Séance du
vendredi 29 avril 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
6e
session -
15e
séance
I 1890
M. René Longet (S). La situation de l'économie genevoise, nous le savons, est très sensible, et cela depuis longtemps, aux fluctuations. La fragilité de notre économie était déjà une constante dans les années 70 et je vous rappelle qu'à l'époque les partis de gauche avaient tiré la sonnette d'alarme par une motion qui aura fait date, puisqu'elle a donné lieu à une étude importante. Je veux parler de la motion Schmid-Magnin. Les partis de gauche et le parti socialiste en particulier ont constamment réclamé une politique structurelle et conjoncturelle ferme. Les années 80 ensuite nous ont fait connaître une tornade spéculative qui a fait oublier, par une apparente embellie, la nécessité de l'action, mais qui, en fait, a encore davantage fragilisé notre tissu économique. Ceux qui se préoccupaient de stabilisation, à cette époque, avaient été accusés un peu légèrement de malthusianisme, puisque nous voulions freiner ce qui, à l'époque, était de l'excès. En fait, on s'aperçoit aujourd'hui que ces oscillations sont les deux faces d'une même médaille, sans oublier que durant ces années il y a eu prévalence notoire et grave de l'économie spéculative sur l'économie productive.
Nous affirmons ici très clairement que la finance doit servir la production et non l'inverse. Tout récemment, les patrons genevois de la métallurgie ne disaient rien d'autre. Enfin, nous voyons à travers les hauts et les bas de ces vingt dernières années une tendance lourde, à savoir qu'une activité de tradition à laquelle nous tenons - je veux parler du secteur secondaire - malgré un combat de tous les jours de ceux qui y travaillent, de ceux qui y exercent des responsabilités, diminue semble-t-il inexorablement. Or, nous voulons qu'il subsiste dans ce canton des activités de production et pas seulement des activités de gestion. D'ailleurs, la défense de la zone agricole et de l'industrie s'explique pour ces motifs. Le problème clé est celui du financement, tout particulièrement dans le secteur des PME qui forment 80% de notre tissu économique. On nous parle des taux préférentiels, de l'aide à l'amortissement des dettes, du capital-risques et d'un interface efficace et léger entre crédits, recherche et production.
Enfin, nous constatons - ce n'est pas la moindre des choses et les contacts qui ont été noués lors des récentes visites d'entreprises organisées par la Chambre du commerce nous le confirment - qu'on exagère largement dans les discours la question des conditions-cadres soi-disant défavorables dans notre canton. Nous affirmons que, compte tenu des prestations offertes en termes de capacité, de savoir-faire, de fidélité, de dévouement à l'entreprise, le coût salarial n'a rien d'exagéré. Au contraire, les salariés subissent des inégalités croissantes, les écarts se creusent et nous aimerions affirmer le lien intrinsèque et indissoluble entre politique économique et politique sociale. D'ailleurs, de nombreux économistes dans le monde entier nous rappellent qu'il n'y a rien de plus déstabilisant psychologiquement et de plus démobilisant économiquement en termes de débouchés que la pression sur les salaires.
A partir des grands traits que j'ai esquissés ici, j'aimerais poser cinq questions au Conseil d'Etat.
1) A notre avis, la politique économique du canton doit être fondée sur des objectifs clairs tels que la diversification, une analyse de nos forces et de nos faiblesses, le maintien d'un secteur productif agricole et industriel, un équilibre entre le marché local et régional et le marché lointain, un équilibre entre petites et grandes entreprises.
Je m'adresse donc au Conseil d'Etat : Etes-vous d'accord de définir clairement les objectifs de la politique économique cantonale et de les inscrire dans la loi ? Nous estimons que nous avons besoin d'une référence, d'un critère d'action. Aussi nous souhaitons que des objectifs de ce type figurent clairement dans la loi.
2) La politique économique se décline en fonction d'un but et offre une palette de moyens. Nous avons dans ce Grand Conseil discuté, défini, adopté des plans cantonaux dans le domaine des transports, de l'énergie, de l'aménagement du territoire, voire des déchets. Or, il n'y a rien de tel en matière économique. Aussi, nous affirmons que faire de la politique c'est définir des orientation, dire ce que l'on veut, ce que l'on estime juste, et avoir des images directrices.
Alors, à quand un concept cantonal de la politique économique présenté à ce Grand Conseil, discuté et approuvé par ce Grand Conseil, servant, lui aussi, de référence claire ?
3) Il y a pour nous un lien indissociable entre politique économique et politique sociale. La promotion économique et la promotion de l'équilibre social vont de pair.
Le Conseil d'Etat est-il d'accord, sur cette base, de faire tout ce qui est en son pouvoir pour favoriser la conclusion de conventions collectives dans les branches qui en sont dépourvues, la négociation entre partenaires sociaux quand cela est difficile, la reconnaissance de l'action syndicale dans les entreprises, et de manière générale de s'engager, de manifester le souci, de réduire la répartition des revenus qui s'ouvre actuellement de manière dangereuse ?
Partage-t-il de manière générale l'opinion qu'il y a un lien intrinsèque entre promotion économique et équilibre social, l'un n'allant pas sans l'autre ?
4) Dans le rapport du Conseil d'Etat sur sa politique économique, le dernier qui ait été transmis au Grand Conseil en 1989, de nombreuses ébauches et amorces prometteuses sont annoncées, notamment en faveur des deux cibles qui nous paraissent particulièrement importantes : secteur industriel d'une part, PME d'autre part.
Le Conseil d'Etat est-il en mesure de nous faire le bilan de ce qui a été entrepris depuis sur ces deux cibles précises en reprenant les différentes pistes esquissées alors ? Est-il prêt, notamment, à intervenir auprès des établissements bancaires - Monsieur Maitre, vous avez parlé tout à l'heure de la situation florissante de ces établissements - pour qu'ils pratiquent une politique de soutien beaucoup plus active en direction des entreprises créatives, des entreprises du secteur industriel et des PME en particulier, puisque c'est l'un des problèmes majeurs ? Nous aimerions donc savoir ce que ce programme est devenu depuis cinq ans qu'il a été établi.
5) Enfin, en un mot comme en cent, vous l'aurez compris, nous sommes pour une politique économique volontariste, comme la pratiquent tous les pays qui nous entourent. Quelle est l'attitude du Conseil d'Etat, de manière générale, face aux propositions ou à la politique fédérale en matière de programmes conjoncturel et structurel ?
Vous le savez - le débat autour du renouvellement de l'arrêté Bonny l'a montré - il y a un enjeu politique très fort à cet égard à Berne. Un certain nombre de milieux, qui plaident la dérégulation à tout crin, voudraient que le Département fédéral de l'économie publique et le Conseil fédéral baissent les bras et laissent simplement aller la conjoncture. Il est important de savoir ce que le Conseil d'Etat répond et entend répondre à Berne pour qu'une politique structurelle et conjoncturelle digne de ce nom soit soutenue, développée et maintenue.
De manière plus concrète, quelle est l'attitude du Conseil d'Etat face aux programmes d'impulsion fédéraux qui sont une des clés d'une politique favorable à la relance économique telle que nous la souhaitons ?
Enfin, je pose ma dernière question, qui n'est pas la moindre. En effet, ce sera peut-être dans ce cadre que vous pourrez me répondre, Monsieur Maitre.
Quelle est la réponse et quand y aura-t-il une réponse aux deux motions qui ont été initiées l'année dernière par le groupe socialiste, et qui ont été votées par ce Grand Conseil au mois de mars 1993, je veux parler de la motion 802, sur une relance sélective, et la motion 803, sur une politique économique cantonale ?
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. M. Longet pose un certain nombre de questions sur la politique économique du Conseil d'Etat. Dans le cadre des compétences cantonales, le Conseil d'Etat a eu l'occasion de s'exprimer à plusieurs reprises à cet égard. Apparemment, il est assez difficile d'être compris, plus encore d'être entendu, puisqu'on nous repose les mêmes questions à chaque fois, alors que ces axes de politique économique ont été clairement définis. Monsieur Longet, vous avez fait, à juste titre, référence au rapport de 1989. Nous n'avons pas voulu innover de manière excessive, puisque ce rapport s'inscrit dans le droit fil du rapport de la politique économique de 1975 à la suite de la motion Schmid à laquelle vous avez fait allusion. Nous nous trouvons toujours dans la même trajectoire en matière de politique économique. Rien n'a changé, mais elle s'est consolidée avec les innovations qui sont le fruit d'initiatives nouvelles ou qui sont suggérées par les évolutions de la vie économique.
Qu'il me soit très brièvement permis de vous dire que la politique économique du canton s'inscrit dans quatre vecteurs essentiels.
1) Le premier vecteur est un cadre de liberté économique. Ce cadre est important et comporte plusieurs segments :
Les infrastructures qui représentent des conditions-cadres absolument essentielles au développement économique. Puisque vous appelez de vos voeux le développement économique et de bonnes conditions-cadres, je me réjouis de cet intérêt grandissant pour l'économie. C'est une satisfaction pour le Conseil d'Etat de voir que cela peut préfigurer désormais un soutien massif au développement d'infrastructures comme l'aéroport.
Dans le domaine de l'aménagement du territoire, condition-cadre également, nous avons des outils de travail que nous devons maintenir et renforcer, je veux parler des zones industrielles. Genève a conduit jusqu'ici une politique exemplaire dans ce domaine.
La zone agricole est un facteur d'équilibre fondamental de ce canton, mais aussi un outil de production pour les agriculteurs, c'est pourquoi nous devons la défendre, mais dans des perspectives d'évolution. En effet, les conditions de travail des agriculteurs se sont modifiées, donc l'outil de travail doit lui-même se modifier.
Dans les conditions-cadres, il y a évidemment la formation. Vous savez que la formation est un des instruments fondamentaux de la politique économique. Ce n'est pas pour rien que Genève se situe très nettement dans le peloton de tête des cantons suisses dans le domaine des dépenses budgétaires par tête d'habitant pour la formation.
Il y a également la fiscalité. Je suis assez surpris qu'après le débat que nous venons d'avoir on vienne nous refaire un discours sur les stratégies en matière de politique économique alors que, dès qu'on a un ancrage concret, on le conteste. Nous devrons encore faire beaucoup de progrès dans la simplification des procédures administratives, car elles sont archaïques. Je ne le dis pas de manière dogmatique, mais nous constatons leur complexité et leur lenteur pour répondre efficacement à l'évolution très rapide de la demande des entreprises.
La politique économique est donc tout d'abord un cadre à la liberté économique.
2) La politique économique c'est également la capacité de se saisir des leviers de promotion économique. Vous savez que Genève s'est engagée dans une promotion économique active et très structurée qui donne de très bons résultats. Ce n'est pas ici le lieu de les développer, mais l'ensemble des données, des chiffres figurent sur des documents qui sont à votre disposition, Monsieur Longet. Qu'il me soit permis de dire qu'en une année et demie, en termes d'accueil d'entreprises nouvelles, en termes de création d'emplois induits par ces entreprises nouvelles qui sont venues s'établir chez nous à la suite des actions de promotion économique, Genève se situe dans le peloton de tête de tous les cantons suisses. Cela veut dire que nous avons de bonnes conditions-cadres, je suis d'accord avec vous. Il ne faut pas les dénigrer, il faut les défendre et les améliorer là où elles doivent l'être.
Le deuxième levier de la politique économique est donc la promotion économique.
3) Le troisième volet fondamental de la politique économique - Monsieur Longet, vous l'avez évoqué et je suis d'accord avec vous - est le terrain d'une politique sociale responsable. Il n'y a pas de politique économique en tant que telle qui néglige une politique sociale digne de ce nom, cela pour des raisons fondamentales, qui sont d'ailleurs philosophiques, mais aussi pour des raisons de politique économique plus strictes.
Ces raisons fondamentales sont les suivantes : nous estimons que l'économie n'est pas un but en soi, c'est un moyen au service des gens, c'est un moyen au service du bien-être ou du mieux-être des femmes et des hommes de ce pays, en l'occurrence de ce canton. Ce n'est pas pour rien, Monsieur Longet, alors que nous vivons dans une situation budgétaire extraordinairement difficile, tendue au point que vous connaissez, budget après budget, si la politique sociale n'a pas été réduite. Elle a été accrue contrairement à d'autres cantons. Nous estimons que l'économie est nécessaire pour le maintien d'une politique sociale digne de ce nom.
Et j'en viens à l'aspect strictement politique et économique. Il n'y a pas de politique économique qui puisse avoir l'ambition de durer si elle ne bénéficie pas d'une stabilité sociale. Dans un petit pays comme le nôtre, l'une des conditions-cadres essentielles que nous devons offrir aux entreprises est la stabilité sociale, laquelle ne peut exister sans une politique sociale correctement dimensionnée.
Les leviers de politique sociale sont des éléments intrinsèques d'une politique économique. Nous le disons très clairement.
4) Enfin, j'aborde le quatrième volet. Le cadre de concertation renforcé et structuré entre l'ensemble des partenaires économiques et sociaux dans ce canton. Ce cadre est fondamental dans le domaine de la politique économique. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat est en train de mettre en place, pour répondre aux voeux du Grand Conseil, un Conseil économique et social. Ce dossier est bien avancé et nous avons le privilège de pouvoir le traiter avec des partenaires sociaux sur le plan syndical comme sur le plan patronal, qui sont des partenaires sociaux responsables animés de la volonté d'aboutir. Nous espérons que durant le mois de juin au plus tard, conformément à nos engagements, le dossier «Conseil économique et social» sera bouclé et que nous pourrons en débattre dans le cadre de votre conseil compte tenu d'un certain nombre d'aspects qui impliqueront de toute façon des modifications législatives.
Monsieur le député, je vous prie encore une fois de vous référer au rapport de 1989, RD 128, dans lequel vous trouverez des informations beaucoup plus détaillées.
Cela étant, je vais fournir des réponses plus sectorielles à vos questions.
Vous voulez connaître la position du gouvernement cantonal à l'égard des programmes d'impulsion sur le plan fédéral, sur le plan conjoncturel ou structurel. Vous avez évoqué, en particulier, l'arrêté Bonny. Permettez-moi de vous rappeler, Monsieur le député, que non seulement nous soutenons les propositions du Conseil fédéral, mais nous avons été demandeurs. Comme parlementaire fédéral, j'ai eu l'occasion, avec mon collègue Francis Matthey, d'intervenir un certain nombre de fois, non seulement pour demander le maintien de l'arrêté Bonny, mais pour demander son élargissement, en particulier au domaine de l'innovation qui, aujourd'hui, est un parent pauvre de l'arrêté Bonny. Donc, dans le domaine structurel, non seulement nous soutenons les décisions du Conseil fédéral, mais nous les avons demandées.
Sur le plan conjoncturel, permettez-moi de dire que non seulement nous avons soutenu le bonus à l'investissement, mais nous avons réclamé sa prolongation. Nous regrettons que ce domaine n'ait pas été retenu par le Conseil fédéral. Sur le plan conjoncturel et structurel en même temps, nous avons soutenu pleinement tous les programmes qui conduisent à une décartellisation de notre économie.
Vous voyez donc, Monsieur Longet, que sur ces deux plans nous sommes plutôt offensifs.
Les motions 802 et 803 posent un certain nombre de problèmes qui sont notamment résolus en liaison avec la création du dossier «Conseil économique et social». Dans ce cadre, nous répondrons prochainement aux motions 802 et 803 dès que ce dossier sera bouclé, de façon à vous présenter une réponse d'ensemble.
M. René Longet (S). Je vous ai posé des questions, Monsieur Maitre. Vous avez exposé votre conception des choses. Je ne vais pas commenter les points abordés.
Je tiens seulement à souligner vos propos sur la nécessité d'associer politique économique et politique sociale. Nous aurons l'occasion de nous y référer dans un certain nombre de cas concrets. Il est vraisemblable que nous divergions d'appréciation selon les dossiers, mais j'aimerais insister sur le fait qu'en matière de politique des relations sociales nous avons des lacunes dans ce canton. Il faudra nous en occuper. Il est exclu pour nous de dissocier les deux ni de faire une promotion économique et d'oublier de combler les lacunes dans les relations sociales et au niveau des conventions collectives où - vous le savez aussi bien que nous - il reste de nombreux domaines nécessitant des interventions.
Le discours que vous avez tenu répond à certaines de mes questions. D'autres restent sans réponse, notamment quant au concept de politique économique, quant au fait de savoir s'il faut inscrire les objectifs que j'ai définis dans une loi par rapport à l'attitude des banques. Je ne prolongerai pas ce débat puisque vous allez répondre tout prochainement aux deux motions socialistes évoquées. Je me déclare donc partiellement satisfait de la réponse.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Monsieur Longet, vous aurez raison de vous référer à nos propos en matière de politique sociale, non pas comme une mesure d'accompagnement d'une politique économique, mais comme une mesure intrinsèquement liée à la politique économique et comme faisant un tout.
De mon côté, je souhaite vous dire que le Conseil d'Etat se référera également à vos propos de défense de la politique industrielle, notamment lorsque nous devrons évoquer certains secteurs des arts graphiques très durement touchés; je pense, en particulier, à notre combat pour sauver le Centre d'impression de Vernier.
Cette interpellation est close.