation du secret professionnel, je ne peux aller beaucoup plus loin dans l'exposé de l'état de ces négociations.
Par contre, il est normal que vous soyez informés, ce que le Conseil d'Etat s'engage à faire prochainement. Il s'agira, en quelque sorte, de faire passer ce dossier dans une commission, afin que nous puissions vous renseigner. Je tiens à dire d'emblée que c'est un sujet d'une effroyable complexité, même les dessins fournis par les différentes parties ne nous permettent pas d'y voir très clair.
Madame la députée, vous avez posé de bonnes questions. J'espère que vous serez satisfaite d'une réponse partielle. Mais, franchement, Madame la députée, le conseiller d'Etat en charge du dossier a vraiment l'impression qu'il s'adresse à une experte.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je ne saurais partir à la pause sans remercier le conseiller d'Etat de me traiter d'experte, et je prends note que le Conseil d'Etat s'engage à saisir le Grand Conseil lorsque les discussions qui sont actuellement en cours entre l'Etat, la Ville et la SACG auront abouti. Ainsi, je clos mon interpellation.
L'interpellation est close.
La séance est levée à 19 h 15.