Séance du
vendredi 18 février 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
4e
session -
5e
séance
M 903
EXPOSÉ DES MOTIFS
Il y a un environ un an et demi notre Grand Conseil avait voté une motion invitant le Conseil d'Etat à surseoir aux renvois de ressortissants de l'ex-Yougoslavie. Cette décision avait permis à de nombreuses familles, en particulier en provenance du Kosovo, d'échapper à un refoulement.
Aujourd'hui, après avoir épuisé de nouvelles procédures, quelques-unes de ces familles, ainsi que de jeunes déserteurs ou réfractaires sont confrontés à un ordre de départ. Que faire ? Ne pas soutenir cette nouvelle motion équivaudrait à reconnaître que nous nous sommes trompés il y a un an, alors même que la situation, au contraire de se calmer, empire de semaine en semaine.
Quelques faits sous forme de rappel:
- Des églises de cantons suisses-alémaniques sont transformées en refuge depuis plusieurs mois, afin d'éviter à des familles un retour vers ce qui aujourd'hui déjà est un lieu de répression et qui demain pourrait être l'enfer. Les plus hautes instances des deux Eglises catholique et protestante, la Communauté israélite, ainsi que des conseillers nationaux de divers partis ont d'ailleurs tenu conférence de presse pour dénoncer la politique de renvoi menée par les autorités suisses.
- Le Kosovo est une province serbe, sous embargo, dans laquelle vivent essentiellement des Albanais. En raison de cet embargo, les conditions de vie sont de plus en plus précaires, et la véritable politique d'apartheid menée à l'encontre des Albanais du Kosovo instaure un vrai régime de terreur.
- La Conférence pour la sécurité du Conseil de l'Europe (CSCE), Amnesty International, la Commission des droits de l'Homme de l'ONU, la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme, Caritas Suisse, ainsi que des nombreux rapports rendus par des délégations parlementaires d'Europe et des Etats-Unis, sont unanimes (et contraires au seul avis de l'Office des Réfugiés): les conditions de vie au Kosovo pour les Albanais sont désastreuses, et la répression y est de plus en plus violente et arbitraire. Au surplus les jeunes Albanais risquent d'être enrôlés de force pour être envoyés au front, dans une guerre à laquelle ils sont totalement étrangers.
- En raison de l'embargo, la capitale Prishtina n'est plus accessible (même l'aide humanitaire est bloquée). Jusqu'à l'automne 1993 les autorités suisses avaient trouvé le moyen, pour expulser les Albanais du Kosovo, de les expédier sur la Macédoine, avec l'accord des autorités de cette République. Ces dernières, conscientes qu'elles collaboraient à envoyer des gens à des arrestations, des mauvais traitements ou des tortures, ont annoncé au mois d'octobre 1993 ne plus accepter les Kosovars refoulés de Suisse. A l'heure actuelle les autorités suisses tentent d'imaginer des solutions pour refouler ces ressortissants par tous les moyens: avion jusqu'à Budapest (Hongrie), puis bus via Zagreb (Croatie) jusqu'à Prishtina (Serbie) !
- De nombreux spécialistes avouent que le conflit de l'ex-Yougoslavie risque fort de s'étendre au Kosovo. D'ores et déjà des délégués américains sillonnent certaines régions des Balkans à la recherche de lieux propices pour des camps de futurs réfugiés kosovars.
Et de notre côté, nous devrions continuer d'accepter, dans l'indifférence et le silence le plus total, que des hommes, des femmes et des enfants soient renvoyés au Kosovo ?
Nous pensons qu'au contraire il est de notre devoir de dénoncer de tels procédés, de signifier notre refus et d'intervenir pour que ces personnes puissent poursuivre temporairement leur séjour en Suisse, dans l'attente d' une amélioration de la situation dans leur pays.
C'est pour cette raison qu'il nous semble essentiel que vous apportiez, Mesdames et Messieurs les députés, votre appui à cette motion.
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je serai très brève sur cette motion. Une chose est claire, la situation au Kosovo est catastrophique, il y est mené une véritable politique d'apartheid envers les Albanais et nous ne pouvons, sans autre, mettre des gens dans des avions à destination de ce pays. C'est pourquoi cette motion demande de surseoir aux renvois.
J'aimerais évoquer deux points. Le premier concerne une objection qui revient souvent. Un certain nombre de travailleurs du Kosovo rentrent au pays à l'occasion des congés parce qu'ils n'ont pas d'autres moyens pour faire parvenir de l'argent à leur famille pour survivre là-bas. Je vous rappelle que cette province est sous embargo, c'est une province serbe. Ils font ce choix et prennent donc le risque de rentrer pour pouvoir aider les leurs restés sur place.
L'autre objection, c'est que les jeunes déserteurs et les jeunes réfractaires - en l'occurrence il y en a trois qui sont cachés depuis quelques jours parce que menacés de renvoi - présentent souvent de faux documents. J'aimerais que l'on comprenne bien pourquoi ils en arrivent là. Les autorités suisses demandent à ces jeunes réfractaires et déserteurs de produire des ordres de marche pour déposer une demande d'asile. Or, dans les villes et les villages, là-bas, lorsque les ordres de marche commencent à arriver, les jeunes ne vont pas les retirer et s'enfuient. Arrivés en Suisse, on leur dit : «Ou bien vous présentez un ordre de marche, ou bien c'est le billet d'avion avec retour immédiat.». Ils n'ont donc guère d'autre choix que de présenter de faux documents.
Voilà pourquoi je vous demande de confirmer le vote que ce Grand Conseil avait fait il y a environ une année et demi, à savoir de surseoir, tant que la situation n'est pas moins tendue dans cette région, au renvoi des ressortissants du Kosovo.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. J'aimerais tout d'abord remercier Mme Reusse-Decrey d'avoir eu la loyauté de m'informer au préalable de son intervention. Depuis maintenant plusieurs années, le Conseil d'Etat est très soucieux de la situation en ex-Yougoslavie, en particulier au Kosovo. Il s'en est ouvert à plusieurs reprises aux autorités fédérales. Il remercie donc les motionnaires de leur intervention et accepte cette motion. En attendant le résultat de ses nouvelles démarches auprès de l'autorité fédérale, le Conseil d'Etat continuera de procéder comme il l'a fait jusqu'à maintenant en ce qui concerne les Kosovars, avec un maximum de prudence et d'ouverture.
Pour les cas de Kosovars déboutés de leurs requêtes d'asile, j'ai donné pour instruction à l'office cantonal de la population de procéder avec la plus grande compréhension et de tenter de résoudre ces situations extrêmement difficiles. Ceux qui sont donc appelés à quitter la Suisse sont reçus personnellement à plusieurs reprises, les délais de départ sont négociés, si bien que les retours éventuels sont finalement tous volontaires et ne se font jamais sous la contrainte, sauf pour les cas pénaux évidents qui sont hélas assez fréquents en matière de trafic de drogue à partir de cette malheureuse province.
C'est de cette manière humaine, mais qui reste compatible avec nos obligations de canton confédéré tout en aboutissant de fait à surseoir momentanément aux renvois ainsi que le demande la deuxième invite de votre motion, que seront traités les rares cas de Kosovars déboutés de leurs requêtes. A ce jour, il n'y aura, en date du 15 avril 1994, que douze cas de Kosovars, ce qui correspond à quinze personnes qui feront l'objet d'une décision exécutoire.
Pour le reste, il va de soi que le Conseil d'Etat s'engage à vous rendre compte ultérieurement du résultat de ses démarches auprès de l'autorité fédérale.
Le président. Je précise que dans son libellé actuel la motion n'a plus qu'une invite, soit la deuxième du texte primitif.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
MOTION
concernant le renvoi des ressortissants du Kosovo
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- la motion M 807 du 19 juin 1992 largement soutenue par ce Grand Conseil,
- la répression de plus en plus violente menée au Kosovo à l'encontre des Albanais et le risque d'élargissement du conflit de l'ex-Yougoslavie jusque dans cette région,
- la récente décision des autorités macédoniennes signifiée à la Suisse et refusant de poursuivre leur collaboration dans le cadre des refoulements de ressortissants albanais du Kosovo,
- l'accord enfin donné par les autorités serbes à deux délégations (Caritas et Eper) de se rendre sur place au Kosovo,
invite le Conseil d'Etat
- à surseoir momentanément aux renvois du canton de Genève des ressortissants du Kosovo et à les autoriser à travailler afin d'éviter de devoir les assister financièrement.