Séance du
vendredi 18 février 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
4e
session -
5e
séance
R 268
Débat
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Je ne veux pas développer à nouveau l'ensemble des considérants qui nous amènent à déposer cette résolution. L'affaire est connue. Néanmoins, j'aimerais expliquer pourquoi nous maintenons la résolution alors même que le Conseil fédéral vient d'agir.
Vous vous souvenez qu'il y a quelque temps, en janvier dernier, la commission des affaires étrangères du Conseil national s'adressait par lettre au Conseil fédéral pour demander la mise en oeuvre d'une procédure d'arbitrage dans l'affaire de l'expulsion vers l'Iran à partir de Paris des deux assassins présumés de Kassem Radjavi qui devaient être livrés fin décembre à la justice suisse.
J'aimerais tout d'abord saluer la détermination de M. Koller, conseiller fédéral, qui, comme on le sait, a déclaré que le Conseil fédéral allait porter plainte auprès du Conseil d'Etat français, comme l'a fait dans un précédent récent le gouvernement britannique dans une autre affaire. Pour votre information, je puis vous dire que cette autre affaire concernait Hong-Kong. En 1992, le gouvernement anglais s'était adressé à l'Etat français pour demander que la France livre à Hong-Kong un escroc réfugié en France. La France avait refusé d'obtempérer et l'Angleterre s'était adressée au Conseil d'Etat français, instance comparable à un Tribunal administratif amenée à juger des raisons pour lesquelles le gouvernement avait refusé de livrer cet escroc. (Brouhaha. L'oratrice s'interrompt.)
Je ne peux pas parler comme ça !
Le président. Continuez, Madame !
Mme Erica Deuber-Pauli. J'aimerais bien que l'on se taise un peu, car je n'arrive pas à me concentrer. (Manifestations diverses.)
La commission des droits de l'homme n'entre en matière qu'en cas de conflit entre signataires de la Convention européenne pour la lutte contre le terrorisme et, par conséquent, n'ouvre de procédure d'arbitrage - procédure pouvant conduire à la condamnation de l'Etat accusé d'une faute - qu'après échange bilatéral entre les deux Etats concernés, en l'occurrence entre la Suisse et la France. Cela signifie, dans l'affaire des assassins de Kassem Radjavi qui devaient être livrés à la justice suisse par la justice française et qui ont été «libérés» vers Téhéran par le gouvernement français, que le Conseil fédéral demande d'abord ses raisons à l'Etat français.
Il peut le faire par une note diplomatique. Or, les éminents juristes de M. le conseiller fédéral ont trouvé ce fameux précédent anglais de Hong-Kong. Aussi, le Conseil fédéral a-t-il demandé au Conseil d'Etat français de trouver les raisons des décisions du gouvernement français qui sont apparues, vous vous en souviendrez, comme une gifle d'abord pour la famille Radjavi dont, je le rappelle, les enfants vivent à Genève et sont citoyens suisses, pour la population genevoise, pour la justice de notre pays, en l'occurrence pour la justice vaudoise, enfin pour le Conseil fédéral et la Suisse toute entière.
Lorsque ces raisons auront été fournies par le gouvernement français et s'il s'avère que M. Pasqua a bel et bien roulé tout le monde et enfreint les termes de la convention, Berne pourra aller à Strasbourg et obtenir l'ouverture d'une procédure d'arbitrage, comme le demande la commission des affaires étrangères du Conseil national. C'est la raison pour laquelle nous maintenons notre projet de résolution, puisque nous entendons soutenir dans sa démarche la commission des affaires étrangères qui, dans cette affaire, était unanime.
Cette proposition de résolution comporte une invite, celle d'adresser au Conseil fédéral une demande identique à celle de la commission des affaires étrangères et de faire ce qui est en son pouvoir, non seulement pour que l'enquête ne soit pas close, mais pour que les assassins présumés du professeur Radjavi soient déférés devant la justice. Au demeurant, nous exprimons notre satisfaction aux autorités fédérales d'avoir entrepris cette démarche auprès du Conseil d'Etat français.
Enfin, nous demandons au Conseil d'Etat de tenter de mettre fin à l'action des services secrets iraniens sur le territoire genevois, qui n'en sont pas à leur premier assassinat, et à tout entreprendre pour éviter le renouvellement de tels actes. Dans cette perspective, il serait urgent de réduire la très forte représentation d'agents iraniens sur notre sol, et notamment ceux attachés à la mission iranienne auprès des Nations Unies.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Je ne désire pas allonger le débat. J'aimerais dire que le Conseil d'Etat partage pour l'essentiel cette résolution émanant de l'ensemble des groupes du Grand Conseil. J'ai observé en passant, mais cela est tout à fait formel, que le texte sous le chiffre 268 n'est pas le même que celui de la précédente résolution et donc que ce deuxième texte devrait porter un chiffre amendé. J'aimerais également vous faire une remarque concernant le second paragraphe des considérants. C'est aussi une remarque de pure forme mais il n'est pas juste de dire que les tueurs ont été identifiés. Actuellement, il n'est pas établi que les deux Iraniens faisant partie de ce groupe de treize soient effectivement les tueurs, et donc l'enquête n'est pas close.
Quant au fond, j'aimerais simplement vous rappeler que cette affaire relève de la compétence du Département fédéral des affaires étrangères et que c'est bien aux autorités fédérales que nous devons nous adresser. J'ajoute que la police genevoise a collaboré pendant toute l'enquête avec la police vaudoise et la police fédérale et qu'elle est évidemment prête à assurer dans le futur une telle collaboration. Enfin, en ce qui concerne la dernière invite, il faut savoir que le nombre d'agents diplomatiques iraniens sur le territoire genevois est fonction de l'accord de siège passé entre la Confédération et les organisations internationales et que seules ces dernières sont à même d'accréditer les diplomates étrangers auprès de leurs sièges respectifs. Nous pouvons donc tout au plus émettre un voeu, étant entendu qu'il s'agit d'une affaire du ressort fédéral. Cela dit, je rappelle que le Conseil d'Etat partage totalement l'indignation soulevée par l'issue provisoire, je l'espère, de ce dossier.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
RÉSOLUTION
concernant l'assassinat de Kassem Radjavi
Considérant les faits suivants:
Le 26 avril 1991, Kassem Radjavi, citoyen iranien en exil et, en tant que professeur à l'université de Genève et militant des droits de l'homme, l'une des personnalités marquantes de la Genève internationale, était assassiné devant son domicile à Tannay par un commando de tueurs venus de Téhéran.
Grâce à la police genevoise, les tueurs et leurs auxiliaires, onze agents des services secrets iraniens basés à Genève, ont pu être identifiés rapidement.
L'assassinat ayant été commis sur territoire vaudois, l'enquête a été confiée au juge Châtelain, de Lausanne, qui, depuis quatre ans, tente en vain d'obtenir que soient exécutées à Téhéran ses nombreuses commissions rogatoires.
Il y a un peu plus d'un an, les services du contre-espionnage de la Direction de la surveillance du territoire ont arrêté sur sol français les deux tueurs de Kassem Radjavi. Sur demande extraditionnelle de la Suisse, la justice française a décidé de livrer les deux hommes à la justice vaudoise. La Suisse a été dûment avertie de cette décision. Or, le 29 décembre dernier, le ministre de la Justice Pasqua a fait expulser les deux tueurs vers Téhéran, les soustrayant ainsi à la justice suisse.
La conduite du gouvernement français est apparue comme un camouflet pour Genève, pour la famille de Kassem Radjavi dont les enfants résident à Genève et sont citoyens suisses, ainsi que pour toute la population genevoise. L'impunité de ce crime crée un grave précédent sur notre territoire, d'autant plus que les tueurs de Téhéran ont déjà opéré en toute impunité dans notre ville, quai du Mont-Blanc, il y a quelques années, en assassinant l'un de leurs compatriotes.
La Suisse, comme la France, est signataire de la Convention européenne pour la lutte contre le terrorisme qui prévoit, en cas de conflit entre signataires, une procédure d'arbitrage et une condamnation de l'Etat fautif.
Réunie ce mois de janvier à Berne, la commission des affaires étrangères du Conseil national a adressé par lettre au Conseil fédéral la demande de mettre en oeuvre cette procédure d'arbitrage.
Depuis le dépôt de la présente résolution, un fait nouveau important est survenu, à savoir la décision prise le 16 février par le Conseil fédéral et dont il faut se féliciter, à savoir la saisie du Conseil d'Etat français d'une plainte pour le non-respect par le Gouvernement français de la convention d'entraide judiciaire liant la France à la Suisse. Cette initiative du Conseil fédéral démontre que ce dernier est sensible aux réactions de l'opinion publique de notre pays et justifie donc le maintien de la résolution dont les conclusions seront complétées en conséquence.
Le Grand Conseil invite le Conseil d'Etat:
- à faire part au Conseil fédéral de la satisfaction des autorités genevoises quant à l'initiative qu'il a prise de saisir le Conseil d'Etat français de la violation par le Gouvernement français de la convention d'entraide judiciaire liant la Suisse et la France;
- à adresser néanmoins au Conseil fédéral une demande similaire à celle de la commission des affaires étrangères du Conseil national quant à la mise en oeuvre de la procédure d'arbitrage prévue dans la Convention européenne pour la lutte contre le terrorisme, tout en invitant le Conseil fédéral à faire tout ce qui est en son pouvoir non seulement pour que l'enquête ne soit pas close, mais pour que les assassins présumés du professeur Radjavi soient déférés à la justice;
- subsidiairement, Genève ayant déjà subi les méfaits des services secrets iraniens, à tout entreprendre pour éviter le renouvellement de tels actes et pour réduire le nombre des agents iraniens sur le territoire genevois.