Séance du jeudi 26 mai 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 7e session - 16e séance

M 885-A
19. Rapport de la commission judiciaire chargée d'étudier la proposition de motion de MM. Laurent Moutinot, Christian Ferrazino et Chaïm Nissim invitant le Conseil d'Etat à présenter un projet de loi modifiant la procédure en matière d'évacuation pour défaut de paiement du loyer (art. 440 et 441 LPC). ( -) M885
 Mémorial 1993 : Annoncée, 7271. Développée, 7850. Renvoi en commission, 7857.
Rapport de M. Claude Lacour (L), commission judiciaire

1.   MM. Laurent Moutinot, Christian Ferrazino et Chaïm Nissim ont déposé une proposition de motion à la séance du Grand Conseil du 2 décembre 1993 (Mémorial, page 7271).

Le débat préliminaire a eu lieu lors de la séance du 16 décembre 1993 (Mémorial, page 7850). Mise aux voix, elle a été renvoyée à la commission judiciaire.

2.   Exposé du problème

a)   Dispositions concernant le fond

- Le congé pour défaut de paiement de loyer est réglé par l'article 257 d du code des obligations (CO), qui stipule:

«1. Lorsque après réception de la chose, le locataire a du retard pour s'acquitter d'un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail. Ce délai sera de 10 jours au moins et, pour les baux d'habitation ou de locaux commerciaux, de 30 jours au moins.

  2. Faute de paiement dans le délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d'habitation et de locaux commerciaux peuvent être résiliés moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d'un mois.»

- Ainsi que par l'article 274 g, CO, qui prévoit que «lorsqu'une procédure d'expulsion est engagée, l'autorité compétente en matière d'expulsion statue aussi sur la validité du congé donné par le bailleur, dans le cadre d'application de l'article 257 d, CO». C'est-à-dire en cas de demeure du locataire, demeure du locataire étant définie par l'article 257 d, CO.

- La procédure d'évacuation elle-même étant cantonale, elle est régie à Genève par l'article 440 LPC qui a la teneur suivante:

«1. Le greffier convoque les parties à bref délai.

  2. L'instruction de la cause se fait tout entière à l'audience. Il n'est pas admis d'échange d'écritures, les parties ayant toutefois la faculté de plaider. Il est dressé procès-verbal des déclarations faites par les parties.

  3. Le président peut néanmoins ordonner les mesures probatoires prévues par le présent chapitre, si elles sont indipsensables au jugement de la cause, ou faire application de l'article 439.»

- L'article 439 LPC (qui peut être appliqué à teneur de l'alinéa 3 de l'article 440 LPC) a la teneur suivante:

«Le Tribunal peut, en tout temps, s'il estime que les conditions prévues à l'article 8, alinéa 1, de la loi instituant une commission de conciliation en matière de baux et loyers, du 4 décembre 1977, sont remplies, soumettre une cause à la commission de conciliation, siégeant dans la composition prévue à l'article 8, alinéa 2, de ladite loi. Il décide si l'instruction de la cause doit être suspendue.»

- L'article 8 de la loi instituant une commission de concilation en matière de baux et loyers (dont il peut être fait application en exécution de l'arti-cle 439) a la teneur suivante:

«1. S'il s'avère, en particulier dans le cadre de l'opposition à une majoration de loyer ou d'une demande en évacuation, que notamment la situation financière très difficile du locataire fait obstacle à une transaction, la commission reconvoque les parties à bref délai afin d'examiner quelles institutions pourraient accorder des prestations au locataire.

  2. Dans ce cas, la commission siège avec le concours des2 assesseurs supplémentaires, spécialistes des questions sociales. Elle peut entreprendre toute démarche utile, notamment ordonner la comparution personnelle des parties ou l'audition de tierces personnes, et demander la production de toute pièce utile.»

3.   Exposé du problème soulevé par les motionnaires

Alors que les litiges relatifs aux baux sont soumis à des tribunaux spéciaux, les litiges d'expulsion dérogent à cette règle du fait que l'arti-cle 274 g, CO a prévu une attraction de compétence en faveur de l'autorité d'expulsion. Le Tribunal fédéral ajoute: «Dans le but d'éviter des procédures multiples et de permettre une liquidation rapide des litiges en matière de bail à loyer» (Semaine Judiciaire 1993, page 549 lettre b et jurisprudence citée).

Le Tribunal fédéral a ensuite précisé que ce juge d'expulsion est appelé à statuer aussi et définitivement sur la validité du congé, de sorte qu'il est «tenu d'examiner la cause avec une pleine cognition sans égard au fait que les preuves fondant le droit d'une partie peuvent être immédiatement fournies et qu'à première vue la partie adverse n'a rien de pertinent à opposer» (id.,p. 550).

Cette procédure unique doit «déboucher sur un jugement définitif». Cette solution s'impose au regard du ratio de l'article 274, CO, qui vise au règlement rapide de ce genre de litige.

Le Tribunal fédéral précise encore que «ces décisions étant revêtues de l'autorité de la chose jugée, elles sont finales au sens de l'article 48 alinéa 1 OJ et peuvent ainsi faire l'objet d'un recours en réforme au Tribunal fédéral, sous réserve des conditions de recevabilité» (id., p. 550).

4.   Critique de la procédure de l'article 440 LPC par les motionnaires

Les motionnaires estiment que cet article instaure une procédure «sommaire» qui ne permet pas souvent aux locataires de faire entendre des témoins dans le cas où le loyer a été payé en nature ou de la main à la main, ni de tenir compte d'un paiement par compensation, notamment en cas de diminution de jouissance de la chose jugée.

Les opposants à la motion contestent qu'il s'agisse d'une procédure sommaire, puisque cette procédure prévoit (au contraire d'une procédure sommaire) la possibilité d'un échange d'écritures, la faculté de plaider et que par ailleurs le jugement rendu est susceptible d'appel ordinaire.

En fait, la procédure prévue par l'article 440 est une procédure «sui generis» intermédiaire entre la procédure sommaire et la procédure ordinaire.

En définitive, la motion demande au Conseil d'Etat d'harmoniser la procédure genevoise des articles 440 et 441 avec les exigences de l'article 274, CO, à savoir obtenir que le juge compétent en matière d'expulsion statue aussi sur la validité du congé, avec pleins pouvoir de cognition.

Par ailleurs, la motion demande dans son 2e alinéa une modification de la législation permettant de prendre en compte les aspects sociaux du défaut du paiement du loyer dans toute la mesure compatible avec les exigences du droit fédéral.

En effet, actuellement le caractère très strict de la procédure d'évacuation ne permet pas suffisamment de trouver des solutions économiques, financières et sociales raisonnables pour les deux parties.

5.   Travaux de la commission

Séance du 10 mars 1994

a)  Un premier débat permet aux motionnaires de confirmer qu'ils désirent harmoniser la législation genevoise avec le droit fédéral avec comme effet indirect de favoriser une meilleure justice par la composition tripartite de l'instance compétente par exemple. Dans la discussion, plusieurs solutions sont envisagées, allant jusqu'à la suppression des articles 440 et 441 LPC.

b)  Il est procédé ensuite à l'audition de M. Bernard Bertossa, procureur général. Ce dernier fait remarquer qu'il ne s'occupe que de l'aspect de l'exécution des jugements et non pas de la procédure. Il ne voit pas d'objection, si le Grand Conseil l'estime nécessaire, à développer des moyens procéduraux tout en admettant que cette solution lui paraît quelque peu disproportionnée au regard du petit nombre de cas litigieux. Pour lui, le réel problème se situe au niveau de l'exécution. En effet, le locataire évacué fait l'objet de poursuites qui découragent les éventuels fournisseurs de locaux. Il pense donc que la solution pourrait être par exemple la création d'une association privée ou publique venant au secours des locataires ne pouvant payer leur loyer, soit par des paiements directs, soit par des garanties. Il estime que le vrai problème se situe à ce niveau. Une discussion s'instaure sur le travail de la commission sociale prévu par l'article 440 et il semble qu'il serait utile que cette commission intervienne en début de procédure, au moment où les problèmes sont encore relativement légers sur le plan financier, plutôt qu'en fin de procédure.

Le procureur général fait remarquer que bien souvent le jugement d'évacuation est le premier effet catalyseur ayant une influence sur les divers intervenants uniquement à ce stade et relève qu'en 1993, 490 demandes d'évacuation ont été déposées, 185 retirées, 280 ont fait l'objet d'arrangement, finalement 73 ont été réellement exécutées par la force publique.

Il est suggéré une éventuelle modification de la loi sur la commission de conciliation pour que celle-ci exige la présence des représentants des services sociaux, cela en début de procédure.

c)  La commission auditionne ensuite M. Yves Delaunay, régisseur, et M. Marc Muller, secrétaire du Service de protection juridique immobilière représentant de la Chambe immobilière genevoise (CGI).

M. Delaunay précise que la régie dont il s'occupe traite 2500 loyers. Il a constaté 20 à 25 mises en demeure mensuelles, dont seulement 2 ou3 aboutissent à des requêtes en évacuation. Il n'a fait procéder qu'à 2 ou3 expulsions en 15 ans. Il considère que l'article 440 répond aux préoccupations des motionnaires, en ce sens que le juge peut ordonner des mesures probatoires. Quant à la compensation, elle est régie par l'arti-cle 259 g, CO. Elle peut être évoquée même en appel pour la première fois et pour une cause postérieure au jugement de première instance. Il rappelle que les régies se soucient de l'aspect social du problème des locataires tout en relevant que ce sont souvent ces derniers qui font preuve de négligence. Il rappelle également que, selon lui, la procédure des articles 440 et suivants n'est pas une procédure sommaire puisque le juge peut ordonner des probatoires autres, que le jugement qu'ils recevront est susceptible d'un recours en réforme devant le Tribunal fédéral, cela à la différence de la situation dans le canton de Vaud, situation qui a donné lieu à la jurisprudence à laquelle se réfère la motion.

M. Delaunay considère qu'une modification de la LPC sur ce plan aurait des effets pervers, notamment pour les locataires.

d)  La discussion reprend. Les motionnaires rappelant que le nombre d'évacuations est toujours en augmentation, que les bailleurs essaient pratiquement d'obtenir un jugement, puis de discuter ensuite. Ils regrettent que l'autorité chargée de statuer ne comprenne pas d'assesseurs dont l'expérience pourrait être utile.

Les opposants à la motion considèrent que la législation genevoise ne devrait être modifiée que si elle ne répondait pas aux exigences posées par la jurisprudence fédérale, ce qui ne semble pas être le cas, et de répondre à une exigence sociale, cela dans la mesure où elle serait réelle et ne pourrait l'être par une revivification de la commission sociale.

Il est rappelé que l'article 8 de la loi sur la protection des locataires est suffisant pour répondre à toutes les exigences des motionnaires.

Les motionnaires admettent que la majorité des cas relève en effet de la commission sociale et énumèrent diverses causes, non imputables aux locataires, mettant ces derniers dans l'impossibilité de s'acquitter de leurs loyers.

Les motionnaires expliquent qu'ils n'ont pas présenté un projet de loi rédigé, car ils souhaitaient ouvrir la discussion pour chercher une solution acceptable pour tous, plutôt que de figer le débat par un projet écrit

6.   Séance du 17 mars 1984.

Audition de M. Michel Criblet, juge au Tribunal de première instance, vice-président de la commission de conciliation en matière de baux et loyers, et de M. Jean-Marc Strubin, président du Tribunal des baux et loyers.

M. Criblet donne des précisions techniques quant à la procédure par-devant la commission de conciliation. Il relève que la commission de concilation n'a que peu de pouvoirs et que des améliorations pourraient être imaginées à ce niveau. Il pense qu'il faudrait pouvoir éviter une longue procédure qui aboutit généralement à une perte de loyer pour le bailleur.

M. .

- existence de la créance;

- exigibilité de la créance;

- vérification de la forme de l'avis comminatoire;

- vérification du délai de paiement;.

- vérification de l'absence de paiement ou de consignation;

- vérification des conditions formelles de l'article 266 m, CO.

S'agissant d'un examen au fond, la jurisprudence du Tribunal fédéral concernant le canton de Vaud n'a pas d'application directe à Genève.

Il relève que les probatoires ne sont ordonnées que dans le 1% à 2% des cas, ce qui ne nécessite donc pas de modifier la loi.

Dans les autres cas, le Tribunal est confronté à des problèmes sociaux et non juridiques. Actuellement 16 requêtes sont déposées par semaine et 12 ou 13 jugements sont rendus. (Voir statistiques remises par le juge Strubin le24 mars 1994 en annexe au présent rapport.)

M. le juge Strubin relève que la plupart du temps les locataires ne peuvent pas payer, sans mauvaise volonté de leur part.

M. le juge Strubin précise que si le Tribunal des baux et loyers devait siéger dans une composition tripartite pour les requêtes en évacuation pour non-paiement de loyer, cela augmenterait son coût de fonctionnement.

M. Strubin est d'avis que ce n'est pas la LPC qu'il faut modifier, mais l'article de fond, soit l'article 257 d, CO, ce qui est du ressort du législateur fédéral.

M. Criblet précise que la Cour de justice a considéré que la procédure appliquée au jugement d'évacuation pour non-paiement de loyer n'était pas une procédure sommaire, puisque le juge disposait du pouvoir de libre appréciation des preuves.

Sur question, M. Criblet précise que la commission de conciliation convoque entre 3 semaines et 2 mois, le Tribunal des baux un mois après le dépôt.

M. Strubin précise que la moitié des locataires environ font défaut dans la procédure.

M. Strubin précise qu'il n'est pas rare que les locataires ne se manifestent seulement lorsque l'huissier vient leur notifier le jugement d'évacuation.

Après discussion, il est renoncé à l'audition de Mme Gampert-Péquignot dont l'opinion est connue par la lettre qu'elle a adressée au département le15 mars 1994 et qui est jointe en annexe.

Une discussion s'installe sur le problème de la crise du logement social.

Les commissaires s'accordent pour convenir que le défaut de paiement du loyer est dommageable tant pour le bailleur qui ne parvient pas à encaisser son état locatif que pour le locataire plongé par ses dettes de loyer dans l'engrenage des poursuites; de plus, il est admis qu'il faut trouver des solutions rapidement, soit au début de la procédure, avant que l'arriéré ne soit trop important.

Plus que des règles de droit, c'est l'intervention efficace des services compétents - office du logement social, Hospice général, OCPA, etc., - qui doit permettre de trouver des solutions.

Il convient donc de renforcer, au stade de la conciliation, les possibilités d'intervention des services de l'administration ou de tiers, à la demande de la commission.

Il s'agit notamment que la commission de conciliation puisse disposer, au début de la procédure, à l'instar du procureur général au stade final, de l'appui de l'office du logement social pour trouver l'aide adéquate selon les cas.

Finalement la commission propose d'amender la motion 885 et propse le texte suivant:

«La commission judiciaire du Grand Conseil invite le Conseil d'Etat:

à permettre par une modification du fonctionnement de la commission de conciliation en matière de baux et loyers, dans sa composition de l'article 8 de la loi régissant son activité, la prise en compte des aspects sociaux du défaut de paiement de loyer dans toute la mesure compatible avec les exigences du droit fédéral».

Cette proposition est acceptée à l'unanimité.

Annexes:      1. Lettre de la CGI à la commission judiciaire du Grand Conseil.

2. Lettre  de  la  commission de conciliation des baux et loyers à

M. M. Riat.

3. Tableaux statistiques 1991-1992-1993.

ANNEXE 1

ANNEXE 2

ANNEXE 3

Débat

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Nous sommes d'accord avec la proposition de motion mise au point par la commission judiciaire. Le département proposera au Conseil d'Etat une modification, comme souhaitée par cette commission, du règlement concernant la commission de conciliation en matière de baux et loyers, du 27 février 1978.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

MOTION

invitant le Conseil d'Etat à présenter un projet de loi

modifiant la procédure en matière d'évacuation

pour défaut de paiement du loyer

(art. 440 et 441, LPC)

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que dans un récent arrêt (SJ 1993, page 545 et suivantes), le Tribunal fédéral a critiqué les procédures cantonales d'évacuation pour défaut de paiement du loyer, lorsqu'il s'agit de procédures sommaires;

- qu'il y a lieu, la procédure genevoise en la matière étant sommaire, d'harmoniser la législation cantonale avec les exigences du Tribunal fédéral;

- que le problème des évacuations pour défaut de paiement pose de surcroît de graves problèmes sociaux, économiques et humains, et qu'il y aura lieu d'en tenir compte dans l'élaboration d'une nouvelle législation,

invite le Conseil d'Etat

à permettre par une modification du fonctionnement de la commission de conciliation en matière de baux et loyers, dans sa composition de l'article 8 de la loi régissant son activité, la prise en compte des aspects sociaux du défaut de paiement de loyer dans toute la mesure compatible avec les exigences du droit fédéral.»