Séance du
jeudi 17 février 1994 à
17h
53e
législature -
1re
année -
4e
session -
4e
séance
I 1877
M. Gilles Godinat (AdG). Depuis le détachement de Roto-Sadag SA de la Tribune de Genève et son rachat par MM. Capt, Baud et Domenjoz, fin 1990, la Caisse d'Epargne du Canton de Genève, par l'intermédiaire de M. Zimmermann, a assuré une ligne de crédits. Courant 1991, le retard dans le paiement des débiteurs, la baisse du volume des commandes, la récession ainsi que la restructuration de l'entreprise ont entraîné seize licenciements sur cent trente employés, en 1992. La Caisse d'Epargne avait déjà exigé, à la fin 1991, des mesures d'assainissement, en particulier une diminution de 10% de la masse salariale, pour passer de 10 à 9 millions en 1992.
La direction de l'entreprise repoussa l'offre des travailleurs de se constituer comme actionnaires et exigea d'eux d'autres sacrifices. Ainsi, malgré les contributions de solidarité consenties par les salariés pour favoriser la situation financière de l'entreprise, qui se sont montées à près de 860 000 F pour une période de seize mois depuis l'été 1992, et malgré le plan social misérable imposé aux seize licenciés d'alors - 30 000 F en tout et pour tout pour ces seize personnes, sur une économie réalisée par l'entreprise de 1,3 million avec ces réductions d'effectif - l'entreprise annonce de nouvelles difficultés financières à la fin 1992.
Mais cela ne l'empêche pas d'investir, en décembre, dans l'achat de quinze machines à l'entreprise Barut, d'embaucher, en février 1993, dix employés de cette entreprise en faillite et de procéder à d'autres investissements d'envergure comme l'acquisition d'une presse quatre couleurs et l'installation de copie de plaques offset sans film. En mars 1993, la direction annonce une baisse du chiffre d'affaires; elle indique également que la contribution de l'entreprise pour compenser la perte de revenus des personnes concernées par le chômage partiel, contrepartie de la baisse des salaires récupérés sous forme de contribution de solidarité, s'élève à environ 1% de la masse salariale sur huit mois d'exploitation.
Force est donc de constater que l'on a peu chômé dans cette entreprise, au maximum dix jours par personne sur huit mois. Par conséquent, il y a lieu de conclure que les difficultés financières ne proviennent pas principalement d'un manque de travail. Cela n'empêche pas la direction de suivre les consignes bancaires : réduire les charges de 18% avec un plan d'investissement de 1,2 million en 1993 et 1994 en équipements nouveaux, et de 1,8 million pour les trois années suivantes, c'est-à-dire 3 millions sur quatre ans. A fin 1993, la Banque cantonale propose de reconstituer le capital social par 2 millions et exige, en contrepartie, des mesures de restructuration : licenciement de vingt-cinq employés, les nonante employés restants étant sommés de renoncer définitivement au salaire acquis et d'accepter ainsi, définitivement, une diminution mensuelle de leurs revenus de l'ordre de 120 F par mois pour les petits salaires et de 650 F pour les plus élevés.
Voilà la situation actuelle. Les représentants du conseil d'administration exercent donc un chantage en menaçant de procéder à un dépôt de bilan en cas de refus des salariés de se soumettre à ces mesures, alors que, dans le même temps, le gouvernement, qui a la haute main sur la nouvelle BCG, proclame sa volonté de défendre l'emploi, voire d'en créer. Cet exemple illustre une démarche qui nous semble tout à fait contradictoire. Un chômage partiel plus important était tout à fait envisageable dans cette entreprise dans laquelle on aurait pu répartir le travail entre plusieurs mains. En effet, des diminutions d'horaires avaient été proposées par les représentants des salariés et pouvaient être négociées. Mais cette mise au pied du mur a acculé le personnel, le couteau sous la gorge, à accepter le plan de démontage.
Ainsi, dans un secteur du secondaire sinistré enregistrant une perte d'emplois en deux ans de 10%, la BCG encourage et suscite des mesures de restructuration entraînant un chômage structurel accru. Ces procédés doivent-ils être considérés comme «La Politique» de la Banque cantonale, avec un grand L et un grand P ? Devons-nous y voir les effets du syndrome Hubert Raymond, cet affairiste spéculateur dont l'incurie a été couverte par un institut bancaire voisin ? Nous osons espérer que non !
Cette politique reste-t-elle une politique de «dumping salarial» ? C'est inacceptable du point de vue social. Plus encore, c'est une politique hérétique du point de vue économique. Elle cautionne la concurrence déloyale et la dépréciation de la valeur du travail créées dans les entreprises industrielles du canton. Oui, les travailleurs de Roto-Sadag ont commis l'erreur de croire sur parole leur chef d'entreprise, M. Domenjoz, qui leur avait assuré que les baisses de salaire ne seraient pas utilisées pour baisser les prix, mais bien pour pallier aux difficultés de trésorerie suscitées par les clients mauvais payeurs et pour honorer les intérêts de la ligne de crédits de la Banque cantonale.
Non, le législatif ne peut pas admettre qu'une de ses institutions exerce un chantage au dépôt de bilan sur les salariés pour qu'ils concèdent un abattement de 9% sur la masse salariale sans contrepartie ! Le législatif de ce canton ne peut également pas admettre que l'on soutienne des chefs d'entreprise qui utilisent des fonds publics pour mener une politique dont le but avoué est de gagner des parts de marché en s'appropriant des commandes en cassant les prix et en étant en concurrence déloyale avec les entreprises saines qui n'ont ni les réserves ni la caution financière pour résister à ces attaques !
Nous demandons donc tout d'abord au gouvernement d'engager ses institutions pour sauver l'emploi, y compris dans les arts graphiques où le marché intérieur représente plus de 80% de ses activités. Ensuite, et dans le cas d'espèce, nous demandons le maintien du soutien de la Banque cantonale à Roto-Sadag et qu'il soit conditionné à des mesures d'assainissement au niveau de la conduite de la société. En d'autres termes, la banque, qui a libéré un crédit-relais de 2 millions, doit influer sur le conseil d'administration pour qu'il confie le poste de commande de la société à un administrateur responsable.
Mes deux questions sont les suivantes :
Quelle politique le Conseil d'Etat entend-il mener pour préserver les emplois dans le secteur des arts graphiques ? Considère-t-il les décisions des employeurs de Roto-Sadag et la contribution en matière de politique économique de la Banque cantonale impliquée dans le conseil d'administration depuis quatre ans comme un exemple à suivre ?
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Je vous donne quelques informations en réponse aux questions qui viennent d'être posées au sujet de Roto-Sadag.
Il faut savoir, Monsieur le député, qu'à la fin de l'année dernière Roto-Sadag, à raison des dispositions légales, code des obligations en particulier, aurait été dans l'obligation de déposer son bilan. A l'époque, en effet, la fiduciaire chargée du contrôle des comptes, qui assume sa propre responsabilité dans le cadre du nouveau droit de la société anonyme, était à la veille de saisir le juge pour demander une mise en faillite de Roto-Sadag, tout simplement parce que les pertes de la société se chiffraient en multiple de son capital. Les conditions légales pour la mise en faillite de Roto-Sadag étaient donc réunies.
C'est dans ce contexte et afin de sauver les emplois de Roto-Sadag que la Caisse d'Epargne du canton de Genève a été approchée, précisément, par la fiduciaire chargée du contrôle des comptes, pour examiner les solutions qui pouvaient et qui devaient être prises d'urgence. C'est ainsi que la Banque cantonale, nouvellement constituée, a décidé de procéder à la recapitalisation de Roto-Sadag de façon à permettre de ramener le ratio existant entre le capital de la société et l'état de ses dettes à un niveau acceptable au regard des normes du code des obligations.
Dans ce contexte, qu'il me soit très clairement permis de vous dire, Monsieur le député, que l'intervention de la Caisse d'Epargne, désormais Banque cantonale, loin d'avoir conduit au licenciement d'un certain nombre d'employés, a permis de sauvegarder nonante emplois. Sans cette intervention Roto-Sadag se serait ni plus ni moins retrouvée en faillite immédiatement, à teneur de l'application impérative des dispositions du code des obligations. Un plan social doit également être mis sur pied par l'intermédiaire de la Banque cantonale, tout en respectant les conventions collectives USL-SLP, et ce malgré la situation extrêmement préoccupante de l'entreprise.
La Banque cantonale, sur la base de ce que nous connaissons - mais nous ne connaissons pas tout, puisque certaines interventions relèvent du secret bancaire - a agi dans cette affaire d'une manière irréprochable. On peut au contraire se féliciter de son intervention sans laquelle Roto-Sadag serait une entreprise morte nous laissant cent quinze employés sur les bras. Celle-ci a permis de sauver nonante emplois sur la base d'un plan social qui permettra probablement de sauver la substance de cette entreprise, dont les compétences sont incontestables.
Je vous signale enfin que j'ai reçu, au tout au début du mois de janvier, les délégués du Syndicat du livre et du papier ainsi que ceux de l'Union suisse des lithographes pour faire le point avec eux et leur faire part de l'état actuel de mes connaissances du dossier et des informations obtenues de la Banque cantonale de façon que la partie syndicale ait une vue claire de la situation.
Voilà, Monsieur le député, les quelques informations que je pouvais vous donner en réponse à votre interpellation.
L'interpellation est close.